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Pierre Sala

uoique ayant vu le règne de François Ier, Pierre Sala peut encore passer pour un auteur contemporain à l'égard de Jeanne d'Arc. L'anecdote qu'il rapporte sur elle lui venait directement de Charles VII par M. de Boisy, chambellan de ce prince. Nous la plaçons ici parce qu'elle confirme ce qui est dit dans les chroniques précédentes relativement au secret révélé. Elle est tirée de l'ouvrage de Pierre Sala, qui a pour titre Hardiesses des grands Rois et Empereurs. Ce Sala, qui paraît avoir été le fils d'un illustre parlementaire du même nom, servit comme varlet Louis XI et Charles VIII, comme panetier le dauphin Orland, comme maître d'hôtel Louis XII. François Ier à son avénement l'ayant trouvé vieux et caduc, lui donna sa retraite et l'envoya finir tranquillement ses jours dans l'hôtel royal de l'Antiquaille, à Lyon. C'est là que Sala composa son livre des Hardiesses, qu'il offrit à son jeune bienfaiteur en 1516, lorsque celui-ci revenait vainqueur du Milanais.
  La Bibliothèque royale possède deux manuscrits de cet ouvrage, dont l'un est celui même qui servit à la présentation. (n° 191 du Supplément français)...
  Le récit de Pierre Sala sur la Pucelle est connu depuis longtemps. Colletet qui en tenait une copie du P. Jacob, l'envoya à Symphorien Guyon, alors occupé à écrire l'histoire d'Orléans. Symphorien Guyon s'empressa d'introduire dans son livre une si curieuse aventure, remerciant beaucoup Colletet, sans nommer le P. Jacob, qui s'en fâcha. C'est Niceron qui nous apprend cette anecdote dans ses Mémoires. Cent ans après, Lenglet Dufresnoy publia le texte même de Pierre Sala à la suite de son Histoire de Jeanne d'Arc (IIe partie, p. 149). Nous le donnons de nouveau, plus complet et d'après une leçon meilleure, celle du manuscrit 191 S. F.


 

  « Cela est chose notoire que, de tous temps, Nostre Seigneur n'a jamais abandonné ses bons roys à leur grant besoing. N'avez vous pas ouy cy devant des beaulx miracles qu'il fit pour le roy Clovis, qui fut le premier roy crestien, et conséquemment pour le roy Dagobert, pour Charles le Grant et pour plusieurs aultres roys ? Et de fresche mémoire, de celluy gentil roy Charles VIIe, dont nous parlons, quant après qu'il fut mis si bas qu'il n'avoit plus où se retirer parmy son royaulme, sinon à Bourges et en quelque chasteau à l'environ, Nostre Seigneur lui envoya une simple pucelle, par le conseil de laquelle il fut remys en son entier et demeura roy paisible. Et pour ce que par adventure il seroit malaisé à entendre à aulcunes gens que le roy adjoustast foy aux parolles d'icelle, sachez qu'elle luy fit ung tel message de par Dieu, où elle luy déclara ung secret encloz dedans le cueur du roy, de tel sorte qu'il ne l'avoit de sa vie à nulle créature révelé, fors à Dieu en son oraison. Et pour ce, quant il ouyt les nouvelles que icelle Pucelle luy dist à part (qui ne pouvoit estre par elle sceu, sinon par inspiration divine), alors il mit toute sa conduitte et ressource entre ses mains ; et combien que le roy eust encores de bons et souffisans cappitaines pour déliberer du fait de sa guerre, si commenda il qu'on ne fist riens sans appeller la Pucelle. Et aulcunes foiz advenoit que l'oppinion d'elle estoit toute au contraire des cappitaines ; mais quoy qu'il en fust, s'ilz la croyoient, tousjours en prenoit bien ; et au contraire, quant ilz vouloient exécuter leur oppinion sans elle, mal en venoit. Mais vous me pourriez demander comme j'ay sceu ce que je vous die en présent, et je le vous voys compter.

