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10 décembre 2024  

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La chronique de Perceval de Cagny - index

e témoignage que nous allons faire connaître se place par son importance à côté des plus précieux qui aient été recueillis jusqu'à présent (en 1846). C'est un extrait consistant en vingt-neuf chapitres, d'une chronique inédite des ducs d'Alençon, conservée à la Bibliothèque royale (1). Le manuscrit n'en est pas ancien, car il est de la main d'André Duchesne ; mais l'ouvrage est du quinzième siècle. Dans une courte préface se lisent les nom, titres et qualités de l'auteur, lequel était gentilhomme beauvaisien et s'appelait Perceval de Caigny (2). En 1438 , qui est la date de cette préface (3), Perceval de Caigny avait passé quarante-six ans de sa vie au service des princes d'Alençon, tour à tour panetier, écuyer d'écurie et maître d'hôtel à leurs gages. Exempt de toute prétention au bel esprit, il eut l'idée sur ses vieux jours de dicter simplement et naïvement le récit des choses qu'il avait vues et qui pouvaient servir à la gloire de ses maîtres. De là sa chronique, qu'il appelle son mémoire.
  Cet ouvrage a été connu et mis à contribution par l'avocat Bry de la Clergerie, historien du duché d'Alençon, qui écrivait au commencement du dix-septième siècle. Vers le même temps, Duchesne exécuta sa copie d'après un original dont il n'indique pas la provenance. Depuis lors, personne ne paraît avoir eu connaissance de Perceval de Caigny, si ce n'est le P. Lelong, qui l'a nommé parmi les historiens des maisons royales, renvoyant, pour plus ample informé, au manuscrit même de Duchesne (4). Mis à cette place, le vieil annaliste alençonnais ne se recommandait guère plus qu'à l'attention des généalogistes, qui n'ont pas troublé son repos.
  Nous laisserons à d'autres le soin de traiter plus à fond la question littéraire de Perceval de Caigny, nous bornant ici aux seules remarques nécessaires, pour qu'on estime à sa juste valeur l'extrait, que nous publions.
  Comme historien de la Pucelle, Perceval de Caigny a un grand avantage par la date de son livre. Avoir consigné ses souvenirs neuf ans au plus tard après l'accomplissement des faits, est une circonstance que la critique ne peut se dispenser de prendre en considération, car elle y trouve une garantie d'exactitude que ne présente pas tel ou tel autre témoin, aussi bien informé, mais n'ayant parlé ou écrit qu'au bout de vingt ou de trente ans. A ce mérite, notre auteur joint d'ailleurs celui d'une chronologie irréprochable et tout à fait propre à justifer l'opinion favorable que l'on peut concevoir à priori de sa fidélité.

  La condition de Perceval de Caigny est encore un motif d'avoir son témoignage pour recommandé ; car, comme le duc d'Alençon régnant du temps de Jeanne d'Arc, fut celui des capitaines français qui se tint le plus constamment avec elle ; que, par suite d'une fraternité d'armes formée entre eux deux, on les vit partout chevaucher, combattre, camper l'un à côté de l'autre, et ne faire des gens de leur suite qu'une seule et même compagnie : il résulte de là que les serviteurs attachés à la personne du prince furent les mieux placés pour observer la Pucelle et pour connaitre ses actions.
  Quant à la bonne foi, elle ne peut être tenue pour suspecte dans un auteur qui, après avoir déclaré qu'il écrit l'histoire en vue de glorifier son maitre, n'hésite pas cependant à placer ce maitre au second rang, lorsqu'un personnage plus digne d'attention se présente. Ainsi fait-il à l'occasion de la Pucelle, et tout le temps qu'il en parle il est si peu au duc d'Alençon, que des choses à la louange de celui-ci qui sont dites ailleurs, il les omet.
  Mais ce qui donne à son récit un prix inestimable, c'est qu'il y met en évidence tout un ordre de faits qui avaient pu échapper jusqu'à présent à la critique des modernes.
  Expliquons-nous là-dessus :
  Les chroniqueurs du parti français, qui ont parlé de Jeanne d'Arc, laissent voir par plusieurs exemples qu'elle ne fut pas toujours écoutée ; que les capitaines substituaient parfois leurs plans aux siens ; que le conseil du roi refusait d'entendre aux entreprises proposées par elle. Il ne s'agit pas ici des défiances très légitimes qui l'accueillirent à son arrivée ; mais après ses preuves faites ; les oppositions dont nous voulons parler continuèrent de se produire, et à tel point, qu'elle y dut céder plus d'une fois. C'est ainsi qu'au début du voyage de Reims, lorsqu'elle voulait qu'on prît Auxerre, on se contenta de conclure une trêve avec les habitants de cette ville (5); que quelques jours après, le siège de Troyes faillit être levé à son insu et malgré sa recommandation expresse (6); qu'après les cérémonies du sacre, lorsqu'elle montrait au roi le chemin de Paris, celui-ci prit la direction de Sens, et ne revint sur ses pas que parce qu'il ne put traverser la Seine à Bray (7). C'est ainsi encore que, lorsque Paris ayant été manqué, la Pucelle se faisait fort de conquérir la Normandie avec le duc d'Alençon, on ne voulut pas l'y laisser aller (8).

