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19 avril 2024  

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Procès de condamnation
Les abbés normands.

es Anglais eurent grand soin d'engager dans le procès les principales abbayes de la Normandie. Nous allons voir associés à cette oeuvre néfaste les chefs de ces puissantes maisons plus que féodales, dont plusieurs portaient la crosse et la mitre, ce qui les rendait indépendants des évêques avec lesquels ils marchaient de pair.
  Mais il faut remarquer que si le gouvernement anglais manda exprès à Rouen les docteurs de l'Université de Paris, dont le rôle devait être prépondérant, les autres assesseurs ne furent pas appelés spécialement des divers points de la Normandie, comme on le croit généralement. Ils furent choisis parce qu'ils résidaient à Rouen au moment du procès. Plusieurs n'étaient d'ailleurs, que les chefs nominaux de leurs communautés. Plus ou moins inféodés aux intérêts anglais, ils avaient élu domicile dans cette ville, devenue le centre politique de la domination étrangère, et on ne peut guère les considérer comme les représentants sincères de leurs abbayes, dont ils avaient été repoussés pour la plupart.

1. L'Abbaye du Mont-Saint-Michel.

       

  L'abbé du Mont-Saint-Michel, Robert JOLIVET, est, de tous les abbés normands, celui dont la trahison froisse le plus le sentiment patriotique. Il était né à Montpinchon, dans le diocèse de Coutances, et avait succédé à Pierre Le Roy comme abbé et capitaine du Mont-Saint-Michel.
  Il était instruit dans les sciences et habile dans les affaires. Malgré l'inconstance de son caractère et son amour des grandeurs, il avait paru d'abord aimer son moustier, et désireux de le conserver au roi légitime. II y resta jusqu'en 1419, et y fit exécuter de grands travaux de fortifications, afin de protéger les maisons bâties en dehors des anciens remparts (1). Il a signé alors, pour ainsi dire, l'œuvre considérable qu'il avait entreprise et menée à bonne fin. On voit encore, en effet, son écusson dans une niche pratiquée sur la courtine du mur d'enceinte. Ce fut lui également qui donna des armoiries au monastère.
  Bientôt survint le désastre d'Azincourt et les Anglais s'emparaient de la Basse-Normandie. Le Mont-Saint-Michel, lieu de pèlerinage fameux, rendez-vous de l'Europe entière, fut défendu par une poignée de Bretons et de Normands, sous les ordres de Jean Gonnault, de Jean d'Harcourt, puis de Louis d'Estouteville, parent du cardinal de ce nom, qui devait contribuer à la réhabilitation de Jeanne d'Arc. Il échappa à la domination anglaise, grâce au courage de ses héroïques défenseurs.
  Les Anglais s'étaient établis fortement à Tombelaine, et l'accès du mont était difficile depuis qu'ils avaient occupé toute la contrée et que leur flotte surveillait le golfe. Ce fut alors, et pendant que les religieux et chevaliers, fidèles à leur patrie, repoussaient victorieusement les efforts de vingt mille Anglais, que survint la honteuse défection de Robert Jolivet. Oubliant son double titre de capitaine et d'abbé, ce traître déserta le poste d'honneur qui lui était confié et accepta les faveurs de l'ennemi, semblable à tant de prélats qui jurèrent alors obéissance à Henri V.
  Le 9 mai 1419, il avait obtenu un sauf-conduit pour venir, en compagnie de vingt personnes, trouver le conquérant. Après avoir rempli quelques missions pour Bedford, il fut nommé son chancelier et garde de son privé scel, aux gages de deux nobles par jour, le 4 février 1423. Il assistait, en cette même année, aux Etats de Normandie, comme commissaire du roi d'Angleterre, puis il était envoyé aux basses marches de Normandie pour faire mettre le siège devant ce mont qu'il aurait dû défendre (1423 et 1425).   Malgré cette trahison, Jolivet n'en conservait pas moins le titre d'abbé et la
jouissance des revenus de l'abbaye !
  Le pape avait confié la direction des religieux au prieur Jean Gonnault, nommé vicaire-général. De son côté, le dauphin avait placé à la tête de la garnison son "très chier cousin Jean d'Harcourt, comte d'Aumale" dont le dicton était "Fugat angelus anglos" c'est à dire "L'ange met les Anglais en fuite".
  Pendant ce temps, l'abbé infidèle s'occupait activement de toutes les affaires importantes qui concernaient les Anglais : tentatives pour prendre le Mont-Saint-Michel (1425) et les villes d'Abbeville, de Rue, du Crotoy ; démarches pour la construction d'un château à Harfleur ; pour le fait du siège d'Orléans (1428-1429) ; pour le couronnement du roi Henri VI à Paris (1431), etc...
  Robert Jolivet résidait à Rouen depuis longtemps déjà, lorsque s'ouvrit le procès de la Pucelle. Il n'intervint qu'à la fin de ce procès, à la séance du 24 mai, le jour de l'abjuration.
  Lui et son frère Jean Jolivet, archidiacre d'Avranches, chanoine de Bayeux et de Coutances, achetèrent, en 1437, sur la paroisse de Saint-Gervais de Rouen, de Pierre Poolin, sieur de Posville, un manoir avec colombier, viviers et fontaine, qu'ils revendirent, en 144o, à Edmond de Beaufort, comte de Dorset, pour quatre cents saluts d'or, avec une haquenée valant cent saluts d'or, en se réservant l'usage du jardin et certains droits au colombier et aux viviers.
  En sa qualité d'abbé du Mont-Saint-Michel, Jolivet avait le patronage de l'Église Saint Michel de Rouen, située près du Vieux-Marché. Il y fonda une messe par semaine,ainsi qu'un obit (2) par an (1442). Il fonda également une messe du Saint-Esprit à la cathédrale de Rouen, le 16 février 1442.
  Il mourut le 17 juillet 1444, et fut enterré dans cette église Saint-Michel de
Rouen qui se trouvait à quelques pas du lieu où Jeanne d'Arc avait été brûlée. Au siècle dernier, on voyait encore son tombeau dans une chapelle de l'église.
  Si Robert Jolivet avait pu recueillir le fruit de sa trahison, il avait encouru, d'autre part, la réprobation de son parti. On l'avait déclaré coupable de lèse-majesté, et Charles VII avait distribué tous les biens qu'il avait acquis en Normandie ou ailleurs, aux religieux du Mont-Saint-Michel qui étaient restés fidèles à la cause légitime (25 juillet 1432).


