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24 avril 2024  

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La chronique de Philippe de Vigneulles

hilippe de Vigneulles (1471-1527 ou 1528) fut un simple drapier de Metz,qui se rendit littérateur sans autre préparation que de savoir lire et d'avoir beaucoup voyagé. Aucun des auteurs qui figurent dans le répertoire si varié de nos mémoires historiques, ne s'est trouvé dans cette condition. Celui que nous appelons mal a propos le Bourgeois de Paris, n'était pas un bourgeois, mais un universitaire, un clerc écumant le latin et dont les boutades sentent si fort le collège, que personne n'aurait dû s'y tromper.
  Ni la flatterie, ni la médisance, ni l'envie de se faire valoir n'ont dirigé la plume du bourgeois de Metz; il le dit et le prouve par la nature comme par la tournure de ses récits. Homme curieux qu'il était, avide de s'instruire et d'instruire ses semblables, il n'a voulu rien de plus que consigner la mémoire de ce dont il avait éié acteur ou témoin. Par là son livre est à la fois une biographie et une chronique de son temps. Il l'a écrit comme on écrit un journal, sans recherche de composition ni de style, avec un laisser-aller, une rusticité même, qui finirent par ne plus satisfaire son propre gout. Il l'abandonna en 1520 dans la cinquantième année de sa vie, pour se mettre à écrire une histoire générale de Metz, où il n'introduisit plus que dans une mesure très-restreinte les choses qui le concernaient personnellement.
  La jeunesse de Philippe de Vigneulles présente de curieux incidents. Il eut pour mère une fille de la campagne, qui jusqu'au jour de ses noces n'avait point, comme il le dit, porté de souliers à ses pieds. Son père était aussi un paysan, mais aisé et qui était maire du village de Vigneulles dans la banlieue de Metz. Il apprit à lire chez un curé, à écrire chez un notaire, à dessiner de lui-même. Il n'avait pas quinze ans que l'envie lui vint de courir le monde, et comme il savait que ses parents ne se prêteraient pas à cette fantaisie, il partit à leur insu, avec deux francs d'économie qu'il avait gagnés à dire des psaumes dans les églises pour le compte des pénitents. Le voilà en route pour l'Italie, couchant et mangeant le plus souvent par aumône. A Genève il est obligé de se mettre au service d'un chanoine pour amasser de quoi continuer sa route; puis il va à Rome, y fait connaissance avec un domestique de Ferdinand d'Aragon qui l'emmène à Naples. A Naples il sert tour à tour un homme d'armes, qui lui rend la vie dure, puis le maître de la musique du prince de Tarente, chez qui îl apprend à confectionner les instruments à cordes et à jouer dessus. Aimé et choyé de ce maître, il pouvait espérer de faire fortune dans sa nouvelle condition : il aima mieux se faire palefrenier d'ambassade pour retourner en France. Après bien des traverses il retrouve sa famille, apprend l'état de chaussetier, et songe à se marier pour s'établir. Mais une affreuse aventure vient pour longtemps retarder son bonheur. Couchant une nuit avec son père dans leur maison de Vigneulles, ils sont pris au lit par une bande de soudards qui les assomment et les emmènent prisonniers dans un château du Barrois.
  Là commence une suite de persécutions inouïes contre les deux captifs qu'on veut amener à payer une rançon impossible. On leur cache le nom du lieu où ils sont, on leur fait croire qu'ils sont sous la garde d'une personne désintéressée au fait de leur séquestration, et qui ne les loge que pour obliger des amis. Tous les brigands qui les entourent prennent part à cette infâme comédie, les uns pour les épouvanter, les autres pour les consoler, tous pour mentir, et cela avec ces ressources d'allées et de venues, de trappes et de déguisements qui nous paraissent le comble de l'invraisemblable dans les mélodrames où l'on se hasarde encore à les employer. Funestes époques que celles où la faiblesse est condamnée à se débattre ainsi contre les étreintes de la violence hypocrite! Les ourdisseurs du complot étaient deux chevaliers de la suite du duc de Lorraine, qui juraient par tous les serments ne savoir ce qu'on leur voulait dire, lorsque les soupçons se portaient sur eux par suite des recherches faites de tous côtés sur le sort de leurs victimes.
  Délivré moyennant finance après plus d'un an de captivité, Philippe de Vigneulles n'éprouva plus qu'heur en sa vie, sauf les pertes d'enfants et les calamités publiques sur lesquelles il s'apitoyait de toute la tendresse de son cœur à cause du grand amour qu'il avait pour sa ville. Presque tous les ans il allait en voyage pour les affaires de son commerce. Il fréquentait les foires d'Allemagne, de Belgique et de France, ayant toujours son registre sur lui pour noter les choses dignes de mémoire. La considération dont il jouissait à Metz, le fit devenir chef de son quartier; il aurait pu monter davantage s'il avait eu plus d'ambition. On voulut en 1518 lui confier la gestion des deniers publics : il refusa, étant plus effrayé de la responsabilité qui pesait sur cette charge, que séduit des bénéfices qu'on y pouvait réaliser.


