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09 octobre 2024  

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II

a dessusditte Pucelle estoit de Lorraine, du lieu de Vaucouleurs ; et fut amenée à mondit seigneur le daulphin par le chastelain dudit lieu, habituée comme un homme ; avoit courts les cheveulx et ung chapperon de layne sur la teste, et portoit petits draps (1) comme les hommes, de bien simple manière. Et parloit peu, sinon que on parloit à elle. Son serment estoit : « Au nom de Dieu. » Elle appeloit mondit seigneur le daulphin,« le gentil daulphin » ; et ainsi l'appela jusques ad ce qu'il fust couronné. Aucunes fois l'appeloit, « l'auriflambe.» Et se disoit qu'elle estoit envoyée de par Dieu pour deschasser les Anglois, et que pour ce faire il la falloit armer : dont chacun fut esbahy de celles nouvelles. Et de prime face, chacun disoit que c'estoit une trufferie ; et à nulle chose que elle dist l'on ne adjouxtoit point de foy.
  Clercs et autres gens d'entendement pensèrent sur ceste matière, et entre les autres escriptures fut trouvée une prophétie de Merlin, parlant en ceste manière :
                     Descendet virgo dorsum sagittarii
                     et flores virgineos obscurabit
.

Sur lesdiz vers furent faictz autres vers dont la teneur s'en suit cy dessous :
                      Virgo puellares artus induta virili
                      Veste, Dei monitu, properat relevare jacente
                      Liliferum regemque ; suos delere nefandos
                      Hostes, præcipue qui nunc sunt Aurelianis,
                      Urbe sub, ac illam deterrent obsidione.
                      Et si tanta viris mens est se jungere bello,
                      Arma sequique sua, quæ nunc parat alma Puella,
                      Credit et fallaces Anglos succumbere morti,
                      Marte puellari Gallis sternentibus illos,
                      Et tunc finis erit pugnæ, tunc foedera prisca,
                      Tunc amor et pietas et cætera jura redibunt ;
                      Certabunt de pace viri, cunctique favebunt
                      Sponte sua regi, qui rex librabit et ipsis
                      Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit ;
                      Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis
                      Qui se Francorum præsumat dicere regem.


  Avant que mondit seigneur le daulphin voulsist mectre ne adjouxter foy à laditte Pucelle, comme prince saige, mist en conseil ceste besongne; et furent les clercs mis ensemble, lesquelz, après plusieurs disputacions, furent de l'opinion qui s'en suit : « Premièrement que mondit seigneur daulphin, attendu la nécessité de luy et du royaume, » etc. (3).
  Veue et considérée la conclusion, mondit seigneur le daulphin feit armer et monter ladicte Pucelle. Et si ay oy dire à ceulx qui l'ont veue armée qu'il la faisoit très bon voir, et se y contenoit aussi bien comme eust fait ung bon homme d'armes. Et quant elle estoit sur faict d'armes, elle estoit hardye et courageuse, et parloit haultement du faict des guerres. Et quant elle estoit sans harnoys, elle estoit moult simple et peu parlant.
  Avant qu'elle voulsist aller contre les Anglois, elle dist qu'il falloit qu'elle les sommast et requist, de par Dieu, qu'ilz vuydassent le royaume de France. Et feit escripre des lectres qu'elle mesmes dicta, en gros et lourd langage et mal ordonné. J'en ay leu les copies dont la teneur s'en suit. Et au dessus desdictes lectres avoit escript : « Entendez les merveilles de Dieu et de la Pucelle. »
Lettre au roy d'Angleterre (2).
« Roy d'Angleterre, faictes raison au roy du ciel de son sang royal. Rendez les clefz à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées en France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang royal. Elle est toute preste de faire paix, se voulez faire raison, par ainsi que rendez France, et payez de ce que l'avez tenu. Et se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre ; en quelque lieu que je atteindray voz gens en France, s'ilz ne veulent obéir, je les en feray issir, veulent ou non ; et s'ilz veulent obéir, je les prendray à mercy. Elle vient de par le Roy du ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et certifie la Pucelle qu'elle fera si grand hahay, qu'il y a mil ans que en France ne fut si grant. Se vous ne lui
faictes raison, creez fermement que le Roy du ciel lui envoyera plus de force que ne lui sçaurez mener d'assauxà elle et a ses bonnes gens d'armes. »