2. L'Abbaye de Fécamp, au diocèse de Rouen.

       

  Gilles de DUREMORT
, docteur et professeur en théologie, d'abord abbé de Beaupré, avait été nommé à l'abbaye de Fécamp en 1423, en remplacement de l'abbé Estoud d'Estouteville.
  L'abbaye de Fécamp était alors aussi ancienne que célèbre et prétendait dominer toutes les autres. Elle ne devait plus tard céder le pas qu'à l'abbaye de Saint-Ouen, dans toute la Normandie.
  Dès 1420, nous voyons Henri VI favoriser ses religieux (3). Le chef de cette illustre maison appartenait corps et âme aux Anglais. Ami de Cauchon et conseiller du roi d'Angleterre, il fut l'un des principaux meneurs du procès de la Pucelle. Au sein du Grand-Conseil, il avait pris part aux négociations relatives à son achat à prix d'or. Il fut ensuite associé à l'organisation du tribunal (séance intime du 9 janvier) Depuis, il assista à presque toutes les séances, et l'huissier Massieu le désigne comme l'un des plus acharnés.

   

  Gilles de Duremort résidait habituellement à Rouen, où son abbaye possédait un hôtel des plus considérables, l'hôtel de Fécamp, dont faisait autrefois partie l'église Saint-Pierre-le-Portier. Le dessin de Le Lieur ci-dessus révèle que cet hôtel et l'église étaient en fort mauvais état en 1525 ; aussi dut-on y exécuter des réparations importantes en 1531 et 1533.
  L'abbé de Fécamp habitait de préférence, à Rouen, un hôtel situé sur la paroisse SaintVincent (4).
  L'abbaye possédait aussi un vaste territoire, soumis à sa juridiction exclusive, l'exemption de Saint-Gervais, ce qui donnait en réalité à l'abbé le rang d'évêque, puisque, placé en dehors de toute juridiction de l'archevêché, cette exemption avait son officialité qui dépendait uniquement de l'abbaye de Fécamp.
  A peine investi de ses fonctions, Gilles de Duremort avait été envoyé en mission successivement auprès du duc de Glocester et du duc de Suffolk par les ducs de Bedford et de Bourgogne (octobre 1424).
  En 1426, il n'avait point encore "peu savoir ne avoir déclaracion des possessions que l'église de Fescamp avoit et tenoit", et Henri VI lui accordait un répit d'un an pour bailler le dénombrement de son abbaye. Ce compte n'était pas encore vérifié en 1431, parce que les gens du roi n'osaient "bonnement aler ne converser ès lieux et places où leurs terres et seigneuries sont assises, pour doubte des brigans, ennemis et adversaires."   Nommé conseiller du roi aux appointements de mille livres, il prêta serment en cette qualité en 1428. Il fut encore député en Angleterre en 1429, Henri VI le chargea aussi, avec Raoul Roussel et Jean de Rinel, de négocier la paix avec le roi de France, en 1438.
  L'année même du procès de la Pucelle, le clergé diocésain, réuni à l'archevêché le 5 mars, le désigna avec plusieurs autres, tous assesseurs au procès de Jeanne d'Arc, pour s'occuper de l'ambassade au Concile de Bâle.
  En récompense des services rendus par lui à la cause des Anglais, il fut nommé évêque  de Coutances, en 1439, et prêta serment à l'Église de Rouen, le 28 juillet 144o. C'est en cette qualité qu'il réclama Guillaume d'Auberive, incarcéré au château d'Hambie par ordre du duc de Sommerset, pour crime de lèse-majesté. Il obtint que le prisonnier lui fût livré et que son procès fût fait à Rouen, où le retenaient la maladie et ses occupations. Ce double motif l'amena sans doute à se décharger, sur cinq commissaires, de l'examen de cette grave affaire.
  Il mourut à Rouen, subitement ou après une courte maladie, en 1444. On l'inhuma dans l'église du prieuré de Saint-Lô de cette ville, où il avait, comme ses prédécesseurs, exercé plusieurs fois les fonctions épiscopales.

  Jean de BOUESGUE, maître en théologie, prieur claustral, aumônier de l'abbaye de Fécamp, et chapelain d'honneur du pape dès 1416, fut également appelé et siégea au procès de la Pucelle.
  Il avait été chargé de s'entendre, de concert avec Adam Auffroy, prieur de Saint-Gervais de Rouen, avec l'évêque de Chester, chancelier en Normandie, pour les biens que l'abbaye de Fécamp possédait en Angleterre.
  Il semble avoir joui d'une médiocre estime comme religieux et comme administrateur. En 1408, il fut poursuivi devant l'Official de Paris par Estoud d'Estouteville pour la mauvaise administration de son abbaye et le peu de soins qu'il prenait des pauvres et des lépreux.
  Dans son adhésion aux douze articles, Jean de Bouesgue se qualifie : "Docteur en Théologie de l'Université de Paris depuis vingt-cinq ans et aumônier du vénérable monastère de Fécamp." Il estime que Jeanne doit être considérée comme schismatique, hérétique... "qu'elle soit donc punie, et qu'il en soit fait justice pour l'honneur de Dieu et exaltation de la foi."


