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25 avril 2024  

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par Henri Wallon

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La historia de la Poncella d'Orliens

' auteur commence par décrire l'heureuse situation de la France : la cour était brillante, le royaume était en paix, mais, en 1428, à cette prospérité succédèrent d'épouvantables troubles. La première cause en fut l'amour que la duchesse de Bourgogne inspira au duc d'Orléans et l'assassinat de celui-ci, ordonné par un mari jaloux. Cet assassinat, comme on se le rappellera, eut lieu bien avant la date donnée par l'auteur espagnol, en 1407. Le roi — il n'est jamais désigné par son nom— fit appeler le duc de Bourgogne et l'interrogea à ce sujet; le prince ne nia pas sa participation et répondit : « Il est fait et bien fait et l'ay fait faire. » (Ces paroles sont en français dans le texte.)
  Le roi, de son côté, eut recours au meurtre et fit poignarder son cousin. Après cet événement, la France fut bouleversée. Le fils du duc de Bourgogne, âgé de 17 ans à peine, implora le secours du roi d'Angleterre : ce souverain envahit la France, et après une série de victoires se fît couronner à Saint-Denis.
  « Le roi de France, battu dans toutes les rencontres, fuyait devant les Anglais et bientôt il ne lui resta plus qu'une ville, Orléans, où il se réfugia et dont ses ennemis commencèrent le siège. Après avoir narré tous ces désastres, l'auteur parle ainsi de celle qui devait apporter la délivrance.« Dans le Dauphiné de France, dans un village, une bien jeune bergère dès son enfance fut accoutumée à garder les troupeaux, laquelle fit cet office jusqu'en l'âge de XIX ans. Et l'on dit que son père était un hôtelier chez lequel les voyageurs logeaient. » (On se rappellera Monstrelet avançant que Jeanne avait été servante d'auberge.)
  « Et elle lorsque les soirs elle revenait de garder les moutons et rentrait au logis, elle apprenait par ceux qui logaient là le malheur et le danger où était le roi. Et comme il est propre aux femmes d'être pitoyables et d'avoir grand courage, cette bergère on la trouvait souventes fois pleurant amèrement sur la détresse de son roi, et par son père et par sa mère elle était réputée insensée, et son affliction était traitée de folie (1).
  La Pucelle passait ses nuits sans sommeil, ou si elle parvenait à dormir, elle était troublée par des songes étranges. Plusieurs fois elle rêva qu'elle sauvait le royaume de France ; et en même temps qu'elle était de la sorte perturbée par ces visions, ses forces s'accroissaient d'une manière extraordinaire, tellement qu'elle pensa que l'heure était venue d'accomplir ce qui lui semblait ordonné. Sans prendre l'avis de ses parents, elle décida en elle-même qu'elle s'en irait trouver le roi et partit avec un de ses frères. »

