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Les mémoires de Le Fèvre de Saint-Rémy
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Chap.153 - [Comment le duc de Bourgongne assega la ville de Compiengne
où la Pucelle Jehenne fut prinse par une sallye qu'elle feit, et de
pluiseurs aultres fais de guerre.] |
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u mois de may M CCCC XXX, le duc mist le siége
devant une forteresse séant sur la rivière d'Enne,
près de la ville de Compiengne, nommée le Pont-à-Choisy, et falloit passer une grosse rivière nommée
Oize, et la passoit on à ung villaige nommé le Pontl'Evesque,
assez près de la cité de Noion ; et estoit
ledict passage gardé de deulx vaillans chevalliers d'Angleterre.
Et en icelluy s'estoient les adversaires du duc
assemblez en grant nombre pour combattre le duc ; et
là estoit Jehenne la Pucelle, laquelle estoit comme
chief de la guerre du roy, adversaire pour lors du duc ;
et creoient les adversaires qu'elle mectroit les guerres à fin, car elle disoit qu'il luy estoit revelé par la bouche
de Dieu et d'aulcuns Sains. Si conclurent lesdis adversaires
d'aller ruer jus ceulx qui gardoient ledict
pont ; et de faict les allèrent assaillir très radement ;
mais les chevalliers dessusdiz se deffendirent si vaillamment,
que les ennemis ne les peulrent grever. Et
aussy le seigneur de Saveuses et aultres des gens du
duc les vindrent aydier et secourir en toutte dilligence ;
et y eult grant foison de navrez d'ung costé et d'aultre ; et ne firent lesdiz adversaires aultre chose pour l'eure ;
ains retournèrent chascun en leurs villes et forteresses,
et les chevalliers demourèrent gardans le dict pont
tant que le duc fut devant ledit Pont-à-Choisy, où il
fut dix jours ; et s'enfuyrent ceulx de ladicte place.
Et tantost aprez que le duc eust prins ledict Pont-à-Choisy, repassa ledict pont et rivière, et se loga à
une lieue près de Compiengne, et son ost ès villaige
près de ladicte ville. Et ainsy que le duc ordonnoit ses
gens pour mectre son siége devant ladicte ville de
Compiengne, qui est grosse et grande ville, de grant
tour, et enclose en partie de deulx rivières d'Oize et d'Enne, quy assemblent devant ladicte ville ou assez
près, (et estoit capitaine de ladicte ville de Compiengne,
un escuyer nommé Guillaume de Flavi, lequel
faisoit de grans maulx ès pays du duc) : adont vint en
la ville de Compiengne la Pucelle par nuyt et y fut
deulx nuis et ung jour ; et au deuxiesme jour, dist
qu'elle avoit eu revelacion de Dieu qu'elle mectroit à desconfiture les Bourgongnons. Si fist fermer les portes
de ladicte ville, et assembla ses gens et ceulx de la
ville et leur dist la revélacion que luy estoit faicte,
comme elle disoit ; c'est assavoir que Dieu luy avoit
faict dire par saincte Katherine, qu'elle yssist ce jour
allencontre de ses ennemis et qu'elle desconfiroit le
duc ; et seroit prins de sa personne et tous ses gens
prins, mors et mis en fuite ; et que de ce ne faisoit
nulle doubte. Or est vray que par la créance que les
gens de son party avoient en elle, le crurent. Et
furent ce jour les portes fermées jusques environ deulx
heures apprès midy que la Pucelle yssist, montée sur
ung moult bel coursier, très bien armée de plain harnois et par dessus une riche heucque de drap d'or
vermeil ; et apprès elle son estandart et tous les gens
de guerre estans en la ville de Compiengne ; et s'en
allèrent en très belle ordonnance assaillir les gens des
premiers logis du duc.
Là estoit un vaillant chevallier, nommé Bauldot de
Noyelle, quy depuis fut chevalier de l'ordre de la
Thoison d'Or ; lequel, luy et ses gens, se deffendirent
moult vaillamment, non obstant qu'ilz furent
sousprins. Et pendant l'assault, le conte de Ligny, en
sa compaignie le seigneur de Crequy, tous deulx
chevaliers de l'ordre de la Thoison d'Or, à bien petit
nombre de gens, se mirent à approchier la Pucelle et
ses gens ; laquelle pour la resistence qu'elle avoit trouvée
au logis dudict Bauldot de Noyelle, et aussy pour
le grant nombre des gens du duc quy de toutez parts
arrivoient où la noise estoit, si commenchèrent à retrayre.
Si se frappèrent les Bourgongnons dedens si très
rudement, que plusieurs en furent prins, mors et noiez.
Et la Pucelle si soustenoit toutte la dernière le faiz de
ses adversaires ; et y fut prinse par l'ung des gens du
conte de Ligny ; et le frère de la Pucelle et son
maistre d'hostel. Laquelle Pucelle fut menée à grant
joie devers le duc, lequel venoit à toutte dilligence en
l'ayde et secours de ses gens. Lequel fut moult joyeulx
de la prinse d'icelle pour le grant nom qu'elle avoit ;
car il ne sembloit point à pluiseurs de son party que
ses œuvres ne fussent [si non] miraculeuses.