3. L'Abbaye de Jumièges, au diocèse de Rouen.

       

Nicolas LEROUX, cet abbé appartenait à une famille noble de Rouen, et était entré à Jumièges vers 1395. Reçu docteur en décret, en 1411, il fut nommé, à la même époque, abbé de la Croix-Saint-Leufroy, puis abbé de Jumièges en 1418 à la mort de Simon du Bosc. Il prêta serment de fidélité au roi d'Angleterre le 14 août 1419, et se mit en mesure d'acquitter, avec des deniers empruntés de ses amis, la somme de deux mille trois cents florins d'or à laquelle l'abbaye de Jumièges était taxée envers le pape ; mais cette somme fut perdue pour le nouvel abbé par une odieuse friponnerie du prévôt de Paris, qui s'empara même des biens du précédent abbé.
  Nicolas Leroux devait subir d'autres pertes considérables. Lorsqu'en 1419, Henri V fut devenu maître de Rouen, les religieux, qui s'étaient réfugiés en leur hôtel de la rue de la Poterne, furent plus vexés que les autres et durent acquitter la somme de seize cents francs de la forte monnaie à laquelle ils avaient été taxés. Ils durent vendre des vases d'or et d'argent qu'ils avaient emportés avec eux. Ils étaient réduits à une telle extrémité qu'ils manquaient généralement de tout "par la disette des païsans et autres gens pour cultiver la terre."
  Nicolas Leroux dut solliciter du pape des tempéraments pour le paiement de ses droits. Il obtint aussi de Henri V, roi d'Angleterre, la confirmation des biens de son abbaye, par lettre datée de Rouen du 27 mars 1421 (5).
  Peu de temps après, la petite communauté de la rue de la Poterne retourna à Jumièges et l'abbé essaya de mettre ordre aux affaires de la maison, "extrêmement agitée par la tyrannie des Anglois."
  Vers cette époque, les religieux ayant été inquiétés par un moine nommé Guillaume Gombaud, qui s'était révolté contre l'autorité de l'abbé et essayait d'ameuter contre lui les habitants du pays, Nicolas Leroux "se plaignit au commandant des troupes angloises qui étoient à Rouen et en obtint deux compagnies de soldats qui se saisirent du moine rebelle et de ses parents, et les enfermèrent dans les prisons de l'abbaye, d'où ils ne sortirent que sur les ordres de l'abbé et lorsqu'il en eut reçu une satisfaction, convenable."
  L'auteur de l'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges qui nous donne ces détails, ajoute que Dieu suscita alors "la fameuse Jeanne d'Arc, connue sous le nom de la Pucelle d'Orléans, pour faire lever le siège de cette ville, faire sacrer le roi Charles à Reims et lui prédire que les Anglois seroient chassés du royaume. L'événement confirma la prédiction, etc..." Il constate qu'elle fut livrée à la justice séculiére qui la condamna à être brûlée vive : "tristes et déplorables effets de la crainte que produisit dans l'esprit de ses juges la passion des Anglois, encore maîtres de la province." Enfin il ajoute "L'évêque de Beauvais, qui avoit des obligations à l'abbé de Jumièges, pour l'avoir si bien servi dans la procédure contre Jeanne d'Arc, dont il était le premier moteur" se chargea d'obtenir pour lui la restitution de la somme de douze mille livres, dont le prévôt de Paris s'était emparé après le décès de Simon du Bosc. On peut voir par ces extraits que le XVIII° siècle n'a pas honoré Jeanne d'Arc selon ses mérites.
  L'éditeur de cette Histoire de l'abbaye relève comme il convient ce langage du moine historien. "C'est avec une profonde douleur, dit-il, que nous avons lu les passages consacrés dans ce livre à notre grande et immortelle Jeanne d'Arc. L'abbé de Jumièges qui fut un des juges de la sainte enfant, doit porter la flétrissure de sa coupable action. Notre auteur cherche en vain à l'excuser par la crainte que produisit la passion des Anglais, encore maîtres de la province. Depuis quand la crainte peut-elle justifier un crime ? Il déplore sans doute le meurtre de Jeanne d'Arc et rend hommage au caractère surnaturel de sa mission, mais il ne le fait pas en termes suffisants ; il aurait dû réprouver hautement et énergiquement la conduite de Nicolas Le Roux dans le procès de Jeanne, et nous le faisons ici à sa place, pour décharger notre âme. Comment raconte-t-il sans indignation que l'évêque de Beauvais avait des obligations à l'abbé de Jumièges, pour l'avoir si bien, servi dans le procès de Jeanne d'Arc ?... Les complaisances que les religieux de Jumièges obtinrent du duc de Bedford et du roi d'Angleterre sont aussi une tache dans leur histoire. On cherchera tant qu'on le voudra à atténuer leurs torts par les moeurs du temps, l'entraînement de l'exemple, les nécessités de leur situation ; pour nous, nous n'hésitons pas à leur infliger le blâme qu'ils méritent : et comme nous éditons ces passages, nous avons le devoir et le droit d'y joindre notre protestation" (6)
  Il nous plait d'enregistrer cette vigoureuse et patriotique sortie d'un chanoine rouennais. Mais que dire des autres grands abbés, car Nicolas Leroux n'a pris, qu'une part secondaire au procès de Jeanne ? Son avis écrit nous fait connaître ses véritables sentiments. Il estima que tout le procès de Jeanne devait être préalablement déféré à l'Université de Paris, dont il a toujours désiré suivre l'opinion dans une affaire si difficile, in tam arduo negotio. Cet avis porte la trace des hésitations de sa conscience. C'était, au dire des contemporains, un religieux de bonne réputation, très ferme "faire observer la règle et à punir les moindres transgressions" mais il se laissa dominer par la peur et par l'avis des docteurs de l'Université.
  Nicolas Le Roux tomba malade aussitôt après le supplice de Jeanne d'Arc. Se croyant près de sa fin, dit l'historien de l'abbaye, il appela ses religieux, et leur fit présent, d'une magnifique chape de drap d'or et de sa bibliothèque composée de plusieurs beaux manuscrits... Sa maladie n'alla pas aussi vite qu'il l'avait pensé, et ce fut un malheur pour l'abbaye de Jumièges, qui perdit à ce délai trente-deux mille francs de ses épargnes et de la succession de son prédécesseur, que les parents du moribond firent enlever avec tous les titres et mémoires qui en faisaient foi, à l'insu des religieux, auxquels ils ne permettaient pas même de lui parler qu'en leur présence.
  Il mourut le 7 juin 1431, dix-huit jours après le supplice de la Pucelle. On ne trouva à sa mort que mille sols, dont le prieuré claustral, Gui de Vatetot, se servit pour lui faire des obsèques magnifiques.