  
Jusqu'ici on rencontre quelques vestiges de la donnée historique; mais l'auteur espagnol va maintenant se livrer complètement à son imagination et négliger d'admirables et réels épisodes pour des conceptions romanesques de mince valeur. On a pu être surpris du peu de parti tire des traditions relatives à l'enfance de Jeanne ; les voix célestes, les apparitions de saints se sont transformées en des rêves; le côté religieux de la mission de la Pucelle a presque disparu, et pour ne pas se montrer plus tard : l'auteur se borne à remarquer que les jours de bataille la Pucelle (jamais il ne la nomme Jeanne) entendait pieusement la messe. La Pucelle avait emporté avec elle des fruits fort beaux et qui mûrissaient prématurément dans son village. Arrivée au camp anglais, elle en donna une partie à un capitaine, posté tout prés des remparts d'Orléans et dont elle avait intérêt à se faire bien accueillir pour réaliser ses projets. Elle mit les autres fruits dans une corbeille, et profita du tumulte d'une sortie pour se mêler aux assiégés et parmi eux pénétrer dans la ville. Dès qu'elle s'y fut introduite, elle demanda à être présentée au roi et lui offrit les primeurs qu'elle lui destinait. Le roi fut enchanté d'un tel cadeau, qui venait bien à propos dans une place depuis longtemps assiégée ; il fit le meilleur accueil à la bergère et ajouta foi à toutes ses promesses de délivrance et de victoire. La Pucelle ne voulut pas tarder à justifier la bonne opinion qu'on avait conçue d'elle, et d'abord ne dédaigna pas de recourir à la ruse. Elle s'en fut trouver le duc de Galdes, l'un des principaux chefs anglais. Elle lui persuada de se rendre à une porte d'Orléans qu'elle promit de lui livrer. Le duc, trop confiant, fut fait prisonnier.
  Une autre fois la Pucelle se fit suivre par un gentilhomme anglais, charmé de sa beauté. Elle l'attira dans un endroit écarté et le poignarda en lui arrachant sa propre dague; imitant ainsi le dénouement de la vieille romance de Rico Franco l'Aragonais. Elle aurait bien voulu rapporter au roi la tête du chevalier, mais elle pensa qu'un tel objet pourrait la gêner pour traverser le camp ennemi, et elle se borna, comme témoignage de sa victoire, à couper un pouce au crédule anglais.
  Nous citons ces épisodes pour montrer à quel point la physionomie de Jeanne d'Arc a été altérée par l'écrivain espagnol. Viennent ensuite des récits de batailles où la Pucelle a un plus beau rôle. Le roi, reprenant courage, apprend par missives à plusieurs grands vassaux les exploits de la bergère, il s'adresse entre autres au duc de Bretagne : c'est peut-être un souvenir de la réconciliation avec Richemont.
  Orléans est délivré. La Pucelle s'empare de Tours et de Poitiers, les traîtres viennent demander pardon au roi, ceux qui étaient hésitants accourent lui prêter leur appui. La gloire de la Pucelle est à son comble et l'auteur renonce à raconter toutes ses prouesses : il craint qu'on n'ajoute pas foi à ses paroles.
  Il ne veut cependant passer sous silence, ni la glorieuse prise de Rouen, ni quelques autres épisodes, puis il fait une halte au milieu de tous ces faits belliqueux pour dépeindre la Pucelle, telle qu'il prétend l'avoir vue représentée en France par un merveilleux peintre (2). « Et au dire de tous ceux qui la connurent, elle était très ressemblante, et son visage et sa personne comme elle était, tellement qu'elle semblait vivante, et encore que cela sorte du propos que je traite il est bon que vous connaissiez ses véritables traits. Elle était très grande de corps, plus qu'autre femme, et tous ses membres très forts et robustes. Le visage plutôt viril que de dame, elle avait les yeux jaunes et beaux et de très gaie expression. Le nez et la bouche en son visage bien placés. Elle paraissait en tout bien conformée et les cheveux très longs et blonds, avec lesquels elle faisait divers noeuds et dans les batailles elle les portait en dehors de ses armes bien qu'il y eut à cela du péril. Et par ce signe des siens elle était reconnue parce que souventes fois elle les portait répandus sous l'armure de tête comme les houppes d'un chapeau. »
  Il parait certain que notre auteur est venu en France. Il se peut donc que véritablement il y ait vu un portrait de Jeanne d'Arc, et c'est ce qui m'a engagé à donner ce passage, car les détails iconographiques sur la Pucelle sont si rares qu'on ne doit négliger aucun renseignement à ce sujet. Il y a, ce me semble, quelque analogie entre ce que dit le romancier espagnol et ce que nous a conservé la tradition. « Elle était belle et bien formée... bien composée de membres et forte... de grande force et puissance. Elle avait sous ses habits d'homme une forme mâle et en même temps assez élégante (3). »
  Quant aux cheveux de la Pucelle, que l'auteur nous dit longs, c'est un détail qu'il n'a sans doute pas inventé et que l'on retrouve dans le grossier dessin à la plume du greffier du parlement de Paris, dans la gravure de La Mer des histoires, datant de 1491, dans la bannière donnée par Louis XII à la ville d'Orléans, dans tous les anciens portraits de Jeanne d'Arc (4). La statue que l'on voit encore à Domremy, dans l'illustre maisonnette, représente la Pucelle avec une chevelure abondante et descendant sur son dos. Or, MM. de Bouteiller et de Braux considèrent cette statue comme étant en partie la reproduction de celle qui fut élevée à Orléans en 1458 et qui devait offrir quelques garanties de ressemblance (5). D'après leurs intéressantes recherches, cette dernière fut copiée dans une sculpture que possédait la cathédrale de Toul et qui à son tour servit de modèle à l'effigie de Domremy. Non seulement, dans les plus anciens portraits de Jeanne d'Arc, la chevelure est blonde, mais elle était dorée sur les deux dernières statues dont nous venons de parler et qui étaient polychromes.
  Il paraît cependant que Jeanne était brune. On l'avait pensé par la découverte d'un de ses cheveux, passé suivant un ancien usage, dans le sceau d'une lettre envoyée par elle (6). Un document récemment publié par M. Quicherat, un extrait fait au XVIe siècle d'un ancien registre de l'hôtel de ville de La Rochelle, ne semble plus laisser de doute sur ce point : « Item le 23e jour dudit mois de febvrier vint devers le roi qui estoit à Chinon une Pucelle de l'aage de XVI à XVXI ans, née à Vaucouleur, en la duché de Laurraine, laquelle avoit nom Jehanne et estoit en habit d'homme, c'est assavoir qu'elle avoit pourpoint noir, chausses estachées, robe courte de gros gris noir, cheveux ronds et noirs et un chapeau noir (7). » D'après ce document, non seulement les cheveux de Jeanne n'avaient pas la nuance que leur attribuent d'anciennes peintures, mais loin de flotter sur ses épaules, ils étaient coupés suivant le mode du XVe siècle et avaient l'aspect disgracieux d'une calotte. Peut-être expliquera-t-on ces contradictions en pensant que la tradition a conservé la mémoire d'une Jeanne idéalisée et blonde comme toutes les belles que chantaient alors les poètes. Il se peut donc très bien que notre auteur ait vu un portrait fait sur cette donnée et c'est ce que rend très probable la mention des cabellos muy largos é rucios.

