Extrait des registres du Chanoine Cocquault |
e chanoine Cocquault a laissé sur l'histoire de Reims cinq gros volumes in-f°, dont on a imprimé seulement la table des matières (Reims, v°, 1650, pet. in-4°). Il est mort le 11 janvier 1645 (ses manuscrits, qui se trouvent à la bibliothèque de Reims, sont infiniment précieux).
Le grand partisan d'Angleterre Pierre Cauchon, évesque de Beauvais, estoit à Reims le jour de la feste du St-Sacrement à la procession ; il venoit dire adieu à sa patrie pour jamais, et qu'il ne la verroit plus en sa perfidie, que bientôt elle debvoit quitter.
(Incidence). Le 25 mai, le soubs chantre de l'église de Reims donna à la bibliothèque de l'église de Reims, une des belles bibles manuscriptes qui peut se voir, en quatre très grands volumes et très bien escripts ; et si il donna à l'église une très belle croix d'or, aux costez de laquelle sont quatre perles et une pierre cristaline au milieu. Je crois qu'elle s'y voit encore.
Le 13 juillet, nos Rémois qui estoient Anglois au possible furent grandement saisis et allarmez de peur ; l'on fait garde de tous costez, l'on se prepare au siège, l'on en fait les provisions ; car l'oracle du Ciel avoit fait savoir que Dieu avoit ordonné et denoncé au Roi, par Jeanne la Pucelle, que maintenant estoit venu le temps de sa consécration; qu'il plaisoit à la divine volonté que le roi vint à Reims pour estre oint de la sainte et sacrée onction, en la manière de ses prédecesseurs rois, et recevoir le diadème royal, et pour laquelle seule chose son nom debvoit etre plus vénérable au peuple françois, et plus redoutable aux ennemis : qu'elle lui debvoit ouvrir les chemins, bien que toute la Champaigne, Brie, Picardie et toutes les terres en deça de la Loire fussent entre les mains des ennemis. Ce sont les paroles de Gaguin, qui doibvent estre ponctuellement considérées, que Dieut veut que les Roys de France soient sacrés à Reims, et que ceste onction les rend redoutables. Si le ciel n'avoit parlé, et si l'histoire de la Pucelle n'estoit véritable, il y en auroit qui réputeroient cela à fable; mais après cela, il n'y aplus rien à dire. - Et par effet, voici l'ouverture des chemins qu'elle luy faict par la Champaigne. Les Aussérois luy vindrent au-devant, près de Saint-Florentin : delà le Roy se présente devant Troyes, y met le siège, la famine se met en l'armée du Roy : tous concluent au levement du siège; la Pucelle seule y résiste, à laquelle le Roy preste fort, que dans deux jours les Troyens debvoient se rendre, ce qui arriva. Delà le Roy vint à Châlons, où il fut reçu par l'Evesque et les habitans en grande joye, qui avoient envoyé au-devant du Roy Dut..., Et estoit question de venir à Reims. Gaguin dit qu'il assalit Reims, ce qui ne fut jamais, mais comme le Rémois eurent appris les nouvelles de Troyes et de Chaalons, comme nous avons dict, la crainte les saisit, à cause qu'ils tenoient le parti anglois, et qu'ils avoient garnison angloise : les Capitaines estoient les Sieurs de Chastillon et de Saveuse, lequel de Chastillion se logea, le 6 may, au logis d'Augier le Danois, près de la porte-de-Cérès, afin d'être perpétuellement sur le rempart et pour sçavoir ce qui s'y passoit. - Mais bientôt, les coeurs de nos Rémois changèrent, et trouvant qu'ils estoient circonvenus, se rendirent facilement au Roy : car comme une rivière, lorsque on veult lui faire prendre un aultre cours que celuy qui luy est naturel, il y fault beaucoup de force et de peine; mais pour la remettre dans son premier bassin, il ne fault qu'un petit pertuy; ainsy ceux de Reims qui avoient quicté le cours naturel de leurs affection envers leur Prince souverain, le voyant proche, tendent les bras, renoncent à l'affection anglitique, ambitieuse et cruelle, qui a tant causé de malheurs en France. Et en cest instant les Rémois pensèrent jeter sur les partisans anglois qui les tenoient en servage. - Sçavoir de Chastillon, de Saveuses et aultres...