4 . L'Abbaye de Préaux, au diocèse de Lisieux.

       

Jean MORET, licencié en droit civil et canonique, était lors du procès de la Pucelle, à la tête de l'abbaye de Préaux, située au diocèse de Lisieux près de Pont-Audemer.
  Cette abbaye très ancienne, puisque sous Louis le Débonnaire, saint Ansegise, abbé de Fontenelles, lui avait légué quinze sous de rente, avait été détruite lors de l'invasion des Normands.
  Ces barbares ayant ensuite adopté la religion des vaincus, Onfroy de Vieilles, fils de Touroude, avait reconstruit le monastère sur son propre fonds, vers 1034, sous le patronage de Saint Pierre, et l'avait généreusement doté. Il devait lui-même y révêtir plus tard l'habit religieux et rétablir la paix entre l'abbé et le prieur d'Ourches.
 Tous les grands seigneurs de Normandie, les rois Henri II d'Angleterre, Philippe-Auguste et saint Louis se montrèrent successivement généreux envers cette abbaye. Plusieurs privilèges importants lui avaient même été accordés par les papes Honorius III, Innocent III et Alexandre III.
  L'abbaye de Préaux avait ce privilège inouï, qu'aucun habitant de la ville de Pont-Audemer ne pouvait loger ni clerc, ni religieux, sans la permission de l'abbé. En outre aucune église ou chapelle ne pouvait être bâtie dans la ville sans son autorisation !

  Au XV° siècle, le monastère avait été pris par le duc de Bourgogne, qui tenait pour Charles Le Mauvais, et avait été presque entièrement brûlé, ainsi que ses tours et ses murailles (1358). Puis, lors de l'occupation anglaise, les religieux avaient été obligés de se réfugier à Rouen, dans l'abbaye de Saint-Ouen ; mais l'abbé Guillaume ayant prêté serment à Henri V, ce monarque restitua à l'abbaye tous ses biens qui avaient été confisqués.

  C'est dans ces circonstances que Jean Moret avait été élu. Il dirigea l'abbaye jusqu'en 1431. Rallié au parti anglais, il siégea assez assidûment au procès de Jeanne d'Arc et prêta à l'évêque de Beauvais un concours empressé (7). On le vit figurant notamment, avec les autres chefs d'abbayes, à la séance du 24 mai, où Jeanne "abjura" ses prétendues erreurs, au cimetière de saint-Ouen.
  Jean Moret mourut vers 1435.


5- L'abbaye de Mortemer, au diocèse de Rouen.

Guillaume THEROUDE (8), cet abbé, docteur en théologie, était en 1431 à la tête de l'abbaye de Mortemer, fondée en 1124 dans le Vexin français, agrandie ensuite et enrichie par la protection des ducs de Normandie et par les faveurs de la reine Mathilde. Il avait pris part au Concile de Constance et s'était entremis dans diverses affaires concernant Jean, duc de Bourgogne, dont le fils, Philippe, l'avait recommandé spécialement à Henri V, en 1421.
  On le trouve fréquemment à Rouen dans les années qui précédent le procès de la Pucelle : à Saint-Candé-le-Vieux pour la vérification des reliques (1423) ; au past offert à l'Église de Rouen par Zanon, évêque de Lisieux (1425) ; assistant en la cathédrale de Rouen l'évêque d'Avranches avant l'élection du nouvel archevêque, etc...
  Le cardinal de la Rochetaillée, qui l'honorait de sa confiance, l'envoya à Vernon, près de Bedford, à l'effet d'obtenir la dispense des décimes qui devaient être levées sur le clergé (1424). On voit que cet abbé devait jouir d'un réel crédit auprès des Anglais.

   

  A Mortemer, d'ailleurs, abbé et religieux s'étaient inclinés devant les envahisseurs et avaient ensuite accepté leurs faveurs. Tout récemment encore Henri VI venait de se montrer généreux envers l'abbave. Des lettres datées de la huitième année de son règne mentionnent cette libéralité du monarque anglais : "Sachez que de notre grâce spéciale..., nous avons concédé à notre bien aimé en Christ l'abbé de Mortemer et à son monastère
(qui doit sa fondation à nos ancêtres autrefois rois d'Angleterre et ducs de Normandie, et qui est placé sous notre patronage) tout le temporel quel qu'il soit, n'ayant appartenu à ladite abbaye, située dans le duché de Normandie et dans les autres parties du royaume de France qui nous sont soumises
."
  L'abbé Théroude ne pouvait refuser son concours à des maîtres si généreux ! On le vit paraître au procès, dans les phases les plus graves, c'est-à-dire aux trois séances des 19, 24 et 29 mai 1431.
  Le 19 mai, dans la chapelle de l'archevêché, consulté sur les qualifications à donner aux assertions contenues dans les douze articles et sur le mode de procédure qui devait être suivi ultérieurement, il demanda que Jeanne fût encore une fois avertie, et que "si elle ne veut obéir, il soit procédé contre elle".
  Le 24 mai, il assistait à la séance de l'abjuration, et le 29 mai il adhérait à l'avis "du seigneur de Fécamp" qui avait déclaré Jeanne relapse, ajoutant qu'il convenait de lui lire de nouveau la cédule contenant ses dernières réponses en lui rappelant encore une fois la parole de Dieu : "ensuite, nous, juges, aurons à la déclarer hérétique et à l'abandonner à la justice séculière, en priant cette justice d'agir doucement avec elle".


6- Abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville, au diocèse de Rouen.

      

Jean L'ABBÉ, dit Jean
, cette abbaye avait pour chef, depuis 1417, Jean l'Abbé, dit Jean de Rouen, qui la dirigea jusqu'en 1444.
  Il figurait avec son titre d'abbé de Saint-Georges en tête des vingt-quatre commissaires qui signèrent le traité de capitulation de Rouen, en 1419.
  Ce monastère, dont on admire encore aujourd'hui (en 1898) la splendide église abbatiale, a été pillé comme les autres par suite des guerres : "bellicis cladibus pervasa fuerant prœdia"
  Jean l'Abbé, appelé à siéger au procès de Jeanne d'Arc, n'intervint qu'au début et ne prit part qu'aux séances des 24 février et 3 mars 1431. On peut se demander s'il n'aurait pas manifesté quelque sympathie à l'accusée, et s'il ne serait pas, pour ce motif, devenu suspect à Cauchon et aux Anglais. On s'expliquerait ainsi, d'une part, son absence à partir du 3 mars, et d'autre part, la saisie du temporel de son abbaye pratiquée par les Anglais, sans doute par suite de quelque manifestation hostile de l'abbé ou de ses religieux.
  Quoi qu'il en soit, cette célèbre maison, si atteinte par les guerres et les malheurs du temps, vit bientôt renaître l'ordre et le respect de la discipline. En 1450, après l'expulsion des Anglais, le successeur de Jean l'Abbé prit des mesures pour alléger les travaux spirituels de ses moines qui succombaient sous le fardeau des œuvres, oraisons, suffrages, litanies, etc..., dont la piété des fidèles les avait chargées. Il put aussi revendiquer les biens de l'abbaye ravis et dispersés pendant trente-six années de désordres, et remettre son temporel sur l'ancien pied.
  Si la guerre avait eu de pareilles conséquences pour ces grands établissements, défendus par le prestige de la foi et l'influence de l'Église, on peut juger des souffrances du menu peuple et des déprédations que les petits propriétaires eurent alors à supporter des Anglais !

7- Abbaye de la Trinité-du-Mont-Sainte-Catherine de Rouen.

   

Guillaume DE CONTI
, cette abbaye-forteresse, qui couvrait Rouen du côté de Paris, avait pour chef, en 1431, Guillaume de Conti. Le monastère avait été fondé en 1030 par le nom de Sainte-Trinité-du-Mont-de-Rouen, puis celui de Sainte-Catherine, qui lui fut donné à cause des reliques de la célèbre martyre d'Alexandrie, dont la châsse avait été apportée en 1030 par saint Siméon, moine de Sinaï, et placé dans l'église de l'abbaye. Cette église, détruite en 1598, était romane et en croix. Une tour carrée s'élevait au centre ; les voûtes étaient basses, les fenêtres étroites, les murs épais et ornés de peintures.
  En 1312, Enguerrand de Marigny avait fait construire un bel escalier de pierre, qui permettait de monter de Rouen à l'abbaye-citadelle, et dont on devine encore les vestiges dans la rue du Haut-Mariage (en 1898).
  Le monastère était entouré de fortes murailles garnies de tours, de place en place, et distinctes des fortifications : Vieux Fort, Nouveau Fort, Fort Montgommery ou Saint-Michel, qu'on éleva successivement à côté.
  Avant la prise de Rouen, en 1419, la forteresse avait soutenu un siège glorieux contre Henri V, roi d'Angleterre. L'ennemi était parvenu à franchir ses fossés par une nuit obscure, et à planter ses échelles contre les murailles, lorsque la garnison réveillée en sursaut avait culbuté les assaillants. Ceux-ci s'étaient retranchés alors entre la forteresse et la ville, dans une redoute qui tenait les assiégés en échec. Après un siège régulier d'un mois, pendant lequel l'abbaye fut en partie ruinée, une capitulation honorable fut accordée aux Français, qui, néanmoins, durent abandonner à leurs adversaires toutes leurs richesses, livres, joyaux, ornements et reliques (9).

   

  L'abbaye était alors dirigée par Guillaume Lemesle, qui figura six mois aprés parmi les commissaires chargés de traiter de la reddition de Rouen avec Henri V. Cet abbé devait bientôt être nommé à l'abbaye de Saint-Ouen, et nous le trouverons siégeant en cette nouvelle qualité au procès de Jeanne d'Arc.
  Ce fut en 1427 que Guillaume de Conti lui succéda comme abbé de la Trinité.
  Le nouvel abbé appartenait à une famille noble de Picardie. En 1431, il fut appelé à prendre part au procès de la Pucelle, mais il ne parut qu'à cinq séances jusqu'au 1er mars. On ne sait pourquoi il ne donna pas son avis sur les assertions contenues aux douze articles.
  Il resta cependant en faveur auprès du gouvernement anglais, car, en 1434, il était délégué par l'Université de Paris, avec Courcelles, pour traiter de la paix, à Arras (10).
  Guillaume de Conti vivait encore en 1449. Il assista à l'expulsion des Anglais et prêta serment au roi Charles VII, rentré victorieusement à Rouen.
  L'abbaye et les forts furent détruits en 1597, par ordre de Henri IV qui n'avait pas oublié l'échec qu'il y avait subi en 1591, lors du siège de Rouen.   Au XVIII° siècle, il ne restait plus que des ruines et la chapelle dite de Sainte-Catherine qui servait de grange.
  Depuis longtemps, les derniers vestiges de l'abbaye ont disparu sur cette côte si accidentée, où la main des hommes a élevé tant de mamelons et creusé des fossés si profonds. En 1871, il ne restait qu'un dernier pan de muraille qui se dressait sur le sommet de la côte, à une hauteur de six
mètres, et signalait au loin l'emplacement du monastère. Cet amas de silex, d'une forme étrange, large de trois ou quatre mètres dans sa partie supérieure et seulement d'un mètre à la base, s'est écroulé en décembre 1870, aux pires jours de l'invasion prussienne.