  Après avoir parlé de cette peinture, l'anonyme reprend le récit des aventures imaginaires de la Pucelle. Il raconte comment par trahison elle fut faite prisonnière par le duc de Savoie, comment ce prince fit voeu de lui rendre la liberté s'il recouvrait la santé, et comment immédiatement guéri, il tint sa promesse, à la grande joie de la France. La prise de la Pucelle avait causé une consternation générale et les mauvais jours semblaient revenus. Aussitôt que l'héroïne reparut, elle ramena la victoire. Pour la rendre fidèle, la Pucelle demanda qu'on allât chercher l'oriflamme qui, depuis le temps de saint Louis (Sant Leonis) était conservée dans la chapelle de l'ermitage de Sainte Catherine de Fierbois (Sania Catalina d'fiera buesa). Ce nom est un des rares souvenirs que l'histoire ait transmis à l'auteur, et c'est ce qui nous a engagé à rappeler ce passage. Nous remarquerons encore, comme pouvant offrir le même genre d'intérêt, les paroles que l'auteur met dans la bouche de la guerrière ayant une bataille ; elle disait aux siens de la suivre par les côtés où elle irait, avec son étendard et de faire ce qu'ils lui verraient faire à elle-même : que todos quantos assi fuessen, bolviessen por los lados donde iria con el estandarte, è assi fiçiessen como la viessen façer. Cela fait souvenir des belles paroles de l'Interrogatoire : « Je disois : entrez hardiment au milieu des Anglois et j'y entrois moi mesme. »

