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Chronique
de la Pucelle
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- Du Sire de Giac et du Camus de Beaulieu - Du Sire de La
Trémoille qui le roy prinst à gouverner |
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e roy s'en vint après à Yssoudun, et estoit avec luy
le seigneur de Giac, qui estoit bien hautain, et disoit on que le
roy l'aimoit fort et qu'en effect il faisoit ce qu'il vouloit, dont
les choses alloient très mal.
Le roy fit une fois assembler ses trois estats à
Meun sur Yèvre ; ce n'estoit que pour avoir argent, sous
ombre de faire cesser les pilleries et roberies, qui estoient bien
grandes et trop destructives du peuple et du royaume. Et y eut des
gens des bonnes villes qui furent contens d'aider au roy, mais que
premièrement on veit les choses disposées à
oster les pilleries et non autrement. Et entre les autres, il y
avoit un évesque nommé Maistre Hugues Comberel (1)
qui soustint fort cette opinion ; et pour abréger, fut conclue
une taille ; et quand le roy fut en sa chambre, ledit Giac va dire
que qui l'en croiroit, on jetteroit ledit Comberel en la rivière,
avec es autres qui avoient esté de son opinion. Et dès
lors plusieurs seigneurs et autres furent très mal contens
de luy.
Les seigneurs de Lignères et de Culant (2)
qui avoient noise ou débats ensemble, estoient adjournez
audit lieu de Meun, où le roy leur avoit donné jour.
Et estoient pour lors à la cour les comtes de Foix et de
Comminges (3), ayant foison de capitaines
et de gens d'armes de leur pays ; et si y estoit le seigneur de
la Trémouille, lequel soustenoit Culant, et Giac soustenoit
Lisniéres. Or advint, un jour qu'on parloit en la présence
du roy du débat entre lesdites parties, où Giac parla
bien hautainement, en chargeant en aucune manière le seigneur
de la Trémouille, et en multipliant paroles il advint que
la Trémouille démentit Giac, dont le roy fut très
mal content.
Puis ledit de la Trémouille se partit du chastel
et le comte de Foix, qui avoit espousé sa soeur de mère
(4), luy demanda qu'il s'en partist
bientost ou qu'il auroit desplaisir ; et il s'en vint hastivement
à Yssoudun et le lendemain à Sully, et là se
tint par aucun temps, doubtant tousjours qu'il ne luy survint quelque
grand empeschement, car Giac excitoit fort le roy à faire
quelque desplaisir au seigneur de la Trémouille ; et aussi
ledit de la Trémouille et le connestable considérans
que ledit de Giac avoit fait de l'argent de la taille dessus dite
ce que bon luy avoit semblé, sans en employer comme riens
a résister aux ennemis, pensoient tousjours comme ils le
pourroient oster d'emprès le roy.
Et au mois de janvier audit an (5),
le roy estant à Yssoudun , et ledit de Giac ne se doutant
de riens, lesdits connestable et de la Trémouille entrèrent
à un poinct de jour dedans le chastel et vinrent jusques
à la chambre dudit Giac, et rompirent l'huis, le prisrent
en son lict et le menèrent à Bourges et depuis à
Dun le Roy, où ils le firent examiner par un homme de justice
qui estoit au connestable sur le faict des finances prinses ; et
il en confessa bien et largement. Et pour ce qu'il estoit aucune
renommée qu'il avoit par poisons fait mourir sa femme, en
intention d'avoir dame Catherine de Lisle-Bouchart, belle et bonne
dame, laquelle auparavant avoit esté mariée à
Messire Hugues de Chalons, comte de Tonnerre , on l'interrogea sur
ce cas, et il le confessa avec autres choses, ainsi qu'on disoit.
Par quoy il fut jetté et noyé en la rivière,
puis fut tiré de l'eau et baillé à aucuns de
ses gens pour enterrer. Et assez tost après ledit de la Trémouille
espousa ladicte dame Catherine, et en eut plusieurs beaux enfans.
Et lors, un escuyer nommé le Camus de Beaulieu se mit près
du roy.
Source
: édition Vallet de Viriville - éd.1859
Notes :
1 Hughes de Combarel, évêque de Poitiers.
2 Lignières et Culant en Berry.
3 Mathieu de la Foix, frère de Jean.
4 Georges de la Trémoille était fils de Guy et de
Marie de Sully unis en mariage vers 1382.
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