Extrait de sa chronique concernant La guerre de cent ans et Jeanne d'Arc :

                                                         /

Orléans asseigiez
  En celle meisme année, qui fut l'an XVIe de l'ampire Sigismond, ampereur, fut assiégée la cité d'Orléans par les devent dis Anglois. Par lequel sciège furent bien abatues XXII églises és faulx bours de la dicte cité ; entre lesquelles estoit l'église collégialle de mon seigneur Sainct Aignan. Durant ledit sciège d'Orléans, le conte Salbery, principal capitaine d'Anglois en cest partie, fut tué d'ung canon dont on réputoit le coup avoir esté fait divinement. Car on ne peult jamais sçavoir qui eust bouté le feu au baston dont la pier saillit.
  Item, en ce tampts, messire Jehan Fastol et messire Simon Mohier, prévost de Paris, tenans la partie des Anglois, venantz avitailler ledit sciège, desconfirent les François près de Yenville en Beausse, qui estoient en plus grant nombre que eulx ; desquelle furent mors plus de deux cent. Entre lesquelle estoient le sire de Struart, connestable d'Escoce, et le seigneur Dorval ; mais le duc de Bourbon et La Hire s'en eschapèrent atout leur armée. La dicte rancontre fut dicte la bataille des Harens, pour ce que lesdit Anglois emmenoient des harens, car alors c'estoit on tampts de karesme.
  Et aincy, en ce tampts, estoient les François mis fort à bas, et leur mescheoit de tout cousté.

Jehanne, dicte la Pucelle de France.
  Or, escoutés chose merveilleuse et de grand miracle. Car, comme le royaulme estoit en telle affliction et tribulacion de tout coustés, et en plus grand pouvretés que jamais eust estés, par les grand guerre desquelles je vous ais heu ycy devent au cecond livres parlés, comme ce par divine providance eust estés envoiées du ciel, en cellui tampts et que le roy Charles estoit au plus bas, fut alors trouvées une jonne pucelle, aagée de environ XX ans, nommée Jehanne, native du villaige de Dampremé, auprès de Vaucouleur, et engendrée de Jaques d'Arc, son perre, et de Ysabel, sa merre. Celle pucelle, par l'amonestement et miracle de Dieu, ayent pitié et compassion des adversités de ce tampts souventefîois, soubz la conduicte de son oncle alloit parler à Robert Baudricourt, prévost de la ville d'Orléans et capitaine de Vaulcoulleur, et à plusieurs aultrez chevaliers et homme d'armes de la garnison du lieu, les admonestant qu'il leur pleut de la mener dever le roy Charles, affin que, moyenant la grâce de Dieu, elle donnait bon remyde aux choses mal conduictes et désespérées. Ledit Baudricourt, après qu'il eust desprisé une foix ou deux celle jonne fille, dont il ne faisoit estime, voiant que tousjours parcévéroit, ce en esmerveilla, et, après plusieurs pancée, il la bailla à garder. Puis, ung jour après, comanda de la mener devers le roy. La pucelle, venant vers Charles, combien que oncques ne l'eust veu et que à certains prepos le roy ce fut moins et plus povrement vestu que tous les aultres officiers de sa maison, néantmoins, regairdant le roy en la face, révéramment et doulcement ce prosterna en terre et dit : « Je te salue », dit elle, « très noble roy, et Dieu te doinct bonne vie ! » Et, ainsy comme Charles ce celloit et dénioit estre le roy : « Ha ! » dit elle, « il n'y vault le celler ; tu es le très noble roy des François ». Alors, à ces parolle, print le roy espérence de quelque milleur fortune. Parquoy il la mist entre les mains de quelque homme prudans pour l'examiner et pour l'essaier et esprouver. Auquelles elle dit et efferma constamment qu'elle estoit venue pour restituer le roy Charles en son royaulme, et que Dieu l'avoit ainsy ordonnés. Et, avec ce, que finablement elle déchesseroit les Anglois hors de France et délivreroit l'assiégement de la ville d'Orléans. Puis, ce fait, méneroit Charles courognés à Reims, où en la manière des anciens seroit oinct et sacrés. Et parloit celle pucelle de ces chose si comme de tout ce eust estés admonestée par inspiracion divine. Et, encor daventaige, quant elle estoit interroguée de plusieurs chose, difficille mesme, appartenant à la foy catholicque, elle respondoit par dessus le sçavoir et entandement d'une femme. Et estoit celle pucelle de grand admiracion à plusieurs. Parquoy fut déterminés par le conseille qu'il seroit très bon se de sa fortune Charles husoit en bataille. Mais, comme un prince prudant et saige, il ne voult a premier copt mestre ces chose aincy à l'avanture ; ains ce mist en oreison et continuelle priers envers Dieu, requérant son ayde et lui priant qu'il luy donnait conseil, assavoir mon c'il devoit croire en celle pucelle qui ce disoit estre envoiées de par Dieu, Car il est à doubter de croire cy légièrement ; mais, en ensuiant la Saincte Escripture, la devoit esprouver premièrement en enquerant de sa vie, de ses meurs et de son entancion, comme dit sainct Pol l'apostre : « Probate spiritus sy ex Deo sint ». Et puis, ce fait, desvoit ledit Charles avoir aulcuns signe par quoy il puisse jugier qu'elle est venue de Dieu. Car, comme le mest la Saincte Escripture, le vray Dieu du ciel manda a roy Achat qu'il demandait signe quant il luy faisoit signe de victoire, en luy disant : « Petetevi signum a domino Deo tuo ». Et samblablement fist à Gédéon, qui demanda signe, et à plusieurs aultres.