L'ordre de la recognoissance fut telle, que le samedi XVI juillet, les habitans de Reims commencèrent à recoignoistre leur archevesque, Regnault de Chartres, lequel n'avoit pas encore entré à Reims pour faire aucune fonctions archiépiscopales, bien que ce fut la dix-septième année de son pontificat; d'aultant que depuis ce temps l'Anglois et le Bourguignon s'estoient rendus maistres des affections des habitans, et ne voulurent recevoir leur Archevèque en raison qu'il tenoit le parti du Roy; mais au contraire le Roy d'Angleterre fit tous saisir le temporel, ainsi qu'avons remarquez. Et depuy avoit été tant hay qu'un pauvre curé de Saint-Michel de Reims l'ayant esté veoir à Mouzon, fut à ce subject mis prisonnier. - Reims donc ouvre ses portes à son pasteur, qui leur remonstra le chemin de la vérité : que Dieu commande d'obéir à leur Roy; et fist le dict Archevèque son entrée première solemnelle, en qualité de Duc et Seigneur de la ville et en qualité d'Archevèque : fut reçeu à l'eglise de Reims, en laquelle il presta le serment accoustumé de prester par les Archevesques, sur le grand autel de l'église, ledit jour XVI de juillet.
En même temps les habitans traictèrent et envoyèrent les clés au Roy qui estoit à Châlons. Le Roy entra à Reims donnant grâce aux habitans, au subject de son sacre : et fut sacré et coronné (la Pucelle présente, suivant qu'elle luy avoit dit à Bourges et réitéré près de Gyen) par ledit Regnault de Chartres, Archevesque de Reims, qui estoit Chancelier de France : auquel sacre les ambassadeurs des Princes et de plusieurs villes se trouvèrent, donnant grâces à Dieu de ce qu'il avoit rendu la liberté à la France. Ce sacre fut fait le X des kalend. de juillet qui est le 17 de ce mois; auquel jour je me suis rencontré à escrire cet article: et s'abusent ceux qui mettent le sacre au 8 juillet : car j'ay tiré en partie tout cecy des registres de l'église de Reims, de ceste année.
Le succès de la promesse de la Pucelle de conduire le Roy sacré à Reims de la part de Dieu, donna du repentir à ceux qui vouloient détourner Charles de se faire sacrer à Reims, disant qu'il estoit coronné à Poitiers, qu'il estoit estoit Roy légitime par naissance, et que le sacre ne servoit de rien. Ceste Pucelle constamment s'opposa à ce dessein et soutint le sacre nécessaire, comme avons dict, et fut la vérification de la mission comme elle estoit envoiée de Dieu. Se trouvèrent en ce sacre : Jehan de Bourbon, duc d'Alençon, Charles de Bourbon, comte de Clermont, Princes du sang, Artus de Bretaigne, Charles d'Anjou, fils du Roy de Sicile et frère de la Royne, le comte Dunois, Bastard d'Orléans, Charles d'Albret, le Sieur Cullaut, admiral de France, les quatre maréchaux de France, les Sieurs de Boussac, de Lo..., de Lamesans, d'Aulain et Lahire; et la Pucelle qui estoit conductrice de toute ceste magnifique et généreuse entreprinse, par le vouloir de Dieu, est estoit tenant son estendard blanc et ses armes.
Le Roy en son sacre érigea en comté la Seigneurie de Laval qui n'estoit que barronie et fit chevalier le Sieur de Laval, d'aultant qui luy avoit esté loïal. Trois jours séjourné le Roy à Reims puis se retiré et fut à Saint-Marcoul, diocèse de Laon, prioré dépendant de l'abbaye de Saint-Rémy de Reims, et là, leur est donnée la puissande de Dieu de guérir les escrouelles.
Le 22 juillet, on fit processions générales, non pour le bon succès des affaires des Angloys, ainsy que l'on avoit faict par le passé, mais pour celles du Roy. - Les frais du sacre se levèrent à Reims et furent jetés sur les héritaiges des chatellenyes dépendantes de l'Archevêché, d'aultant que les aultres terres en sont exemptez, aussi à ce subject ne doivent point de rentes. - Monsieur de Reims prétendoit que les offrandes du sacre du Roy faictes en l'église de Reims lui appartenoient, mais ayant eu communication des tiltres et droits de l'église de Reims se condamna luy-même.
Source
: La chronique de Champagne - t.I - Reims - 1838.
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