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24 avril 2024  

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L'itinéraire présumé de Jeanne d'Arc en Normandie


Chap. I : La Pucelle est dirigée sur la Normandie


n douloureux avenir était réservé à la Pucelle à dater de la fatale sortie de Compiégne.
  Tombée aux mains des Bourguignons, elle avait été gardée dans le camp et conduite, quelques jours après, au château de Beaulieu. Elle y resta six semaines environ, après quoi elle tenta de s'enfuir. « Comme elle avait la taille très fine (1), » elle avait pu sortir de sa prison en passant entre deux pièces de bois à travers lesquelles elle avait pratiqué une ouverture.

  Elle allait échapper à ses gardes, quand elle fut surprise par le portier du château qui donna l'alarme et la réintégra dans la pièce où elle était détenue.
  Jean de Luxembourg, qui en avait la garde, la fit alors conduire au château de Beaurevoir, près de Cambrai (août 1430). La femme et la tante de ce seigneur s'éprirent vite d'une tendre et compatissante admiration pour la Pucelle (2).
  Luxembourg, effrayé par sa tentative d'évasion, la tenait dans un donjon fort élevé, craignant qu'elle ne lui échappât par magie ou autre moyen subtil (3).
  La captivité pesait à Jeanne. Pour s'y soustraire, et dans son désir ardent de secourir Compiègne qu'elle savait tenir encore, elle n'hésita pas, malgré, dit-elle, la défense de ses saintes, à se jeter du haut de la tour où elle était gardée. Elle tomba et demeura sur la place sans mouvement. C'était miracle qu'elle ne fût point morte; mais ses saintes ayant vu « qu'elle ne s'en sçavoit et povoit tenir, luy secourirent sa vie et la gardèrent de se tuer. » Au bout de quelques jours, « elle se prinst à revenir et commencier à mangier, et fust tantoust guérie. »

  Entre temps, Jean de Luxembourg avait consenti à trafiquer de la noble fille malgré les résistances des dames de Ligny (novembre 1430).


  De Beaurevoir, 0n la mena à Arras, et de là, par Drugy, au Crotoy où elle fut remise aux Anglais par les officiers du duc de Bourgogne (4).
  Pendant qu'elle était au château de Drugy, les dames de Saint-Riquier allèrent la visiter dans sa prison. Au château du Crotoy, où elle séjourna jusqu'à ce que les dernières mesures fussent arrêtées pour son procès, elle ne parait pas avoir subi une captivité bien rigoureuse. Elle était renfermée dans une chambre qui existait encore en 1657. Un prêtre de la cathédrale d'Amiens, Me Nicolas de Guetille, dit un vieil annaliste du Ponthieu, lui administrait les sacrements et disait beaucoup de bien de cette vertueuse et très chaste fille.
  Quelques dames de qualité et des bourgeoises d'Abbeville l'allaient voir comme une merveille de leur sexe. La Pucelle les remerciait de leur charitable visite et les baisait aimablement. « Que veschy un bon peuple, disait-elle en pleurant ; pleust à Dieu, quand je fynerai mes jours, que je puisse estre enterrée dans ce pays (5). »
  Hélas ! ce n'était point là que devait mourir l'héroïne d'Orléans; c'était à Rouen que les Anglais devaient accomplir ce qu'un chroniqueur a appelé « le plus grand crime que les hommes aient commis depuis la mort du Christ. »

  Bientôt arrivèrent au Crotoy les soldats anglais chargés de la conduire dans cette ville. L'escorte devait être nombreuse et bien armée, à cause du péril de la route et du prix que Bedford attachait à ce que la prisonnière ne pût lui échapper à la faveur d'un coup de main. Il est permis de supposer que cette escorte comprenait notamment John Gris, Berwoit et Talbot, qui eurent la garde de la Pucelle dès son arrivée à Rouen (6).
Vers la fin de décembre, Jeanne fut menée en barque, du Crotoy à Saint-Valéry, de l'autre côté de la Somme, et de là, conduite à cheval sous bonne garde, par Eu et Dieppe (7).
  C'est à cheval et escortée par des cavaliers anglais, que la Pucelle entra dans le comté d'Eu, c'est-à-dire en Normandie. C'est à cheval que tous, guerriers, magistrats, seigneurs et négociants voyageaient au moyen âge.
  C'était d'ailleurs une « cavalière » excellente que Jeanne d'Arc, ainsi que l'a établi un érudit rouennais (8). Elle montait en homme, ce qui devait être fort pénible. Jean Monnet, chanoine de Paris, nous apprend au procès de réhabilitation qu'elle s'était blessée à cet exercice : « quod ipsa Johanna fuit læsa in inferioribus de equitando. »
  Elle chevauchait avec une grande adresse qu'on avait admirée lors de son entrée à Orléans : « Et moult semblait être à tous grant merveille comme elle pouvait tenir si gentiement à cheval. » A une alerte, on l'avait vue monter précipitamment le premier cheval qu'elle avait pu trouver, « et courir sur le pavé tellement que le feu en sailloit. » Elle s'était exercée continuellement à chevaucher et à manœuvrer les armes de guerre.
  Les chevaux que Jeanne prit dans ses dernières étapes devaient être ces petits chevaux de montagne dont parle Monstrelet, et que montaient des Irlandais sauvages venus à la suite des Anglais.
  Ces exercices violents et la vie des camps n'avaient pu que contribuer au développement physique de la Pucelle, dont les contemporains nous ont tracé un portrait des plus flatteurs.

  Si la chronique et l'imagerie ne nous ont légué rien d'absolument authentique (9), on peut se la représenter néanmoins en rapprochant les divers traits épars de sa physionomie dans les écrits du temps.
  Jeanne avait les cheveux noirs et les portait taillés en rond. Le témoignage de Philippe de Bergame, sur ce point, est rendu vraisemblable par le reste d'un cheveu noir mélangé au cachet d'une de ses lettres conservée à la mairie de Riom. Il est formellement confirmé par une relation écrite, de son vivant, par le greffier de l'Hôtel-de-Ville de la Rochelle, et éditée en 1877 par Quicherat, dans la Revue historique.
  Nous savons, en outre, qu'elle était de taille moyenne, svelte et vigoureuse, bien formée, bien plantée, avec un buste dont la beauté se dessinait surtout lorsqu'elle maniait son cheval de bataille. Son fidèle écuyer d'Aulon, qui l'accompagnait partout comme garde du corps, a pu l'attester avec autorité et précision, à raison de la cohabitation forcée de la vie des camps (10).
  Il ne parlait d'ailleurs qu'avec une extrême déférence de la jeune héroïne qui imposait à tous le respect et l'admiration. Sa pureté n'avait souffert aucune atteinte de la licence des camps, pas plus que la mollesse des cours n'avait pu la flétrir. Il affirme qu'il ne vit jamais de femme aussi chaste et qu'elle était d'une sobriété sans pareille (11). « Ni les autres, ni moi, dit-il au duc d'Alençon, quand nous étions près d'elle, nous n'avions de pensées mauvaises. A mon avis, il y a là quelque chose de divin. »
  Jeanne avait au plus haut degré « le diagnostic de nature, nerveuse, sensible à l'excès, portée aux larmes, et dans les moments d'enthousiasme, son visage s'illuminait de radiations célestes. On remarquait aussi la vibration particulière de la voix, vox infantilis quelque chose d'immaculé, de virginal (12). »
  Telle nous pouvons nous représenter la Pucelle avant sa captivité, radieuse et inspirée, sous les brillantes armures (13) et les riches costumes qu'elle devait à la munificence du roi et des grands seigneurs de la Cour.
  Mais au seuil de la Normandie, elle nous apparaît plutôt avec la grâce touchante de la jeunesse et de la douleur.
  Elle a dû laisser à Compiègne son riche bagage, ses armes et armures de luxe, et notamment le beau costume d'apparat que venait de lui offrir (août 1430) le duc d'Orléans « en considération des bons et agréables services que ladite Pucelle nous a fait à l'encontre des Anglais, anciens ennemis de Monseigneur le Roi et de nous. » Ce costume, qui était estimé environ cinq cents francs de notre monnaie, consistait en une robe de fine Bruxelles vermeille et une huque de vert perdu. Ce vêtement, tout masculin, ressemblait beaucoup à une robe de chambre (14).
  Le costume qu'elle portait ordinairement, d'après M. Vallet de Viriville, se composait de chaussures de cuir, d'un chapeau de feutre noir, d'une cuirasse de fer poli, de jambières garnies de grègues de fer, d'une cotte d'étoffe brune tombant entre la cuirasse et les jambières, tout près des genoux; de manches rouges collantes et, par dessus, de manches grises ouvertes adaptées aux épaules.

  Mais les circonstances qui avaient suivi sa prise à Compiègne, et sa détention dans les forteresses de Picardie, comme aussi les rigueurs de la saison, avaient dû modifier sensiblement l'économie de son habillement lorsqu'elle arriva en Normandie.
  Ce fut, en effet, en plein hiver, dans les derniers jours de décembre, que Jeanne dut séjourner à Eu pour, de là, longeant les falaises normandes, être dirigée par Dieppe et Arques vers la ville de Rouen.

Chap. II : Jeanne d'Arc à Eu

e Saint-Valery-sur-Somme, la Pucelle dut être conduite à Eu. La tradition veut qu'elle ait séjourne dans l'ancien château féodal de cette ville. C'est l'opinion des historiens qui ont indiqué sommairement l'itinéraire qu'elle suivit en Normandie.
  
Bien avant que des écrivains comme Quicherat, Wallon, Marius Sepet, etc., fissent entrer cette opinion dans le domaine de l'histoire, elle avait été formellement énoncée, dès le milieu du XVIIe siècle, par le P. Ignace de Jesus Maria (Jacques Samson), dans son Histoire généalogique des comtes de Ponthieu et maieurs d'Abbeville (1).
  C'est le seul ancien auteur, à notre connaissance, qui ait tracé nettement l'itinéraire qu'on fit suivre à la Pucelle, du Crotoy à Rouen. Son récit est à citer en entier, car il revêt la forme naïve des vieilles chroniques, et contient des détails touchants sur la présence de Jeanne aux confins de la Picardie et de la Normandie. On la voit, chevauchant de ville en ville, de château en château, avec cette fermeté sereine qui ne doit pas l'abandonner, et saluant dévotement les églises qu'elle rencontre sur son chemin en invoquant les patrons de chaque région :
  « Au commencement de cette année 1430 (vieux style), dit cet annaliste (2), le 13 janvier, l'Anglois envoya un mandement par lequel il ordonnoit que la Pucelle fût transférée du Crotoy à Rouen, et qu'elle fust mise ès mains de Frère Jean Magistri de l'Ordre des Freres Prescheurs, Inquisiteur de la Foy, pour la faire examiner a Maistre Pierre Cauchon, euesque de Beauuais, en la jurisdiction spirituelle duquel elle avoit esté prise afin de luy faire son procez.
  « Elle dit donc Adieu à ceux du Chasteau du Crotoy, qui regrettoient son départ, car elle les auoit grandement consolés. On void encore la chambre où elle couchoit, qui retient depuis ce temps-là quelque respect lorsqu'on y entre. Au sortir des murailles de la ville du Crotoy, on la mit dans une barque, accompagnée de plusieurs gardes, pour luy faire passer le traiect de la riuière de Somme qui est fort large en cet endroit, à cause que c'est l'embouchure de la mer Oceane, qui contient environ demy lieüe, quand le flux est monté ; et descendit à S. Valery, qu'elle salua du cœur et des yeux, estant Patron du pays de Vimeu où elle entrait, comme elle auoit salué l'Eglise de S. Riquier, Patron du pays de Ponthieu d'où elle sortoit.
  « Elle ne s'arresta pas en la ville de S. Valery, car ses gardes la conduisirent droit à la ville d'Eu, et de la à Dieppe, puis en fin à Roüen ; qui estoit la Ville qu'on avoit choisie, pour estre le dernier theatre d'houneur, ou la vertu de nostre sainte fille deuoit paroistre. »
  C'est sur l'autorité de cet auteur que Quicherat a établi l'itinéraire suivi par la Pucelle, de Drugy à Rouen, en novembre 1430 (3).

  M. L. Estancelin, dans son Histoire des comtes d'Eu, publiée en 1828 (4), dit que « la tradition n'a rien transmis sur les événements qui se passèrent au château d'Eu pendant l'occupation anglaise. On est seulement fondé à croire que pendant ce temps, l'infortunée Jeanne d'Arc qui, du Crotoi, fut conduite à Rouen, dut passer par Eu et séjourner dans la prison du château, qui était située à l'angle nord du bâtiment actuel nommé encore la Fosse aux lions (5). »
  Peu après (1837), M. Vatout, premier bibliothécaire du Roi (6), constatait également le séjour de Jeanne d'Arc à Eu et rappelait la tradition locale d'après laquelle la Pucelle aurait été enfermée dans la prison du château appelé la Fosse aux Lions. Il considère ce séjour comme probable, bien qu'il en ait cherché vainement la preuve directe dans une pièce justificative (7).
  Les auteurs qui ont écrit sur Jeanne d'Arc depuis un quart de siècle et qui ont examiné ce point d'histoire ont tous admis cet itinéraire (8). Leur opinion ne s'appuie sur aucun document contemporain, mais on comprend aisément que les chroniqueurs du XVe siècle aient négligé ces détails d'intérêt secondaire et soient muets sur la route suivie par la Pucelle. On ne peut guère s'étonner que son séjour, pendant une nuit peut-être, soit à Eu, soit au château d'Arques, soit encore, dans une station militaire entre Arques et Rouen, n'ait laissé aucune trace dans des mémoires ou comptes de l'époque.
  Ce point de départ nous paraissant établi, nous allons essayer de suivre l'escorte anglaise qui accompagna Jeanne d'Arc sur la terre normande. Nous évoquerons, chemin faisant, le souvenir des preux chevaliers, fidèles à la cause de Charles VII, dont elle a vu les castels aujourd'hui disparus ou en ruines ; nous saluerons, au passage, les églises ou monuments qui nous parlent encore d'elle à travers les villages du littoral et du pays de Caux. Nous verrons, en même temps, quelles avaient été les tristes conséquences de la domination anglaise dans cette partie de la Normandie.
  Dans le patriotique pèlerinage que nous entreprenons, nous n'aurons évidemment pour guide que les vraisemblances, et nous ne trouverons qu'à Rouen la certitude historique, avec les documents du Procès. Mais nous nous efforcerons, dans cette première partie quelque peu problématique de nos recherches, de n'avancer qu'avec la prudence que comporte un pareil sujet, et en ayant soin de nous appuyer sur les appréciations les plus autorisées.