  Nous avons hâte d'arriver au point le plus curieux de ce petit travail. Passons donc sans regret et sans remords par dessus bien des prouesses, bien des rencontres, bien des batailles ; ne nous occupons ni de la prise de Ralicalapan (?) ni de la levée du siège de Bourges, ni des expéditions aux environs de Paris ; parlons d'un épisode qu'on a rattaché à l'histoire — et qu'il faut rendre au roman. Un des plus beaux livres de la littérature espagnole du moyenâge, la Chronique de don Alvaro de Luna contient le récit d'une ambassade que la Pucelle aurait envoyée non à don Enrique IV, comme par une distraction l'a dit deux fois M. Lecoy de la Marche (8), mais à don Juan II. M. Quicherat, dans le cinquième volume de sa belle publication sur Jeanne d'Arc, a rapporté tout ce passage, en l'attribuant à l'aventurière qui tenta de continuer la mission de la Pucelle. D'après la Chronique de don Alvaro, c'est en 1436 que Juan II aurait reçu cette ambassade. Il n'était pas possible qu'à cette date elle eût été envoyée par Jeanne d'Arc, morte alors depuis cinq ans. Il n'était même pas possible que l'ambassade se fût rendue à cette date en Castille par l'ordre de la fausse Jeanne d'Arc qui alors vivait encore peu connue en Lorraine ou dans le Duché du Luxembourg. Mais il n'a point paru inadmissible à M. Quicherat qu'à une autre époque postérieure à celle-là, la Dame des Armoises ne se fût
adressée à Don Juan II. M. Lecoy de la Marche a parlé de cet épisode avec un peu plus de doute. Il a de même fait remarquer que la date de 1436 ne pouvait être juste. Il a ajouté qu'il fallait, ou avancer l'époque de l'ambassade, ou la reculer assez pour en attribuer l'idée à la vraie Jeanne d'Arc qui envoyait volontiers des missives analogues.
  Les détails relatifs à la prise de La Rochelle, opérée grâce aux secours venus de Castille, ont aussi semblé ne devoir pas être acceptés, cette
ville n'ayant cessé d'appartenir à Charles VII ; mais M. Quicherat croit qu'il pourrait s'agir d'une autre place. Malgré les objections que provoquait le passage de la Chronique de Don Alvaro de Luna, il était tout naturel qu'on ne rejetât pas un fait raconté dans un livre passant pour être en général véridique.
  Il n'en sera sans doute plus de même. Le récit de l'ambassade envoyée au roi Don Juan II est tout au long dans la Historia de la Poncella, et c'est de là, c'est-à-dire d'un amas de contes le plus souvent dénués de tout point de départ historique, c'est de là que l'a tiré l'auteur de la Chronique de Don Alvaro de Luna ; nous allons mettre l'un et l'autre passage sous les yeux du lecteur.
  Nous commençons par la rédaction de la Historia de la Poncella :
  « Quand la Pucelle vit cette ville si forte, elle comprit qu'il n'y avait moyen de la prendre du côté de la terre, le mur étant très haut, garni de tours, et faisant la meilleure enceinte du monde. La Pucelle écrivit aussitôt au roi Don Juan, de glorieuse mémoire, et lui envoya ses ambassadeurs, le requérant par l'alliance et fraternité qu'il avait avec son seigneur le roi de France, qu'il ordonnât d'envoyer quelques vaisseaux de guerre de ses royaumes de Castille. Et les ambassadeurs de France trouvèrent le roi Don Juan à Valladolid en l'an mil quatre cent et trente-six, au temps de la grande faveur de Don Alvaro de Luna, maître de Saint-Jacques. Aussitôt que les ambassadeurs arrivèrent à la cour, ils furent reçus avec grandes fêtes, et le maître de Saint-Jacques, passionné qu'il était pour les personnes de grand courage, était fort occupé des grandes choses de la Pucelle et incontinent pressa le roi de lui envoyer une flotte telle que le roi de France et elle fussent bien aidés. Et pour ce le roi et le maître, qui pour lors gouvernait le royaume, envoyèrent à la côte de la mer, en Biscaye, en Lepusca (Guipuscoa) et autres lieux et firent armer trente-cinq vaisseaux et quinze caravelles, en tout cinquante nefs montées de gens aguerris, garnies de munitions et d'armes. En peu de jours tout fut si hâté que les ambassadeurs de France emportèrent bonne réponse de l'ambassade qu'ils avaient remplie. Et par toute la cour le maître regardait la signature de la Pucelle et la montrait aux grands du royaume comme si cette dépêche fût venue du ciel, car son renom non seulement en France mais dans le monde entier était tenu en grand honneur plus que jamais ne le fut celui d'empereur ou de prince (9). »
  Passons maintenant à la Chronique du connétable :