8- Abbaye de St Ouen, de Rouen.

       

Guillaume LE MESLE
, la puissante abbaye de St-Ouen, qui comprenait un vaste territoire sur lequel l'abbé régnait en véritable souverain, avait pour chef en 1431, Guillaume Le Mesle, précédemment abbé de Ste Catherine, qui avait succédé en 1427 à Jean Richard, destitué par jugement de l'archevêque ou de la cour ecclésiastique, à cause du désordre de son administration, et victime, peut-être de son patriotisme autant que de la décadence dans laquelle était tombée le célèbre monastère.
  Il n'est que trop certain, qu'à cette époque, de graves abus s'étaient glissés parmi les religieux. Dans un mémoire émané des vicaires généraux d'Hugues d'Orges, on constate que ces moines, partagés entre un abbé emprisonné pour s'être rendu leur complice et le nouvel abbé qui leur était imposé, avaient donné lieu à de nombreux scandales. Ce mémoire conclut que, dans cette maison, autrefois si sainte et si illustre, il n'y avait plus alors, ni pasteur, ni gouvernement.
  L'archevêque avait cru devoir faire ratifier par le pape Martin V la sentence rendue contre Richard, mais celui-ci se prétendant frappé par suite de rancunes politiques, avait appelé de sa destitution au concile de Bâle. Il devait être rétabli plus tard dans sa dignité, à la demande des pères de ce concile, par une bulle du pape Eugène IV. Cette bulle est du mois d'octobre 1434 mais ne parait pas avoir reçu immédiatement son exécution.
  Pendant ces longs démêlés, Guillaume Le Mesle joua, pour ainsi dire, le rôle d'intrus et prêta son concours au procès organisé par Pierre Cauchon. Lui qui avait défendu en 1418, avec une réelle valeur, l'abbaye de la Trinité-du-Mont-Sainte-Catherine assiégée par les Anglais, et qui s'était montré dévoué à la cause nationale, n'eut pas honte, comme tant d'autres, de renier son passé et de placer son intérêt au dessus de ses devoirs envers  son pays. Il se rallia au gouvernement anglais et en devint le serviteur empressé. On explique ainsi, non sans quelque vraisemblance, que les Anglais l'aient fait placer à la tête de cette maison, en 1427, avec l'appui de l'archevêque de Rouen, pour s'assurer à tout évènement le concours du chef de la plus puissante abbaye normande. On peut ajouter que ce fut là, peut-être, le motif réel de la disgrâce momentanée du titulaire Jean Richard, resté fidèle au gouvernement légitime, et reconnaissant des bienfaits dont Charles VI avait autrefois comblé son abbaye "Carissimus Carolo sexto regi"
  Ce qui est certain c'est que dès 1418, lors du siège de Rouen, l'abbé Richard avait prêté à la ville quarante-quatre marcs d'argent fin en vaisselle qui fut portée à la monnaie. Cette circonstance, jointe à un long procès de préséance qu'il soutint et à sa fidélité au Roi de France, suffisait pour le faire gravement suspecter par l'archevêque de Rouen et par le gouvernement anglais. Envisagée sous cet aspect, la physionomie de Jean Richard, frappé surtout à cause de ses préférences politiques, devient des plus sympathiques, et on l'aime à l'évoquer au milieu de si nombreuses défaillances.
  Sans doute, s'il était resté en possession de ses hautes fonctions au lieu d'être jeté en prison, il n'aurait pas été convié au procès, car sur les dix abbés qui furent choisis sur les soixante chefs d'abbayes normandes, durent ce triste honneur ce triste honneur au fait de leur résidence : Rouen, il n'en est pas moins vrai qu'ils avaient tous à se reprocher l'oubli de leurs devoirs, leur lâcheté et leur trahison ; aussi peut-on affirmer a priori l'indignité, à ce point de vue, de tous ceux qui furent choisis pour composer l'odieux tribunal.
  Guillaume Le Mesle suivit l'exemple des prélats vendus à l'Angleterre et prit une part active aux séances du procès. On l'y vit figurer aux dates les plus importantes : au 2 mai, jour où Jeanne reçut une admonition publique ; au 24 mai, sur le propre terrain de l'abbaye qu'il avait prété aux Anglais pour la cérémonie solemnelle de l'abjuration ; au 29 mai, où il déclara partager l'avis de son collègue, l'abbé de Fécamp, qui opinait pour qu'on abandonnât la relapse au bras séculier ! (11)
  Pendant que Guillaume Le Mesle payait ainsi aux Anglais sa dette de reconnaissance, Richard suivait l'appel qu'il avait interjeté an Concile de Bâle et n'obtenait qu'en 1434, après de longs débats, litigium non par parvum, une sentence favorable qui le réintégrait dans sa dignité d'abbé.


8- Abbaye du Bec, au diocèse de Rouen.

