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Les mémoires de Le Fèvre de Saint-Rémy
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Chap.151 - [Comment la Pucelle Jehanne vint en bruit et feut amenée au
siége d'Orléans. Comment elle saillist avec les Franchois sur les Anglois et
fut le siége abandonné.] |
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r convient il de parler de une adventure quy advint
en France, la nompareille que, comme je croy,
y advint oncques. Vray est qu'en ung vilaige sur les
marches de Lorraine, avoit ung homme et une femme,
mariez enssamble, qui eulrent pluiseurs enfans, entre
lesquelz eulrent une fille quy de l'eage de sept à huit
ans, fu mise à garder les brebis aux champs et longtemps
fist ce mestier. Or est vray qu'elle peut dire, du
temps qu'elle avoit ou pouvoit avoir dix huict ou vingt ans, qu'elle avoit souvent revelacion de Dieu, et
que devers elle venoit la glorieuse Vierge Marie accompaignée
de pluiseurs anges, sains et sainctes,
entre lesquelz elle nommoit madame saincte Katherine
et David le prophète (1), à tout sa harpe, laquelle il
sonnoit mélodieusement (2); et enfin elle disoit que
entre les aultres choses, elle eult revelacion de Dieu,
par la bouche de la Vierge Marie, qu'elle se mist sus
en armes, et que par elle, Charles, daulphin de
Vienne, seroit remis en sa terre et seignourie et qu'elle le menroit sacrer et couronner à Rains.
Icelles nouvelles advindrent à ung gentilhomme de
la marche, lequel la arma et monta et la mena au siége
d'Orléans allencontre des Anglois quy tenoient le
siége. Si fist assembler le bastart d'Orléans et aultres pluiseurs capitaines, ausquelz il compta ce que icelle fille
nommée Jehanne la Pucelle disoit. Et de faict fut interroghie
de pluiseurs saiges et vaillans hommes, lesquelz
se boutèrent en foy de le croire et adjoustèrent
en icelle si grant foy qu'ilz habandonnèrent et mirent
leurs corps en toute adventure avec elle. Et est vray
que ung jour elle leur dist qu'elle vouloit combattre
les Anglois, et assembla ses gens et se prinst de assaillir
les Anglois par la plus forte bastille que ilz tenoient,
que gardoit ung chevalier d'Angleterre nommé Cassedag (3). Icelle bastille fut par ladicte Pucelle et les
vaillans hommes assaillie et prinse de bel assault,
et là fut Cassedag mort : quy sambla chose miraculeuse,
veu la force de la bastille et les gens qui la
gardoient.
Le bruit courut par l'ost des Anglois de la prinse de
ladicte bastille, et finablement, quant ilz oyrent dire
que ladicte Pucelle avoit faict ceste emprinse, ilz en
furent moult espouventez ; et disoient entre eulx qu'ilz
avoient une prophecie qui contenoit que une Pucelle
les debvoit debouter hors de France et de tous
poins les deffaire. Si levèrent leur siége et se retrayrent
en aulcunes places de leur obéissance environ
ladicte ville d'Orléans. Entre lesquelz Anglois, le conte
de Suffort et le seigneur de La Poulle, son frère, se
tindrent à Gergeau ; mais gaires ne y furent que icelle
ville fut prinse d'assault, et là fut ledit seigneur de
La Poulle mort, et pluiseurs Anglois. La puissance
des dessusditz Anglois s'assamblèrent pour retourner à Paris devers le régent ; mais ilz furent de si près suivis des Daulphinois, qu'ilz se trouvèrent en battaille
l'un devant l'autre auprès d'ung villaige en
Beausse, quy se nomme Patté. Or advint qu'ilz cuidèrent
prendre place plus advantageuse que celle où ilz
estaient, et partirent de leur place. Mais les Daulphinois
frappèrent dedans tellement, qu'ilz les deffirent
et de tous poins les desconfirent. Là furent prins
le conte de Suffort, le seigneur de Tallebot et tous
les capitaines, excepté messire Jehan Fastot, lequel s'en alla : dont il eult depuis grant reproche pour che
qu'il estoit chevalier de la Gartière. Touteffois, il
s'excusa fort, disant que se on l'eust volu croire,
la chose ne fust pas ainsy advenue de leur part. Ainsy
furent Anglois desconfis, et se nomma icelle battaille,
la battaille de Patté.