          § I. — Eu et Le Tréport.

  En descendant des collines de Picardie, ou, plus exactement, de cet ancien pays du Vimeu où elle laissait de si attendrissants souvenirs, Jeanne d'Arc dut apercevoir, avant d'arriver aux portes de la ville d'Eu, Le Tréport avec sa vieille abbaye dédiée à saint Michel, que Robert Ier, comte d'Eu, avait fondée en 1059 (9) sur l'une des deux collines qui dominent la mer.
  Ses regards durent être attristés par la misère et la désolation qui régnaient dans la contrée.
  Le Tréport, si florissant au XIIIe siècle (10), avait eu beaucoup à souffrir des Anglais qui, dès 1339, étaient venus l'attaquer avec un grand nombre de navires. Les Tréportais avaient, en cette circonstance, fait usage de l'une des premières pièces d'artillerie qu'on eût vue en Normandie. C'était une sorte de boîte que l'on chargeait de cailloux (11). Les Anglais avaient brûlé également le village de Mers, situé de l'autre côté de la vallée (12).
  Plus tard, en 1413, nouveau pillage et incendie de la ville et de l'abbaye par les Anglais qui, furieux d'avoir échoué à Dieppe, massacrèrent les moines et les habitants (13). Enfin, après la bataille d'Azincourt, ils brûlèrent l'abbaye, l'église, le cloître, le dortoir, et l'abbé fut obligé de s'enfuir : « et pareillement ardirent l'église et le monastère d'illec (14). »
  La guerre avait accumulé partout des ruines. Les villages, les métairies, les granges n'étaient plus qu'un monceau de cendres : pas une maison n'était restée debout dans le comté d'Eu (15).
  Une fatale destinée pesait sur la célèbre abbaye (16) qui avait le pas sur celles d'Eu et de Foucarmont, et dont les abbés, qui siégeaient à l'Echiquier de Normandie depuis le XIVe siècle, avaient droit de justice sur leurs vassaux, même de celle du sang et du larron.
  En 1662, l'église, le dortoir et le logis abbatial furent renversés par une furieuse tempête. On reconstruisit, en 1663, l'abbaye qui subsista jusqu'en 1791.
  Elle fut démolie en 1840.
  Une ancienne porte et les bases d'énormes contreforts couverts de lierre sont les seuls restes qui subsistent aujourd'hui et qui donnent un certain cachet de mélancolie au jardin public aménagé près de l'église sur une terrasse dominant la mer et la vallée de la Bresle.
  Par une coïncidence assez curieuse, l'abbaye du Tréport avait pour patron saint Michel, et son sceau représentait l'Archange terrassant le dragon, cet archange dont la Pucelle se recommandait si dévotement comme étant l'inspirateur de sa mission patriotique. Nos marins du Tréport, de Berneval, de Braquemont, de Dieppe, etc., invoquaient saint Michel qu'on appelait alors le premier chevalier, et qui était réputé protéger la province normande contre les envahisseurs.

        

          § II. — Eu sous la domination anglaise.

  Tout près du Tréport, et en vue de la mer, s'élevait l'antique capitale des comtes d'Eu que dominaient et la splendide église de l'abbaye, illustrée par saint Laurent, évêque de Dublin, et la masse imposante du vieux château dont les hautes murailles durent abriter la Pucelle.
  Contemplée du haut des collines de la Picardie, dit l'abbé Cochet, dans son style coloré et parfois enthousiaste, l'église d'Eu, — l'une des plus belles de la Normandie, avec sa nef et son grand portail du XIIe siècle, — semble une cathédrale magique qui jette au soleil une forêt d'arceaux, de contreforts et d'aiguilles dans un océan de verdure (17).
C'est auprès de l'église qu'il faudrait chercher les restes du cloître de l'abbaye que le château du moyen-âge renfermait dans son enceinte entourée de fossés et de murailles (18). Hélas ! tout a disparu, et le monastère qui avait envahi jusqu'au donjon du manoir féodal, a été envahi à son tour par le parc du château royal, jadis si brillant, mais aujourd'hui plongé dans le silence et rigoureusement fermé à tout visiteur (19).

  En 1430, la ville d'Eu était depuis longtemps déjà au pouvoir des Anglais qui avaient ravagé et ruiné le pays.
  C'était, au moyen-âge, une ville fort importante dont le commerce maritime avait été florissant, et dont les vaisseaux tenaient la mer avec avantage.
  Les Anglais ne s'y étaient pas établis sans difficulté.
  Charles d'Artois, alors comte d'Eu, avait défendu la place avec beaucoup de courage dès le commencement de l'invasion. Les Anglais étaient déjà de vieux ennemis. En 1369, ils avaient pénétré jusqu'à Honfleur, et en revenant ils avaient brûlé la ville d'Eu.
  Ils auraient exercé les mêmes ravages en 1415, si Charles d'Artois n'était accouru au secours de la place. Le vaillant comte, à la tête des bourgeois, avait opéré une brillante sortie et avait tué beaucoup de monde aux Anglais. Le gros de l'armée était resté en arrière. Les portes de la ville lui furent refusées et le siège commença; mais le roi d'Angleterre, « malgré tout ce qu'il put faire, fut obligé de lever honteusement le siège le treizième jour d'octobre et de passer plus loin (20). »
  Ces efforts devaient être inutiles, car la funeste bataille d'Azincourt permit bientôt aux ennemis d'occuper la citadelle. Charles d'Artois y avait été fait prisonnier. Conduit en Angleterre, ce prince, malgré l'offre de la plus forte rançon, ne put être racheté et resta, pendant vingt-trois ans, éloigné de la scène douloureuse qu'offrait l'envahissement de la patrie (21).
  Pendant ce temps, Henri V, profitant de sa victoire, s'emparait de toute la Normandie et en distribuait les principaux fiefs et seigneuries à ses capitaines. C'est ainsi que pendant la domination anglaise, le comté d'Eu fut donné à William Bourchier (22), qui avait épousé Anne, fille et seule héritière de Thomas Plantagenet, dit de Woodstock, comte d'Essex, le dernier des fils d'Edouard III. Ce Bourchier devait exercer ses droits sur le comté jusqu'à sa mort. Il rendit aveu à Henri V en cette qualité le 13 avril 1420 (23).
  Après le traité de capitulation d'Eu (15 février 1419), fait entre « le duc d'Excestre... et honorables et discrètes personnes maistre Robert Dynerville, licencie en loys; Jehan Mortelet, baillif de Eu ; Jehan Hayne, escuyer, bailli et gouverneur de la forest de Eu ; Martin Dorce, procureur du comte de Eu ; Jehan de La Fosse et Guillem Burgoys, procureurs, ayant sur ce povoir, etc. . . (24), » le roi accorda remise de leurs biens à tous « les gens d'église, maire, eschevins, communs et habitans des ditte ville et chastiaulx, » qui voudraient venir à son obéissance et lui prêter serment de fidélité.
            

  Il faut bien reconnaître qu'à côté de vaillants protestataires qui préférèrent, en vertu du traité, quitter la place, quelques défections se produisirent (25). Plusieurs, ayant prêté serment au roi, obtinrent la confirmation de leurs biens. Parmi les notables, Jean Hanes se fit attribuer une maison située à Eu. Quant au bailli, Jean Morelet, qui exerçait ses fonctions depuis de longues années, il vint aussi « en l'obéissance du roi d'Angleterre » et se fit confirmer dans ses possessions en vertu de lettres qui portent la date du 24 février (26). Jean Morelet était en fonctions dès 1407. Il avait rendu, à cette époque, une sentence relative à la confiscation des biens de Guillaume Buquet, exécuté à Rouen « pour ses demerites. » Ces biens avaient été mis en la main de « mon tres redouté seigneur, monseigneur le comte d'Eu, par confiscation et forfaiture; » mais les « religieux hommes et honnestes l'abbé et couvent du Treport, » obtenaient bientôt du bailli la main-levée, ayant justifié de certains droits sur ces héritages (27).
  On est péniblement surpris de voir Jean Morelet renier ainsi son passé, en 1419.
Après cette défection, l'ancien bailli d'Eu pour les Français parait avoir joui de la faveur de Henri V, dont il obtint plusieurs postes avantageux en Normandie. Il ne semble pas cependant avoir conservé sa charge de bailli : car nous voyons que, le 24 février 1421, le roi nomme à cette fonction « Galfridum des Hayes, ballivum de Eu (28). »
  Jean Morelet devint conseiller du roi d'Angleterre et son premier avocat au bailliage de Rouen. Il fut inhumé en l'abbaye de Saint- Ouen (1421), avec Nicole Dagunet, sa femme (1430).
  Si la ville d'Eu était tombée au pouvoir des Anglais, plusieurs châteaux des environs étaient restés indépendants. Rambures garda sa forteresse; Xaintrailles enleva Saint-Valery et le seigneur de Saveuse vint braver les Anglais jusque sous les murs du château de Monchaux.
  A Eu même, l'ennemi ne paraissait pas établi d'une manière bien redoutable. Dulis, le premier gouverneur du château, avait été tué à la bataille de Melun, et Brunelai, qui lui avait succédé, vivait tranquillement dans la délicieuse habitation des comtes d'Eu à Monchaux.
  Les partisans de CharlesVII devaient leur infliger une cruelle leçon, au mois de juin 1431, c'est-à-dire bien peu de temps après le séjour de la Pucelle au château d'Eu.

  Un seigneur français, Renaud de Fontaines, ayant rencontré le preux de Xaintrailles à Orléans, dont le siège venait d'être levé, lui persuada de venir surprendre les Anglais d'Eu. Ce brave capitaine, compagnon fidèle de la Pucelle, n'hésita pas à courir cette nouvelle aventure. Les deux seigneurs français se présentèrent avec quelque peu de troupes et entrèrent facilement dans la ville, emportant tout ce qu'ils purent trouver, jusqu'au fameux Livre rouge qui contenait les privilèges de la ville.
  Que n'avaient-ils exécuté ce projet quelques mois plus tôt, lorsque Jeanne d'Arc, conduite à Eu, avait été jetée dans la Fosse aux Lions ?

                                     

  Cette aventure, qui démontre la difficulté que les Anglais éprouvaient pour défendre la forteresse d'Eu, explique qu'elle ait été comprise, quelques mois plus tard, parmi celles qui devaient être détruites par mesure de sécurité. Ils décidèrent presque aussitôt, en effet, que pour remédier aux « pilleries que plusieurs gendarmes faisaient au païs et duché de Normandie sur le poure peuple du plat pays, » on procéderait à la destruction des places fortes qui n'étaient pas en état de défense. Des lettres de Henri VI, datées du 7 juillet 1431, relatent le paiement à faire à Jean de Montgommery, bailli de Caux, chargé, avec quarante hommes d'armes et soixante hommes de trait, de faire démolir les forteresses d'Eu, Beaucamp, Longroy, et autres étant « es mettes de son baillage ».
  Pendant ce temps, Charles d'Artois était toujours détenu en Angleterre, et ne recouvrait sa liberté qu'en 1438. Il fut échangé contre le duc de Sommerset (29) que le duc de Bourbon, frère du comte d'Eu, tenait prisonnier depuis la bataille de Blangy, où le duc de Clarence avait trouvé la mort. Cet échange eut lieu malgré la défense qu'en avait faite autrefois, avant de mourir, le roi Henri V, qui connaissait la grande valeur du comte d'Eu et son attachement inébranlable à la cause de la France : « Et si gardez, avait dit le roi d'Angleterre, que ne délivriez de prison beau cousin d'Orléans, le comte d'Eu, le seigneur de Gaucourt... jusques à tant que mon fils aura son âge compétent; des autres prisonniers faictes comme bon vous semblera. »