L'autre lettre aux gens d'armes.
« Entre vous autres, archiers, compaignons d'armes gentilz et vaillans, qui estes devant Orléans, allez en vostre pays, de par Dieu. Et se ainsi ne le faites, donnez vous garde de la Pucelle, et de voz dommages vous souvienne briefvement. Ne prenez mye vostre opinion, car vous ne tiendrez mye France qui est au roy du ciel, le fils de sainte Marie ; mais la tiendra le gentil Charles. Se vous ne creez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous frapperons dedans à grans horions ; et verrons lesquelz meilleur droit auront, de Dieu ou de vous. »

L'autre lettre aux capitaines des Anglois.
« Guillaume La Poulle, conte de Suffort, Jehan sire de Tallebot, et vous, Thomas sire de Scalles, lieuxtenans du duc de Bethfort, soy disant régent de France de par le roy d'Angleterre, faictes response se voulez faire paix à la cité d'Orléans ; et se ainsi ne le faictes, de voz dommages vous souvienne. »

L'autre lettre au duc de Bethfort.
« Duc de Bethfort, qui vous dictes régent de France de par le roy d'Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous faciez destruire. Se vous ne faictes raison, aux yeux pourrez veoir qu'en sa compaignée les François feront le plus beau fait qui oncques fut faict en chrestienté. »

  Lesdictes lectres feurent portées et baillées ; desquelles on ne tint pas grant compte ; et pour ce elle delibéra de tirer oultre à ce pourquoy elle estoit venue. Elle mist sus ung estendart dedans lequel estoit... (8), et monta sur un grant cheval, bien armée et habillée ; et avec les gens d'armes que mon seigneur le daulphin luy bailla, alla à Orléans où les Anglois avoient mis le siége très fort et, selon cours de nature, inexpugnable. Et n'y avoit espérance quelconque d'avoir secours ne ayde humaine, car monseigneur le daulphin avoit très peu de gens pour faire ung tel exploit, et estoit quasi du tout au bas, et tellement que, quant laditte Pucelle vint, on avoit mis en delibéracion que l'on debvroit faire se Orléans estoit prins ; et fut advisé par la plus grant part, s'il estoit prins, qu'il ne falloit tenir compte du demourant du royaume, veu l'estat en quoy il estoit, et qu'il n'y avoit remède, fors tant seulement que de retraire mondit seigneur le daulphin en cestuy pays du Daulphiné, et là le garder en attendant la grace de Dieu. Les autres dirent que plus convenable estoit d'attendre ladite grace au royaume, et qui autrement le feroit, l'on donnerait trop grant courage aux ennemys, et seroit pour tout perdre sans aucun rescours, et que meilleur estoit que tenir autre voye, car l'autre party estoit ainsi comme voye de désespéracion, qui moult desplaist à Dieu.
  Monseigneur le daulphin estoit en cestuy estat quant arriva laditte Pucelle, l'an que dit est ; et par son moien, et moiennant la grace de Dieu, par miracle évident, furent assaillies moult vaillamment et prinses les très fortes et inexpugnables bastilles que les Anglois avoient faictes, et tout le siége levé, au très grant dommage et très grant confusion des Anglois. Adonc furent faictz, par la Pucelle et par les gens de mondit seigneur le dauphin, faiz de guerre merveilleux et ainsi comme impossibles. De là en aprez laditte Pucelle feit une très grant poursuite encontre les Anglois, en recouvrant villes et chasteaux ; et si feit plusieurs faiz merveilleux ; car depuis laditte prinse d'Orléans, les Anglois ne leurs alliez n'eurent force ne vertu. Par ainsi le restaurement de France et recouvrement a esté moult merveilleux. Et sache ung chacun que Dieu a monstré et monstre ung chacun jour qu'il a aimé et aime le royaulme de France, et l'a especialement esleu pour son propre héritage, et pour, par le moyen de lui, entretenir la saincte foy catholique et la remettre du tout sus : et par ce, Dieu ne le veut pas laisser perdre. Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyez au royaume de France, il n'y en a point eu de si grant ne de si merveilleux comme de ceste Pucelle.