       

Thomas DU BEC, dit FRIQUE, cette abbaye qu'on a justement surnommée l'asile des lettres et des sciences, l'école la plus célèbre de Normandie qu'illustrèrent Lanfranc et St Anselme et d'où sortirent plusieurs papes, avait été particulièrement éprouvée pendant l'occupation anglaise. Elle était au XV° siècle à son apogée de gloire et de prospérité.
  En 1417, lorsque le roi d'Angleterre Henri V avait conquis en six mois toute la basse Normandie, à l'exception du Mont-St-Michel, il avait été arrêté dans sa marche de Caen vers Rouen, par l'abbaye du Bec, fortifiée et vaillamment défendue. Les vassaux de l'abbé étaient venus se réfugier dans ses murs, avec leurs biens, à l'approche de l'ennemi. Les moines avaient détruits, en dehors de l'enceinte fortifiée, toutes les constructions : aumôneries, hôtellerie, léproserie etc... qui auraient pu favoriser les approches des Anglais. L'abbé Guillaume d'Auvillers était mort pendant ces préparatifs de défense et avait été remplacé par son neveu Robert Vallée. Lorsque le Duc de Clarence s'était présenté sous les murs de l'abbaye, les portes lui en avait été fermées et les Anglais avaient dû en faire le siège pendant un mois ; après quoi, toute défense étant devenue impossible, l'abbaye avait été prise et pillée. Irrité de cette longue résistance, Henri V avait saisi son temporel et laissé une garnison qui fit main basse sur tout.   L'abbé Robert Vallée resta sur la terre de France jusqu'en 1419 pour échapper au ressentiment du monarque anglais ; mais à cette époque il se décida à revenir et prêta serment au vainqueur qui lui restitua les biens saisis.
  L'année suivante, il acheta à Rouen, l'hôtel des Fontaines qu'on appela ensuite hôtel du Bec, pour s'y retirer pendant la guerre.
  En 1421, il avait repris possession de l'abbaye et s'occupait de rallier ses moines dispersés, lorsque survint un autre évènement grave qui fut pour Le Bec une source de nouveaux malheurs. Les Français sous les ordres de La Hire, parvinrent à reprendre l'abbaye ; mais les Anglais réfugiés dans le donjon, ayant été secourus par les garnisons de Bernay et de Harcourt, redevinrent les maîtres. Soupçonné de trahison, l'abbé Robert fut chargé de chaînes et emmené par le comte de Salisbury à Rouen, où Il fut emprisonné pendant cinq mois.
  Ayant pu se justifier, il fut rendu à la liberté et obtint encore la restitution de son temporel mais les fortifications de l'abbaye furent impitoyablement rasées. Le Conseil avait même ordonné la destruction de l'église, cette gloire de l'abbaye que tant de générations de moines avaient élevée avec amour ; mais le roi voulut finalement qu'elle soit conservée.
  Après ces évènements, l'abbé Robert n'avait pas jugé qu'il fut possible de séjourner dans ce monastère privé désormais de toute défense. Il était revenu habiter Rouen où il mourut le 4 mai 1430, quelques mois seulement avant le procès de Jeanne d'Arc.
  Son corps fut rapporté au Bec et inhumé dans le choeur de l'église, ainsi qu'en témoigne les chroniques de l'abbaye.
  Sa dalle tumulaire, richement décorée, se trouve aujourd'hui dans l'église Ste Croix de Bernay. On lui donna pour successeur "Thomas du Bec, dit Frique". Cette chronique ajoute que le nouvel abbé était originaire de la paroisse du Bec et alors prieur du monastère.
  Son élection eut lieu le 9 juin 1430, à Rouen où il résida le plus souvent. Il n'était pas possible en effet par ces temps troublés, de séjourner dans un pays continuellement ravagé par la guerre. Thomas Frique, profita de son séjour à Rouen pour faire exécuter de nombreux et importants travaux à l'hôtel qu'avait acheté son prédécesseur Robert Vallée.
  Il fut presque aussitôt appelé à siéger au procès de la Pucelle par les Anglais dont l'influence avait assuré son élection à Rouen et qui l'avaient décidé à régner, sans autorité ni dignité sur des ruines. Il n'osa pas refusé de se faire l'instrument de leur vengeance. On ne le vit guère apparaitre, d'ailleurs qu'à la séance du 24 mai 1431, avec les autres chefs des grandes abbayes normandes, pour entendre la fougueuse prédication de Guillaume Erard et assister à l'abjuration de Jeanne.
  En 1436, à l'assemblée des prélats et abbés convoqués dans la chapelle de l'archevêché, Thomas Frique prit la première place après l'abbé de Saint-Ouen, contrairement aux prétentions de l'abbé de Jumièges. Les vicaires-généraux de l'archevêque lui donnèrent raison ; mais l'abbé de Jumièges appela de leur décision au pape et au Concile. M.de Beaurepaire signale justement cet appel au pape et au Concile pour une simple question de préséance, alors qu'aucun appel n'avait été interjeté dans le procès de la Pucelle. Cette contestation n'était pas encore terminée en 1440.
  Thomas Frique mourut en 1446.
  Des fragments de sa pierre tombale existent encore dans les caveaux de l'église Sainte-Croix de Bernay (ceci en 1896).


9 - Abbaye de Cormeilles, au diocèse de Lisieux.