  Après son retour, Charles d'Artois prit part à tous les combats et à toutes les expéditions qui vengèrent sa patrie des Anglais. « Et tantost après sa venue fut par le roi de France constitué capitaine de Normandie, depuis la rivière de Seine jusqu'à Abbeville. » Ayant repris sa place dans le Conseil et à la tète de l'armée, il contribua, par sa sagesse et son influence, à obtenir au Dauphin, en 1439, le pardon de son père. En 1440, il se signala par son intrépidité devant Harfleur. Son humeur chevaleresque le portait sur les points où il croyait rencontrer des adversaires dignes de lui. C'est ainsi qu'on le vit monter l'un des premiers à l'assaut de Pontoise où commandait Bourchier, le prétendu comte d'Eu, et faire main basse sur les ennemis armés qu'il rencontra.
  Pendant la trêve qui fut conclue avec les Anglais, Charles d'Artois épousa, le 21 juillet 1448, dans l'église Saint-Martin-aux-Jumeaux d'Amiens, Jeanne de Saveuse, fille de Philippe, seigneur de Saveuse, gouverneur d'Amiens et de Picardie pour Charles VII, et de Marie de Sully.
  Jeanne de Saveuse était une des plus belles femmes de son temps, si l'on en juge par la statue de son tombeau. « En contemplant la superbe structure de ce corps de femme, dit l'historien d'Eu, on est tenté de s'écrier : Voilà donc ce que la mort nous en laisse ! Elle n'en laissa pas davantage à son mari qui resta veuf après cinq mois de mariage (30). » Charles fit déposer les restes de cette épouse, ravie si prématurément à son affection, à gauche de l'autel de Notre-Dame d'Eu, sous une très large table de marbre, en y réservant la place de sa propre sépulture. « Le tombeau était de marbre noir et les figures de marbre blanc (peintes) (31). » La statue de Jeanne de Saveuse, qui resta dans le chœur de l'église d'Eu jusqu'à la Révolution, diffère des autres statues que renferme maintenant la crypte, en ce que les mains et la tête seules sont en marbre blanc, et le reste en pierre. Son cercle de comtesse est aussi plus large et semé de fleurons, partagé par des lignes de perles verticales : il s'adapte aux contours de son front et des deux grosses tresses de sa coiffure. Sa jupe, teinte de ses couleurs, qui sont de gueules, offre en relief des bandes et des billettes d'or. L'artiste avait voulu reproduire, par un corsage serré, l'élégance de la taille et du costume de cette jeune femme saisie par le trépas au milieu des plaisirs, et « c'est par là aussi qu'elle manqua, car elle fut brisée dans cette partie lorsqu'on l'arracha de la deuxième couche nuptiale, c'est-à-dire du tombeau où elle dormait auprès de la statue de son époux (32). »
  Après six années de veuvage, Charles d'Artois épousa, en 1454, Hélène, fille du seigneur d'Anthoing-les-Tournay, et « en icelui hostel, furent laites les nopces, où il n'y eut guères grande seigneurie... Avec laquelle femme audit hostel il coucha deux nuits, et après il en partit et tira son chemin à la ville d'Eu, où il fit faire de grands préparatifs pour, en peu de jours, recevoir la comtesse sa femme ; auquel lieu icelle comtesse fut menée par ledit seigneur d'Anthoing son père, qui fut accompagné de grands seigneurs, comme dames et damoiselles, qui, par ledit comte, furent receus grandement et honorablement festoyés (33). »

  Ce second mariage fut heureux, mais stérile comme le premier. Dès qu'il fut célébré, Charles d'Artois convoqua au château tous les feudataires religieux et civils pour l'ouverture de la séance des grands jours. Il jouissait de toute la confiance de Charles VII, qu'il avait aidé à recouvrer ses places de Normandie. Le roi lui avait accordé l'usufruit de la seigneurerie et vicomte de Neufchâtel dont il avait emporté le château en personne (34).

  En 1458, Charles VII érigea le comté d'Eu en comté-pairie. Plus tard, Louis XI se souvint aussi des services de Charles d'Artois. Il vint à Eu et parcourut avec lui tout le duché de Normandie. Il le nomma même, en 1465, au gouvernement de Paris, qu'il venait d'ôter à Charles de Melun.
  Le comte passait à Eu tout le temps que lui laissait l'exercice de ses charges. Après la libération de son comté, il y avait fait fleurir le commerce et l'industrie. C'est ainsi qu'il avait fait creuser dans la vallée de la Bresle un canal allant d'Eu à Tréport. Il revenait à Eu quand il tomba malade et mourut à Blangy, le 25 juillet 1471, à l'âge de soixante-dix-huit ans.
  Mme de Melun, son épouse fidèle, adoucit ses derniers moments par les soins qu'elle lui prodigua dans cette maladie. Elle fit rapporter son corps à Eu, et on l'inhuma auprès de celui de Jeanne de Saveuse, sa première femme (35).
  Après le décès de Charles d'Artois, Hélène de Melun se retira à Rouen. Elle y mourut un an après, jour pour jour. Son corps fut rapporté à l'abbaye d'Eu et inhumé dans la chapelle de Saint-Antoine. Une table portait son effigie en marbre qui la représentait vêtue du manteau de veuve.

  Tous ces tombeaux furent brisés pendant la tourmente révolutionnaire et les sépultures violées. Le cercueil de plomb d'Hélène de Melun fut dressé contre la colonne de la chapelle, et lorsque le couvercle fut levé, elle apparut avec ses traits presque conservés : l'adhérence de ses cheveux était telle, qu'en les tirant on faisait obéir sa tête (36).
  Les statues qui décoraient autrefois les tombeaux que l'on voyait dans le chœur et dans les chapelles avaient été mutilées et entassées pêle-mêle dans la crypte de l'église. C'est dans cette vaste crypte sépulcrale, qui s'étend sous toute la longueur du chœur et du sanctuaire, qu'étaient enterrés, dans des cercueils de plomb, les corps des comtes d'Eu, de leurs femmes et de leurs enfants. Leurs ossements, exhumés dans ces temps troublés, se confondirent bientôt avec ceux des princes et bourgeois que l'on avait inhumés dans les chapelles supérieures et que l'on précipita, avec leurs statues, par les soupiraux. Lorsque le moment de faire cesser cet affligeant spectacle fut venu, la fabrique commença par recueillir les débris humains en un ossuaire qu'elle fit creuser au milieu du grand caveau. Le duc d'Orléans rétablit les statues sur des cénotaphes revêtus d'armoiries et surmontés des épitaphes transcrites sur le marbre en caractères ordinaires...

  Ne quittons pas cette ville d'Eu, illustrée par le passage de Jeanne d'Arc en 1430, sans jeter un dernier coup d'œil sur la cité du moyen âge et sur les souvenirs du temps qu'elle offre encore à notre curiosité.
  Au XVe siècle, la ville d'Eu était une véritable capitale qui renferma successivement dans ses murs une riche abbaye, trois paroisses, trois chapelles, une léproserie, une mairie avec échevinage, une maîtrise des eaux et forêts, une vicomte, un bailliage et un château de comtes (37).
  De cette antique splendeur, il ne reste plus que la magnifique collégiale de Saint-Laurent, avec sa crypte funèbre, véritable église souterraine du XIIe siècle, qui fait l'admiration des connaisseurs, et que l'abbé Cochet a justement appelée le Saint-Denis de la Normandie.
  En dehors de cette ancienne collégiale, aujourd'hui église paroissiale, on ne retrouve que bien peu de vestiges de monuments contemporains de la Pucelle.
Les maisons basses, aux bois sculptés, faisant saillie au rez-de-chaussée, qu'on voit encore çà et là dans les rues du vieil Eu, n'ont dû être construites qu'après l'incendie de 1475 qui détruisit toute la ville et le château. Il ne reste donc rien de cette forteresse (38) qui avait été témoin des fiançailles de Guillaume le Conquérant et qui a dû voir la Pucelle d'Orléans dans ses murs. Elle fut brûlée avec la ville toute entière, sur l'ordre de Louis XI qui appréhendait un retour offensif des Anglais et ne voulait pas les laisser occuper cette place. Le château actuel n'a été construit qu'en 1580, par ordre du duc de Guise, surnommé le Balafré.
  Toutefois, on montre encore, du côté de l'église, au bas des pelouses qui descendent le long du parc, une ancienne tourelle récemment restaurée, que l'on appelle dans le pays : Tour Jeanne d'Arc. D'après certaine tradition, la Pucelle y aurait été enfermée (39). Nous n'enregistrons cette prétendue tradition que comme constituant un hommage rendu à la mémoire de l'illustre captive, et sans lui attribuer d'autre valeur : car de l'endroit éloigné où la consigne sévère qui défend l'entrée du château nous a permis d'examiner cette tourelle, il nous a paru évident que l'appareil de maçonnerie ne comporte pas une pareille antiquité. Tout au plus pourrait-on y voir un reste des plus vieilles parties de la construction du XVIe siècle vers l'emplacement de l'ancien château-fort, et, peut-être dans le voisinage de la Fosse aux lions. Ajoutons que l'une des rues de la ville d'Eu porte le nom de rue de l'Empire. Ce nom lui a sans doute été donné parce qu'elle accède à l'ancienne porte principale flanquée de grosses tours, où était un pont-levis romain communiquant à un chemin militaire appelé chaussée Brnuehaut qui se dirigeait vers Amiens et qu'on retrouve encore dans quelques endroits en Picardie (40). Cette Porte de l'Empire, que l'abbé Cochet fait remonter au XIIIe siècle, est un des souvenirs les plus curieux du vieil Eu, malgré les modifications que des travaux récents lui ont fait subir (41). L'intérieur de l'une de ces tours est percé, au rez-de-chaussée, de trois fenêtres qui vont en se rétrécissant et ne sont en communication avec l'extérieur que par de très étroites meurtrières. La ville garde aussi quelques restes des vieux remparts avec tours, paraissant appartenir au XIIIe siècle. La partie la mieux conservée de ces ruines se voit au midi de la ville, depuis la porte Malhomesnil ou de l'Empire, jusqu'au faubourg de la chaussée, du côté de la route de Dieppe, par où la Pucelle dut sortir de la ville. En montant la grande rue d'Eu, qui fait face au portail latéral de l'église et se dirige vers la route de Dieppe, on passe devant la rue Jeanne d'Arc, située entre la rue Victor- Hugo et ces vieux remparts. La municipalité eudoise a eu, en effet, l'heureuse inspiration de donner le nom de la Pucelle à l'une des rues de la ville et de rappeler ainsi à tous le souvenir de son passage à lui (42).

  Saluons donc ces derniers vestiges de la ville du moyen âge, ces vieux murs qui ont vu passer Jeanne d'Arc, et essayons de suivre maintenant la glorieuse captive dans les dernières stations de son douloureux calvaire.

Chap. III : D'Eu vers Dieppe et Arques


' est par le faubourg de la Chaussée que Jeanne d'Arc dut sortir de la ville d'Eu, en suivant l'ancienne voie romaine qui allait de Lillebonne à Boulogne, par Augusta (Eu).
  Elle fut conduite, selon toute vraisemblance, dans la direction de Dieppe, vers le château d'Arqués, par Criel, Berneval, Belleville, Bracquemont, etc. Ce chemin traversait la cité de Limes et aboutissait au Pollet par la rue qui
conduit à Puys, aujourd'hui rue Cité de Limes, et qu'on appelait, dès 1286, le Chemin du roy ; queminum régis apitd Puteum. La chaussée, le chemin du roi, sont en effet les noms qu'on donnait anciennement aux voies romaines. La nature du pavage de cette voie, en chaux et silex à veines rouges, démontre suffisamment son origine.
  Cette voie antique existe encore en grande partie aujourd'hui. C'est le chemin qui traverse tous les villages situés sur le bord de la mer, de Dieppe au Tréport, et, d'après l'opinion de M. Féret, les statues de la Vierge comme les nombreux calvaires échelonnés sur cette route, à des distances égales, ont dû remplacer dans les premiers temps du Christianisme les dieux Termes des Romains.
  A partir d'Eu, la route était semée d'églises et de châteaux-forts, aujourd'hui disparus ou en ruines.
  Nous les signalerons successivement au passage, dans cette première étape vers Rouen.

ÉTALONDES. — L'escorte anglaise devait rencontrer d'abord Étalondes (demeure du bois), dont le sol recèle de nombreux débris du temps des Romains, et dont l'église remontait au XIIe siècle.
  L'abbé d'Eu en était le patron. Ce monument conserve quelques parties contemporaines de sa fondation et, par conséquent, nous parle encore de ces temps reculés.

FLOCQUES. — De l'autre côté, à droite, apparaissait le village de Flocques, avec son église bâtie au XIIIe siècle, et qui a gardé sa nef du temps.
  La Pucelle traversait une région dont la fidélité à la cause française s'était affirmée, pour ainsi dire, dans chaque bourgade et dans chaque manoir.
  Les seigneurs de Flocques se distinguèrent particulièrement pendant la guerre de Cent-Ans.
  C'est de ce village qu'était originaire Robert de Flocques, que les chroniqueurs appellent Flocquet, et qui rendit tant de services à la cause nationale. Ce fut lui qui délivra la ville d'Evreux du joug des Anglais et la rendit à Charles VII (1), vers le mois d'octobre 1441. Son nom est associé à toutes les expéditions qui signalèrent la reprise de la Normandie. « Par ses luttes, son loyal dévouement, son courage digne des temps antiques, il est assurément l'une des plus grandes figures de notre histoire normande (2). » Au XVe siècle, Berry le citait avec éloge parmi ceux qui, pendant la campagne (1449-1450) « grandement et honorablement s'y sont gouvernés avec de grands travaux, dangers et périls de leurs corps. »
  La pierre tombale de cet illustre seigneur normand est conservée dans l'église Sainte-Croix de Bernay (Eure). Elle provenait de l'abbaye du Bec. Cette dalle tumulaire, très richement décorée, représente l'ancien bailli d'Evreux en costume de guerre (3).

