Chroniqueur normand anonyme |
n extrait de la Chronique de Normandie, imprimée
tant de fois à Rouen et ailleurs. Cette chronique qui conduit le récit
des événements jusqu'à la réduction définitive de la province en
1450, a été écrite un peu après la mort de Charles VII, puisqu'il
est fait allusion à cet événement dans le récit. Notre texte est conforme à celui de l'édition rouennaise de 1581.
L'an mil quatre cens vingt-neuf, le comte de Salbery
assembla les Anglois à Chartres en grande puissance et
dit à maistre Jehan de Meun, magicien, qu'il vouloit
aller mettre le siége à Orléans. Et maistre Jehan luy
dist qu'il gardast sa teste (1). Le siége y fut mis, si que
ceux de la ville, voyans que les Anglois avoient gaigné
la tour du par mi du pont et que secours ne leur venoit
point, demandèrent trefves pour parlementer et
composer leur ville. Durant les trefves, Salbery estoit
en une fenestre à ceste tour du pont, où il regardoit la
ville ; et un escollier mit le feu à une pièce d'artillerye
qui estoit afustée pour tirer à ceste tour : dont la pierre
frappa Salbery par la teste, et en mourut. Tantost Anglois
crièrent trahison, à l'arme et l'assault, lequel ils
donnèrent fort contre la ville. Mais escolliers leur
firent forte résistance et furent Anglois vaillamment
reboutez. Au secours de la ville furent François avec la
Pucelle qui lors commença à regner, et levèrent le
siége des Anglois. Les Anglois se mirent en fuitte et
fut prisonnier Talbot. Les François devancèrent les
Anglois à Patay, et là fut la grant desconfiture des Anglois ; et doutèrent tant la Pucelle qu'il leur sembloit,
par tout où elle seroit, jamais n'avoir victoire.
En l'an mil quatre cens XXXI, messire Jehan de
Luxembourg, le conte d'Arondel et plusieurs Anglois
et Bourguignons vinrent à grant ost mettre le siége
devant Compiègne ; laquelle chose venue à la cognoissance
de Jehanne la Pucelle, pour lors estant à
Laigny-sur-Marne, se partit dudit Laigny pour venir
secourir les assiégez à Compiègne ; et depuis de jour
en jour y eut de grandes escarmouches entre les Anglois
et Bourguignons, d'une part, et ceux de la ville,
d'autre part. Si advint un jour que ladicte Pucelle fit
une saillie vaillamment ; mais Anglois chargèrent si
fort sur elle et sa compagnie, qu'elle fut prinse. Et ce
firent faire par envie les capitaines de France, pour ce
que, si aucuns faitz d'armes se faisoyent, la renommée
estoit telle par tout le monde que la Pucelle les avoit
faits. Et fut ladicte Jehanne la Pucelle détenue en
prison par les gens de messire Jehan de Luxembourg ; et puis la vendit aux Anglois qui la menèrent à Rouen.
Et fut preschée à Saint-Ouen, et puis après menée au
Vieil-Marché où elle fut bruslée et la poudre mise à vau le vent.
L'an mil quatre cent vingt-neuf, le comte de Salisbury assembla les
Anglais à Chartres en grande puissance, et dit à maître Jean de Meung,
magicien, qu'il voulait aller mettre le siège à Orléans. Et maître Jean lui
dit qu'il gardât sa tête 2. Le siège y fut mis, si bien que ceux de la ville,
voyant que les Anglais avaient gagné la tour qui était sur le pont et que
secours ne leur venait point, demandèrent des trêves pour parlementer
et mettre leur ville à composition. Durant les trêves, Salisbury était en
une fenêtre à cette tour du pont, d'où il regardait la ville ; et un écolier
mit le feu à une pièce d'artillerie qui était afustée (pointée) pour tirer à
cette tour, dont la pierre frappa Salisbury par la tête dont il mourut.
Aussitôt les Anglais crièrent trahison, à l'arme, à l'assaut, qu'ils donnèrent
très fort contre la ville ; mais les écoliers leur firent forte résistance
et les Anglais furent vaillamment reboutés (repoussés). Les Français vinrent au secours de la ville avec la Pucelle qui lors
commença à régner, et les Anglais levèrent le siège. Ils se mirent en
fuite et Talbot fut fait prisonnier. Les Français devancèrent les Anglais à Patay, et là fut grande déconfiture des Anglais ; et ils redoutèrent tant
la Pucelle, qu'il leur semblait que partout où elle serait ils n'auraient
jamais la victoire.
En l'an mil quatre cent XXXI, Messire Jean de Luxembourg, le comte d'Arondel, et plusieurs Anglais et Bourguignons vinrent avec une
grande armée mettre le siège devant Compiègne ; laquelle chose venue à la connaissance de Jeanne la Pucelle, pour lors à Lagny-sur-Marne,
elle se partit dudit Lagny pour venir secourir les assiégés à Compiègne,
et depuis, de jour en jour, il y eut de grandes escarmouches entre les
Anglais et Bourguignons d'une part et ceux de la ville d'autre part. Or il
advint un jour que la Pucelle fit une saillie vaillamment ; mais les Anglais
chargèrent si fort sur elle et sa compagnie qu'elle fut prise. Et ce firent faire par envie les capitaines de France, pour ce que, si
quelques faits d'armes se faisaient, la renommée était telle par
tout le monde que la Pucelle les avait faits. Ladite Jeanne la Pucelle fut détenue en prison par les gens de Messire
Jean de Luxembourg ; et puis il la vendit aux Anglais qui la menèrent à Rouen. Elle fut prêchée à Saint-Ouen, et puis après menée au
Vieux-Marché, où elle fut brûlée, et la cendre mise à vau le
vent.
Source
:
- Présentation et texte original : Quicherat, t.IV p.345 et suiv.
-
Mise en Français plus moderne : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III : La libératrice" - J.-B.-J. Ayroles - 1897, p.383 et suiv.
Notes :
1 Le même fait est ainsi rapporté par Simon de Phares dans son livre des
Astrologiens célèbres : « Maistre Jehan des Builhons, prisonnier à Chartres des Anglois, grant philosophe et bon astrologien, prédist au conte de Salisbury, à Talebot et autres, leur infortune durant le siége d'Orléans et après ce qui advint ; dont il fut moult honnoré. Et le fist délivrer le roy Charles VIIe par le bastard d'Orléans, seigneur de Baugenci et conte de Dunois, et le retint de sa pension et maison honnorablement, jaçoit ce que aucuns qui encores sont de la race des Anglois. dient le contraire et qu'il mourut en prison. » (Manuscrit n. 7487 de la B. R.)
|