  Il est vray que environ l'an mil IIIIc IIIIxx j'estoye de la chambre du gentil roy Charles VIIIe, que l'on peult bien appeler Hardi, car bien le monstra à Fourneuf, en revenant de la conqueste de son royaulme de Napples, quant seullement accompaigné d'environ VIIm François il deffit LX mille Lombars, dont les ungs furent tuez et les aultres fouyrent. Ce gentil roy esposa madame Anne, duchesse de Bretaigne, et en eut ung beau filz, qui fut daulphin de Viennoys, nommé Charle Rollant, né dedans le Plessis lez Tours ; et là mesmes fut nourry par le commandement du roy, sous le gouvernement d'un très noble antien chevalier, son chamberlant, nommé messire Guillaume Gouffier, seigneur de Boisy, qui fut par luy choysi entre tous ceulx du royaulme pour ung bon et loyal preudhonme. A ceste cause, il luy voulut remettre son filz entre les mains comme à celluy en qui moult il se fioit. Avecques ce noble chevalier furent mis le seigneur de La Selle-Guenault, deux maistres d'ostelz, ung médecin et moy, qui fus son pannetier ; et n'en y eut plus à ce commancement d'estat, fors les dames et XXIIII archiers pour sa garde.

  Par léans, je suyvoie ce bon chevalier, monseigneur de Boisy, quant il s'esbatoit parmy le parc ; et tant l'aimoye pour ses grans vertus, que je ne me pouvoye de luy partir ; car de sa bouche ne sortoit que beaulx exemples où j'apprenoye moult de bien. Et me semble que si je sçay nul bien, que je le tiens de luy. Celuy me compta entre aultres choses le secret qui avoit esté entre le roy et la Pucelle ; et bien le pouvoit sçavoir, car il avoit esté en sa jeunesse très aymé de ce roy, tant qu'il ne voulut oncques souffrir coucher nul gentilhomme en son lit, fors luy. En ceste grande privaulté que je vous dis, lui compta le roy les parolles que la Pucelle lui avoit dictes, telles que vous orrez cy après.

  Il est vray que du temps de la grande adversité de ce roy Charles VIIe, il se trouva si bas qu'il ne sçavoit plus que faire, et ne faisoit que pencer au remède de sa vie, car, comme je vous ay dit, il estoit entre ses ennemis encloz de tous coustez. Le roy estant en ceste extresme pensée, entra ung matin en son oratoire, tout seul ; et là, il fit une humble requeste et prière à Nostre Seigneur, dedans son cueur, sans pronuntiation de parolle, où il lui requeroit dévotement que, se ainsi estoit qu'il fut vray hoir descendu de la noble maison de France, et que le royaulme justement luy deust appartenir, qu'il luy pleust de luy garder et deffendre, ou au pis luy donner grace de eschapper sans mort ou prison ; et qu'il se peust saulver en Espaigne ou en Escosse, qui estoient de toute ancienneté frères d'armes et alliez des roys de France, et pour ce avoit il là choysi son dernier refuge.

  Peu de temps après ce, advint que le roy estant en tous ces pensemens que je vous ai comptez, la Pucelle lui fut amenée ; laquelle avoit eu en gardant ses brebis aux champs inspiration divine pour venir reconforter le bon roy. Laquelle ne faillit pas, car elle se fit mener et conduyre par ses propres parens jusques devant le roy, et là elle fit son message aux enseignes dessus dictes, que le roy congneut estre vrayes; et dès l'heure il se conseilla par elle, et bien luy en print, car elle le conduisit jusques à Rains, où elle le fit coronner roy de France, maulgré tous ses ennemys, et le rendit paisible de son royaulme. Depuis, ainsi comme il plaist à Dieu de ordonner des choses, ceste saincte Pucelle fut prinse et martirisée des Anglois : dont le roy fut moult doulent, mais remédier n'y peut.