  Le roy, depuis la venue de la Pucelle, a observés et tenues envers elles les deux manières dessusdictes, c'est assavoir probacion par prudence humaine, et par orison, en demendant signe de Dieu. Et, quant à la premier, qui est de prudence humaine, il l'a fait esprouver, tant de sa vie, de sa naissance, comme de ses meurs et intencion ; et l'a fait garder avec luy bien l'espaisse de six sepmainnes. Auquelle tampts durant l'a démonstrée à plusieurs gens, comme clers, gens d'esglise et de devocion, tant publicquement comme secrètement. Mais en elle ne fut point trouvé de mal, fort que tout bien, comme humilité, virginité, devocion ; et tellement que plusieurs chose merveilleuse sont d'elle dictes comme vrayes.
  Quant à la seconde manière de probacion, le roy luy demanda signe ; auquel elle respondit « que devant la ville d'Orléans elle le monstrera, et non pas avant ne en aultre lieu, car ainsy luy estoit ordonné de par Dieu ». Le roy, entendu la probacion de la dicte Pucelle, en tant qu'il lui est possible, et considéré sa responce, qui est de démostrer signe divin, veu aussy sa constance et sa persévérance en son prepos, et ses requestes instantes d'aler audit Orléans pour monstrer le signe du divin secour, ne la doit point empeschier ; mais la doit on faire conduire honestement en espérance de victoire. Car, la débouter ou déchasser sans espérance de mal, seroit répugner au Sainct Esperit et se rendre indigne de l'aide de Dieu, comme dit Gamalier en ung conseil des Juifz au regars des Apostre.
  Parquoy, après ces chose ainsy dictes et faictes, le jeudi XXIe jour d'avril, la dicte pucelle, par la lissance dudit Charles, se partit de Chinon pour aller à Orléans. Et la première charge que l'on lui baillait, ce fut de pourter victuaille en la dicte ville d'Orléans, acompaignié de bon chevallier et de puissante armée, en laquelle y avoit de bon combatans. Et, quant il vinrent à Bloys, au devent d'eulx leur vindrent Regnault, archevesque de Reins et chancellier de France, le bastard du duc d'Orléans, Estienne la Hyre, et plusieurs aultres homme d'armes d'eslicte. Et furent les victuaille mises és chariotz, et les gens d'armes en ordres de batailles. Alors ce partit la dite Jehannes de Bloys ; et, le lundemains, prindrent leur chemin vers Orléans, jusques a jeudi ensuiant, XXVIIIe jour dudit moix d'avril. Auquel jour la dicte Pucelle faisoit pourter son estandairt, qui estoit de satin blan, où estoit Nostre Signeurs figuré séant en l'arche, mostrant ses plaies ; et y avoit de chacun cousté deux anges tenant une fleur de lis. Et, ainssy acompaignié des seigneur devent dit, avec le mareschal de Boussat, mon seigneur de Gaucourt, mon seigneur de Rays, et plusieurs aultres, en nombre de trois mil, que de piedz que de chevaulx, et, avec ce, environ LX charois de vivres, et quaitre cent et XXXV cherges de bestial, et arrivaient (1) audit Orléans le londemain ensuiant, qui fut le vandredi, pénultime jour dudit mois. Et les vinrent quérir lesdit d'Orléans par navires, malgrez en eussent lez Anglois, lesquelles à celle fois n'osairent saillir de leurs bastilles, ne ne mirent ad ce quelque deffence. Ce fait, quant la dicte pucelle vit qu'on l'avoit menée du costé de la Saloingne, et qu'elle n'avoit point trouvé les Anglois, elle en fut très couroucié en l'encontre des capitaines, et en plora ; et, incontinant, ordonna à la compaignie qu'il retournassent audit Blois quérir les aultres vivres qu'il avoient laissiés, et qu'il les amenassent du costé de la Beausse. Et bien leur dit qu'il ne doutassent riens, car il ne trouveroient aulcuns empeschement. Non firent ilz ; et, en cest allée et a retour qu'il firent, n'y ot noise ne débat, chevault morfondus ne recreu (2), homme blécié ne mort, ne mal erroy (3) quelconque. Bien est vray que les Anglois se assemblèrent, environ XIIIIc combatans, pour cuidier combatre les François ; mais, à celle fois, ne ce osairent oncques moustrer.

  Or, je vous veult maintenant dire et conter de quelle armeure la dicte Jehanne husoit en baitailles. Vous debvés sçavoir que on pays de Touraine y ait une église dédiée à saincte Katherine, qui est ung lieu très vénérable à ceulx du pays, et en laquelles l'on voit encor ajourd'huy plusieurs vielz et anciens dons que les anciens y ont donnés. Parquoy la dite Jehannes, elle estant avec le roy, et peu avent qu'elle partit pour aller à Orlians, comme dit est, manifesta a roy Charles que en ce temple, entre les sainctes oblacion et entre plusieurs vielle ferrailles, y avoit une vielle espée laquelles estoit de tout les coustés ampraintes et couvertes de fleurs de lis. Et dit la dicte Jehanne et requiert a roy que l'on y envoiait ung armurier pour chercher la dicte espée, et qu'il fist tant qu'elle luy fut donnée. Le roy Charles de ces chosez ce esmerveilla, et luy enquit ce aultrefois avoit ce temple visité, et cornent elle avoit heu de cecy congnoissance. « Celluy », dit elle, « qui le m'a enseigné n'est point ung homme : c'est Dieu seul, et non aultre, qui celle chose m'a révellés. Car, du lieu », dit elle, « jamais en ma vie je n'y fus, ne n'en n'euz oncques congnoissance ». A cest responce, envoia le roy ung armurier audit lieu pour quérir le glesve ; et luy fut recomendés que, quant il l'avroit trouvés, qu'il l'apourtait à la dicte Jehenne. Alors ce mist l'armurier en chemin ; et tant chemina qu'il vint à Sainct Katherine. Et illec, entre plusieurs aultre vielles armeurs, trouva celle espée toutte enroueillée, laquelle il appourta à Charles. Et, tantost, la donna à la dite Pucelle ; et d'icelle husait toutte sa vie, cen en point avoir d'aultrez.
  Mais retournons à nostre prepos des Anglois. Car, après que les vivre furent pourté et la cité avitaillée, comme dist est, la dicte Pucelle, très vaillamment en armes acoustrée, ce mist en chemin avec les siens droit au boulevart que on appelloit la bastille de Sainct Loup. Et, illec, puissantement combatif, et vainquit les Anglois, sans qu'il en eschapait ung seul de ceulx qui estoient en ce lieu, qui tous ne fussent occis ou fait prisonnier. Et fut en ce boulevart conquis grant foison de vivres, et plusieurs artillerie ; et n'y perdirent les Françoy que deux homme tant seullement.