Au mois de mai MCCCCXXX le duc mit le siège devant une forteresse
assise sur la rivière de l'Aisne, près de la ville de Compiègne, et nommée
le Pont-à-Choisy. Il fallait passer une grosse rivière nommée l'Oise,
et on la passait à un village nommé le Pont-1'Evêque, fort près de la
cité de Noyon; le passage en était gardé par deux vaillants chevaliers
d'Angleterre.
En ce passage les adversaires du duc s'étaient assemblés en grand
nombre pour le combatttre ; dans leurs rangs était Jeanne la Pucelle,
qui était comme le chef de l'armée du roi alors adversaire du duc ; et
les adversaires croyaient qu'elle mettrait fin à la guerre, car elle disait
que cela lui était révélé par la bouche de Dieu et de quelques saints.
Les adversaires du duc projetèrent d'aller battre ceux qui gardaient le
pont, et de fait ils les assaillirent très raidement; mais les chevaliers dessusdits
se défendirent si vaillament que les ennemis ne les purent vaincre.
Il est vrai que le seigneur de Saveuse et d'autres gens du duc vinrent
les aider et secourir en toute diligence ; il y eut de côté et d'autres beaucoup
de blessés; ce fut tout ce que les assaillants obtinrent sur l'heure.
Ils retournèrent chacun en leurs villes et forteresses ; et les chevaliers demeurèrent gardiens dudit pont, tant que le duc fut au Pont-à-Choisy,
où il resta dix jours, après lesquels s"enfuirent ceux qui gardaient la
place.
Après que le duc eut pris le Pont-à-Choisy, il repassa ledit pont et la
rivière, et se logea à une lieue près de Compiègne et son armée dans les
villages des environs. Il ordonnait ses gens pour mettre le siège devant
cette ville qui est grosse et grande, de grand tour, enclose en partie de
deux rivières l'Oise et l'Aisne qui se joignent devant ou tout près de ses
murailles et où commandait comme capitaine un écuyer nommé
Guillaume de Flavy, qui faisait de grands maux dans les pays du duc,
quand par une nuit la Pucelle vint à Compiègne, où elle fut deux nuits
et un jour. Le second jour elle dit avoir eu révélation de Dieu qu'elle
mettrait les Bourguignons en déconfiture. Elle fit fermer les portes de la
ville, assembla ses gens et ceux de la place, et leur dit la révélation qui, à ce qu'elle disait, lui avait été faite, c'est à savoir que Dieu lui avait fait
dire, par sainte Catherine, qu'elle fît en ce jour une sortie contre les
ennemis, qu'elle déconfirait le duc, qu'il serait pris de sa personne, que
tous ses gens seraient pris, morts et mis en fuite, et que de cela elle ne
faisait nul doute. Or il est vrai que les gens de son parti le crurent par la créance qu'ils
avaient en elle. Les portes, ce jour-là, restèrent fermées jusqu'à deux
heures après midi que la Pucelle sortit, montée sur un très beau coursier,
très bien armée, pleinement équipée, et portant par dessus une riche
huque de drap d'or vermeil ; derrière flottait son étendard et marchaient
tous les gens de guerre de la ville de Compiègne, et ils allèrent en très
belle ordonnance assaillir les gens des premiers logis du duc.
Là était un vaillant chevalier nommé Baudot de Noyelle qui fut depuis
chevalier de l'ordre de la Toison d'Or. Lui et ses gens, nonobstant qu'ils
furent surpris, se défendirent très vaillamment. Pendant le combat, le
comte de Ligny, ayant en sa compagnie le seigneur de Créquy, tous deux
chevaliers de l'ordre de la Toison d'Or, et avec eux un petit nombre de
gens, se mirent à approcher la Pucelle et ses combattants. La résistance
opposée par le poste de Baudot de Noyelle, et aussi le grand nombre des
gens du duc, qui arrivaient de toutes parts au lieu de la mêlée, commencèrent à faire reculer la Pucelle et ses hommes. Les Bourguignons se
jetèrent sur eux avec tant de force que plusieurs en furent pris, morts et
noyés. La Pucelle la toute dernière soutenait le faix de ses adversaires, quand
elle fut prise par l'un des gens du comte de Ligny, ainsi que son frère et son maître d'hôtel. Laquelle Pucelle fut menée à grande joie vers le duc,
qui venait en toute diligence à l'aide et au secours de ses gens. Il fut très
joyeux de cette prise pour le grand nom qu'avait icelle Pucelle ; car il ne
semblait pas à plusieurs de son parti que ses oeuvres fussent autres que
miraculeuses.
Présentation et texte original - Quicherat, t.IV, p.429 et suiv.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III, p.504 et suiv.
Notes :
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