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Chronique de Perceval de Cagny -
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10 - Le commencement du sacre du Roy |
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e vendredi bien matin, la Pucelle dist au duc d'Alencon : "Faites
sonner trompilles et montez à cheval. Il est temps d'aler
devers le gentil roy Charles pour le metre à son chemin de
son sacre à Rains."
Ainssi fut fait. Touz montèrent à cheval en la ville
et ceulx des champs. Et celui jour furent au giste devers le roy
en la ville de Gien sur Laire. Le roy fist grant feste et grant
joye de la venue de la Pucelle, du duc d'Alençon et de leur
compaignie. Et ce jour, fut moult parlé par touz les seigneurs,
les chevaliers, les escuyers, les gens de guerre et toutes gens
de quelque estat qu'ilz fussent, qui tout tenoient à très
grant merveille les grans aventures de guerre qui le samedi devant
estoient avenues par l'entreprinse de la Pucelle à elle et
à sa compaignie. Et croy que ne vit nul qui ait veu la pareille
telle que metre en l'obéissance du roy, et en ung jour, trois
notables places, c'est assavoir la ville et chasteau de Meun sur
Laire, la ville et chasteau de Baugency et la ville et chastel de
Yenville en Beausse, et gaigné près le village de
Patay une journée sur les Englois qui estoient en nombre
de .... mille et noz gens environ ..... (1).
Le roy fut audit lieu de Gien jusques au mercredi xxix°
jour de juing. Et fut la Pucelle moult marrie du long séjour
qu'il avoit fait audit lieu par aulcuns des gens de son hostel qui
luy desconseilloient de entreprendre le chemin d'aler à Rains,
disans qu'il avoit plusieurs citez, autres villes fermées,
chasteaulx et places fortes bien garnies d'Englois et Bourgoignons entre ledit
lieu de Gien et Rains. La Pucelle disoit qu'elle le sçavoit
bien et que de tout ce ne tenoit compte ; et par despit se deslogea
et ala logier aux champs deux jours avant le partement du roy. Et
combien que le roy n'avoit pas argent pour souldoier son armée,
touz chevaliers, escuiers, gens de guerre et de commun ne refusoient
point de aler servir le roy pour ce voyage en la compaignie de la
Pucelle, disans que ilz yroient par tout où elle vouldroit
aler. Et elle disoit : "Par mon martin , je meneray le gentil
roy Charles et sa compaignie seurement, et sera sacré audit
lieu de Rains".
Cedit jour après plusieurs parolles, le roy se
partit et print son chemin à aler droit à la cité
de Troye en Champaigne. Et en faisant son chemin, toutes les fortresses
d'ung costé et d'autre de sa voye se midrent en
son obéissance. Le roy arriva devant ledit lieu de Troye
après disner, le vendredy VIII° jour de jullet. Et luy
furent ceulx de la garnison et les bourgois de la ville désobéissans.
Ce jour et l'endemain y ont fait de grans escharmousches, et le
dimanche X° jour se midrent en l'obéissance du roy. Et
après disner fut très honnourablement receu en laditte
ville et y séjourna jusques au mardy ensuivant. Et par tout
où la Pucelle venoit, elle disoit à ceulx des places
: "Rendez [vous] au roy du ciel et au gentil roy Charles."
Et estoit toujours devant à venir parler aux barrières.
Celui mardi, le roy partit dudit lieu de Troye, et le
jeudi ensuivant fut moult honnourablement receu en la cité
de Chaalons. Et en faisant son chemin, toutes les forteresses du
païs se midrent en son obéissance, pource que la Pucelle
envoyet tousjours de ceulx qui estoient soubz son estendart dire
par chacune des fortresses à ceulz de dedens : "Rendez
vous au roy du ciel et au gentil roy Charles." Et iceulx
ayans congnoissance des grans merveilles avenues et faites à
la présence de la Pucelle, se metoient franchement en l'obéissance
du roy les aucuns. Et ceulx qui refusoient, elle y aloit en personne,
et touz luy obéissoient. Aucune fois se tenoit en la bataille
avecques le roy en alant son chemin ; autres foiz en l'avant garde,
et autre en l'arrière garde , ainssi qu'elle véoit
convenir (2) à son entente. Et
le vendredi ensuivant se partit le roy dudit lieu de Chaalons.
Ce vendredi bien matin, la Pucelle
dit au duc d'Alencon : « Faites sonner les trompilles et montez à cheval. Il
est temps d'aller vers le gentil roi Charles pour le mettre au chemin de
son sacre à Reims. » Ainsi il fut fait. Tous montèrent à cheval et ceux de
la ville et ceux des champs. Ce même jour, ils prirent gîte auprès du roi
en la ville de Gien-sur-Loire. Le roi fit grande fête et montra grande
joie de la venue de la Pucelle, du duc d'Alencon et de leur compagnie.