  « La pucelle de France étant devant La Rochelle, elle écrivit au roi et lui envoya ses ambassadeurs outre ceux que, pour sa part avait envoyé le roi de France, suppliant beaucoup qu'on lui envoyât quelques navires de guerre, ainsi que Sa Seigneurie était tenue de le faire conformément à l'alliance et fraternité qu'entre sa Seigneurie et le roi de France il y avait. Et arrivés à Valiadolid où le roi était en cette dite année de mil quatre cent trente-six, on leur fit grand accueil, grandes fêtes et honneur. Et ayant remis au roi la lettre qu'ils apportaient de la Pucelle, le connétable en montrait par la cour la signature aux grands, comme si c'eût été une relique très vénérable, car comme il était hardi et de grand coeur il aimait ceux qui l'étaient aussi, et pour ce il était très occupé des faits de la Pucelle. Et à cause de cela le connétable qui ensemblement avec le roi son seigneur et par son commandement gouvernait les états de Castille, insista beaucoup et décida avec le roi qu'on enverrait à la Pucelle une flotte telle qu'elle et le roi de France pussent en être bien secourus, puisque cela convenait à son service. Le roi eut aussistôt en gré que le connétable fît comme cela lui semblerait le mieux. Et incontinent le connétable envoya à la côte de la mer, en Biscaye, en Lepusca (Guipuscoa) et autres lieux et fit armer vingt-cinq vaisseaux et quinze caravelles les plus grands qu'on put trouver, garnis d'armes et des meilleures gens qu'on put avoir. Et avec cette réponse s'en allèrent les ambassadeurs de la cour du roi très contents et joyeux (10).
  On le voit, c'est le même récit, ce sont les mêmes termes, et il est évident qu'un passage procède de l'autre, Mais, dira-t-on, qui prouve l'antériorité de la Historia de la Poncella ? Indubitablement la dernière phrase du chapitre de la Chronica de Don Alvaro. Cette phrase la voici : « Con el socorro la Poncela gano le dicha cibdad e ovo otros vencimientos é victorias a donde la armada de Castilla gano por aquellas partes mucha honra, como por la Córónica de la Poncella, quando sea salida aluz, se podra bien ver (11). »
« Avec ce secours la Pucelle prit ladite ville, et il y eut d'autres combats et victoires où la flotte de Castille gagna, dans ces pays, beaucoup d'honneur, ainsi qu'on le pourra voir par la Chronique de la Pucelle, quand elle sera mise au jour. » C'est évidemment la Historia de la Poncella qui est ainsi désignée.
  Nous avions pensé un instant que l'auteur espagnol avait pu apprendre quelques aventures de la fausse Jeanne d'Arc, et en profiter, mais rien ne peut concerner celle-ci dans son ouvrage, qui n'est qu'un roman. C'est bien de ce roman que le récit de l'ambassade a passé dans la Chronique de don Alvaro de Luna. Ce récit, quand on considère le livre d'où il est tiré, perd tout caractère d'authenticité, car on ne peut supposer que, par une exception unique, l'auteur ait une fois rapporté un fait réel, un fait dont ailleurs on ne retrouve aucune trace. Il faut en convenir, la facilité avec laquelle ce passage a été admis dans l'ouvrage consacré à la vie du grand connétable peut engager à ne pas accepter sans examen tout ce qui est rapporté dans cette chronique célèbre, où  du reste on avait déjà remarqué de singulières erreurs chronologiques. — Comment la Historia de la Poncella fut-elle connue alors qu'elle était encore inédite de l'auteur de la Chronique de don Alvaro de Luna ? Peut-on supposer que les deux livres ont été écrits par la même main? Mais il y a tant de différences entre eux ! La Historia de la Poncella, dont le style incorrect ne manque pas d'une certaine abondance emphatique, ne rappelle pas du tout les grands mérites de la Chronique du connétable. Celle-ci, nous l'avons dit,est une des plus remarquables productions de l'ancienne littérature espagnole. On y trouve, comme dans la plupart des ouvrages du même temps, des citations intempestives empruntées aux écrivains sacrés et profanes, mais elle est animée, vivifiée par une chaleur qui manque à Pero Lopez de Ayala comme à notre Commines, lequel a quelquefois quelque chose d'un peu déclamatoire, mais qui le plus souvent se communique au lecteur (12).
  L'auteur était certainement attaché au connétable par quelques fonctions,
