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Chronique de la Pucelle - index
50 - La Pucelle retourne en Touraine auprès du Roi - La prise de Jargeau

a Pucelle ne pouvant à, ceste heure entretenir l'armée, par deffault de vivres et de paycment, elle se partit, le mardy dixiesme jour de may, accompaignée de haults seigneurs, et s'en alla par devers le roy, qui la receut à grand honneur, et tint à Tours aucuns conseils, lesquels finis, il manda de toutes parts ses nobles ; et pour nettoyer la rivière de Loire, bailla la charge, au duc d'Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compaignée. Si vindrent à grand puissance devant Jargeau, où estoit le comte de Suffort à grande compaignée d'Anglois, qui avoient fortifié la ville et le pont. Les François misrent là le siège de toutes parts, au sabmedy, jour de la Sainct-Barnabé, onziesme jour du mois de juin ; et fut en peu d'heures la ville fort empirée de bombardes et de canons. Et le dimanche ensuivant, douziesme jour du mesme mois, la ville et le pont furent prins d'assault, où fut occis Alexandre La Poule, avec grand nombre d'Anglois. Si furent illec prins prisonniers Guillaume de la Poule, comte de Suffort, Jean La Poule, son frère ; et fut la desconfiture des Anglois nombrée environ cinq cent combattans, dont le plus furent occis, car les gens du commun occioient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglois qu'ils avoient prins à rançon. Parquoy il convint mener à Orléans par nuict, et par la rivière de Loire, le comte de Suffort, son frère, et autres grands seigneurs anglois, pour sauver leurs vies. La ville et l'église fut du tout pillée ; aussi estoit elle pleine de biens ; et cette nuict se retrairent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle et les chefs de guerre, avec la chevalerie de l'ost, pour eux raffraischir ; et, là ils furent receus à très grand joie.

  Quand la Pucelle Jeanne fait devant le roy, elle s'agenouilla et l'embrassa par les jambes, en lui disant : "Gentil Daulphin, venez prendre vostre noble sacre à Reims ; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez, et ne faicte doubte que vous y recevrez vostre digne sacre." Lors le roy et aucuns qui estoient devers luy, qui sçavoient et avoient veu les merveilles qu'elle avoit faictes par la conduite, sens, prudence et diligence qu'elle avoit en faict d'armes, autant que si elle eust suivy les armes toute sa vie ; considérans aussi sa belle et honneste façon de vivre : combien que la plus grande partie fust d'opinion qu'on allast en Normandie, muèrent leur imagination. Et le roy en luy mesme, et aussi trois ou quatre des principaux d'entour luy, pensoient si ils desplairoit point à ladicte Jeanne qu'on lui demandast que sa voix luy disoit. De quoy elle s'apperceut aucunement, et dist : "En nom Dieu, je sçay bien que vous pensez ; et voulez dire de la voix que j'ay ouye touchant vostre sacre ; et je vous le diray. Je me suis mise en oraison en ma manière accoustumée. Je me complaignois, pour ce qu'on ne me vouloit pas croire de ce que je disois. Et lors la voix me dist : Fille, va, va, je seray à ton ayde ; va. Et quand ceste voix me vient, je suis tant resjouie que merveilles. En disant lesdictes paroles, elle levoit les yeux au ciel, en monstrant signe d'une grande exultation. Et lors on la laissa avec le duc d'Alencon (1).
  Et pour plus à plein déclarer la forme de la prinse de Jargeau, et l'assault, il est vray que après que le duc d'Alençon eut acquitté ses hostages, touchant la rançon accordée pour sa délivrance, et qu'on veid et apperceut la conduite de la Pucelle, le roy, comme dict est, bailla la charge du tout au duc d'Alençon, avec la Pucelle, et manda gens le plus diligemment qu'il peut. Si y venoient de toutes parts ; croyant fermement que ladicte Jeanne venoit de par Dieu ; et plus pour cette cause que en intention d'avoir soldes ou proficts du roy (2).

 