  Voilà des actes qui, s'ils constituaient un système, ne parleraient guère en faveur du gouvernement à qui ils sont imputables. Toutefois, de ce qu'ils sont isolés dans trois auteurs différents et qu'ils ne se présentent pas avec l'enchaînement que nous venons de leur donner ; de ce qu'aussi les auteurs qui les rapportent  ne leur attribuent pas de fâcheuses conséquences, il s'en est suivi qu'on ne leur a jamais accordé beaucoup d'attention. Ils ont passé pour les œuvres assez insignifiantes ou d'une circonspection mal entendue, ou d'une malveillance impuissante. La sécurité où l'on s'est tenu à leur égard a été augmentée par l'habitude qu'on a prise depuis M. de l'Averdy, de vouloir résoudre tous les doutes nés et à naître de l'histoire de Jeanne d'Arc, par les pièces de ses deux procès ; or, comme ni dans le procès de condamnation, ni dans celui de réhabilitation, n'apparaît l'ombre d'un embarras suscité à la Pucelle depuis la délivrance d'Orléans, le silence de tant de témoins a pesé d'un grand poids contre les allégations des chroniqueurs.
  Sans entrer dans de trop longs raisonnements, nous pouvons faire remarquer que pour l'objet en question, l'argument tiré des procès contre les chroniqueurs ne vaut rien. Car quel genre de témoignage trouve-t-on dans ces deux documents ? Le premier n'offre que les in
terrogatoires d'une accusée ingénieuse autant que résolue à ne rien dire qui puisse être interprété contre son parti. Le second renferme les dépositions de témoins très nombreux, il est vrai, mais admis seulement à articuler sur l'innocence de Jeanne d'Arc, et non pas à faire des révélations offensantes pour de grands personnages. Il n'y a donc pas là de quoi s'instruire sur les intrigues dont le conseil du roi a pu être le théâtre ; et ainsi les faits que nous rassemblions tout à l'heure subsistent avec toute leur gravité ; et pour être qualifiés comme ils le méritent, ils n'attendent que la confirmation, par un document plus explicite, des conjectures auxquelles ils donnent lieu.
  Ce document révélateur, nous pouvons dire que nous le publions-aujourd'hui. Perceval de Caigny vient ajouter de nouveaux aveux à ceux des chroniqueurs ses confrères ; trahir le secret de leur silence en maints endroits, fournir enfin tant de preuves d'un parti pris autour de Charles VII de contrecarrer et d'entraver à tout propos la pauvre Jeanne, qu'il faudra bien désormais modifier l'histoire en ce sens. On devra dire qu'indépendamment des efforts de l'Angleterre, la Pucelle eut à combattre la résistance continuelle de l'absurde et odieux gouvernement en faveur duquel elle vint accomplir des miracles.
  Il n'est pas inutile de dégager de notre chronique les circonstances d'où ressort une si grave accusation.