CRIEL. — Après le modeste village de Flocques, l'escorte anglaise devait apercevoir bientôt la lointaine et imposante perspective des falaises de Criel (4). De ce côté, la Pucelle pouvait embrasser un vaste horizon , malgré les nuées orageuses et la bise glaciale qui, peut-être, soufflait sur le littoral, en cette fin de décembre.
  Criel est la dernière station de cette antique vallée de l'Yères toute remplie de monuments primitifs et aujourd'hui encore pleine de ruines.
  C'était là, en vue de la mer, qu'avaient été bâties jadis les églises Saint-Valery-du-Mont-Aqueux et Saint-Thomas-de-Cantorbéry, disparues depuis longtemps. Près de la côte d'Assigny, on trouvait alors une maladrerie dont l'édifice n'existe plus depuis un siècle.
  L'église actuelle n'est plus entièrement celle de 1430. C'est un assez beau monument à trois nefs avec transepts, construit en grande partie au XVIe siècle, avec une tour carrée en pierre sur les transepts. Néanmoins, le transept nord et le grand portail qui appartiennent au XIVe siècle (5), présentent un réel intérêt architectural.
  La masse de l'édifice qui se présente au premier plan, lorsqu'on arrive, est d'un assez grand effet.
  Au bas de la côte, les yeux plongent sur une vieille enceinte carrée, à peine visible aujourd'hui, mais qui était encore remplie, il y a quelques années, de maçonneries et de robustes murailles.
  C'est l'emplacement du vieux château de Criel, dépendant de la baronnie du Baile, assis dans la vallée, et dont l'Yères remplissait autrefois les douves féodales.
L'abbé Cochet a visité ces ruines lorsqu'elles avaient encore quelque grandeur. « A l'angle était suspendu naguères un noyau de tour miné par le bas, se renflant vers le milieu, et présentant une cime aiguë dans la forme d'un nuage. Une ligne de digues verdoyantes encadrait cette forteresse. »
  Hélas ! presque tout a disparu dans ces derniers temps. Chaque année on a démoli les murs et comblé les fossés.
Il subsiste encore cependant deux pans de murailles. Ce sont les murs latéraux de la porte d'entrée qui sont debout au milieu de la prairie et dans un isolement complet.
  Tout près de là se trouvait une église paroissiale qui devint ensuite une simple chapelle connue sous le nom de Saint-Léonard-du-Baile. Ses débris ont servi à ferrer la route et à paver les chemins.
  Des fouilles entreprises dans la première moitié du siècle, sur l'emplacement du château, ont amené la découverte de carreaux émaillés qu'on employait dans les constructions du moyen âge. Ces carreaux sont vernis et couverts d'armoiries. On a mis à nu également de longues murailles qui portèrent de hauts bâtiments et qui, rasées à un mètre du sol, ne présentent maintenant que des ruines et des épines. On a reconnu aussi la place de la chapelle avec ses bases de colonnes de grès et une charmante cheminée féodale qui rappelle l'antique splendeur de ces lieux jadis si animés et maintenant ensevelis dans le silence et l'oubli (6).

TOCQUEVILLE-SUR-EU. - A Criel, on passe l'Yères, puis, en sortant d'un vallon sec et dépouillé par les eaux pluviales, on gravit la hauteur et l'on se trouve bientôt auprès de l'église de Tocqueville qui était voisine d'un vieux château dont les murs ont disparu et dont l'existence n'est révélée que par les restes informes d'une motte qui cache les derniers vestiges des maçonneries.
  C'est près de ce tertre, jadis couronné de remparts et aujourd'hui couvert de broussailles, et sur l'emplacement de la forteresse, qu'on a élevé la mairie et l'école. C'est bien là la transformation de nos institutions locales : Après le seigneur, la commune. Le Secrétariat a pris la place du chantier, et l'école paisible a remplacé le fort ou la prison militaire (7).
Seule de ces témoins du passé, l'église est restée debout au milieu du village.
  Cette église possède deux très belles stalles anciennes qui ont été apportées de l'abbaye du Tréport en 1791.
  Elles doivent appartenir au XVe siècle et rappellent les curieuses « chaires » de la cathédrale de Rouen.
La première représente un villageois qui brûle un porc en présence de sa femme. L'autre figure un gentilhomme qui chasse, le faucon au poing.
  Tocqueville ne nous offre que bien peu de témoins de cette partie du XVe siècle, dont nous recherchons les moindres souvenirs.
  Passons donc, et suivons par la pensée les cavaliers anglais qui entraînent l'illustre prisonnière à travers tous ces villages normands.

BIVILLE-SUR-MER. — A leur suite, nous arrivons à Biville, où l'on retrouve encore la trace de l'ancienne voie romaine de Lillebonne à Boulogne, et d'où l'on aperçoit, émergeant d'un bouquet d'arbres, le gracieux clocher de l'église de Penly.
  C'est entre Penly et Tocqueville que se trouvait le Val des Comtes, limite seigneuriale des comtés d'Eu et d'Arques, des pays d'Ou et de Talou. La Pucelle entrait dans un nouveau pays dont les nombreuses artères devaient aboutir bientôt à la sombre forteresse d'Arques, refuge imprenable des Anglais.
  Biville était appelé, dans les archives de l'archevêché de Rouen, Saint-Remi et Saint-Jean de Biville. L'abbé d'Eu étendait jusque-là son autorité et son patronage, et les dîmes de la paroisse appartenaient, dès le xne siècle, à son abbaye.
  La tradition veut que le village ait été déplacé (8). On rencontre, en effet, dans les champs labourés dits l'ieux Biville, du côté de la mer, plus près de la falaise, une foule de décombres, de substructions, de tuiles et même de caves maçonnées. Toutefois, l'église avait été reportée, dès le XIIIe siècle, à l'endroit où nous la voyons aujourd'hui. C'était donc dans son voisinage que se trouvaient les métairies du village à l'époque où Jeanne d'Arc traversa cette contrée. Il ne reste de ce temps que la nef supportée par de gros piliers cylindriques.
Cette église a été plusieurs fois remaniée depuis. D'un côté, l'édifice se mire coquettement dans une vaste pièce d'eau située au centre du village. De l'autre, l'abside, sur laquelle se détachent les vieux ifs du cimetière, présente un certain caractère de richesse architecturale.
  Mais déjà nous sommes tout près du village de Saint-Martin-en-Campagne, auquel on arrive, en ligne directe, en laissant à droite le pittoresque village de Penly.

SAINT-MARTIN-EN-CAMPAGNE. — Là se retrouvent en abondance des débris romains, notamment au hameau de Vassonville et au Bout-de-la-Ville. L'église dédiée à saint Martin garde encore des restes du XIIIe siècle. Des traces de sculptures antiques se rencontrent au côté septentrional de la nef qui présente quelques caractères de la transition du XIIe siècle. Le surplus de l'édifice appartient au XIVe siècle.
  Il existait jadis une chapelle, dite des Avoines ou des Champs-parts, unie à l'église en 1824, et dont la dernière trace se retrouve dans la Voie dit val de la chapelle.
  Entre Derchigny et Saint-Martin s'élevait aussi, lors du passage de la Pucelle, une maladrerie de Sainte-Cathald, disparue depuis plus d'un siècle. C'était là qu'étaient placés et secourus les pauvres ladres et mézeaux qui étaient très nombreux depuis les guerres de Terre-Sainte et le retour des Croisés. Des fouilles exécutées sur l'emplacement de cette maladrerie en 1842 ont amené la découverte de squelettes, de monnaies et de vases du moyen âge. L'église est remplie de sépultures, dont la plus remarquable est celle du baron de Caletot.
Là, en effet, régnaient alors les barons de Caletot, châtelains de Berneval et patrons de l'église (9). Leur vaillance et les infortunes de l'un d'eux, Robert de Caletot, ont laissé-dans la contrée des souvenirs vivaces, et ont donné naissance à des traditions qui ont été recueillies et narrées avec un grand charme par le savant abbé Cochet, poète et fin littérateur autant qu'illustre archéologue (10).
  On raconte encore aujourd'hui comment, à l'époque où les Anglais ravageaient le royaume de France, des bandits s'embusquèrent dans les bois voisins du château, et, profitant de ce que le pont-levis avait été abaissé par trahison, y pénétrèrent et mirent tout à feu et à sang en égorgeant l'infortuné châtelain.
Ces traditions, dont quelques-unes côtoient la légende, transmises dans les veillées d'hiver par les laboureurs et pêcheurs du littoral normand, sont, — avec quelques ruines et les pierres tombales de nos églises, — les seuls souvenirs vivants de cette funeste guerre de Cent-Ans qui réduisit le pays de Caux à la plus affreuse misère et en fit un véritable désert !
  En effet, nous chercherons en vain plus loin, en nous dirigeant sur Berneval, les restes de ce manoir féodal dont parlent d'anciennes chartes et qui a disparu depuis longtemps. Il était situé au lieu dit les Quarante-Acres, entre Saint-Martin et Berneval. Le laboureur en trouve encore parfois des débris dans les champs (11).

BERNEVAL. — Berneval, que l'escorte anglaise dut traverser ensuite, avait été, au VIe siècle, le lieu le plus important de la côte. C'était le port du pays de Talon, qui s'étendait de la Scie à l'Yères et qui avait de superbes pêcheries. Ce pays avait été évangélisé par saint Victrice et saint Valéry.
  Confisqué par les pirates, Berneval avait été rendu par Rollon le jour de son baptême. Usurpé de nouveau au Xe siècle, il fut restitué par Richard Ier à l'abbaye de Saint-Denis, qui conserva l'église jusqu'en 1790. Ce pays avait beaucoup souffert depuis l'invasion anglaise. Colart de Berneval, « rebelle et désobéissant, » avait été dépossédé par les vainqueurs. Un favori, Guibert de Umfraville, « amé et féal chevalier » du roi Henri V, avait obtenu décharge des rentes qui grevaient la terre de Berneval et autres domaines, « attendu que icelles seigneuries, manoirs et terres sont à present de petite valour pour occasion des guerres et mortalites qui ont esté au païs, en son tres-grant dommage, etc. (12) ».
  En 1465, le village ne comptait plus que vingt familles au lieu de cent ménages qui l'habitaient au XIIIe siècle.  Nouveau témoignage irrécusable des maux que les Anglais avaient accumulés dans notre malheureux pays !
  Arrêtons-nous quelques instants devant l'église, histoire vivante du village, dit l'abbé Lecomte, enfant du pays et auteur d'une notice historique sur Berneval. Elle était là, cette vieille église, lors du passage de la Pucelle, élevant sous le ciel brumeux de décembre sa lourde et triste masse de bizets, battue par les vents de mer. Son clocher, tour carrée à la teinte sombre et grise, est du XIIIe siècle, « mais du plus rude qu'on puisse voir. » Il n'est pas placé entre chœur et nef comme c'est la coutume. Il se termine en bâtière, comme dans les diocèses de Bayeux et de Coutances, et contrairement à l'usage normand.
  Berneval, on l'a vu, était resté fidèle à la cause française. Il peut encore invoquer d'autres illustrations. C'est de son port, en effet, que serait parti, en 1402, Bertin de Berneval, qui suivit Jean de Béthencourt à la conquête des Canaries (13). Saluons au passage la mémoire de cet autre patriote qui avait porté au loin cette bannière de France que Jeanne d'Arc devait replanter victorieusement sur les murs des cités françaises usurpées par les Anglais, et dirigeons-nous maintenant à la suite de notre héroïne, vers Belleville-sur-Mer et Bracquemont, dernières stations entre Eu et Dieppe.