  Là vindrent aussi le bastard d'Orléans, le sire de Boussac, maréchal de France, le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers, le sire de Culant, Amiral de France, Messire Ambroise, seigneur de Loré, Estienne de Vignoles, dict La Hire, Gaultier de Brusac, et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdicls duc et Pucelle devant la ville de Jargeau, ou estoit, comme dict est, le comte de Suffort. Et en mettant le siège, y eut par divers jours plusieurs grandes et aspres escarmouches : aussi estoient ils puissans en gens, comme de six à sept cents Anglois tous vaillans gens.
  Cependant on jectoit de la ville, où avoit fort traict de canons et vulgaires (3). Quoy voyant la Pucelle, vint au duc d'Alençon, et luy list : "Beau duc, ostez vous du logis où vous estes, comment que ce soit, car vous y seriez en danger des canons." Le duc creut [ce] conseil ; et n'estoit pas reculé de deux toises, qu'un vulgaire de la ville fut laissé aller, qui osta tout jus la teste à un gentilhomme d'Anjou, assez près dudict seigneur, et au propre lieu où il estoit quand la Pucelle parla à luy.
  Les François furent environ huict jours devant la ville, laquelle fut fort batue de canons estans devant. Si fut assaillie devant bien asprement ; et ceux de dedans se deffendoient aussi vaillamment ; et entre les autres, avoit un grand et fort Anglois armé de toutes pièces, ayant en sa teste un fort bassinet, lequel faisoit merveilles de jecter grosses pierres, et abatre gens et echeles, et estoit au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, appercevant ceste chose, alla à un nommé maistre Jean le canonnier, et luy monstra ledict Anglois. Lors le canonnier assortit sa coulevrine au lieu où estoit et se descouvroit fort l'Anglois ; si fut frappé dudit canonnier, par la poitrine, et cheut dedans la ville, où il mourut. La Pucelle descendit au fossé, son estendart au poing, au lieu où les faisoient plus grand et aspre deffense. Si fut apperceue par aucuns Anglois, dont un print une grosse pierre de faix et luy jecta sur la teste, tellement que du coup elle fut contraincte à s'asseoir ; bien que ladicte pierre, qui estoit dure, se mia par menues pièces, dont on eut grans merveilles ; nonobstant [quoy] elle se releva assez tost après, et dist tout hault aux compaignons françois : "Montez hardiement et entrez dedans ; car vous n'y trouverez plus aucune résistance".

  Et ainsi fut la ville gaingnée, comme dict est, et le comte de Suffort se retira sur le pont ; si fut poursuivy par un gentilhomme, nommé Guillaume Regnault, auquel ledict comte demanda : "Es tu gentilhomme ?" Et il luy respondit que ouy. "Et es tu chevalier ?". Et il respondit que non. Alors le comte de Suffort le fist chevalier, et se rendit à luy. Et semblablement y fut prins le seigneur de la Poulle, son frère ; et, comme dict est, il y en eut plusieurs de morts ; et foison de prisonniers que on menoit à Orléans ; mais le plus furent tuez en chemin, soubs ombre d'aucuns débats meus entre les François. Ladicte prinse de Jargeau fut tantost faict sçavoir au roy, lequel en fut moult joyeux, et en remercia et regracia Dieu, et manda très diligemment gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec lesdicts duc d'Alençon et Jeanne la Pucelle, et autres seigneurs et capitaines.

                                                         

  La Pucelle ne pouvant à cette heure, par défaut de vivres et de payement, entretenir l'armée, partit le mardi dixième jour de mai, accompagnée de hauts seigneurs. Elle s'en alla par devers le roi, qui la reçut avec de grands honneurs, et tint à Tours plusieurs conseils, après lesquels il manda ses nobles de toutes parts.
  Il donna la charge de nettoyer la Loire au duc d'Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compagnie. Ils vinrent avec de puissantes forces devant Jargeau, où était le duc de Suffolk avec de forts détachements d'Anglais qui avaient fortifié le pont. Les Français mirent là le siège de toutes parts, le samedi, jour de la Saint-Barnabé, onzième jour du mois de juin, et en peu d'heures la ville fut fort endommagée par les canons et les coulevrines. Le dimanche suivant, douzième jour du même mois, la ville et le pont furent pris d'assaut ; Alexandre de La Poule y fut tué avec un grand nombre d'Anglais. Furent faits prisonniers Guillaume de La Poule, comte de Suffolk, et Jean de La Poule son frère. Les pertes des Anglais furent évaluées à environ cinq cents combattants, la plupart tués ; car les milices urbaines massacraient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglais qu'ils avaient pris à rançon ; ce qui nécessita de mener de nuit et par eau à Orléans le comte de Suffolk, son frère, et d'autres grands seigneurs anglais, afin de leur sauver la vie. La ville et l'église furent entièrement pillées; c'est qu'elles étaient pleines de biens. Cette nuit rentrèrent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle, et les chefs de guerre avec la chevalerie de l'armée, pour y prendre quelque repos; ils y furent reçus à très grande joie.
  Quand la Pucelle Jeanne fut devant le roi, elle s'agenouilla, et l'embrassa aux genoux, en lui disant : « Gentil Dauphin, venez prendre votre noble sacre à Reims; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez ; et ne faites nul doute que vous y recevrez votre digne sacre ». Alors le roi et quelques-uns de ceux qui étaient devers lui, sachant et ayant vu les merveilles qu'elle avait faites, par la conduite, le sens, la prudence et diligence qu'elle avait montrés au fait des armes, autant que si elle les eût suivies toute sa vie, considérant aussi sa belle et honnête façon de vivre, quoique décidés pour la plupart à aller en Normandie, changèrent d'avis. Le roi lui-même, et aussi trois ou quatre des principaux de son entourage, se demandaient s'il ne déplairait pas à Jeanne qu'on l'interrogeât sur ce que ses voix lui disaient. Elle le comprit et dit : « En nom Dieu, je sais bien ce que vous pensez; vous voulez que je vous parle de la voix que j'ai entendue touchant votre sacre; je vous le dirai. Je me suis mise en mon oraison en ma manière accoutumée. Je me complaignais parce qu'on ne voulait pas me croire de ce que je disais et alors la voix me dit : « Fille, va, va, je serai à ton aide; va! Et quand cette voix me vient, je suis si réjouie que merveille. » En disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel, et montrait des signes d'une grande exultation.
  Et alors on la laissa avec le duc d'Alençon. Et pour déclarer plus pleinement la prise de Jargeau et comment eut lieu l'assaut, il faut dire que lorsque le duc d'Alençon eut délivré ses otages, en versant la rançon consentie pour sa délivrance, et qu'on vit et que l'on constata la conduite de
la Pucelle, le roi, comme il est dit, donna la charge de tout conduire au duc d'Alençon avec la Pucelle, et il manda des gens le plus diligemment qu'il put. Les gens accoururent de toutes parts, croyant que ladite Jeanne venait de par Dieu; et beaucoup plus pour cette cause qu'en vue d'avoir soldes ou profits du roi.
 