et la reconnaissance le poussait à l'apologie. Mais qui était-il ? on l'ignore. On a remarqué qu'il emploie beaucoup de mots empruntés à notre langue, ce qui paraîtrait indiquer un séjour fait en France et serait, il faut le reconnaître, une analogie avec l'auteur de la Poncella. Quant à l'époque où fut écrite la Chronique de don Alvaro de Luna, on est arrivé, par diverses inductions (13), à établir qu'elle ne put être terminée après 1460. Il semblerait d'après cela qu'on sache approximativement la date de la Historia de la Poncella et qu'elle dut être composée une trentaine d'années seulement après la mort de Jeanne d'Arc. Mais cette hypothèse se heurte à une objection. Le titre de l'édition citée par Lenglet du Fresnoy et Brunet porte que l'auteur fut ambassadeur en France des rois catholiques. Ces fonctions, il n'aurait pu les exercer avant 1469, année où Ferdinand V épousa Isabel d'Aragon et réunit les deux couronnes, c'est-à-dire que neuf ans après l'époque où dut, au plus tard, être finie la Chronique de don Alvaro, dans laquelle le livre du prétendu ambassadeur a, comme nous venons de le voir, fourni un passage important. Faut-il supposer que dans les dernières éditions on ait attribué à l'auteur un haut rang, afin de mieux achalander l'ouvrage ? C'est possible, et ce conte serait bien à sa place en tête d'un livre bourré de tant d'autres fables.
  Après la prise de La Rochelle, en six mois la Pucelle conquit tout le pays qui était entre cette ville et Paris, et en onze mois elle fut maîtresse de la contrée qui s'étendait de La Rochelle à Toulouse (14), cent lieues où il y avait douze villes, trente bourgs et quarante forteresses. C'est après ces succès que la guerrière vint assiéger Paris, qui lui fut livré par les étudiants. Le roi d'Angleterre n'eut que le temps de gagner la Flandre, non sans avoir écouté les longs discours de ses conseillers, aussi prolixes que ceux du roi de France discutant s'il fallait poursuivre les vaincus au-delà des frontières. Ce fut ce parti que prit la Pucelle, fort irritée d'une tentative d'assassinat organisée par les Anglais et dont elle faillit être la victime. Elle s'empara de Cambrai et d'Arras, et ces nouvelles victoires assurèrent le complet triomphe de la France.
  Raphaël disait, dans un axiome qui serait peu goûté de notre époque réaliste : « On doit peindre la nature non telle qu'elle est, mais telle qu'elle devrait être. » Notre anonyme semble avoir de son côté trouvé qu'il fallait écrire l'histoire comme elle devrait être. ïl n'a donc pas voulu nous montrer la Pucelle abandonnée par le roi et périssant sur le bûcher. Il a voulu au contraire donner à la vie de son héroïne un dénouement tel à peu près qu'aurait dû le faire la reconnaissance de Charles VII. L'auteur nous raconte donc, que la Pucelle revint à Paris, où elle fut reçue avec les plus grands honneurs. Le roi lui offrit le duché de Berry,qu'elle ne voulut pas accepter, et dont il fit un apanage pour un fils, qui lui était né cette année-là. Au reste, elle jouissait de la plus grande faveur et d'une autorité telle, qu'on peut le dire elle gouvernait l'état. C'est d'elle qu'émanaient toutes les récompenses, tous les emplois, toutes les dignités. Elle fit son père comte, son frère archevêque, et donna des évêchés et des charges importantes à tous ses autres parents. Elle fit voir qu'elle savait aussi bien gouverner qu'elle avait su combattre. De tous les
côtés on lui adressa des propositions de mariage; il ne se passait pas de jours que les plus illustres princes ne fissent demander sa main. Le roi de Chypre, entre autres, était devenu amoureux d'elle, rien que sur sa renommée; il se disait qu'avec une telle épouse il subjuguerait l'univers. Mais la Pucelle ne le traita pas mieux que les autres prétendants. Dans son palais,elle passait ses loisirs à lire d'anciens livres l'histoire et à discuter avec le chroniqueur du roi des mérites d'Alexandre, d'Hector et d'autres héros. Elle ne dédaignait pas de s'occuper aussi d'illustres contemporains et entre autres de l'empereur d'Allemagne, et, dans sa modestie, elle ne se doutait pas qu'elle était bien au-dessus de tous ces personnages. Il aurait fallu, pour dignement écrire son histoire, être aussi éloquent qu'elle fut valeureuse, et l'auteur craint qu'on ne trouve son livre bien faible, si jamais il pénètre enFrance, où la Pucelle est aussi présente que si elle vivait encore, où l'on oublie tous les grands hommes du passé pour ne songer qu'à elle : « Solo Dios, que tan famosa é maravillosa la crió, avia de ser auctor de su crónica : — Dieu seul, qui si fameuse et merveilleuse la créa pourrait écrire sa chronique. »