  Item, le vandredi ensuiant, la dicte Pucelle saillit atout son estandart, avec grant puissance de ceulx de dedans, du costé de la Saloingne, et fist samblant d'assalir les aultres bastille des annemis. Et, sus une retraicte que il firent, les Anglois saillirent à grand puissance sur eulx. Et. quant la dicte Pucelle et la Hire, qui estoient à petitte compaignie, les virent, il retournairent sur eulx vistement, et les reboutairent cy asprement que à grant paine se peurent retraire ; et en fut bien tué XXX des leurs. Et fut prins d'assault le fort des Augustins, avec ung de leur boulvart ; et y gaingnairent lesdit François grand foison de vivre et artillemens. Et, quant lesdit Anglois virent ce, il ont laissiez et abandonnés trois aultres de leur bastilles qu'il avoient du coustez de la Saloingne, et ce retrahirent tous en la grand bastille qu'il avoient a bout du pon, qu'il appelloient Londres. Et, pour les tenir subjecgt, couchait la dicte Pucelle, elle et ces gens, toutte celle nuit au champts. Et, après, a lundemain, quant il furent retournés en la ville, tinrent les capitaine leur conseille ensamble, assavoir mon c'il yroient assaillir le gros boulevairt devent dit, qu'il appelloient Londres. Finablement, le conseil communicqué, Jehanne la Pucelle commensça à soy courroucer, disant en cest manier : « Seigneurs, ne me celés rien, car je puis celer plus grandes chose que celle cy, lesquelles je thiens en mon couraige ». Et, alors qu'il luy eurent dit ceu qu'il estoit conclus, elle en fut bien joieuse et louait leur oppinion. Et, della en avant, ne ce faisoit rien cen son conseil. Et, posé que la dicte Jehanne ne fut point tousjour a conseil des capitaines, cy sçavoit elle bien leurs conclusion, comme s'elle y eust esté en présance ; de quoy lesdit capitaines prenoient grande admiracion. Et, sy n'eust esté que toutes les dictes entre-prinses qu'el faisoit venoient au prouffit et à l'onneur dudit Charles, l'on eust conceu contre elle grande hayne et murmuracion. Elle estoit tousjours des premier en l'armée, montée dessus ung très puissant et courageus cheval, au quelles elle montoit aussy ligièrement et habillement que homme qui fut en la compaignie. Et couroit la lance, et faisoit choses samblables touchant la guerre, aussy bien et mieulx que nul capitaine qui y fust nourri de son enfance. Et, en toutte aultre chosez, elle estoit bien simple personne, menant vie honneste ; et ce confessoit souvent, et recepvoit le corps de Nostre Seigneur presque touttes les sepmaines.
  Mais, pour revenir à mon prepos, aprez le conseille tenus, la dite Jehanne jugea en son couraige estre de nécessité d'aller assaillir leur annemis. Et, comme elle l'ot conclus, il fut fait. Et tellement que, le samedi VIIe jour du moix de may, la dicte Pucelle, avec ces gens, ce mirent en ordonnance. Et, ce fait, furent, en plusieurs basteaulx qui estoient en la rivier, mis groz nombre de gens d'armes, et passa la rivière de Loyre. Puis fut mise l'armée à terre ferme pour assaillir leur annemis ; et ce efforcèrent de toutte leurs puissance d'assaillir la de vent dicte grant bastille du bout du pont, qui estoit place fort et imprenable, et en laquelle y avoit grant nombre d'Anglois, et en belles Ordonnances, et grand foison de traict, canons et bombardes. Et fut en ce lieu bataille forment ; et tant ce deffandirent lesdit Anglois qu'il estoit desjay tairt et causy soilleil couchant. Parquoy la dicte Pucelle donna le signe de la retraicte. Et, aincy comme les Françoys rentroient és basteaulx, assaillis furent par lesdit Anglois. Parquoy la Pucelle, voyant ce, donna couraige à ces gens ; et tellement que aus annemis vertueusement résista, et, de fait, les chassa en les poursuiant jusques à la devent dite maison des Augustins qui est on bourgz. Laquelles, jà soit que les Anglois l'eussent errier très bien fortifiée, toutesvoies il en furent expulsés, et les Françoys le lieu occupèrent.
  Au pont dessus dit, près lesdit Augustins, estoit une tour de pieres carrée, avec le boulevert, et fossellée en l'antour, en laquelles les Anglois ce retirèrent. Et, devent ycelle, Jehanne fit le guet toutte la nuit ; puis, quant ce vint le point du jour, commanda donner l'assault au boullevert, affermant que prochain estoit le tamps auquel les Anglois devoient estre vaincus et chassés du royaulme de France. Cependant que les François faisoient l’assault, les annemis asprement se deffandoient ; et furent en cest estat jusques à bien tairt, et environ l'heure de vespre. En laquelle heure la dicte Pucelle, estant sus le bourt des foussés et donnant couraiges à ces gens, fut blécée d'ung traict d'arballestre du boulevert envoyé, qui luy perça la poitrine ung peu au dessus de la mamelle destre. Dequoy ne fit pas grant semblant, ne n'en fut plus triste ne moins diligente, percévérant, en arrest dessus le bort du fossé, pour tousjours admonnester ses gens d'armes à vaillamment besoingnier. Et, de couraige qui estoit en elle, elle meisme ce tirait le traict dehors de sa poitrine ; et demanda un peu d'oile d'olive qu'elle mist dessus la plaie, avec ung petit de coton. Ce fait, ce arma ; et dit que, puis qu'elle estoit bléciée, que les Anglois n'aroient plus de puissance : car, devent ce advenus, avoit bien dit que devent Orliens devoit estre blécée.