BELLEVILLE-SUR-MER. — Désormais, la Pucelle, qui côtoie la limite extrême de la terre normande, ne perdra plus de vue l'immensité de la mer ni la ligne des falaises grises qui s'échelonnent jusqu'à Dieppe et au-delà.
  A Belleville, village maritime alors important (14), elle se signera pieusement, suivant sa coutume, devant l'église du XIIIe siècle, dédiée à Notre-Dame, église que le prieuré d'Envermeu avait d'abord possédée et qui ensuite était passée à l'abbaye du Bec.
  A peine l'escorte anglaise aura-t-elle perdu de vue le vieux clocher de Belleville, qu'elle entrera sur le territoire de Bracquemont, qui possédait aussi son port très fréquenté au moyen âge, et son château fortifié dont les seigneurs avaient été expulsés par les Anglais. C'étaient de rudes guerriers et de vaillants patriotes que ces sires de Bracquemont, dont l'un, Robert, avait été placé, en 1415, avec le bâtard de Bourbon, à la tète de l'armée de mer, levée pour défendre Harfleur, et dont l'autre, Guillaume, avait défendu cette ville jusqu'à la dernière extrémité, et avait été fait prisonnier après avoir porté « moult grand dommage aux Anglais. »
  Après Rouen, la ville de Dieppe s'était rendue, le 8 février 1419, et tout le pays avait été soumis. Les sires de Bracquemont (15), restés fidèles à la France, avaient été dépouillés par Henri V de leurs domaines qui furent donnés à Philippe Lèche, Jean Selby, Robert Barbey et au trop célèbre Raol Buttillier qui, devenu bailli de Rouen, en 1431, devait faire monter l'infortunée Pucelle sur le bûcher. Robert de Bracquemont perdit son titre d'amiral et se retira dans l'Espagne, qui devint sa seconde patrie.
  Le château de Bracquemont, qui paraît avoir été démoli par les Anglais, avait été bâti au XIe ou au XIIe siècle. C'était l'un des mieux fortifiés du pays. Il était comparable à ceux de Hautot-sur-Mer, de Longueil, de Guilmécourt et de Berneval. Ses ruines, qui subsistent encore, pour partie, dans la propriété de feu M. Gaillon, se composent de fondations qui se continuent parallèlement dans les jardins et dans la cour d'entrée jusqu'à un vieux pan de mur en caillou et béton, haut de cinq ou six mètres. Le ciment de ces constructions, tout à fait semblable à celui d'Arques, est mélangé de sable de mer et de gravier. Au centre de ces maçonneries, est percée une cave que la tradition fait remonter au moyen âge.
  La façade principale du château était tournée vers l'Ouest, et, des étages supérieurs, on devait embrasser, dans un magnifique panorama, la mer, le camp de César, l'embouchure de la Dieppe, ainsi que tous les villages semés le long du littoral (16).
  Le propriétaire de ces ruines, pour rappeler le souvenir de cette antique forteresse, a fait placer, en 1894, sur le vieux pan de mur qui subsiste encore, une plaque commémorative qui porte l'écusson des anciens seigneurs de Bracquemont (de sable au chevron d'argent), avec l'inscription suivante :
  « Ruines du Chateau-fort (XIIe siècle) où naquirent Guillaume de Bracquemont, chevalier, chambellan du duc d'Orléans, et son frère, Robert de Bracquemont, amiral de France et d'Espagne (XVe siècle). — Un jardin anglais, nouvellement tracé, semble rajeunir ce vieux souvenir du passé, et les nombreux touristes qui traversent le village dans la belle saison, le contemplent à plaisir. »
  Le modeste et consciencieux historien de Bracquemont n'a pas manqué de signaler le passage de Jeanne d'Arc dans cette commune, en 1430. Au récit de la mission et des exploits de Jeanne, dit-il, « l'âme de nos paysans s'exaltait; on priait pour la Pucelle d'Orléans, on la suivait de loin. Que de lois leur cœur dut tressaillir en apprenant la nouvelle de ses victoires, mais aussi que de larmes et de douleurs au bruit de sa captivité à Compiègne; surtout lorsqu'ils virent passer à travers les rues du village le triste convoi d'Anglais escortant la vierge guerrière pour la conduire d'Eu à Dieppe et de la à Rouen (17) ! »
  Le pays que traversait ainsi la Pucelle était la propriété de ce Chapitre de Rouen, dont la plupart des membres devaient être bientôt ses juges. Les chanoines de Rouen étaient, en effet, seigneurs spirituels et temporels, barons et haut justiciers de Bracquemont, et ils exerçaient ces droits dès le XIIIe siècle, nonobstant les seigneurs du lieu. Ils conservèrent jusqu'à la Révolution les trois prébendes qu'ils y possédaient. Ils avaient su se faire exonérer des charges pouvant leur incomber, notamment du guet au château d'Arques et autres services, ainsi que l'attestent plusieurs chartes de 1400 à 1494, dont l'une porte le sceau de Clément Bourse, lieutenant de Jean de Montgommery, bailli de Caux pour les Anglais (18).
  Mais il est temps que l'escorte anglaise, après la longue étape qu'elle parcourt depuis Eu, cherche un gîte pour la nuit et une prison sûre pour la captive. Elle n'a plus qu'à traverser la cité de Limes pour se rendre à Dieppe, à moins que, chose possible, elle n'oblique sur la gauche pour se rendre directement au château d'Arques, le rempart le plus puissant des Anglais, de ce côté de la mer.
  Si elle continue sa route en ligne droite, elle suivra le chemin des fées, à travers l'antique enceinte gallo-romaine où les fées, disait le bon peuple, venaient à la pleine lune de septembre, chaque année, ouvrir à Limes une foire brillante, et où elles avaient construit en une nuit, pour y accéder, une voie qui porte leur nom (19).
  De là, elle descendra vers Puys, petit hameau situé au fond d'une gorge sauvage, sur le bord de la mer; et en quelques instants elle atteindra la ville de Dieppe.

Chap. IV


          § I. — Dieppe.

e Puys, l'antique voie remontait sur la falaise d'où l'on apercevait presque aussitôt Dieppe, la ville aux hardis navigateurs, doublés de bons patriotes dévoués à la cause de France, qui était celle de la Pucelle.
Quelles pensées agitaient Jeanne, du haut de cette falaise battue par la bise glaciale de décembre ? M. l'abbé Sauvage, qui a disserté éloquemment sur son passage à Dieppe, s'exprime ainsi : « Qui nous dira les impressions de Jeanne lorsque, du haut de nos blanches falaises, elle aperçut l'immensité de l'Océan, dont les horizons embrumés par les froids brouillards de décembre le confondaient avec le ciel dans un infini attristé ? Voici donc la limite extrême de cette douce terre de France dont elle devait bouter hors les Anglais ! Ses yeux en ont vu la frontière : elle n'a donc point été trompée par ses célestes messagères, car, s'il est encore là, l'étranger, commandant en maître, à son attitude inquiète on voit assez qu'il n'a plus foi en sa force et en sa puissance. Il sent que sa domination chancelle et qu'elle est trappée à mort (1). »
  Cet écrivain ne se borne pas à émettre des impressions, il s'efforce de justifier ainsi son opinion. « Il est à peu près certain que Jeanne d'Arc séjourna à Eu. Le passage de l'infortunée guerrière à Dieppe en est le corollaire et la conséquence naturelle... Dieppe était alors la seule route d'Eu à Rouen, qui fût un peu plus sûre pour les Anglais, puisque leurs adversaires, rentrés en Picardie, sous la conduite de la Pucelle, étaient presque partout maîtres de la campagne. Jeanne étant arrivée à Rouen avant le 28 décembre, ce serait à peu près vers le temps de Noël qu'il faudrait reporter son passage dans la ville de Dieppe (2
). »
  Nous admettons ces raisons en ce qui concerne l'itinéraire que nous venons de suivre d'Eu à Dieppe; mais elles ne démontrent pas que Jeanne d'Arc ait effectivement séjourné
dans cette dernière ville. On peut se demander si les Anglais ne devaient pas hésiter à confier leur précieux dépôt aux habitants d'une cité dont ils étaient alors peu sûrs et qui supportait déjà si impatiemment leur joug. Nos doutes sont d'autant plus autorisés, qu'ils n'auraient pu déposer la Pucelle qu'à la geôle de la ville, prison insuffisante et alors en ruines, et qu'ils avaient, au contraire, aux portes de Dieppe, la formidable citadelle d'Arques où ils tenaient garnison.
  Mais qu'importe ? Que Jeanne d'Arc ait séjourné à Dieppe; qu'elle ait seulement traversé cette ville, ou même qu'elle ait été conduite directement à Arques par un des nombreux chemins arquois qui tendaient au château, le souvenir de la noble héroïne n'en doit pas moins être considéré comme lié à cette ville normande, si fidèle à la cause nationale, et aux luttes glorieuses que les Dieppois du XVe siècle soutinrent alors contre les Anglais.
  Voyons donc quelle situation avait été faite à ces vaillants patriotes pendant l'occupation anglaise, et quel aspect présentait la ville en 1430, lorsque Jeanne arriva sous ses murs.

          § II. — Les Dieppois et le pays de Caax sous la domination anglaise.

  La ville de Dieppe, qui était si florissante encore au temps de Charles VI, et dont les marins s'étaient illustrés sur toutes les mers, était tombée dans un état presque misérable sous la domination anglaise. Ses habitants avaient été ruinés à force de tailles et d'impôts.
  Les Dieppois s'étaient vaillamment défendus et devaient subir moins longtemps que les habitants des autres villes de Normandie le joug du vainqueur.
Nous avons déjà vu qu'en 1412 une flotte anglaise avait débarqué plusieurs milliers de combattants, mais les bourgeois, privés des secours qu'ils avaient en vain sollicités de Charles VI, alors en démence, s'étaient armés et étaient parvenus, à l'aide des campagnes soulevées, à mettre les Anglais en fuite. Le chroniqueur dieppois, Asseline, s'exprime en ces termes : « Dieppe, que les Anglois avoient assiégé, les repoussa bravement ; et les nobles et les peuples du pays, assemblez sur le rivage de la mer, combattirent avec tant d'ardeur et de courage, que les Anglais furent défaits et contraints de regagner le haut, leur capitaine ayant perdu la vie à cette occasion (3). »
  Mais six ans après ce triomphe, la lutte était devenue impossible. La désastreuse bataille d'Azincourt avait été perdue à trente lieues de Dieppe. Nombre de chevaliers normands, dont le seigneur de Longueil, Jean Martel de Bacqueville, les sires de la Heuze, de Bellencombre, etc., y avaient trouvé la mort. D'autres avaient été faits prisonniers. Il y avait eu quelques défections, mais la plupart étaient restés fidèles au roi de France, car, d'après Monstrelet, « peu fut sçeu pour le temps (on n'entendit guère dire alors) que nulz seigneurs ne autres nobles hommes se meissent ou tournassent du parti desditz Anglois. » La ville de Rouen était ensuite tombée au pouvoir des Anglais qui s'étaient déjà emparés du château de Bacqueville (4). Talbot et Warwick avaient occupé le château d'Arques et les autres forteresses du pays, Lammerville, Brachy, Longueil, Hautot, Torcy, Bures, Bellencombre, Auffay, qui formaient une ligne de défense formidable (5).
  Dieppe n'avait pu résister plus longtemps et, au mois de février 1419, les compagnies anglaises en avaient pris possession. Les vainqueurs avaient commencé par confirmer les privilèges de la ville, mais bientôt la verge de fer s'était fait sentir : les bourgeois avaient été contraints de faire la garde et le guet, puis de payer des impôts énormes (6).
  Les Anglais en étaient venus à cette folie d'enlever, dans presque tout le pays de Caux, les enfants à leurs parents pour les envoyer en Angleterre sucer, disaient-ils, avec le lait, l'amour de leur souverain : « pour ce que les Anglois prenoient et menoient tous les enfans masles qu'ilz povoient embler en Angleterre (7). »
  La population, d'abord fidèle aux envahisseurs et récompensée par Henri V (1420) (8), puis écrasée de charges, avait dû tressaillir en apprenant les échecs que les Anglais avaient subis depuis l'apparition de la Pucelle. Lorsque cette dernière arriva dans la contrée, les Dieppois et les Cauchois étaient déjà mûrs pour la révolte. Jeanne ne se doutait pas, sans doute, que sur cette falaise du Follet, qui dominait la ville, ses ennemis acharnés et leur plus illustre chef, Jean Talbot, subiraient, à quelques années de là, une mémorable défaite qui précipiterait leur expulsion définitive de la Normandie.
  Dès 1435, en effet, les Dieppois devaient secouer le joug. La ville était peu fortement gardée : « en la ville n'avoit que poy d'Anglois (9). » Leurs exactions en fournirent l'occasion. C'est ce que rapporte le même chroniqueur : « Aucuns Anglois prindrent furtivement aucuns jeunes enfans à Dieppe et furent suiviz par aucuns jeunes hommes de la ville, qu'ilz battirent très fort les Anglois et s'en retournèrent en franchise à Sainct-Jacques de Dieppe. Et l'un d'iceux alla à Rambures qui estoit françois. Et là estoit Charles Desmaretz qui avoit esté à Dieppe et cognut la rivière et que de basse-eau on pouvoit passer la rivière. »
  D'après Berri, « le maréchal de Rais et Charles des Marets partirent la nuit du port du Havre, navibus ex Havra (10), seu partit gracie profecti sunt, et se rendirent devant Dieppe deux heures avant le jour. Ils mirent pied à terre et entrèrent si doucement dans la ville, que, sans tumulte et sans beaucoup de tuerie, ils s'en emparèrent et y trouvèrent beaucoup de richesses. Cette perte déplut fort aux Anglais : c'était leur meilleure retraite et le lieu où ils s'embarquaient ordinairement pour passer en Angleterre. »
  Rendue aux Français, la ville de Dieppe devint le rendez-vous de tous les Cauchois qui voulaient chasser l'étranger et que nous verrons plus tard, sous la conduite du vaillant Le Carnier, reprendre toutes les places fortes du pays de Caux, excepté Arques et Cau-debec ; « tant que l'on disoit qu'il n'y avait bonne ville, chasteau et forteresse de Caux, excepté Arques et Caudebec, qui ne tussent eu l'obéissance du roy. »
  On se plaît à penser que l'empressement des Dieppois et des Cauchois à secouer la tyrannie des Anglais leur avait été inspiré par les exploits retentissants de l'héroïne qui avait relevé partout les courages abattus et affirmé la libération du territoire avec une confiance qu'elle avait fait partager à tous.
  Si la Pucelle arrivait trop tôt, en décembre 1430, pour assister à cette brillante revanche des Cauchois, et si elle vit partout encore les milices anglaises, nul doute qu'elle n'ait été accueillie avec une douloureuse sympathie par nos compatriotes opprimés. Qui sait si son passage parmi eux ne précipita pas le mouvement de révolte générale qui devait aboutir à la reprise du pays soulevé contre les envahisseurs ?

          § III. — Dieppe au moyen âge.