  Le dernier paragraphe est adressé à une altesse dont il n'a pas été parlé précédemment, et par l'ordre de qui il semble que l'ouvrage ait été composé. Il se peut cependant, - l'auteur nous a mis en défiance de tout ce qu'il dit, — que cette altesse soit un personnage imaginaire invoqué pour donner plus de relief à la Historia de la Poncella. Nous l'avons dit, ce livre n'a point de valeur littéraire,et au point de vue historique n'a d'autre intérêt que la ressemblance d'une de ses pages avec un passage désormais bien compromis de la Chronique de don Alvaro de Luna. La rareté excessive de l'oeuvre et cette singulière rencontre suffiraient pour légitimer la longueur de cet article. Nous ajouterons que le nom de la Pucelle exerce une telle protection qu'on ne peut rester indifférent à un livre qui le porte. Tout médiocre que soit celui-ci, il est une preuve de la grande sensation causée par la mission merveilleuse de Jeanne. Il est de plus un hommage, — maladroitement rendu, il est vrai, — à celle qui plus qu'aucun personnage a occupé les historiens et les poètes.

                                    
             


Source : Th. de Puymaigre - article extrait de la Revue des questions historiques - Tome XXIX - 1er Avril 1881.

Notes :
1 En el Delfinadgo de Francia en un aldeado una bien pobrecilla pastora de su niñez fue usada de guardar ganados : la qual en este oficio duro fasta edad de XIX años : é dizese que el padre era mesonero donde los caminantes se allegavan.Y ella con la noche venia con sus ovejas a las guardar en casa, oya los que alli posavan la desventura y estrecho en que al rey tenian. E como es de las mugeres ser piadosas é tengar gran virtud, esta pastora con el angustia de su rey muchas vecès amargamente llorando la fallaba, y del padre é madre reputada por loca é simple su aficion reputavan.

2 E a dicho de todos los que la conocieron ella estava mucho a lo proprio de su rostro é persona como ella era tanto que biva parecia. E aunque salga del proposito en que escrivo, bien es que sepais les verdaderas figuras de su persona. Ella era muy alta de cuerpo, mas que otra muger,y todos los miembros muy recios é fuertes doblados. El rostro mas varonil que de dama; los ojos tenia amarillos é bellos é de muy alegre vista. Naris e boca en su rostro bien puestas. Toda ella junta parecia muy bien, é los cabellos muy largos e fuera de las armas aunque le era assaz peligro. E por aquella seña, de los suyos era conocida porque muchas veces los traya sembrados sobre el armadura de cabeça como borla de sombrero

3 Recherches iconographiques sur Jeanne d'Arc, par Vallet de Viriville - 1855,

4 La Jeanne d'Arc d' Henri WaIlon contient la reproduction de ces portraits.

5 Notes iconographiques sur Jeanne d'Arc, par E. de Bouteiller et G. de Braux

6 Procès de condamnation et de réhabilitation, t. V,p. 147; Revue des questions hist., t. X, p. 564.

7 Revue hist.,t.IV, p. 327.


8 Revue des questions historiques, t. X, p. 573. Outre cet article, les Procès de réhabilitation et de condamnation, l'Histoire de Charles VII de Vallet de Viriville, etc., on peut consulter, comme documents plus nouveaux sur la fausse Jeanne d'Arc, les Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc par E, de Bouteiller et G. de Braux. (Paris, Claudin, 1879) et la Famille de Jeanne d'Arc, par M. Boucher de Molandon (Orléans, Herluison, 1878).