                                                         

                            

  Ladite Pucelle était de Lorraine, du lieu de Vaucouleurs; elle fut amenée à Monseigneur le Dauphin par le châtelain dudit lieu, habillée comme un homme. Elle avait les cheveux courts et un chapeau de laine sur la tête; elle portait des chausses (1) comme les hommes, de bien simple manière. Elle parlait peu, sinon quand on parlait à elle; son serment était: Au nom de Dieu. Elle appelait mondit seigneur le Dauphin ; « le gentil Dauphin »; et ainsi elle l'appela jusqu'à ce qu'il fut couronné. Quelquefois elle l'appelait « l'auriflambe ». Elle disait qu'elle était envoyée de par Dieu pour déchasser les Anglais, et que, pour ce faire, il la fallait armer; dont chacun fut ébahi de celles nouvelles et de prime face chacun disait que c'était une trufferie ; et à nulle chose qu'elle dît l'on n'ajoutait point de foi.
  Clercs et autres gens d'entendement pensèrent sur cette matière, et entre les autres écritures fut trouvée une prophétie de Merlin, parlant en cette manière :
                     Descendet virgo dorsum sagittarii,
                     et flores virgineos obscurabit.

                     « Une vierge marchera sur le dos des archers, et les lis (2)...)

Sur ces vers (?) furent faits d'autres vers dont la teneur s'ensuit :

                     Virgo puellares artus induta virili....
                      « Une vierge aux membres délicats, revêtue d'un vêtement guerrier, s'apprête sur l'ordre de Dieu à relever de la ruine le roi des lis, à anéantir ses maudits ennemis, surtout ceux qui, maintenant, sous les murs d'Orléans, étreignent cette cité dans un siège désespéré. Guerriers, si vous avez le coeur de la suivre au combat, de suivre la bannière guerrière qu'elle est en train de préparer, les perfides Anglais, croyez-le, seront anéantis ; conduits par ce capitaine enfant les Français les feront tomber sous leurs coups. Et dès lors plus de guerre ; dès lors se renoueront les anciens traités, la concorde, la piété, et tous les autres liens sociaux. Les guerriers seront animés d'émulation pour la paix, et le coeur de tous sera incliné vers le roi. Le roi distribuera impartialement la justice à tous, en les faisant tous jouir des douceurs de la paix. Plus de léopard anglais qui se dresse en ennemi ; plus d'Anglais qui ose se dire roi des Français ! »