  A l'époque où Jeanne d'Arc chevauchait sur les falaises normandes, en vue de Dieppe, cette ville présentait l'aspect sévère des places fortifiées du moyen âge.
Quoi qu'il n'existe aucun plan original de la vieille cité maritime, remontant à ces temps reculés, il n'est pas impossible de se faire une idée exacte de l'aspect qu'elle présentait en 1430. Le plan linéaire de Dieppe au XIV° siècle, reconstitué par Me Guillaume Tieullier, d'après le Coutumier ou Cueilloir recueilli par Messire Guillaume, archevêque de Rouen (11), fournit de précieuses indications qui, rapprochées des plans originaux des XVI° et XVII° siècles (12), nous permettent de faire revivre le vieux Dieppe.
  A cette époque, le port ou hâble avait son entrée entre la Tour aux crabes et la falaise du Pollet, là où se trouve aujourd'hui le débarcadère des paquebots de Newhaven (13).
  La mer montait très loin dans la vallée, jusqu'aux ports d'Archelles et de Machonville, près Arques, dont parlent de très anciennes chartes. La ville flottait alors comme une île au milieu des eaux (14). Le Pollet était divisé en deux parties, l'une appelée le Pollet de Dieppe, l'autre le Pollet d'oultre-l'eau.
  Les archevêques de Rouen avaient à Dieppe droit de haute et de basse justice. Ils percevaient des droits de toute nature, droits de quayage, coutumes du fonier, du poisson, etc. Ils possédaient de temps immémorial deux moulins que l'on faisait tourner en retenant, dans certains lieux, par des banques, « l'eaue qui vient de la mer quand flo monte. »
  Le Pollet d'oultre-l'eau (Pollet actuel) n'était pas alors réuni à la ville par le pont fortifié que représente la vue de Dieppe, gravée par Mérian, au XVIIe siècle, vue qui donne l'aspect du vieux Dieppe, du côté de l'arrivée par la falaise du Pollet ou par Neuville. Les voitures passaient à gué la rue des Wés, aujourd'hui rue d'Ecosse (15). Le seul moyen de traverser le port était un bateau passeur, placé en face du collège actuel, et qui souvent, à marée basse, ne pouvait passer.
  Dès 1363, de graves inconvénients résultaient de l'absence de quais, et plusieurs maisons étaient tombées « par deffault desdits quays. » Ce fut seulement en 1511 qu'on posa la première pierre du pont, dont les six arches reposaient sur de gros piliers dont la construction, dans ce terrain vaseux, occasionna de longs et coûteux travaux. On fortifia ensuite les deux têtes du pont, surtout du côté de la ville. En 1591, on établit, du côté du Pollet, un grand ravelin fortifié qui est figuré sur les plans du XVIIe siècle (16), et qui fut démoli en 1689 pour pratiquer un passage en droite ligne du pont à la grande rue du Pollet (17).
  La ville était entourée de fortes murailles, percées de plusieurs portes, dont la porte de la Barre, située en face de la route de Rouen, et celle du port de l'Ouest qui, refaite au XVIe siècle, est aujourd'hui le dernier vestige de l'ancienne enceinte du côté de la mer.

   

  Cette enceinte murale est assez exactement reproduite dans le plus ancien plan de Dieppe, qui a pour titre : le Pourtraict de la ville de Dieppe, et qu'on trouve dans la curieuse cosmographie dite de Munster, augmentée par François de Belleforest (18). Cette vue de Dieppe, naïve et rudimentaire, est assurément fort imparfaite dans l'exécution des détails et surtout dans le dessin des monuments, mais la physionomie générale parait assez exacte dans l'ensemble, au point de vue topographique. Pour être reporté au temps de Jeanne d'Arc, il faut notamment retrancher de ce plan le vieux-château, qui n'existait pas en 1430, et dont les tours principales ne furent construites sur la falaise qu'en 1435, par le capitaine Desmarets dont nous avons parlé plus haut. Mais, non loin de l'emplacement où s'élève cette forteresse, on voyait alors l'église Saint-Remi, la plus ancienne de Dieppe « ecclesiam supra mare sitam. » Sa tour du XIVe siècle, bâtie en manière de forteresse, plutôt que d'église, fut conservée et reliée aux autres ouvrages du château. On la reconnaît encore aujourd'hui à son architecture sévère et à ses ogives aveugles qui accusent sa première destination. Elle apparaît nettement dans l'extrait du plan très rare d'Israël Sylvestre, que nous joignons à ces notes d'archéologie dieppoise, et qui reproduit l'enceinte murale du côté du midi, ainsi que la porte de la Barre où aboutissait l'ancienne route de Rouen.

 

  C'est par cette porte de la Barre que la Pucelle a dû sortir de Dieppe, si elle y a séjourné comme on l'a écrit sans aucune preuve, ou si elle a seulement traversé la ville : quant à nous, nous pensons que si Dieppe figure dans l'itinéraire sommaire de la Pucelle, dressé par nombre d'écrivains, ce n'est là qu'une indication générale de sa marche vers Rouen. Nous estimons qu'elle dut être conduite au château d'Arques, dont les ruines imposantes se voient encore à une lieue de la ville (19).

 
 

Chap. V : La Pucelle et le château d'Arques


es Anglais avaient de puissantes raisons pour ne pas livrer au hasard d'une sédition populaire ou d'un coup de main celle qu'ils venaient d'acheter si cher aux Bourguignons, et qu'ils avaient déjà décidé de conduire, avec une apparence de légalité, au bûcher de Rouen. Il semblait que leur retour à meilleure fortune dépendit désormais du supplice auquel elle se trouvait virtuellement condamnée.
  Ils avaient pu occuper Dieppe, mais la fidélité des habitants leur était ensuite devenue suspecte, et ils devaient déjà appréhender la révolte qui éclata un peu plus tard. D'un autre côté, bien qu'ils attachassent beaucoup d'importance à rester maîtres de cette ville, il n'apparaît pas qu'ils y eussent placé une garnison de quelque importance (1). La geôle même tombait en ruines, dès 1429 (2).
  Au contraire, ils possédaient aux portes de la ville une citadelle imprenable, où ils avaient concentré leurs forces et accumulé leurs moyens de défense. C'est de ce côté qu'aboutissaient les chemins des environs, ce qui atteste l'importance de cette place au moyen-âge (3).

  

  Le château d'Arques était en réalité le boulevard du Nord, la place forte par excellence, ayant gouverneur et garnison militaire. Les Anglais déléguaient à ce poste leurs plus vaillants et plus renommés capitaines, comme ce Raoul Bouteiller, qu'ils firent bailli de Rouen pendant le procès de la Pucelle. C'est là que s'arrêtaient le roi ou les chefs d'expédition lorsqu'ils étaient appelés de ce côté. Ce fut à Arques que le jeune Henri VI séjourna en 1435, lorsqu'il vint féliciter le capitaine dont la fidélité lui avait conservé cette importante forteresse au milieu du soulèvement des populations cauchoises. Ce fut dans le donjon, en la chambre du roy, qu'il scella la charte qu'il délivra en faveur de l'archevêque de Rouen (4).
  Il faut remarquer, en outre, que depuis qu'elle avait été prise à Compiègne, Jeanne d'Arc, dans ses différentes étapes, à Beaulieu, à Beaurevoir (5), au Crotoy, à Drugy 0u à Eu, n'avait séjourné que dans des châteaux fortifiés. Ses récentes tentatives d'évasion et les projets qu'elle manifestait hardiment n'étaient pas faits pour endormir la vigilance de ses gardes. Il semble donc que le château d'Arques dut recevoir l'illustre prisonnière, qui devait être à l'abri de toute entreprise derrière ses puissantes murailles.
  Cette opinion paraît encore plus fondée quand on se rappelle les précautions rigoureuses que les Anglais prirent, dès son arrivée au château de Rouen, en ce qui concerne sa prison, et le soin qu'ils eurent de la mettre aux fers, dans une tour, sous leur propre surveillance, au lieu de la déposer aux prisons ecclésiastiques, auxquelles elle appartenait de droit, puisque c'était un procès de foi qu'on devait instruire contre elle !
  Suivons donc l'infortunée Pucelle dans cette nouvelle étape qui la rapprochait du supplice final.
  Aussi bien, c'était tout près de Dieppe, et en vue de la mer, que se dressait le vieux castel normand, bâti au XI° siècle par Guillaume d'Arques (6) sur une langue de terre escarpée, ramification du grand plateau central du pays de Caux.
  Occupé en 1418 par Talbot et Warwick, il devait rester au pouvoir des Anglais jusqu'en 1449, après la capitulation de Rouen (7).
  Henri V y avait placé comme capitaine Philippe Lèche, qui avait reçu sa commission le 12 février 1420, au château de Rouen. Des cédules de garantie avaient été accordées à divers chevaliers français qui se trouvaient dans la place, et dont les noms suivent : Raoul Selles, Raoul de Dampierre, Jean Lefevre, Guillaume Duplessis, Raoul de Belleville et Jean Langlois.
  Dès juillet 1420, Philippe Lèche avait été remplacé par Jean de Basquerville ou Baskerville, qui avait pris pour lieutenant Pierre de Lee, avec dix lances et trente archers. Le nouveau capitaine avait reçu l'ordre de ne pas permettre aux soldats de la garnison de résider hors du château. On lui enjoignit ensuite, sous peine d'incarcération, d'en expulser tout homme lige de l'armée du roi, de quelque grade ou condition qu'il fût, à moins d'être spécialement attaché à la garde de la forteresse (8).
  Trois ans après, Jean de Basquerville avait été remplacé par Raoul Bouteiller, chevalier, banneret, conseiller et premier chambellan du duc de Bedford, sire de Sudeley, et bailli de Rouen en 1431. Le nouveau capitaine recevait tous les trois mois dix-huit livres, ou valeur équivalente en monnaie de France, pour ses gages, qui avaient été doublés par Henri VI. Il distribuait à la garnison du château pour la composition ou paie des guets, quatre cents et quelques livres par an.
  Cette garnison, relativement peu importante en 1420, avait été successivement renforcée par les Anglais jusqu'en 1431. Le parti de Charles VII commençait à relever la bannière française en Normandie. Ambroise de Loré, l'un de ces chevaliers valeureux et subtils en guerre, comme dit Jean Charrier, avait poussé l'audace jusqu'à tenter un coup de main sur Rouen. Les Anglais avaient pris l'alarme. Dès le mois de juin 1429, ils avaient expédié au capitaine d'Arques l'ordre de se tenir sur ses gardes et d'augmenter sa garnison de « une lance à cheval et vingt archiers à pié oultre et pardessus la retenue et garnison ordinaire dudit lieu d'Arques, pour illec servir et enforcir ladite place durant un mois aux gaiges et regards acoustumés (9). »
  Cette augmentation n'avait pas paru suffisante : car, d'après une quittance de Gervais Clypton, lieutenant de Raoul Bouteiller, on comptait, quelques mois après, dans le château d'Arques, quinze hommes d'armes dont sept à cheval et huit à pied, plus quarante-cinq archers (10). Ce nombre fut même porté l'année suivante à vingt lances (11) et à soixante archers.
  Les capitaines du château d'Arques étaient fréquemment déplacés (12), comme si le Conseil du roi d'Angleterre eût craint de laisser trop longtemps dans les mêmes mains un château si important (13).
  Telle était la situation lorsque la Pucelle chevauchait vers le château d'Arques. On peut dire que cette place était comme la clef des possessions anglaises dans cette partie de la Normandie et constituait une suprême ressource dans les jours difficiles.
  Jetons maintenant un rapide coup-d'œil à l'intérieur du vieux castel féodal.
  La forteresse, aujourd'hui en ruines, élevait alors ses hautes tours et son fier donjon qui commandait la contrée, dominant la forêt, les délicieuses vallées de la Béthune et de la Varenne, les villages d'Archelles, d'Etran, de Martin-Eglise, et à gauche, les falaises du Pollet, Dieppe et la mer.
  Le donjon on grosse tour était un spécimen merveilleux de l'architecture militaire des Normands. L'accès intérieur en avait été si ingénieusement défendu, que quelques hommes d'armes déterminés pouvaient arrêter une armée entière.
  Il avait abrité jadis les ducs de Normandie. En 1204, Philippe-Auguste, devenu maître de toute la province, y avait fait exécuter de grands travaux de réparation et de défense. Saint Louis y avait ensuite séjourné, en 1257, et y avait dîné avec Eudes Rigaud, l'illustre archevêque de Rouen. Son fils, Philippe le Hardi, y était venu en 1273, 1277 et 1278. Le château avait reçu plus tard Charles V, qui avait renouvelé les privilèges des bourgeois d'Arques et avait alloué 3,000 francs d'or pour « plusieurs grandes et notables réparations de charpenterie et de machonnerie, afin que notre dit chatel d'Arques ne tourne en ruine irréparable. » Enfin, avant l'occupation anglaise, Charles VI était venu à Arques, en 1386. Ces monarques avaient occupé le logement du roy, qui était aménagé dans les salles intérieures du donjon, vers l'est, avec chapelle, chambre du roi, salle du roi, garde-robe, cuisine du roi, etc. (14)
  Le donjon était la partie la plus forte, la plus sûre et la plus importante du château. Pour y accéder, on traversait la triple enceinte : le baile, d'abord, ou basse-cour du château (15), qui fermait le chemin d'Arques à Martigny, en s'appuyant d'une part à la rivière, et de l'autre au château.
  C'est dans cette enceinte murée et fossoyée qu'on rendait la justice et que la population, toujours en lutte avec les Dieppois, trouvait un refuge en cas de guerre. Des vestiges de constructions et de terrassements sont encore visibles au milieu des chaumières qui la couvrent aujourd'hui.
  Vers 1430-1431, la porte du Bel était confiée à la surveillance d'un chevalier chargé de la garder en temps de guerre, pendant quarante jours (16), Les sires de Lardenières, dont le fief était situé à Arques, furent tenus du même service un peu plus tard : « en laquelle porte ils doivent avoir logeis (17). »
  Passons par la vieille poterne ou barbacane, située à l'extrémité nord-ouest de l'enceinte du côté du bourg d'Arques. C'était la seule entrée du château à l'époque de sa création et dans les trois ou quatre siècles qui suivirent. Sous le règne de Charles VI, en 1367, on avait construit le pont et la porte de secours, dans le but d'assurer, en cas de nécessité, des renforts à la garnison assiégée (18).
  Aujourd'hui, on voit encore une des énormes piles de ce pont qui s'est affaissée tout d'une pièce et s'est couchée sur la pile voisine. Elle gît là depuis plus de deux cents ans peut-être, et la main des hommes ne vient pas achever l'œuvre de destruction !