9 Como la Poncella llegó a ver aquella ciutad tan f uerte, vió que no havia remedio de la ganar por la parte de la tierra por ser el muro muy alto y toreado de la mejor cercadel mundo. Escrivió luego la Poncella al Rey Don Juan de gloriosa memoria e embiole sus embajadores, requienriendole por laliança y hermandad que con su señor el rey de Francia tenia le mandasse embiar algunas naos do armadara de los de sus reynos de Castilla. Los embaxadores de la Poncella fallaron el rey Don Juan en Valladolid en el año de mil quatrociento y treinta seis, en la gran privança de Don Alvaro de Luna, maestre de Santiago. E como los embaxadores Ilegaron a la corte fueron con grandes fiestas recebidos y el maestre de Santiago como hounbre muy enamorado de las personas de grande esfuerço, era muy aficionadoà las grandes cosas de la Poncella é luego dió gran priessa al rey le embiasse una nota tal con que el rey d'Francia y la poncella fuessen bien ayudados. E a esto el rey e maestre; que en aquel tiempo governava el reyno, embiaron â la costa de la mar é à Biscaya y Lepusca (Guipuscoa) y dé los otros lugares fizó armar treinta cincos naos e quince caravelas que fuessen todas cincuenta fustas e de muy especial gente y de pertrechos e armas adereçadas. En breves dias fue dado tal adreço, como (con que) los ambaxadores de Francia llevaron alegre respuesta de la ambaxada que trayan. Y per toda la corte miravala firma de la Poncella e la mostraya el maestre à los grandes deste reyno como si aquella letra viniera del cielo : que las cosas de su faraa no solamente en Francia mas por el universo mundo era en major honra tenida que jamas emperador ni principe la tuve

10 Estando la Poncella de Francia sobre la Rochela, cibdad una de las fuertes del mundo, é de grand importancia, escribid al rey, é le envitó sus embajadores, sin los que el Rey de Francia por otra parte enviara, suplicandole mucho la enviasse alguna nao de armada, segund que su señoria era tenudo de lo facer, conforme a la confederacion e hermandad que entre su senoria é el rey de Francia su senor avia. E llegados los embajadores a Valladolid donde el rey era, en este dicho ano de mill é quatrocientos é treinta é seis les ficieron grandes rescebimientos é muchas fiestas è honras, E dada la carta al rey que de la Poncela traian, la firma de la qual el condestable la mostraba por la corté à los grandes; como si fuera una reliquia muy reverenciada ; ca como era animoso, é esforçado en grand manera, amaba à los que assi lo eran : é por esto era mucho aficionado à los fechos de la Poncela :à cuya cabsa el Condestable, que juntamente con el rey su señor, é por su mandado los reynos de Castilla gobernaba, trabajó mucho, e acabó con el rey, que se enviasse à la Poneela armada é tal con que ella, é el rey de Francia pudiessen ser bien socorridos ; porque aquello compila à su servicio. El lo pusó luego en la volontad, é querer del condestable, para que se ficiesse assi como a el bien visto le fuesse. E luego el condestable envió à la costa de la mar en Biscaya é Lepuzca (Guipuscoai é otros logares, é fizó armar veinte é cinco naos, e quince caravelas, los mayores que fallarse pudieron bastecidas de armas, e de la mejor gente que se pudo a ver. E con esta respuesta los Embajadores se fueron de la corte del rey muy contentos é alegres.

11 Crónica dal condestable, titulo XLXI,p. 132.

12 Voir sur la Cronica de don Alvaro de Luna : Historia critica de la literatura española par de los Bios, tome VI, p. 224; History of spanish literature de Ticknox, tome I, ch. x; La cour littéraire de don Juan II, t.I, p. 127. — La Cronica fut imprimée pour la première fois à Milan en 1546.

13 Cronica de don Alvaro de Luna, Prologo, p. V.

14 La Chronique de Lorraine, publiée d'abord dans les Preuves de dom Calmet, et en dernier lieu dans les Documents sur l'histoire de Lorraine (Nancy, Wiener, 1859) contient, on le sait, plusieurs détails erronés sur la Pucelle, qu'elle fait aussi guerroyer dans le midi, où elle lui fait prendre Bordeaux. Je me demande si, dans ce récit, on n'a pas employé quelque poème du temps. N'y a-t-il pas comme des vestiges de rhythme dans ces lignes :« Quand le roy oyt les nouvelles, moult joyeux en fut, — il loua Dieu de cette Pucelle, — qui en son service estoit venue. — Je croys que Dieu l'a inspirée, — pour mon royaume recouvrer. — La Pucelle qui un jour avoit reposé dict à toute l'armée. — Or que chascun s'appreste, — en guerre nous faut aller. — Tout de long de la rivière de Loire, — en Touraine sont arrivés. — Tous les Angloys qui d'eux estoient trouvés, — estoient prins ou
tués. »




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