illiam Caxton, célèbre littérateur et imprimeur anglais, naquit
en 1412, la même année que Jeanne d'Arc ; mais il fut mercier à Londres jusqu'à l'âge de trente ans, et résident de commerce
en Flandre jusqu'à près de soixante, par conséquent très-peu occupé,
durant tout ce temps, des choses qui se passaient hors de sa
sphère. Lors donc que, s'étant improvisé homme de lettres, il
voulut doter son pays d'une chronique en sa langue nationale, il
se borna à compiler et à traduire du latin en anglais quelques
mauvais abrégés faits avant lui. D'après cela on peut juger quelle
est la valeur de l'ouvrage intitulé: The Cronicles of England,
que Caxton imprima lui-même dans son atelier de Westminster en
1480. Ce livre, d'une rareté excessive, ne paraît pas exister en
France, mais on en trouve assez facilement les éditions postérieures,
dans lesquelles a été fondu le travail d'un moine de Saint-Alban, composé en 1483 sous le titre de Fructus temporum. Ces éditions amplifiées des chroniques de Caxton, contiennent sur la
Pucelle un passage écrit peut-être avec connaissance de celui de
William Wyrcester, mais bien plus complet et plus instructif. On
y rend hommage à la valeur de Jeanne ; sa chasteté même n'est
pas contestée ; mais on prétend qu'après avoir été condamnée au
feu, elle feignit d'être enceinte pour obtenir un sursis à son exécution.
Deux choses sont à noter sur cette fausseté : d'abord qu'elle
a été répétée par le peu judicieux Polydore Vergile à l'intention
d'en tirer un effet pathétique ; ensuite qu'elle paraît être l'un des
mille bruits mis en circulation lors du jugement, pour justifier
aux yeux du peuple anglais les lenteurs de la procédure.
The cronycles of Englonde with the Fruyte of times. (London, Wynkyn de Worde, 1528 ). Pars 7, fol. clij v°, col 2.
This yere, on saynt Georges day, kyng Henry passed over the see to Calays toward Fraunce. Aboute this
tyme and afore, the realme beynge in grete mysery
and trybulacyon, the Dolphyn with his party began
to make warre, and gate certayn places, and made distresses
upon Englyshmen, by the meane of his capytains,
that is to saye, La Heer and Poton de Sayntraylles,
and in especyall a mayde whiche they named
la Pucelle de Dieu. This mayde rode lyke a man and
was a valyaunt capitayn amonge them, and toke upon
her many grete enterprises, in so moche that they had
a byleve for to have recovered all theyr losses by her.
Not withstanding, at the last, after many grete feates,
by the helpe and prowesse of syr John Luxemburgh,
whiche was a noble capytayn of the duke of Burgoyns,
and many Englyshe men, Pycardes and Burgonyons,
whiche were of our party, before the towne of Compyne,
the XXII daye of maye, the foresayd Pucelle was
taken in the felde, armed lyke a man, and many other
capitayns with her. And were all brought to Roen,
and there she was put in pryson, and there she was
judged by the lawe to be brent. And then she sayd
that she was with childe ; wher by she was respited
a whyle (1); but in conclusyon, it was founde that she
was not with chylde, and then she was brent in Roen.
And the othere capitayns were put to raunson and
entreated as men of warre ben acustomed.
Traduction (2) :
Cette année, le jour de Saint-Georges, le roi Henry passa la mer
jusqu'à Calais, allant vers la France. Vers cette époque, et ultérieurement,
le royaume subit de grands malheurs et tribulations ; le Dauphin
et ses partisans commencèrent à faire la guerre, s'emparèrent de plusieurs
places fortes, et firent subir des désastres aux Anglais. Ils étaient
commandés par des capitaines tels que La Hire et Poton de Saintraylles,
et principalement par une jeune fille qu'ils appellent la Pucelle de Dieu.
Cette jeune fille montait à cheval comme un homme, et c'était parmi
les Français un vaillant capitaine ; elle fit faire sous ses ordres de grandes
entreprises, si bien que les Français avaient la conviction que, par elle,
ils pourraient recouvrer tout ce qu'ils avaient perdu. Cependant, à la fin,
après beaucoup de grandes batailles, avec l'appui de Mgr Jean Luxembourg
qui fit de vraies prouesses, et était un noble capitaine du duc de
Bourgogne, beaucoup d'hommes d'armes anglais, des Picards et des
Bourguignons qui étaient de notre parti, campant devant la ville de
Compiègne, le vingt-deuxième jour de mai, la Pucelle dont je viens
de parler fut prise sur le champ du combat, armée comme un homme,
et beaucoup d'autres capitaines furent pris avec elle. Ils furent tous
conduits à Rouen, et là elle fut mise en prison, et on la condamna,
d'après la loi, à être brûlée. Et alors, elle dit qu'elle était enceinte, ce
qui fit suspendre l'exécution quelque peu. Mais, comme conclusion de
l'affaire, on trouva qu'elle n'était pas enceinte, et alors elle fut brûlée
dans Rouen. Et les autres capitaines furent mis à rançon, et traités
comme on a coutume de le faire pour les hommes de guerre.
Sources et commentaires : Jules Quicherat - t.IV, p.475.
Traduction : J-B. J. Ayroles, la vraie Jeanne d'Arc, t.IV, p.304
Notes :
1 Polydore Vergile, au livre XXIII de son Historia Anglica : « Sed
Puella infelix, priusquam ea poena affecta sit, memor humanitatis quæ unicuique
innata est, simulavit se gravidam esse, quo aut hostes misericordia
frangeret aut faceret ut mitius supplicium statuerent. Verum postquam ob eam
causam novem menses est servata ad partum, et res vana apparuit, nihilominus
crematur. »
2 J-B. J. Ayroles : ... un passage que Quicherat ne donne qu'en
anglais, mais dont la traduction a été faite pour le présent volume
par M. Chaulin, l'honorable magistrat qui nous avait rendu le même
service pour quelques pièces du tome précédent.
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