Ce jour, il y eut de longs et joyeux entretiens entre tous les seigneurs,
les chevaliers, les écuyers, les gens de guerre, et les gens de tout état,
quels qu'ils fussent. Tous tenaient à très grande merveille les grands faits
de guerre advenus le samedi précédent, par l'entreprise de la Pucelle, à
eux et à toute sa compagnie. Je crois bien que jamais homme vivant ne
vit la pareille, telle que de mettre en un jour en l'obéissance du roi trois
notables places, à savoir la ville et le château de Meung-sur-Loire, la
ville et le château de Baugency, la ville et le château d'Yenville-en-Beauce, et de gagner une journée telle que celle d'auprès de Patay,
sur les Anglais qui étaient au nombre de... mille, et nos gens environ...
Le roi fut audit lieu de Gien jusques au mercredi 29 juin. La
Pucelle fut très marrie du long séjour qu'il y fit, par la persuasion de
quelques gens de sa maison qui le déconseillaient d'entreprendre le chemin
de Reims, disant qu'entre Gien et Reims il y avait plusieurs cités,
villes fermées, châteaux et places bien garnis d'Anglais et de Bourguignons.
La Pucelle disait qu'elle le savait bien, et que de tout cela elle ne
faisait nul compte.
Par dépit elle partit et alla camper aux champs, deux jours avant le
départ du roi. Quoique le roi manquât d'argent pour solder son armée,
tous, chevaliers, écuyers, gens de guerre et gens du peuple, se montraient
prêts à aller servir le roi pour ce voyage en la compagnie de la Pucelle,
disant qu'ils iraient partout où elle voudrait aller. Elle disait : « Par
mon Martin, je mènerai le roi Charles et sa compagnie sûrement, et il
sera couronné audit lieu de Reims ».
Le 29 juin, après plusieurs conseils, le roi partit et prit son chemin
pour aller droit à la cité de Troyes-en-Champagne. Sur son chemin, toutes
les forteresses, à droite et à gauche de sa voie, se mirent en obéissance. Il
arriva devant le dit lieu de Troyes après dîner, le vendredi, VIIIe jour de
juillet. Les hommes de la garnison et les bourgeois de la ville lui furent
désobéissants. Ce jour-là et le lendemain il y eut de grandes escarmouches,
et le dimanche, Xe jour, ils se mirent en l'obéissance du roi.
Après dîner, il fut très honorablement reçu en cette ville, où il séjourna
jusqu'au mardi suivant.
Partout où la Pucelle venait, elle disait à ceux qui tenaient les places :« Rendez-vous au Roi du Ciel et au gentil roi Charles ». Elle était toujours
la première pour venir parler aux barrières.
Le mardi, le roi partit de Troyes, et le jeudi qui suivit, il fut très honorablement
reçu en la cité de Châlons. Le long du chemin, toutes les
forteresses du pays se mirent en son obéissance, parce que la Pucelle
envoyait quelques-uns de ceux qui étaient sous son étendard dire par
chacune d'elle à ceux qui les occupaient : « Rendez-vous au Roi du Ciel et
au gentil roi Charles » ; et ceux-ci, ayant connaissance des grandes merveilles
advenues et accomplies à la présence de la Pucelle, se mettaient
franchement en l'obéissance du roi, quelques-uns du moins. Quant à ceux qui refusaient, elle y allait en personne, et tous lui obéissaient.
En allant son chemin, elle se tenait quelquefois dans le gros de l'armée avec le roi, d'autres fois à l'avant-garde, et d'autres fois à l'arrière-garde,
ainsi qu'elle le voyait convenable à son dessein.
Le vendredi le roi partit dudit lieu de Châlons.
Sources
: Jules Quicherat - "Bibliothèque
de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143
- 1845-46" et "Procès de condamnation et de réhabilitation
de la Pucelle" t.IV, p.1 à 37.
Illustrations :
- Vue du chateau de Gien vers 1910 ("La grande histoire illustrée
de Jeanne d'Arc" - H.Debout - 4° éd.1922)
- Vue générale de Troyes (ibid.)
- Portail Nord de la cathédrale de Châlons.
(ibid.)
Notes :
1 Ces deux lacunes
du manuscrit portent sur deux chiffres qu'il faut chercher dans
les auteurs subséquents. Jean Chartier parle de cinq mille
Anglais présents à Patay. Jean Wavrin, fournit de
quoi élever ce chifire au moins à huit mille. Au
dire du même auteur les Francais auraient été
de douze à treize mille ; mais il est Bourguignon et partant
suspect d'exagération.
2 Le manuscrit "ainssi qu'elle bon convenir"
est ici corrigé par Quicherat
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