       
  La poterne qui donnait accès à l'intérieur du château était jadis surmontée d'un étage qui servait au logement des chevaliers chargés, en temps de guerre, de garder la porte du château, à titre de service féodal. Les ronces et les tapis de lierre rampent aujourd'hui sur ses murailles en ruines et 0nt remplacé les lances et les cottes de mailles des hommes d'armes. Le silence a succédé au cliquetis des armes, aux cris des sentinelles et au gémissement des herses de fer glissant dans leurs coulisses !
  Quand on parcourt les ruines du château d'Arques, en évoquant le souvenir du séjour probable de la Pucelle en 1430, on ne peut s'éloigner sans voir les souterrains du XIe siècle, dont l'un conduit à Dieppe, d'après une tradition locale commune à tous les anciens châteaux, et dont la large ceinture embrasse au moins tout le périmètre de l'ancienne citadelle.
  On visite surtout avec émotion celui qui renfermait les prisons de la forteresse aux XIVe et XVe siècles. C'est un passage voûté qu'on voit à main droite en débouchant de la poterne dans l'enceinte principale (19). Cette longue galerie est coupée, de distance en distance, de petites retraites taillées dans la marne, dont la destination se trouve indiquée par des comptes manuscrits du XIVe siècle, contenant des réparations faites es prisons du roy nostre sire à Arques. Ces travaux étaient destinés à remachonner les voûtes et murs, et boucher des excavations pratiquées en 1378 par des prisonniers qui s'étaient évadés. Plus tard, on ferra les prisonniers afin d'éviter que, libres de leurs pieds et de leurs mains, ils ne s'ouvrissent un chemin à travers la marne du fossé (20).
  Il existait également une oubliette que le savant historien d'Arques a en vain recherchée, et dont il est fait mention en 1830 (21).

  Est-il téméraire de croire que Jeanne d'Arc a foulé le sol de ces salles souterraines et que ces voûtes ont retenti des prières et des supplications touchantes que la pieuse héroïne adressait à ses saintes ? Nous ne le pensons pas; nous estimons, au contraire, qu'on peut retenir, avec quelque sécurité, les vraisemblances que nous avons énoncées plus haut et qui sont notre seul guide possible dans le patriotique pèlerinage que nous avons entrepris à la suite des Anglais qui conduisirent la Pucelle à Rouen. Nous ne voyons pas pourquoi on l'aurait traitée, dans cette avant-dernière étape, avec plus d'humanité qu'on ne devait le faire le surlendemain au château de Rouen où l'on avait forgé les chaînes et la cage de fer qui lui étaient destinées à si bref délai !

Chap. VI : Du château d'Arques à Rouen

          § I. — D'Arques à Longueville.
  
 partir du château d'Arques, l'itinéraire suivi par la Pucelle nous paraît plus hypothétique encore, et nous nous expliquons facilement qu'aucun des écrivains qui ont relaté son passage dans notre pays n'ait cherché à élucider ce point intéressant d'histoire locale. Nous n'avons pas la prétention de le trancher définitivement, mais nous ne reculons pas devant l'examen de cette question qui pourra, plus tard, tenter de plus érudits.
  A défaut de documents certains, qui, probablement, manqueront toujours, il convient de s'inspirer, comme point de départ, des observations générales qui suivent.
  Les chemins que devaient parcourir les Anglais qui conduisaient la Pucelle à Rouen n'étaient pas plus sûrs pour eux que pour les nôtres. A moins d'incidents venant contrarier sa marche normale, l'escorte anglaise devait donc suivre la route la plus directe et surtout la plus sûre. Le pays de Caux, en effet, était ravagé par des bandes indisciplinées, tandis que du coté de la Picardie, les partisans de Charles VII infestaient les forêts et étaient toujours prêts à un coup de main hardi (1).
  Quelle était donc, en 1430, la route la plus directe, et surtout la plus sûre, pour aller de Dieppe, ou plus exactement, du château d'Arques au château de Rouen ? Cette question paraît obscure et difficile à résoudre au premier abord. Nos modernes voies de communication ne nous permettent pas de nous faire une idée de ce qu'étaient ces routes du moyen âge, étroites, à peine frayées, embourbées, traversant de vastes forêts, véritables coupe-gorge redoutés, le plus souvent inaccessibles aux voitures, et sur lesquelles on ne se risquait guère qu'à cheval.   En outre, les campagnes


à suivre p.124
  


Sources : - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV° siècle" - Albert Sarrazin - 1896

Notes :
Chap. I
1 Déposition de Guillaume de la Chambre, citée par Lebrun des Charmettes.

2 Elles essayèrent souvent de lui faire quitter l'habit d'homme qu'elle portait toujours; mais Jeanne s'y refusait en disant : Il n'est pas kmps encore... Je n'en ai pas reçu congé de Notre-Seigneur. En effet, ce costume lui était aussi nécessaire parmi ses ennemis, dans l'isolement de la prison, que dans la vie des camps au milieu des preux chevaliers. Elle dira plus tard à ses juges : « Si j'avais du laisser l'habit d'homme, je l'eusse plutôt fait à la requête de ces dames que de toutes les autres dames de France, la Reine exceptée. »

3 Une lettre que lui adressait l'Université de Paris, le 14 juillet 1450, semblerait indiquer que des tentatives avaient été faites pour la délivrer. On y exprime la crainte que par « la malice et subtilité de mauvaises personnes..., elle ne soit mise hors du pouvoir de ses ennemis par quelque manière, ce que Dieu ne veuille permettre. »

4 Avant le 20 novembre 1450. Wallon, ibid,, p. 221.

5 M. Ch. Louandre. La France du Nord. — 1, les côtes de la Picardie, Revue des Deux-Mondes, 1" juil. 1875, p. 54.

6 O'Reilly, ibid, t. I, p. 131.

7 M. Wallon, ibid Voir aussi pour cet itinéraire de la Pucelle de Drugy à Rouen : Quicherat. t. V, p. 360-363. Jeanne d'Arc ou coup d'œil sur les révolutions de France... par M. Berriat-Saint-Prix.

8 M. Georges Dubosc : « Les chevaux de Jeanne Darc » Normandie littéraire, mars 1893, p. 72.

9 On a perdu le beau portrait en pied de la Pucelle que Henri Mellein avait peint sur les vitres de l'église Saint-Paul de Paris, en 1436. Ce tableau avait fait une si grande sensation, que Charles VII avait concédé à son auteur des exceptions de taxes et des privilèges. (Hist. des Arts en France, par A. Lenoir, p. 105-106.)
Ces armes figurent sur le monument élevé à Jeanne d'Arc par le cardinal Thomas, à Bonsecours-lès-Rouen. Voir le Monument de Jeanne d'Arc par l'abbé Sauvage.

10 Il en a déposé au procès de réhabilitation et a fourni accessoirement, sur ce point, les détails les plus intimes que ses fonctions auprès de l'héroïne et l'assistance journalière qu'il lui prêtait lui avaient permis de recueillir. (Quicherat, Procès, t. III. p. 219.)

11 La Vierge lorraine, par la comtesse de Chabannes, p. 177.

12 M. P. de Lagenevais, Rev. des Deux-Mondes, 1876, 15 mai, p. 453-454. « Elle était de grande force et puissance » (Chronique de Lorraine, Procès, t. IV, p. 550).
« Erat brevi quidem staturâ, rusticanâque facie et nigro capillo, sed toto corpore prævalida. » (Philippe de Bergame, t. IV. p. 523)
« Hæc puella competentis est elegantiæ virilem sibi vindicat gestum... miram prudentiam demonstrat in dictis exdicendis. Nocem mulieris ad instar habet gracilem, parce comedit, parcius vinum sumit, in equo et armorum pulchritudine complacet, armatos viros et nobiles multum diligit. (Lettre de Perceval de Boulainvilliers, 21 juin 1429.)
« Elle estoit bien compassée de membres et forte. » (Chronique de la Pucelle. Quicherat. Procès, IV, p. 205) Il est intéressant de rapprocher ces divers traits de deux précieuses miniatures du xvc siècle, qui figurent dans la collection Spetz et qui ont été photographiées par la maison Braun et Cie (Paris).

13 L'armure que Charles VII lui avait donnée fut déposée à Saint-Denis par elle-même et volée par les Anglais lorsqu'ils pillèrent cette abbaye.
Quant à l'armure qu'elle portait à Compiègne lorsqu'elle fut prise, elle aurait été, d'après Carré, transportée d'abord à Rouen, puis à Londres. Elle n'y est plus, et on ignore ce qu'elle est devenue.
On a cru reconnaître l'une ou l'autre de ces armures, niais plutôt la première, dans celle qu'on a récemment découverte au château de Pinon (Aisne). C'est une armure blanche en acier poli du xv° siècle. La saillie de la poitrine indique la destination de la cuirasse faite pour une femme.

14 M. Léopold Delisle, Bibliothèque de l'École des chartes, t. VI. p. 456.

Chap. II
1 Paris, 1657, p. 490.

2 Nous avons précédemment rectifié cette date.

3 Procès, t. V, p. 360-363.

4 P. 97.

5 Voir aussi M. Cide, Statistique et Précis historique du canton d'Eu, 1832, p. 15.

6 Souvenirs historiques des résidences de France, 1839, p. 139. — Séjour de Jeanne d'Arc à Eu, in-4° de 4 p., extrait du Château d'Eu, t. 1, p. 91 et 140. — Dans le Château d'Eu, par M. Estancelin, député de la Somme (1836) nous lisons : « l'héroïne d'Orléans, conduite de la forteresse du Crotoy à Rouen, devant ses impitoyables assassins, dut passer à Eu et séjourner dans la prison du château, » p. 18-19.

7 En 1865, M. Gomart écrivait dans les Mémoires de la Société d'Emulation de Cambrai : « Jeanne d'Arc quitta Beaurevoir vers les premiers jours de novembre 1430 et fut envoyée sur terre bourguignonne à Arras; de là, au Crotoy; en décembre, à Saint-Valery-sur-Somme, à Eu et à Dieppe. » Ibid., t. XXVIII, 2e part., p. 305-480.

8 Dans l'Itinéraire de Jeanne la Pucelle ou Jeanne d'Arc suivie jour par jour ci pas à pas, par l'abbé Casimir Rouette (1894), on lit : « du Crotoy, la Pucelle fut conduite à Rouen, en passant par Saint-Valéry, Eu et Dieppe ; » t. II, p. 208.

9 En 1056, d'après un Mémoire historique du comte d'Eu (manuscrit du commencement du XVII° siècle appartenant à l'auteur).

10 Son port parait avoir été l'un des plus considérables de la Manche et servait au transit entre la France et l'Angleterre au XIIIe siècle. (Statistique, etc.... par C. Cide, 1832, p. 27.)

11 Lebeuf, Eu et Dieppe, p. 139. — Il est fait mention de la poudre et du canon, à Rouen, dès 1332.

12 Manuscrit précité, p. 8.

13 L'abbé Tougard, Géographie de la Scine-Injèrieiirc, Dieppe, p. 180.

14 Monstrelet. — A Gousseauville, le peuple appelait Les Traitres une maison dont les habitants auraient indique aux Anglais le gué où ils passèrent la Bresle en 1415. (Tradition locale recueillie par M. l'abbé Tougard.)

15 L'abbé Cochet qui cite Duplessis.

16 L'abbaye du Tréport possédait des reliques importantes, notamment celles de saint Mauguille. En 1413, un des braves combattants d'Azincourt, Enguerran, puisnè de Bouffers, ayant été fait prisonnier des Anglais, « à l'exemple du roi saint Louis, lequel donna au sultan d'Egypte la sacrée hostie avec le ciboire pour hostage de sa foy, il mit aussi entre les mains de l'Anglais qui le détenait prisonnier une partie du test de saint Mauguille qu'il avoit chez soy. » Il revint « au plus vite amassier sa rançon en son pays et l'envoya en Angleterre, retirant son reliquaire. » Histoire de l'abbaye de Saint-Michel du Trèport. par F.-B. Coquelin, publiée par C. Lormier. t. II, 1888, p. 29.

17 Églises de l'arrondissement de Dieppe, p. 139.

18 Statistique. du canton d'Eu, 1832, p. 23.

19 Le château actuel a été construit en 1378.

20 Mémoire historique... manuscrit précité, p. 7.

21 Estancelin, Le Château d'Eu, 1836.

22 10 juin 1419. « Le roi considérant la valeur et le louable concours qu'il a remarqué dans son cher et fidèle capitaine Guillaume Bourchier, qui l'a précédemment et encore maintenant si fructueusement et si humblement servi... voulant le récompenser plus complètement, lui donne et concède tout le comté d'Eu, dans toute son étendue, pour lui et ses héritiers en jouir, comme le faisait récemment le comte d'Eu, » etc... (Bréquigny, Rôles, etc... Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXIII, n° 608).