  La ville d'Orléans est délivrée le 8 mai 1429 ; aussitôt après, Jeanne d'Arc va trouver Charles VII et le presse de se disposer au voyage de Reims. Le conseil fait de grandes difficultés, trois semaines se passent en discussions ; enfin le roi se décide et donne jour à ses capitaines pour se trouver à Gien, qui sera le rendez-vous de l'expédition. La Pucelle en attendant va délivrer Jargeau, prend Beaugency et Meun, défait les Anglais en bataille rangée, tout cela en huit jours ; et lorsque, recommandée par ces nouveaux succès, elle vient pour emmener le roi, elle le trouve changé d'avis ; il ne veut plus aller à Reims. "Par despit, dit Perceval, la Pucelle délogea et alla loger aux champs." Mais plusieurs milliers de volontaires gentilshommes, bourgeois et artisans s'étaient rendus à Gien. Ceux-là voulurent qu'on se mit en chemin, suivant le dessein de la Pucelle. Pour les décourager, on eut beau leur faire entendre qu'il n'y avait pas d'argent ; comme ils répondirent qu'ils feraient le voyage à leurs frais, force fut de partir.
  Voilà déjà qui ne ressemble guère à ces récits qui sont dans les livres, et où l'on fait partir le roi obéissant et joyeux, comme ces patriarches de l'Écriture que les anges venaient prendre par la main.
  Perceval de Caigny est assez bref sur les circonstances du voyage à Reims. Peut-être en ce moment avait-il été chargé par son maitre d'une commission qui l'éloigna. Il ne dit rien, dans cette partie, qui ne se trouve ailleurs ; et même il ne dit pas tout ce qui se trouve ailleurs. Il ne reprend le fil de ce qu'on peut appeler ses révélations qu'au moment où Jeanne d'Arc veut faire prendre au roi le chemin de Paris après la prise de Senlis. Cette fois le roi s'arrête et ne veut pas faire un pas de plus, quoique Bedford ait abandonné la capitale avec une précipitation qui trahit ses craintes, quoique la confiance soit toujours la même parmi les Français. En vain lui envoie-t-on message sur message de l'avant-garde qui est déjà logée à Saint-Denis. Depuis le 26 août, jusqu'au 5 septembre, la Pucelle n'obtient rien de lui ni par lettre, ni par ambassade. Enfin elle envoie le duc d'Alençon, qui plus heureux, finit par le décider après quinze jours écoulés en pure perte, et lorsque les Parisiens, témoins de ces incertitudes, ont eu plus que le temps de mettre leur ville à l'abri d'un coup de main.
  Il suffit que la Pucelle voie le roi à Saint-Denis pour que son élan lui revienne aussi entier, aussi irrésistible que lorsqu'elle entrait pour la première fois dans les murs d'Orléans. Le 8 septembre elle conduit les capitaines à la porte Saint-Honoré. Ils combattent toute la journée sans pouvoir aller plus avant que le fossé ; mais dans la position qu'ils ont prise, le canon du rempart ne peut déjà plus les atteindre, et Jeanne d'Arc leur proteste que s'ils persistent encore un moment, la ville est à eux. Malheureusement un trait l'atteint à la cuisse. Les gens d'armes la voyant blessée, avisent que la nuit est close et qu'ils sont bien las. En vain elle continue ses instances ; on la prend, on la met de force sur un cheval et on l'emmène à la Chapelle.
  Elle n'était pas blessée si grièvement qu'on a coutume de le dire, puisque, d'après le témoignage de notre chroniqueur, le lendemain elle était la première levée au camp, et que, courant de côté et d'autre, elle excitait les capitaines à retourner à l'assaut de Paris. Sur ces entrefaites, arrive le sire de Montmorency qui jusque-là avait tenu pour les Anglais. Il vient faire sa soumission, ayant quitté Paris le matin même avec une bande nombreuse de gentilshommes ; de sorte que l'arrivée de ce renfort transporte les gens d'armes d'enthousiasme, et que déjà ils regardent la ville comme gagnée. Mais tout ce mouvement déplaît au roi ; et comme il veut y mettre fin, il envoie chercher la Pucelle par René d'Anjou. Les capitaines aussi sont invités à se rendre auprès de leur souverain. Il n'y aura pas d'assaut, ni ce jour, ni le lendemain. Paris est perdu pour sept ans encore ; car on n'y laissera pas aller la Pucelle, et ainsi on la fera mentir ; elle qui avait tant dit qu'elle y entrerait. Apprenant qu'elle veut profiter d'un pont établi à la Briche pour se jeter sur la rive gauche de la Seine et tenter une attaque sur le quartier Saint-Germain, le roi ordonne la rupture du pont. Deux jours après, il donne l'ordre du départ pour l'Orléanais.
  Veut-on savoir le procédé des chroniqueurs qui ont arrangé ces faits au goût de la cour et du roi ? Ils s'y sont pris de la même facon que ceux du parti anglais. Ils ont borné à la journée du 8 toutes les tentatives sur Paris, et cela, en exagérant de leur mieux la témérité d'une telle entreprise. A les en croire, Jeanne aurait été emmenée de là ne valant guère mieux que morte ; silence absolu de leur part sur les évènements du lendemain et sur la défection du sire de Montmorenci. Le seul Jean Chartier, qui probablement avait été payé par la famille, trouve moyen d'introduire le nom de ce seigneur sans rien compromettre ; il le cite bonnement parmi les chevaliers qui secondent la Pucelle dans la journée du 8, lui qui ce jour-là faisait tirer sur elle de dessus les remparts. Mais c'est ainsi que s'écrivait l'histoire au quinzième siècle.