Orléans prinze par la Pucelle.

  Et, lors, ycelle Pucelle se tira à part, et fist semblant de prier Dieu, elle estant sus sa lance apoiées. Et, ce fait, retourna incontinant aulx gens d'armes, et leur escria qu'il entrassent dedans, et leur enseigna lieu. Lesquelz firent comme il leur estoit comendés. Et tous, d'ung commun acord, et elle la premier, assalirent par telle et cy bonne manier que prestement elle fut prinse d'assault. Et illec dedans y oit, que mors, que prins, environ Vc Anglois, de tous les milleurs, avec trois capitaines, c'est assavoir Molin, Jehan Pommar, et Guillaume Classidas, qui estoit l'ung des chief principaulx, et plusieurs aultres grans seigneurs. Aussy, en cest bastille, fut prins grant foison de vivres ; aussy plusieurs traict, canons, bombarde et aultres artillement de guerres.
  Les annemis anglois qui estoient de l'aultre partie, vers la Beaulcé, facillement pouoient veoir l'exploict que ladicte Jehanne et ces gens faisoient sur leur compaignon ; parquoy, espoventés de leurs fortunes et adversités, quant il oyrent les trompettes, clairons et cloches sonner en la ville en signe de liesse, dès le lundemains, au matin, qui estoit le dimanche VIIIe jour dudit mois de may, levèrent le sciège, et c'en fouyrent à Mung.
  Et en cest manier fut rompus l'assiègement, et la cité délivrée de la puissance des Anglois, cy que depuis cest adventure advint tousjour audit Charles bonne fortune.

  A celluy essault devent dit de la bastille, fut trouvés que, de la partie des François, il n'en y oit que V dez mors, et très peu dez bleciet ; et furent estimés lesdit Anglois, quant il levèrent leur sciège, au nombre de environ deux mil et Vc combatans, tant de piedz comme à cheval. Après lesquelles sont saillis les François, environ Ve cheval, qui les sivoient et donnoient ampeschement ; et en y oit aulcuns des prins et des tués à la queue. Mais la Pucelle ne voult point que l'on ce combatist, pour deux raison : premier, pour ce qu'il c'en alloient paisiblement ; et, secondement, pour ce qu'il estoit dimenche. Alors, c'en retournaient arrier ; et ceulx de la cité antrirent esdite bastille, et illec furent trouvés tous leur canons et bombardes, ensamble grand foison de trait, de vivres et aultre baigaige, en grand vallue et estimacion.
  Parquoy messire Tallebot, capitenne anglois, fut féloneu sèment despité de ce qu'il estoit frustré de l'assiègement devent dit. Et, pour sa honte et son dommaige récompenser, assaillit Laval. Et, par trahison ou larcin nocturnel, piint le chasteau et la ville ; auquel lieu il print prisonnier le conte dudit lieu, lequelle il tint en prison jusques à ce qu'i lui eust payé la somme de vingt mil escus.
  Ce pandant la Pucelle sollicita le roy Charles de lever plus grant nombre de gens d'armes, pour recouvrer ce que les annemis luy occupoient au champts d'Orléans. Et, à cest cause, fut le duc d'Alenson à soy appelle, auquelles comenda Charles aller à Gergeau. Tantost arivèrent Jehan, bastard d'Orléans, Boussat, mareschal Graville, Culault, admiral Ambroys de Loré, Vignolle, La Hyre et Guillaume Brussat. Lesquel, jà soit qu'il ne fussent stipendiés des deniers du roy, toutesvoies, afïin de veoir et visiter la Pucelle, laquelle il cuidoient et creoient estre divinement envoiée, ne refusoient cheminer en batailles. Parquoy vers Gergeau chevaulchèrent, et prindrent la ville le VIIIe jour après qu'il eurent mis le sciège devent. En la prinse d'icelle ville fut prins le conte de Suffort et le sire de la Poulle, son frère ; aussy y mourut son aultre frère, nommé messire Alexandre de la Poulle, avec trois ou quaitre cent Anglois.
  Paireillement, peu de jour après, leur armée, augmentée par le commandement de Charles, ont prins leur voie à Mung ; et, là venus, ont prins le pont avec la tour, puis y mirent garnison ; et hastivement s'en allèrent à Bogency. La venue des François entendue, les Anglois délessèrent la ville ; et ce retirèrent au chasteau, qui est au pont sus la rivier de Loyre. Lequelle prinrent les François par composicion ; et franchement lessèrent aller les Anglois qui estoient dedans.
  Après la prinse de ce chasteau, fut fait bruit parmy l'ost et parmi les tentes des Françoys que le capitenne Tallebot et Jehan Fastel, avec cinq mil Anglois, avoient estés veuz à Janville, en Beaulce, pour venir à Mung. Adoncquez, par les espie envoiez des Françoys, fut congneus que cecy estoit vray. Parquoy il ce mirent en ordre de batailles et marchèrent à l'encontre des annemis, et fichèrent leurs tentes à Artenay, pour ce que lors y avoit ung treffort et puissant temple (4). Alors estoient à faire le guet Bermanor, Ambroys de Loré, La Hyre et Poton, espérans la venue des annemis. Et, après ceulx ycy, s'ensuyvoient, non pas loing, avec bonne armée, le duc d'Alenson, Richemont le connétauble, le conte de Vendosme, Jehan, bastard d'Orléans, et la Pucelle, car rien de bon ne ce faisoit cen elle. Les Anglois cheminans, quant il virent les Françoys, commencèrent à retourner arrière au bois, illec prochain, affin de quérir pour eulx meilleur lieu pour combaitre. Mais les devent dit, qui faisoient le guet, sans donner aux armemys espace de soy amasser, commensairent à combaitre, sy qu'ilz contraignirent fouyr tous les Anglois qui estoient à cheval. Parquoy les piétons, voyant la fuyte de leurs gens d'armes, se jettèrent dedans le bois en ung petit villaige estant illec près, par la couverture duquel bois se saulvoit chacun d'eulx au mieulx qu'il povoit. Pandant ce conflice, ariva le duc d'Alenson, équippé d'une grosse armée. Et, en cest bataille, morurent environ trois mil Anglois ; oultre plus, de leurs noblesse en furent empoigniés et prins prisonniers le sire Tallebot, le sire de Scalles, messire Gaultier, de Hongreffort, et plusieurs aultres grant seigneurs Anglois.
  Lors vint Janville en la puissance du roy Charles, et plusieurs aultrez places du païs de Beausse ; de quoy les Françoys eurent grand joie.

