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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-7- [Comment les ducs de Bethfort, de Bourgongne et de Bretaigne vindrent à Amiens, et firent aliances entre eulx.]

u commencement de cest an mil quatre cens vingt et trois, se assemblèrent à Amiens les ducs de Bethfort, de Bourgongne et de Bretaigne, avec eulx, de chascune partie, grant nombre de chevaliers et escuyers. Et avec ledit Bethfort, qui se nommoit régent de France, estoit le grant conseil du jeune roy Henry d'Angleterre, et avec le duc de Bretaigne estoit Artus, conte de Richemont, son frère. Lesquelz princes, venus audit lieu d'Amiens, firent l'un à l'autre grande révérence, et semblant de tout amour. Et donna le duc de Bethfort royallement à disner aux autres princes, en l'hostel épiscopal de l'évesque d'Amiens, où il estoit logé. Et après ces choses traictèrent l'ung avec l'autre, et firent aliances par la forme et manière contenue en unes lectres scellées de leurs seaulx et signées de leurs signes manuelz. Desquelz la copie mot à mot s'ensuit :

  « Jehan, gouverneur et régent du royaulme de France, duc de Bethfort, Phelippe, duc de Bourgongne, et Jehan duc de Bretaigne, à tous ceulx qui ces présentes lectres verront et orront, salut. Sçavoir faisons,
que pour la considération des amistiés et prouchaineté de lignage qui jà sont entre nous moyennant les mariages concludz, accordez et confermez entre nous Jehan, duc de Bethfort, régent de France, et nostre très chière et très amée compaigne et cousine, Anne de Bourgongne, d'une part, et nostre très chier et très amé frère Artus duc de Touraine, conte de Montfort et de Yvry, et de nostre très chière et très aymée seur et cousine, Marguerite de Bourgongne, d'autre part, et pour le bien du roy nostre sire et de ses royaulmes de France et d'Angleterre, de nous et de noz dominacions et seigneuries, de noz terres, pays et subgectz, nous et chascun de nous, jurons et promettons estre et demourer tant que nous vivrons, en vraye fraternité, bonne amour et union, et nous entreaymerons et entretiendrons comme frères, parens et bons amis; garderons et deffendrons l'honneur l'ung de l'autre, tant en couvert comme en publicque, sans fraction ne quelconque dissimulation; advertirons l'ung l'autre de tout ce que nous sçaurons et entendrons estre au prouffit, dommage, honneur ou blasme l'ung de l'autre, et de noz seigneuries, terres, pays et subjectz. Et se aucun, ou aucuns, nous faisoient mauvais rapport l'ung de l'autre, nous n'y adjousterons point de foy, mais retiendrons seurement chascun devers nous, ceulx qui feront lesditz rappors, et par vraye amour et charité ferons sçavoir incontinent à celluy de qui celle relation aura esté faicte, pour en faire ainsi comme raison sera. Et si, nous ou l'ung de nous, avons affaire pour nostre honneur, ou noz pays, terres et seigneuries garder et deffendre contre aucuns autres qui nous vouldroient grever ou endommager, nous et chescun de nous seront tenuz de ayder et de servir cellui de nous qui aura à besongner, se de ce sommes requis, et à cinq cens hommes d'armes, ou de traict valans ledit nombre, en la manière que cil qui aura à besongner vouldra. Et sera tenu cellui qui sera requis, payer ses gens à ses dépens pour le premier mois, et cellui qui les requerra sera tenu les payer du sien au temps qu'ilz serviront oultre. Et se aucun de nous veult avoir plus grant puissance ou ayde, cellui qui sur ce et de ce sera requis, sera tenu de ayder le requérant le plus habondamment qu'il pourra, ses pays demourez garniz.
  « Item, que de toute nostre puissance et par les meilleures voyes et manières que nous sçaurons adviser, nous nous employerons pour le relèvement du povre peuple de ce royaume, qui tant a à souffrir et tant seuffre de povreté, à débouter les guerres hors de ce royaume, et le mectre en pais: et transquilité, adfin qu'en icellui royaulme Dieu soit servi et honoré, et que marchandise et labour y puisse avoir cours. Nous et chascun de nous promettons loyaument et en parolle de prince, faire tenir et accomplir toutes les choses dessusdictes par la manière dessusdicte, autant que nous vivrons, sans doresenavant faire ou aler à l'encontre, par quelque manière que ce soit, soubz l'obligation de noz biens, tant meubles que immeubles, présens et advenir. En tesmoing de ce, nous avons fait mectre nos séeaulx à cesdictes présentes, lesquelles nous avons scellées et signées de nos propres mains, et avons escript au dessoubs nos propres noms. En la ville d'Amiens, le XVIIe jour d'avril, l'an mil quatre cens et vingt trois.
»