Guillaume BONNEL, docteur en décret, abbé de Cormeilles, avait succédé à l'abbé Robert, qui avait vu les Anglais s'emparer de l'abbaye. Né à Cormeilles, comme son prédécesseur, il remplissait les fonctions d'aumônier de l'abbaye de Fécamp, lorsqu'il reçut la nouvelle de son investiture. On le trouve siégeant dès la fin de l'année 1405, et le 18 août 1408.
 Il assista, en 1409, au célèbre Concile de Pise, qui avait été réuni pour mettre fin au grand schisme d'Occident.
  En 1417, il prêta serment de fidélité à Henri V que la bataille d'Azincourt avait rendu maître du pays. Cette soumission lui valut, l'année suivante, la restitution du temporel de son abbaye, qui avait d'abord été confisqué. On le vit dès lors embrasser avec ardeur le parti des ennemis de sa patrie.
  En 1423, il assistait à la vérification des reliques de Saint-Candé-le-Vieux, à Rouen, puis on le trouve, de 1126 à 1428, étudiant à Paris, en la Faculté de décret, sous Jean, abbé de Saint-Taurin.
  L'abbé de Cormeilles fut un des assesseurs les plus empressés et les plus assidus du procès de Jeanne d'Arc. Il assista à peu près à toutes les séances.   Consulté par l'évêque de Beauvais, il émit un avis relativement modéré. On lit dans sa consultation que tout le procès fait à cette femme doit être remis à l'Université de Paris dans une affaire aussi ardue. "Les signataires soumettent avant tout leur manière de voir à la Sainte Eglise de Rome et au Concile général." Malgré cette apparente modération, Guillaume Bonnel n'en approuva pas moins le jugement rendu par le tribunal ecclésiastique. Le 24 mai 1431, il occupait une des tribunes élevées sur la place de Saint-Ouen, à Rouen, lors de l'abjuration. Il assista également, le 30 mai, au supplice de la Pucelle, sur la place du Vieux-Marché.
  L'abbé de Cormeilles ne survécut pas longtemps à l'héroïque victime. Il mourut le 24 juillet 1437.
  Guillaume
Bonnel ne gouvernait plus l'abbaye depuis longtemps, lorsque la mort vint le surprendre. Il s'était démis de ses fonctions vers la fin de l'année 1418, et avait été remplacé par Jean TAISSON, qui avait fait hommage au roi d'Angleterre, dès le 16 février 1419. Le nouvel abbé, qui résidait à Rouen, avait prêté serment de fidélité le 6 février 1420 "ès mains de hault et puissant seigneur monseigneur de Warrewik, lieutenant-général et gouverneur de France et de Normandie." Il avait obtenu "respit et souffrance jusqu'à ung an" pour présenter le dénombrement des biens de son abbave "dont le chief est assis audit lieu de Cormeilles ou bailliage de Rouen, et s'estend audit bailliage et ès bailliages de Caux, Gisors, Caen, Evreux et Alençon."
  Jean Taisson figura aussi à l'abjuration de Jeanne au cimetière de Saint-Ouen ; car, suivant l'exemple de son prédécesseur, il avait embrassé avec ardeur le parti des Anglais. Il fut remplacé par Constantin de Ségrie, après la célèbre bataille de Formigny qui devait rendre définitivement la province de Normandie au roi Charles VII.
  L'abbaye de Cormeilles, jadis florissante, était alors bien déchue. Suivant une lettre de Charles VII, elle n'offrait plus, en 1451 "par suite des guerres qui avoient couru" qu'un monceau de ruines de très petite valeur. Cet état misérable porta le roi à dispenser le nouvel abbé de venir à Poitiers prêter en ses mains le serment de fidélité.
  La décadence devait s'accentuer encore avec le temps. A la fin du XVII° siècle, les Bénédictins, qui recueillaient les titres de nos grandes abbayes nationales, se plaignaient de ne trouver rien à dire sur Cormeilles, dont l'incurie des religieux avait laissé périr les archives. L'illustre Mabillon écrivait avec tristesse : "Ce monastère est bien près de sa fin,... tout y est à l'état de ruine ; et puisse la piété y renaître bientôt !"
  Il est vain de rechercher un plan quelconque de l'abbaye de Cormeilles. Tout souvenir de l'antique monastère semble avoir disparu. C'est à peine si l'on montre encore une porte et des parties de murailles, derniers débris des anciennes constructions. Le mobilier a été dispersé. On retrouve, cependant, dans l'église de Glos, de jolies boiseries du temps de Louis XIV, qui proviennent de la chapelle, ainsi qu'un lutrin de l'époque de Louis XV (ceci en 1896).


  Telles sont les dix abbayes normandes qui ont eu le triste honneur d'être représentées au procès de jeanne d'Arc. Il fut joindre à la liste de leurs abbés, un étranger, Jean DACIER, abbé de Saint-Corneille de Compiègne qui, se trouvant à Rouen, avait été invité par Cauchon, et assista, dans la grosse tour du château de Rouen, à l'émouvante séance de la présentation à la torture.


                                                 


Source : "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV° siècle" - Albert Sarrazin - 1896

Notes :
1 E.Corroyer - "Le Mont St Michel".

2 Obit : service religieux célébré au bénéfice de l'âme d'un défunt, généralement au jour anniversaire de sa mort.

3 Lettres du roi qui permmettent à l'abbaye de Fécamp, en l'absence de l'abbé, d'exercer le droit de haute-justice.

4 De Beaurepaire, notes...

5 Certaines chartes confirmées par Henri V dataient du VII° siècle !

6 M. le chanoine J. Loth, éditeur.

7 Pendant que l'abbé se conciliait les faveurs de l'ennemi, un de ses moines Frère jean de Guiseville, avait quitté le cloître pour les bois. Il menait l'assaut avec quelques partisans contre sa propre abbaye pour libérer un moine ami, patriote sans doute que Moret avait fait arrêter. Les Anglais de Pont-Audemer intervinrent et envoyèrent cinq d'entre eux dans les geôles de Rouen.

8 Pour M.Denifle et Chatealin dans leur "procès de Jeanne d'Arc", il s'agit de Nicolas, moine de Rosières près de Salins. Un registre de Martin V nous apprend qu'il fut nommé Abbé de Mortemer le 26 novembre 1428. (P.Champion)

9 Les religieux avaient déposé leurs objets précieux au chateau de Rouen et durent les livrer à Henri V, en vertu du traité de capitulation.

10 Du Boulay - Histoire universelle t?V, p.429

11 Notons quand même que l'abbé de Fécamp avait demandé : "Cependant il est bon de lui relire la cédule dont on lui donna naguère lecture ; qu'on la lui explique en lui prêchant la parole de Dieu...". Avait-il sur la conscience le guet-apens tendu à Jeanne lors de la séance de l'abjuration à St-Ouen ?




Procès de condamnation

Présentation :

- L'organisation du tribunal
- Les sources existantes
- Plan chateau de Rouen
- La prison de Jeanne

Procès :
- Procès


Complément :
- Etude de l'abjuration
- Lettres de garantie




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