  En celle meismtf année, on moix de jung, la pucelle Jehanne c'en allait jusques à Tours parler a roy. Laquelles, quant elle vint à ariver près de sa personne, son estandart tenant en sa mains, ce enclinait tout bas ; et le roy, qui luy estoit venus au devent, osta son chaperon, et, en la levant, l'ambrassa ; et sembloit qu'il l'eust voullentiers baisié, pour la grand joie qu'il avoit. Et fut ce fait le prochain mescredi devent la Panthecouste.
  Et, en ce meisme jour, allèrent à l'ostel pour tenir conseil assavoir mon qu'il estoit bon de faire. Alors la dicte Jehanne, elle estant devent le roy, ait dit en cest manier : « Très noble roys, jà comences à surmonter ton annemis. Nous voyons ajourd'uy plusieurs villes et chasteaulx, que les Anglois te avoient osté et ravy, lesquelles à cest heure sont en ton obéissance. Or est maintenant venus le tampts de ta consécration. A la divine voulenté de Dieu plaist que tu ailles à Reins, où serais oynct de la saincte et sacrée onction en la manier de tes prédécesseurs. Et illec le diadesme royal recepveras, pour laquelle chose ton nom en sera au puple françois plus vénérable, et à tes annemis plus doutable. Saches que la Champaigne, souverainement tous les Belges, sont encores soubz la puissance des Anglois. Toutesvoys, moyennant l'ayde de Dieu, nous te préparerons le chemin : tant seullement assemble tes gens d'armes, et puis faisons ce que Dieu a ordonné ».
  Ces paroles de la Pucelle faisoient à tous grans espérance, pour ce que, pour la purité et netteté de sa vie, monstroit elle en soy grande saincteté ; aussy que riens ne faisoit ou disoit fémeninement, ainçoys monstroit l'euvre samblable a parolle. Car, chacune sepmainne, comme j'ay dit devent, sa concience purgeoit par confession sacerdotalle, et recepvoit le sainct sacrement de l'aultel, et menoit vie très dévote et comtemplative.
  Charles doncques, après qu'il eut levé une puissante armée, délibéra de c'en aller à Rains par la Champaigne. Et envoya la Pucelle devant, avecques aulcuns capiteinne de guerre, pour résister aux annemis, se d'aventure vouloient empescher le passaige. Quant ledit Charles fut venus près Auserre, au devent de luy vinrent aulcuns des cytoyens, mais jà pour ce ne le receurent mye en la ville. Alors y estoit le seigneur de la Trimoylle, qui avoit grande auctorité envers le roy ; parquoy la comune renommée tenoit pour vérités que cestuy avoit receu pécune des Asserrois affin de leur faire donner trêves. A cest cause, ne fut fait aulcuns dompmaige à la ville. Et, parmi ce, les habitans d'icelle baillairent vivres à l'armée des François, en les paiant.
  Après que Charles eut passé Ausserre, il print Sainct Florentin, par le moyens que les citoyens franchement ce rendirent. De là cheminèrent à Troyes en Champaigne. Et, le sixiesme jour après qu'il eust illec tenus son sciège, sans espoir que les habitans se rendissent, y oit une merveilleuse famine en l'ost des François, sy que, par deffaulte de pains, plusieurs gens d'armes ne mangeoie tant seullement que febves et espiz de bledz. Ceste povreté et indigences congneue, assembla Charles en conseil les principaul de son armée, ausquelz il demenda quelle chose leur sembloit estre à faire. De tous ung seul ne fut qui ne dist que l'on debvoit remener l'armée et lever le sciège, attendu que les vivres estoient failliz a gens d'armes, et la pécune pour les souldoyer. Toutesvoyes, entre les aultres, en y oit ung, nommés Robert le Masson, lequelle, combien qu'il ne fut d'oppinion contraire, ait dit aincy : « Je vouldroye », dit il, « ouyr l'oppinion de Jehanne sus cest chose ; car c'est celle qui cause motive ait esté de cest armée ; peult estre que par son conseil donnera quelquez ayde ». Son oppinion pleust à tous, et fut alors la Pucelle appellée. Puis fust requise de dire la sienne opinion. Adoncquez la dicte Jehanne vers le roy se retourna, et dist en cest manière : « Noble et puissant roy, se je te dis ce que je crois et tiens estre vray, me croyras tu ? » Et, comme par deux fois eust demandés celle chose, respondit le roy : « Se quelque proffit doit advenir, dis le, et je te croiras ». Alors ait dit : « Les habitans de Troye », dit-elle, « sont tiens, et dedans deux jours prochains à toy se randront, et te livreront la ville ». Le roy, adjoustant foy aux parolles de la Pucelle, commenda que l'armée ne bougeast encor de ce lieu. Lors Jehanne monta hastivement sur son chevaulx, et