  En oultre, me compta ledit seigneur que dix ans après, fut ramenée au roy une aultre Pucelle affectée, qui moult ressembloit à la première. Et vouloit l'on donner à entendre en faisant courrir bruit, que c'estoit la première qui estoit suscitée. Le roy oyant ceste nouvelle, commenda qu'elle fust amenée devant luy. Or, en ce temps estoit le roy blessé en ung pied, et portoit une bote faulve ; par laquelle enseigne ceulx qui ceste traïson menoient, en avoient adverti la faulce Pucelle, pour ne point faillir à le congnoistre entre ses gentilzhommes. Advint que à l'heure que le roy la manda pour venir devant luy, il estoit en ung jardin soubz une grant treille. Si commenda à l'ung de ces gentilz hommes que dès qu'il verroit la Pucelle entrée, qu'il s'avansast pour la recueillir, comme s'il fust le roy : ce qu'il fît. Mais elle venue, congnoissant aux enseignes susdictes que ce n'estoit il pas, le reffusa ; si vint droit au roy. Dont il fut esbahi et ne sceut que dire, si non en la saluant bien doulcement, luy dist : « Pucelle m'amye, vous soyez la très bien revenue, ou nom de Dieu qui sçait le secret qui est entre vous et moy. » Alors miraculeusement, après avoir ouy ce seul mot, se mit à genoulz devant le roy celle faulce Pucelle, en luy criant mercy ; et sus le champ confessa toute la trayson, dont aulcuns en furent justiciez très asprement, comme en tel cas bien appartenoit.
  


                                                         

  Cela est chose notoire que de tout temps Notre-Seigneur n'a jamais abandonné les bons rois dans leur grand besoin. N'avez-vous pas ouï, ci devant, les beaux miracles qu'il fit pour le roi Clovis, qui fut le premier roi chrétien, et dans la suite pour le roi Dagobert, pour Charles le Grand, et pour plusieurs autres rois, et de fraîche mémoire pour celui gentil roi Charles VII, dont nous parlons. Quand après qu'il fut mis si bas qu'il n'avait plus où se retirer, sinon à Bourges et en quelque château à l'environ, Notre-Seigneur lui envoya une simple Pucelle, par le conseil de laquelle il fut remis en son entier, et demeura roi paisible. Et pour ce que par aventure il serait malaisé à entendre à quelques gens que le roi ait ajouté foi aux paroles d'icelle, sachez qu'elle lui fit de par Dieu un message tel, qu'elle lui déclara un secret enclos dedans son coeur, si bien qu'il ne l'avait de sa vie révélé à aucune créature, sinon à Dieu en son oraison. Et pour cela, quand le roi ouït cette Pucelle lui dire à part ce qui ne pouvait être su par elle, sinon par inspiration divine, dès lors il mit toute sa conduite et ses espérances, entre ses mains. Et encore que le roi eût même alors de bons et suffisants capitaines pour délibérer du fait de sa guerre, néanmoins commanda-t-il qu'on ne fît rien sans appeler la Pucelle. Il advenait quelquefois que son opinion était toute contraire à celle des capitaines ; mais quoiqu'il en fût, s'ils la croyaient, il leur en prenait toujours bien, et au contraire, quand ils voulaient exécuter leur opinion sans elle, mal leur en venait. Mais vous me pourriez demander comme j'ai su ce que je vous dis à présent, et je vais vous le conter.

  Il est vrai que
environ l'an 1480, j'étais de la chambre du gentil roi Charles VIIIe, que l'on peut bien appeler Hardi, car il le montra bien à Fornoue, en revenant de la conquête de son royaume de Naples, quand accompagné seulement d'environ 7.000 Français, il défit 60.000 Lombards, dont les uns furent tués, et les autres s'enfuirent. Ce gentil roi épousa Madame Anne, duchesse de Bretagne et en eut un beau fils qui fut Dauphin de Viennois, nommé Charles Rolland, né dedans Plessis-lez-Tours ; et là même il fut nourri par le commandement du roi, sous le gouvernement d'un très noble ancien chevalier, son chambellan, nommé messire Guillaume Gouffier, seigneur de Boisy, qui fut par lui choisi entre tous ceux du royaume pour un loyal et bon prudhomme. A cette cause, il voulut lui remettre son fils entre les mains, comme à celui en qui grandement il se fiait. Avec ce noble chevalier furent mis le seigneur de la Selle-Guenault, deux maîtres d'hôtel, un médecin et moi qui fus son pannetier; et à ce commencement d'état, il n'y en eut pas un plus grand nombre, excepté les dames et vingt-quatre archers pour sa garde.