  Après la trahison de Paris, commencent pour Jeanne d'Arc sept mois de repos dont Perceval de Caigny, sans dire grand'chose, dit assez cependant pour qu'on les considère comme une époque bien douloureuse dans la vie de cette fille infortunée. On l'éloigna des capitaines qui l'avaient prise en affection ; on la tint à la cour comme une princesse, environnée de soins hypocrites, elle qui ne demandait que des soldats pour achever la conquête du royaume. Une fois on feignit de condescendre à ses désirs, en lui permettant la malheureuse campagne du Nivernais qu'elle dut entreprendre au cœur de l'hiver et sans argent. Enfin, du printemps de 1430, ne pouvant supporter davantage la vie qu'on lui faisait, elle s'évada de la cour : "Le roy estant à Sully sur Loire, la Pucelle qui avoit veu et entendu tout le fait et manière que le roy et son conseil tenoient le recouvrement de son royaulme ; elle, très mal contente de ce, trouva manière de soy despartir d'avecques eux. Et sans le sceu du roy ne prendre congé de luy, elle fist semblant d'aler en aucun esbat, et sans retourner, s'en ala à la ville de Laingni surMarne."
  Cette fuite a été ignorée jusqu'ici. Elle est trop voisine du désastre de Compiègne pour qu'on ne lui suppose pas une influence fâcheuse sur le déterminations ultérieures prises par le roi à l'égard de la Pucelle. Dieu sait si les gens qui ne l'aimaient pas, manquèrent l'occasion d'arguer contre elle de sa désobéissance ! Perceval de Caigny ne dit rien toutefois sur ce point déjà tant débattu ; il se hâte de raconter la fin de son héroïne, en mêlant au récit de sa captivité une anecdote qu'il semblerait tenir de Jean d'Aulon, le maître d'hôtel de la Pucelle. Un peu plus loin que la mention du supplice, vient un chapitre où la conduite politique de Charles VII est examinée et blâmée sévèrement.
  Mais c'est assez de commentaires pour préparer à l'intelligence du texte même de notre auteur, que voici :


                             

Chapitres :

chap.1 - La venue de la Pucelle devers le roi
chap.2- Comme la Pucelle commença à faire la guerre aux Englois

chap.3- Des vivres menez à Orléans
chap.4- Comment la Pucelle print et leva les bastilles d'Orléans
chap.5- Le département des Englois de devant Orléans
chap.6- L'entreprinse de couronnement du Roy
chap.7- L'assaut de Gergeau
chap.8- Du siège de Baugency
chap.9- La bataille de Patay
chap.10- Le commencement du sacre du Roy
chap.11- Le jour que le Roy arriva à Rains et fut sacré
chap.12- Comment le Roy après son sacre print son chemin à venir...
chap.13- Comment le Roy et le duc de Bethford furent l'un devant l'autre...
chap.14- Comme le Roy vint à Compiengne quant il ot lessé le duc de Beth...
chap.15- Comme le duc de Bethford habandonna Paris
chap.16- Comme la Pucelle donna l'assaut à la ville de Paris
chap.17- Comme la Pucelle partist de Paris oultre son vouloir
chap.18- Comme le Roy partit de Saint Denys
chap.19- Comme le duc d'Alençon se partit du Roy
chap.20- Comme le Roy demoura à parsuir sa guerre
chap.21- Comme la Pucelle se partit du Roy
chap.22- Comme elle vint à Compiengne et là fut prinse
chap.23- La prinse de la Pucelle
chap.24- Comme la Pucelle fut mise en prison
chap.25- Comme la Pucelle fut jugée à mort
chap.26- Quant la Pucelle fut arse
chap.27- Comme le Roy voulut traictier aux Englois et au duc de Bourg...


                                                 


Source : Présentation Jules Quicherat - Bibliothèque de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143 - 1845-46 et Procès de condamnation et de réhabilitation de la Pucelle t.IV, p.1 à 37.

Notes :
1 Collection.Duchesne, vol. 48.

2
Sans doute Cagny, qui a été érigé en duché pour la famille de Boufflers.

3 Il y a dans la copie mccccxxxvi mais par une faute facile à corriger, puisque le récit est poursuivi jusqu'à la fin de 1438.

4 Bibl. hist. de la France, V°édition, Généalogies des princes de sang, n°10212

5 Jean Chartier, duns Godefroi, Hisloirede Charles Vli, p. 29

6 Chronique de la Pucelie, ibid., p.521.

7 Jean Chartier, p.33.

8 Jacques Le Bouvier, dit Berri. ibid. p.381.




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