contraingnit chascun des gens d'arme à pourter devent la murailles touttes les choses nécessaire à donner l'assault à la ville pour la prendre et surmonter. Quoy voyans, ceulx de Troyes bien hastivement envoyèrent vers Charles l'évesques du lieu, avec quelque nombre de cytoyens et capitainnes, promectant a roy livrer la ville, s'il permettoit les Anglois d'ilec issir, avec quelque nombre de prisonniers qu'ilz avoient. Cest condicion accordée, le lendemain entra Charles en la ville de Troys. Et, si comme les annemis sortoient, prohiba et deffandit la Pucelle qu'il ne emmenassent les prisonniers. Mais, affin qu'il ne fussent veu contrevenir et déroguer à la foy promise et accordée avecques les annemis, le pris de leur ranson fut livrés au Anglois ; et le paia le roy. Et, après ces chose ainssy faictes, furent de part le roy Charles estaubly juges et officiers à Troys pour l'exersite de la justice et gouvernement de la chose publicque.
  Puis, ce fait, il ce partit de Troye ; et s'en alla à Châlons, où les habitans le receurent en grande liesse et exultacion, avec les gouverneurs et officiers de la chose publicque que ledit Charles y voulut establir.
  De là, assaillit la ville de Reins, qui, comme par force, obéyssoit au Anglois. Mais, comme il virent leur droiturier seigneur, il furent très joieulx de le recepvoir. En ce lieu vindrent le duc de Bar et de Lhoranne, samblablement le seigneur de Commercey, équippé de bonnes bandes de gens d'armes, qui n'estoient pas petitte, affin de servir le roy.
  Alors ledit Charles fut essus pour roy de France, et, par Regnault de Chartre, archevesque de Rains, fut oynct, sacré et couronné. Et y assista la Pucelle, pourtant en sa mains l'estandard de guerre, non sans cause joieuse que, par son seulle enhortement, avoit Charles receu le dyadesme du royaulme et la saincte onction au lieu acoustumé. Et, à ce sacre, y fut fait chevalier le duc d'Alençon, le sire de Laval, et plusieurs aultres.
  Le sacre acomplis, et Rains délessée, c'en alla le roy à Vellin, où franchement print jouissance de la ville ; et ne moustrairent ceulx de Souesson aucun signe de rébellion. Et, pareillement, ce randirent Ghasteaulx Thierei, Provins, Colommiers, Cressy en Brie, Crespy en Valois, Compiègne, Senlis, Sainct Denis, Laigni sur Margne, et plusieurs aultres forteresses.
  En cellui tampts, y eust maintes escarmouches desdis François et du duc de Bethfort entre Sanlis et Barron.
  Aussy, en ce tampts, les bourgois de Beauvois vindrent à Compiègne offrir plaine obéissance a roy.
  Item, en la fin du moix d'aoust, Jehanne la Pucelle fut navrée d'ung traict d'arboullette par la jambe, en cuidant entrer dedans Paris par la pourte Sainct Honnoré. Et, pour ycelle heure, fut des François prins le boulevart de la dicte pourte ; et eussent eschellé la ville, se l'eaue du second foussé ne eust esté sy grande. Et, quant la dicte Pucelle fut retournée à Sainct Denis, elle y offrit et donna ses armes par grand deliberacion, lesquelles y furent pendues et mises devant le glorieux corps sainctz.
  En ce mesme ans, on mois d'aoust, fut prins vers Alençon la ville et château de Bonmoulins sur les Anglois ; et plusieurs aultrez villez et forteresse prinrent les François sus les Anglois, lesquelles je lesse à nommer pour abrégier. Car, depuis ce tampts que la dicte Jehanne vint en France, prospéroient tousjours les Francoys, et leur venoit de mieulx en mieulx ; et n'y avoit causy de semaigne que les gens du roy ne conquissent quelque ville ou chaisteaulx ; car la Pucelle, comme dit est, lui avoit apourté bonne fortune. Néantmoins que, durans ce tampts, plusieurs ville et villaige, et aussy plusieurs bon labouraige, furent désert et destruit ; et n'y demouroit parsonne en d'aulcuns lieu, ains estoient les bonne terres fertilles et qui deussent estre Labourée plaine de ronsse et espine, et n'y hantoit que beste salvaige, dont c'estoit pitiet et domaige. Toutefïois, comme j'ay dit, les principault de plusieurs ville, de jour en jours, ce venoient mestre en la mercy du roy. Et estoit durans ce tampts la dicte Jehanne la Pucelle en grant bruit, et forte craintes et doubtée, jusques ung jour que Fortune luy tourna le dos, comme cy après il serait dit, quant tampts et lieu serait d'en parler.
  Cy me tairés de cest affaire pour le présans, et retournerés au maistre eschevin de Mets, et à plusieurs aultres besoingne digne de mémoire et profitable à raconter.