  Par suite, je suivais ce bon chevalier, Monseigneur de Boisy, quand il prenait ses ébats dans le parc; et tant je l'aimais pour ses grandes vertus, que je ne pouvais me partir de lui, car de sa bouche ne sortaient que beaux exemples où j'apprenais beaucoup de bien. Il avait été en Jérusalem et à Sainte-Catherine-du-Mont-Sinaï, dont il me contait plusieurs merveilles, et aussi je lui racontais des particularités d'un voyage que j'avais fait en Barbarie, et où pareillement j'avais vu des choses étranges (1). Et il me semble que si je sais quelque bien, c'est de lui que je le tiens. Il me raconta entre les autres choses le secret qui avait été entre le roi et la Pucelle ; et il pouvait bien le savoir, car en sa jeunesse il avait été très aimé de ce roi, au point qu'il ne voulut jamais souffrir qu'aucun gentilhomme couchât en son lit, si ce n'est lui, de Boisy. En cette grande privauté que je vous dis, le roi lui conta les paroles que la Pucelle lui avait dites, telles que vous ouïrez ci-après.

  Il est vrai que du temps de la grande adversité de ce roi Charles VIIe, il se trouva si bas qu'il ne savait plus que faire, et il ne faisait que penser au remède de sa vie, car, comme je vous ai dit, il était enclos de tous côtés entre ses ennemis. Étant en cette extrême pensée, le roi entra un matin en son oratoire, tout seul ; et, là il fit en son coeur, sans prononciation de parole, une humble requête et prière à Notre-Seigneur, que s'il était vrai fils descendu de la noble maison de France, et que le royaume dût justement lui appartenir, il lui plût de le lui garder et défendre, ou au pis de lui donner la grâce d'échapper sans mort ou prison, et qu'il se pût sauver en Espagne ou en Écosse, dont les rois de toute ancienneté étaient frères d'armes et alliés des rois de France, et pour ce il avait choisi là son dernier refuge.

  Peu de temps après, il advint que le roi étant dans toutes les pensées que je viens de vous conter, la Pucelle lui fut amenée. En gardant ses troupeaux aux champs, elle avait eu inspiration divine pour venir réconforter le bon roi. Elle n'y faillit pas. Elle se fit mener et conduire par ses propres parents jusque devant le roi ; et là elle fit son message d'après les signes ci-dessus, que le roi connut être vrais. Dès lors il se conseilla par elle ; et bien lui en prit ; car elle le conduisit jusqu'à Reims, où, malgré tous ses ennemis, elle le fit couronner roi de France, et le rendit paisible possesseur de son royaume. Depuis, ainsi qu'il plaît à Dieu d'ordonner les événements, cette sainte Pucelle fut prise et martyrisée par les Anglais; ce dont le roi fut très dolent, mais il ne put y remédier.

  En outre, ledit seigneur me conta que dix ans après fut amenée au roi une autre prétendue Pucelle qui ressemblait beaucoup à la première, et l'on voulait donner à entendre par le bruit que l'on en faisait courir que c'était la première qui était ressuscitée. Le roi oyant cette nouvelle, commanda qu'elle fut amenée en sa présence. Or en ce temps le roi était blessé à un pied, et portait une botte faulve ; signe dont ceux qui menaient cette trahison avaient averti la fausse Pucelle, pour qu'elle ne faillît pas à le reconnaître entre ses gentilshommes. Or il advint qu'à l'heure où le roi la manda venir devant lui, il était en un jardin sous une grande treille. Le roi commanda à l'un de ses gentilshommes que dès qu'il verrait entrer la Pucelle, il s'avançât pour l'accueillir, comme s'il était le roi, ce qu'il fît. Mais elle venue, connaissant au signe susdit qu'il n'était pas le roi, le refusa, et vint droit au roi, ce dont il fut ébahi et ne sut que dire, sinon en la saluant bien doucement : « Pucelle m'amie, vous, soyez la très bien revenue, au nom de Dieu qui sait le secret qui est entre vous et moi. » Alors miraculeusement, après avoir ouï ce seul mot, cette fausse Pucelle se mit à genoux devant le roi, en lui criant merci; et sur-le-champ elle confessa toute la trahison; ce dont quelques-uns furent justiciés très âprement, comme en tel cas bien il appartenait.


                                                 


Source : Présentation et texte original : Quicherat - t. IV p.277 et suivantes.
Mise en Français plus Moderne : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III : La libératrice" - J.-B.-J. Ayroles - 1897, p.538.

Notes d'Ayroles :
1
Le dernier membre de la phrase se trouve dans le manuscrit 10420 et dans Labbe, mais pas dans le manuscrit 584 reproduit par Quicherat.




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