  Avec icellui traicté et accord dessusdit, furent parconfermez les deux mariages dessus déclarez, c'est assavoir du duc de Bethfort, régent, et de Anne, seur au duc de Bourgongne, et avec ce, de Artus de Bretaigne, et de Marguerite, seur au duc dessusdit. Laquelle auparavant avoit eu espouse le filz ainsné du roy Charles, Daulphin de Vienne, et duc d'Acquitaine. Et fut vérité que le duc de Bourgongne donna à sa seur Anne avec le duc de Bethfort, sa conté d'Artois avec toutes ses appendances héréditablement, en cas toutesfois qu'il n'y eust nul hoir de sa chair nez en loyal mariage. Après tous lesquelz traictez, se départirent de la ville d'Amiens les ducs de Bethfort et de Bourgongne, lesquelz retournèrent ensamble à Paris, et le conte de Richemont s'en ala à Arras. Et le duc de Bretaigne receut premier six mille escus pour les despens de son voyage, que lui fist délivrer ledit régent, et puis retourna en son pays avec ses Bretons. Durant le temps que les ducs de Bethfort, de Bourgongne et de Bretaigne furent ensamble à Amiens, requist icellui duc de Bourgongne audit Bethfort, que au cas que les chastellenies de Péronne, de Roye et de Mondidier seraient remises au domaine du Roy, que en ce liu (1) lui feussent délivrées les villes d'Amiens et d'Abbeville, Monstreuil, Orléans (2), Beauquesne et toutes les appartenances. Sur quoy lui fut respondu que on en parleroit au grant conseil du Roy.
  En après, le duc de Bethfort, régent, à tout grande puissance de ses Anglois s'en ala à Troyes en Champaigne. Auquel lieu lui fut amenée honnorablement, du pays de Bourgongne, Anne, seur au duc Philippe. Et lui amena en gracieux appareil, la dame de Rochefort et la dame de Salins, accompaignées du seigneur de Saint-George et aucuns autres barons et seigneurs de Bourgongne. Avec lesquelz estoit ung nommé Jehan de Quielong, qui de par le duc de Bourgongne avoit esté envoyé devers la duchesse douagière pour faire apprester les besongnes. Lesquelz venus audit lieu de Troyes, le duc de Bethfort épousa ladicte damoiselle de Bourgongne. Et furent les nopces faictes tant solennellement comme royallement. Après lesquelles, aucuns jours ensuivans passez, se départirent lesdictes dames l'une d'avec l'autre, non mie sans pleurs, retournans en Bourgongne. Et le duc de Bourgongne, à tout sa femme, la duchesse, print son chemin vers Paris. Auquel chemin il assiéga puissamment la ville de Pons-sur-Seine, laquelle en brief fut par force d'assault prinse des Anglois, et la plus grande partie des François qui dedens estoient, furent mis à mort cruelle. Et de là passa oultre et ala séjourner une espace de temps à Paris en l'hostel des Tournelles, lequel, pour sa demeure, il fist grandement réparer.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Lieu

2 D'Orléans sic dans Vérard. Il faut lire Darlens pour Doullens.



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