Là vinrent le bâtard d'Orléans ; le sire de Boussac, maréchal de France, le sire de Graville, maître des arbalétriers ; le sire de Culan, amiral de France; Gaultier de Bursac et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdits ducs et la Pucelle devant la ville de Jargeau, où était, comme il est dit, le comte de Suffolk. Pendant qu'on asseyait le siège, il y eut par divers jours plusieurs âpres escarmouches ; les assiégés étaient puissants ; il y avait comme de six à sept cents Anglais, tous gens vaillants.
  Cependant on jetait de la ville, où l'on était bien muni, force décharges de canon, et de veuglaires. Ce que voyant la Pucelle, elle vint au duc d'Alençon, et lui dit : « Beau duc, ôtez-vous du lieu où vous êtes, de quelque manière que ce soit; car vous y seriez en danger d'être atteint par les canons ». Le duc crut ce conseil, et il n'était pas reculé de deux toises, qu'un veuglaire fut déchargé de la ville, et enleva net la tête à un gentilhomme d'Anjou, près dudit seigneur, et au propre lieu où il était quand la Pucelle lui parla.
  Les Français furent environ huit jours devant la ville de Jargeau et la battirent fort de canons, et l'assaillirent fort âprement. Ceux du dedans se défendaient aussi vaillamment. Entre autres, il y avait un Anglais robuste, armé de toutes pièces, ayant sur la tête un fort bassinet, qui faisait merveilles de jeter de grosses pierres et d'abattre gens et échelles ; et il était au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, qui s'en aperçut, alla à un nommé maître Jean le Canonnier, et lui montra ledit Anglais. Ledit Canonnier ajusta sa coulevrine à l'endroit où il se trouvait et où il se découvrait beaucoup ; il le frappa en pleine poitrine, et le fit choir dans la ville où il mourut.
  La Pucelle descendit dans le fossé, son étendard au poing, au lieu où la défense était plus grande et plus âpre. Elle fut aperçue par quelques Anglais, dont l'un prit une grosse pierre de faix 1, et la lui jeta sur la tête, tellement que du coup elle fut contrainte de s'asseoir; cependant la pierre, qui était dure, s'émietta en menues pièces; ce qui fut grande merveille. Nonobstant, elle se releva assez tôt après, et dit à haute voix aux compagnons français : « Montez hardiment, et entrez; car vous n'y trouverez plus aucune résistance ».
  Ainsi la ville fut gagnée, comme il a été dit, et le comte de Suffolk se retira sur le pont ; il y fut poursuivi par un gentilhomme nommé Guillaume Regnault, auquel le comte demanda : « Es-tu gentilhomme ? » il lui répondit que oui. « Et es-tu chevalier ? » et il répondit que non. Alors le comte le fit chevalier, et se rendit à lui. Semblablement y fut pris le seigneur de La Poule son frère.
  Comme il a été dit, il y eut plusieurs morts, et une multitude de prisonniers que l'on menait à Orléans ; mais le plus grand nombre furent tués en chemin sous l'ombre de quelques débats qui s'émurent entre Français. La prise de Jargeau fut mandée aussitôt au roi, qui en fut très joyeux ; il en remercia et en regracia Dieu, et il manda très diligemment des gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec le duc d'Alençon et Jeanne la Pucelle, et d'autres seigneurs et capitaines.


               
                
                  

Source : édition Vallet de Viriville - 1859

Notes :
1 Voir le Journal du siège.

2 Reproduit avec beaucoup d'autres passages dans la Chronique de Jean Chartier.

3 Veuglaires.



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