La pucelle Jehanne brullée à Rouuen.

  Maintenant, vous veult quelquez peu laissier le pairler de celle guerre des Loherains et des affaire de la cité, et veult retourner à la mestier acomencée touchant le fait de Jehanne la Pucelle. Car, comme ycy devent ait estes dit, il est vray, cellon plusieurs cronicques, que, environ la fin de l'an devent, c'est assavoir en l'an mil quaitre cent et XXX, messire Jehan de Lucembourc, les conte de Hantone et d'Arondel, anglois, mirent le sciège devent Compiègne sur les François ; et avec yceulx Anglois estoient les Bourguegnon. Et, pour donner secour à la ville, la Pucelle y alla avec belle compaignie, et antra dedans. Mais, à celle heure, Fortune lui tourna le dos ; car, ainssy comme ung jour l'on fist ung escarmouche devent ycelle ville, à laquelle saillit la dicte Pucelle pour assaillir les annemis, et, ainssy comme elle vit que la chose ne ce pour-toit pas bien à leur proffit, elle voult retourner en la ville ; et fut cy très fort pressée des gens d'armes que luy estoupoient le passaige qu'elle fut prinse par ung Picard, lequelle incontinent la donnist à Jehan de Lucembourgc. Et celluy Jehan, comme malvaix, la vandist aux Anglois. Et, tantost qu'il l'eurent en mains, cruellement la traictèrent. Et, par grant hayne qu'il avoie au Fransoy, et aussy pour ce que elle, estant femme, usoit de vestement d'homme, pour ces raison, la firent brûler à Rouen. Néantmoins que, avant qu'il eussent prononcer la santance, fut la dicte Jehenne interroguée devent divers juges, tant spirituel que tamporel, et en plusieurs consistoires. Et d'elle fut enquéris plusieurs chose touchant la foy catholicque ; car il cuidoient et creoyent que Charles eust prins ceste femme instruicte par art magique pour c'en aydier par quelque malvais art de sorcerie ou aultrement. Et, combien que la pouvre fillette ce deffandit disant qu'elle mectoit soy, avec tout ce qu'elle avoit fait, à l'examen du sainct sciège apostolicque, néantmoins elle ne poult estre acoutée envers les tirans. Ains, par flaterie, plus pour complaire a princes que par bonne justice, ont les malvais conseilliers, aweuglés par inicque affection, procuré la condamnacion de celle bonne et juste Pucelle, comme c'elle fut coulpauble, pécheresse et malfaicteresse. Et fut ce fait en l'an devent dit mil quaitre cent et XXXI, on mois de may. Et. ainssy, avés oy la fin de la pucelle Jehanne, pour laquelles sont estes depuis plusieurs chose faictes et dictes, comme en aulcuns lieu ycy après pourés oyr. Et, avec ce, ont estes composés plusieurs biaulx mectre, tant en françois comme en latin, desquelles j'en ais ycy mis aulcuns, dont la tenour c'ensuit (5) :

          Gallorum pully tauro nova bella parabunt ;
          Ecce beant bella, fert tune vexilla puella
          Bis sex cuculy bonis septem sociabunt
          Per hunc versum denontiatur miseris en vis.


  Item fuit etiam pronosticatum per alia metra :

          Cum fuerint anni completi mille ducenti,
          Et duo sex déni fuerint in ordine pleni,
          Et duo sex venient a vergore Remi,
          Tunc perit Anglorum gens pessima fratre desnoii.


  Par cy devent avés oy l'assiègment de la ville de Compiègne, auquelle fut prinsc la devent dicte Pucelle. Cy devés sçavoir que celluy sciège, mis par les Anglois et Bourgongnon, durait VIII mois ; et tellement que, après la prinse de la dicte Jehanne, c'est assavoir en cest présante année mil quaitre cent et XXXI, fut ledit sciège levés â l'onneur des François, et à la confusion des Bourguignon et Anglois, par le conte de Vendosme, lieutenant du roy, et par le sire de Boussat, mareschal de France. Et, en le levant, furent plusieurs Anglois, Borguignon et Picars occis. Dedans la dicte ville estoient messire Philippe de Gamaches, abbé de Sainct Faron de Meaulx, et ung capitaine, nommé Guillaume de Flavy, lesquelles c'y portèrent très vaillamment...

                                                 


Source : Edition Charles Bruneau - Société d'histoire et d'archéologie de la Lorraine. 1929

Présentation et traduction : extrait des Mémoires de Philippe de Vigneulles, Henri Michelant, Stuttgart, 1852.

Notes:
1 Phrase mal faite. Il faudrait corriger: ils arrivèrent.

2 Recru, du verbe recroire: fourbu.

3 Aroi, équipage; mal aroi, accident (cf. désarroi)

4 Il s'agit sans doute d'une église fortifiée. Jean Chartier (éd.Vallet de Viriville, Paris, Jannet, 1858, t. I, p. 86) parle d'une « église forte nommée Patay en Beausse ».

5 Il nous a été impossible de rétablir le texte correct de ces vers.





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