23 « Du Roy nre souverain seigneur à cause de sa duchié de Normendie. je Guill. Bourgchier, comte de Eu. tieng en chief et advoe tenir la ditte conté de Eu tant en chief come en membres par tout où elle sestend es baillages de Caux et de Rouen, tant a Eu que environ, Roumare, Ourville, Valdedun, Archelles et ailleurs etc... (Archives nationales, P. 2842, cote 47.) Plus tard, les Bourchier se dédommagèrent de la perte de leur domaine en conservant, suivant la vaniteuse coutume britannique, le titre imaginaire de comtes d'Eu jusqu'au XVIIe siècle.

24 Rymer. t. IV, partie, p. 94. — Bréquigny, ibid, n° 303.

25 Jean de Beaucamp, Egidius Varimfray, Guillaume le Cauchie, Philippe de Saint-Ouen, « Guillelma de Tremagon que fuit uxor Johannis de Saint-Ouen, » Pierre de Favencourt, etc. (et sex alii sina ulla honoris appellatione), prétèrent serment de fidélité à Henri V et obtinrent la maintenue et confirmation de leurs biens (1419 et 1420). Bréquigny, ibid., n°s 645, 726, 738, 810.

26 Bréquignv, ibid, n° 1238.

27 Histoire de l'abbaye Saint-Michel du Tréport, publiée par C. Lormier, pour la Société de l'Histoire de Normandie, en 1888, t. II, p. 88, Cette curieuse sentence relate toute la procédure civile suivie dans ces sortes de litiges.

28 Bréquigny, ibid., n° 1283.

29 Vatout, Château d'Eu, p. 140.

30 Lebeuf, La Ville d'Eu, 1844, p. 211.

31 Collection Gaignières, à la Bibl. nationale, Pel d° 64.

32 Lebeuf, ibid., p. 212.

33 Mathieu de Coucy.

34 Voir liv. VII, ch. I.

35 Lebeuf, ibid.

36 Lebeuf, ibid, p. 227.

37 L'abbé Cochet, Eu.

38 L'abbé Cochet. Répertoire archéologique, p. 42.

39 Renseignements communiqués par M. l'abbé Caulle, curé-doyen d'Eu, et par M. Gilliot, régisseur du château.

40 Statistique... par C. Cide, 1832, p. 14.

41 Cette propriété appartient à la Ville et a servi autrefois de prison.

42 La délibération est du 27 janvier 1893.

Chap. III
1 Voir liv. VI. ch. III.

2 Robert de Floques, ou l'expulsion des Anglais, par le Dr Semelaigne.

3 Collection de dalles tumulaires de la Normandie, par Le Métayer-Masselin. 1861, p. 19. — Un des fils de Robert de Flocques mourut évêque d'Evreux en 1464. Robert avait épousé en secondes noces Jacqueline Crespin et était devenu aussi le beau-frère du seigneur de Mauny et de Pierre de Brézé que nous trouverons plus loin associés avec lui à toutes les victoires de Charles VII.

4 En 1419, Henri V avait donné toutes ses terres et domaines de Criel, Mers et Saint-Laurent, à Jean de Bellengues, qu'il appelle piratum ligeæ nostræ.

5 L'abbé Cochet, Rep. arch..., p. 36.

6 A Criel, on retrouve la trace des spoliations dont avaient été victimes ceux qui étaient restés fidèles à leur patrie. En 1419, Henri V avait donné à son « cher Agencourt » les domaines et terres qui appartenaient à Colart Dujardin, rebelle au roi, et situés au comté d'Eu, dans la paroisse de Criel. (Bréquigny, ibid., n°1244, Voir aussi le n°396.)

7 L'abbé Cochet, Églises de l'arrondissement de Dieppe, p. 297.

8 L'abbé Cochet, ibid., p. 239.

9 En 1284, l'abbé de Saint-Denis avait cédé à messire Guillaume de Caletot. père de Robert, toutes les terres possédées par l'abbaye au pavs de Caux, en échange de deux domaines situés près de Paris. La baronnie de Berneval devait passer ensuite aux maisons de Montmorency, d'Estoutteville, de Longueville, et enfin aux princes de Mouaco, ducs de Valentinois, qui l'ont possédée jusqu'à la Révolution. (L'abbé Tougard, Géographie... Dieppe, p. 35.)

10 L'abbé Cochet, ibid., p. 271 et s.

11 Le manoir des sires de Berneval avait été ruiné dans les guerres du XVe siècle. M. l'abbé Leconte y a retrouvé, en 1839, des pavés fleuris en usage aux XVe et XVIe siècles, quelques ossements et un grand coutelas de fer oxydé. (L'abbé Tougard, ibid., p. 35.)

12 Bréquigny, ibid n° 593. Voir aussi n" 1261. « Littere regis... de protectione et salvia gardia pro Gilberto Umfrainville et dominis suis de... Berneval et Saint-Martin-en-Campagne, nec non pro hominibus et servientibus ejus. » VI déc. 1419.

13 Gabriel Gravier, Le Canarien Introduction.

14 La prospérité était telle qu'en 1248, le curé de la paroisse pouvait armer plusieurs vaisseaux.

15 Robert, Louis et Charles. On remarquera aussi la confiscation des terres de Jehan de Quideville, du village de Puys {infra). Bréquigny, ibid.

16 Histoire de la paroisse de Bracquemont, par M. l'abbé Ricouard, p. 67.

17 Abbé Ricouard, ibid., p. 94.

18 Clément Bourse prit ce titre dès le 20 juillet 1451. Il concourut à diverses expéditions Importantes dans les années suivantes. Essai sur les baillis de Caux, par A. Hellot.

19 L'abbé Cochet, ibid., p. 67. « On appelle, en effet, chemin des fées, la voie qui conduit de Dieppe à Rouen. »

Chap. IV
1 Discours sur l'histoire de Dieppe, p. 7-10.

2 Jeanne d'Arc à Dieppe, Paul Leprêtre, 1880. Avenir de Dieppe, 8 novembre 1874.

3 David Asseline, Les Antiquités et Chroniques de la ville de Dieppe, t. I, p. 138.

4 En 1418. A. Hellot, Les Martel de Basqueville.

5 Surtout en janvier et février 1419. — A. Hellot. Ibid., p. 212.

6 Vitet, Histoire de Dieppe, t. I, p. 55.

7 Les Cronicques de Normendie, réimpr. par A. Hellot, p. 89.

8 Ibid., p. 258

9 Ibid., p. 289.

10
On désignait déjà sous ce nom un port établi à Leure et qui dépendait d'Harfleur. (Note de M. A. Héron.)

11 Public avec des notes de M. l'abbé Cochet.

12 Ces plans nous ont été obligeamment communiqués par M. Milet, conservateur de la Bibliothèque et du Musée de Dieppe. M. Edouard Pelay. le distingué bibliophile rouennais. a mis également à notre disposition sa précieuse collection de plans de Dieppe.

13 Bouteiller, Histoire de Dieppe, p. 72.

14 Plan et description de la ville de Dieppe au XIV° siècle, p. 33.

15 Plan et description, etc., p. 55.

16 Notamment le plan de Mérian, dont nous reproduisons une réduction.

17 Vitet, Histoire de Dieppe, t. I. p. 78.

18 D'après M. Richard, les plans de cette cosmographie sont plus anciens que l'ouvrage qui porte la date de 1575. (Revue de Rouen, 1842.)

19 M. Feret, dans un article publié par la vigie de Dieppe, en 1866, rappelait que les deux tours situées près du théâtre, et qui sont les derniers vestiges de l'enceinte murale au nord, servaient à recevoir les prisonniers de guerre, et qu'à ce titre, Jeanne d'Arc aurait bien pu être enfermée dans l'une d'elles, lors de son passage à Dieppe. Nous avons peine à comprendre une pareille assertion qui tombe devant cette simple constatation que ces tours n'existaient pas du temps de la Pucelle. (Note inédite de M. Bouquet.)

Chap. V
1 Les Cronicques de Normendie, réimp. par A. Hellot, p. 89.
Au début de la conquête, Henri V y avait établi comme capitaine " lord Guyllem Bowser. " (Bréquigny, ibid., n° 1359) : plus tard, en 1430, nous y trouvons Jean Silvaing. bailli de Rouen, chargé aussi de la garde des villes, châteaux, lieux et places fortes de Lisieux et Château-Gaillard Chron. norm. p. 354, note de M. de Beaurepaire).

2 Arch. du départ. Plan et description de la ville de Dieppe au XII° siècle, p. 27. Elle était située au bout des halles au blé, à peu près sur l'emplacement où fut plus tard édifiée la nouvelle église Saint-Remi.

3 M. de Beaurepaire, qui nous a obligeamment guidé dans nos recherches, a retrouvé nombre de ces chemins arquois dans les titres et documents de l'époque.

4 M. Deville, Histoire du château d'Arques, p. 196.

5 « Iceluy de Luxembourg a feist mener au chasteau de Beau Renoir. où elle fust gardée bien songneusement pource qu'il doubtoit que ne eschappast par art Magique, ou par quelque autre maniere subtille. » (L'histoire et cronique de Normandie, 1581.)

6 Fils du duc de Normandie, Richard II.

7 Après la capitulation du château d'Arques. Guillaume Charles fut pourvu de l'office de l'une des sergenteries de la forêt d'Arques ; Jehan des Hayes, de l'office de la garde des coinnes (alias coins ou monnoies) de la chastellenie d'Arques; Henri le Vigneron, de l'office de vicomte et receveur d'Arques et de Longueville (Bréquigny, ibid., n° 1222 et 290). — Furent maintenus dans leurs possessions après soumission : Raoul Selles, chevalier, et Marguerite sa femme, (ibid., 707) ; Guillaume du Plessis, chevalier (ibid., 739) ; Raoul de Belleville (ibid., 739). — En 1421, Henri V fait grâce à Jehan Le Fevre « povre homme laboureur, charge de feme et plusieurs enfans » qui avait participé à un vol d'objets précieux cachés en l'église de Hardouville par E. de Haynes. qui s'était retiré près d'Arques. Le Fevre avait été emprisonné pour ce fait à Rouen, où il était en danger de finir misérablement ses jours. Les lettres de grâce sont motivées ainsi : « Considerans que ledit suppliant a esté toujours de bonne vie et honnete conversation, sans avoir esté reprenche d'aucun villain cas... et que par povreté et soufferte de biens il fu tempte ad ce honteux et displaisant; que il avoit tout perdu et n'avait bonnement de quov vivre, etc. Bréquigny, ibid., n° 987.

8 Deville, ibid., p. 189.

9 Compte de Normandie, (f° 257 (Bib. nat.)

10 Titres scellés de Clairembault {Bib. nat.)

11 On sait que plusieurs hommes étaient attachés à chaque lance.

12 M. Deville indique comme capitaine, en 1450, Jean Baskerville.

13 On voit figurer comme capitaines, postérieurement à 1430 : Robinet d'Epinoy des Hayes (1436) ; Jean de Montgommery (1437) ; Gautier ou Vautier d'Evreux; Jean Norbery (1442-1443); Gautier d'Evreux (1443); et Raoul
Bouteiller (1447).

14 « Le château d'Arques, avec 30 acres de cote et de pâtis, avait été vendu 8,300 livres en 1797. — En 1836, on avait répandu le bruit que la triste bande noire songeait à acheter le château pour le faire disparaître. Mme veuve de Reiset le sauva alors de la destruction. Plus tard, en 1868, l'État racheta ces nobles ruines 60,000 francs. — Le rachat du château d'Arques, par le gouvernement français, a eu un grand retentissement en France et en Angleterre : car ces deux grands pays trouvent écrits sur ses ruines les noms les plus illustres de leurs annales. Chaque année, ce géant du moyen âge reçoit des milliers de visiteurs nationaux et étrangers ». (Revue de la Normandie, 1868, p. 642).

15 Nous retrouverons cette disposition au Château de Rouen.

16 Anciennes archives de la Cour des Comptes de Paris.

17 Ordonnance de Charles VIII, citée par M. Deville, ibid. p. 215. Les seigneurs de Lardenières, chargés de la vérification des poids et mesures et de la fourniture des « hards pour attacher les lards, » jouissaient de certains privilèges. Ils avaient notamment le droit de prendre la coupe où le roi avait bu, la première fois qu'il visitait le château.

18 On avait pris les mêmes précautions au Château de Rouen.

19 Ce passage, qui est obstrué depuis quelque temps par un monceau de terre et de cailloux, devrait être dégagé et rendu accessible aux touristes.

20 Deville, ibid. p. 320. — Ces précautions furent maintenues dans la suite : « Mandement de Reguauld Le Conte, lieutenant du bailli de Caux en la vicomte d'Arques, au receveur du domaine ordinaire de ladite vicomté, de payer 25 s. t. à Jehan Bellet. serrurier « pour avoir faict deux gros fers et chaines pour ferrer et tenir les prisonniers des prisons de ce dit lieu d'Arques » 18 mars 1519. (Original appartenant â l'auteur.)

21 Depuis lors, en 1875, le gardien du château a découvert, entre l'emplacement de la chapelle et le donjon, un caveau voûté en pierre avec appareil de silex, paraissant remonter aux XIIe et XIIIe siècles, dans lequel gisaient des ossements et têtes de cheval. En descendant les marches qui y conduisent, on remarque de chaque côté, taillées dans la marne, deux petites chambres ou cachots semblables, quoique moins profondes, à celles qui constituaient les prisons du château au XVe siècle.

Chap. VI

1 En 1450, le cardinal de Winchester était revenu à Paris par Rouen, parce que la route de Picardie était trop dangereuse : « Considérant que les chemins sont très dangereux et périlleux. » (Citation de Michelet : Ordonnances, XIII, 159).

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