Or il convient de parler d'une aventure qui advint en France, la non-pareille,
je crois, qui y advint jamais. En un village sur les marches de Lorraine, il y avait un homme et une femme, mariés ensemble, qui eurent plusieurs enfants, parmi lesquels une jeune fille, qui, dès l'âge de sept à huit ans, fut mise à garder les brebis aux champs et fit longtemps ce métier. Or, du temps qu'elle avait ou pouvait avoir dix-huit ou vingt ans, il est
vrai qu'elle put dire qu'elle avait souvent des révélations de Dieu ; que
vers elle venait la glorieuse Vierge Marie accompagnée de plusieurs
anges, saints et saintes, parmi lesquels elle nommait Madame sainte Catherine, et David le prophète, avec sa harpe qu'il sonnait mélodieusement. Elle disait enfin, entre les autres choses, avoir eu révélation
de la part de Dieu, par la bouche de la Vierge Marie, de se mettre en
armes, et que par elle, Charles, Dauphin du Viennois, serait remis en sa
terre et seigneurie, et qu'elle le mènerait sacrer et couronner à Reims.
Ces nouvelles vinrent à un gentilhomme de la marche qui l'arma, la
monta d'un cheval, et la mena à Orléans, à rencontre des Anglais qui y
tenaient le siège. Il y fit assembler le bâtard d'Orléans et plusieurs
autres capitaines auxquels il conta ce que disait cette fille nommée
Jeanne la Pucelle. De fait elle fut interrogée de plusieurs sages et vaillants
hommes, qui se boutèrent en voie de la croire, et ajoutèrent en icelle
si grande foi qu'ils abandonnèrent et mirent leurs corps à tout hasard avec elle.
Il est vrai qu'un jour elle leur dit qu'elle voulait combattre les
Anglais; elle assembla ses gens, et se prit à assaillir les Anglais par
leur plus forte bastille, que gardait un chevalier d'Angleterre nommé
Cassedag. Cette bastille fut assaillie et prise de bel assaut par
ladite Pucelle et par ses vaillants hommes, et Cassedas y fut tué ; ce qui
sembla chose miraculeuse, vu la force de la bastille et les gens qui la
gardaient.
Le bruit de cette prise courut parmi les Anglais, et finalement
quand ils ouïrent que pareille entreprise était l'oeuvre de la Pucelle, ils
furent très épouvantés. Ils disaient entre eux avoir une prophétie contenant
qu'une Pucelle devait les jeter hors de France et les défaire de tous
points. Ils levèrent le siège et se retirèrent dans quelques places de leur
obéissance autour d'Orléans.
Parmi eux le comte de Suffolk et le seigneur de La Poule, son frère,
se tinrent à Jargeau ; mais ils n'y restèrent guère que cette ville ne fût
prise d'assaut. Le seigneur de La Poule et plusieurs Anglais y trouvèrent la mort. Les Anglais rassemblèrent leurs forces pour retourner à
Paris vers le régent ; mais ils furent suivis de si près par les Dauphinois
qu'ils se trouvèrent en ordre de bataille l'un devant l'autre auprès d'un
village de la Beauce qui se nomme Patay. Les Anglais, espérant trouver
une place plus avantageuse que celle où ils étaient, la quittèrent; mais
les Dauphinois fondirent sur eux avec tant d'impétuosité qu'ils les défirent
et les déconfirent de tous points. Là furent pris le comte de Suffolk, le seigneur de Talbot et tous les capitaines excepté Messire Jean Fastolf ;
ce dont il eut dans la suite de grands reproches étant chevalier de la
Jarretière. Cependant il s'excusa fort, disant que si on eût voulu l'en
croire, la chose ne fût pas ainsi advenue de leur part. Les Anglais furent
ainsi déconfits, et cette bataille se nomma la bataille de Patay.
Présentation et texte original - Quicherat, t.IV, p.429 et suiv.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III, p.504 et suiv.
Notes :
1 Erreur du chroniqueur. Il n'est question de cela ni au procès, ni dans
les auteurs français, non plus que de l'apparition de la vierge Marie mentionnée
auparavant.
2 Quicherat avait noté "merveilleusement", terme rectifié par François Morand, éditeur de cette chronique.
3 Celui que les chroniqueurs français appellent Classidas (William Glasdale).
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