  Avant que Monseigneur le Dauphin voulut mettre ou ajouter foi à la Pucelle, en prince sage, il mit cette affaire en conseil ; les clercs furent réunis, lesquels, après plusieurs disputations, furent de l'opinion qui s'ensuit :
« Premièrement que mondit seigneur le Dauphin, attendu la nécessité de lui et du royaume, et considéré les continuelles prières du pauvre peuple envers Dieu et tous les autres amants de la paix et de la justice, ne devait point rejeter ni mettre en arrière ladite Pucelle, nonobstant que les promesses et les paroles de ladite Pucelle soient par-dessus oeuvres humaines (3). Aussi mondit seigneur ne doit pas ajouter foi et légèrement croire en elle; mais, en suivant la Sainte Écriture, il doit la faire éprouver par deux manières, c'est à savoir par prudence humaine, en enquérant de sa vie, de ses moeurs, de son intention, comme dit saint Paul : Probate spiritus si ex Deo sint. — La seconde manière : par dévote oraison requérirà Dieu signe de quelque oeuvre ou espérance divine, par quoi on puisse juger que ladite Pucelle est venue de par la volonté de Dieu. Ainsi dit Dieu à Achaz, qu'il demandât signe, quand il plairait à Dieu qu'il eût victoire, en lui disant: Pete tibi signum à Domino Deo tuo; ainsi Gédéon demanda signe, et plusieurs autres. »
  Mondit seigneur le Dauphin, en suivant ladite délibération, fit éprouver la Pucelle de sa naissance, de sa vie, de ses moeurs et de son intention, et n'y trouva-t-on que tout bien. Puis il la fit garder bien et honnêtement par l'espace de six semaines en la toujours examinant; elle fut montrée à clercs, à gens d'Eglise, à gens de grande prudence et dévotion, à gens d'armes, à femmes honnêtes, veuves et autres, publiquement et secrètement.
  La Pucelle a conversé avec toutes manières de gens; mais en elle on n'a trouvé que tout bien, comme humilité, virginité, dévotion, honnêteté en toutes choses, et simplesse. De sa naissance, de sa vie, plusieurs choses merveilleuses ont été dites comme vraies.
  Quant à la seconde manière de probation, mondit seigneur le Dauphin lui demanda et pria qu'elle fit quelque signe, pour quoi on devait ajouter foi à elle qu'elle fût envoyée de Dieu. Elle répondit que devant la ville d'Orléans, elle le montrerait, et non pas avant ni en aucun autre lieu ; car ainsi lui avait été ordonné de par Dieu.
  Les choses dessus dites étant faites, il fut conclu, attendu ladite probation faite par Monseigneur le Dauphin en tant qu'à lui il a été possible, et (attendu) que nul mal n'a été trouvé en ladite Pucelle, et considérée sa réponse qui est de montrer un signe devant Orléans, vu sa constance et sa persévérance en son propos et ses instantes requêtes de l'armer et d'aller devant Orléans pour y montrer signe de divin secours, [il fut conclu] que Monseigneur le Dauphin ne la devait point empêcher d'aller à Orléans avec ses gens d'armes, qu'il la devait faire conduire honnêtement, en ayant bonne espérance en Dieu; car la rebouter ou délaisser sans apparence de mal, ce serait répugner au Saint-Esprit, et se rendre indigne de la grâce et aide de Dieu, comme dit Gamaliel au conseil des Juifs contre les Apôtres.
  Vue et considérée la conclusion, mondit seigneur le Dauphin fit armer et équiper la Pucelle. J'ai ouï dire à ceux qui l'ont vue armée qu'il la faisait très bon voir; et qu'elle s'y contenait aussi bien qu'eût fait un homme d'armes. Et quand elle était sur le fait des armes, elle était hardie et courageuse, et parlait hautement du fait des guerres. Et quand elle était sans harnais, elle était moult simple et peu parlante.
  Avant qu'elle voulût aller contre les Anglais, elle dit qu'il fallait qu'elle les sommât et les requît de par Dieu d'avoir à vider le royaume de France. Elle fit écrire des lettres qu'elle-même dicta, en gros et lourd langage et mal ordonné. J'en ai lu les copies dont la teneur s'ensuit. Et au-dessus desdites lettres il y avait écrit : « Entendez les merveilles de Dieu et de la Pucelle (4) ».
  « Roi d'Angleterre, faites raison au roi du Ciel de son sang royal. Rendez à la Pucelle les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées en France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang royal. Elle est toute prête de faire paix, si vous voulez faire raison, par ainsi que rendez France (5), et payez de ce que vous l'avez tenue. Et si ainsi vous ne le faites, je suis chef de guerre; en quelque lieu que j'atteindrai vos gens en France, s'ils ne veulent obéir, je les en ferai issir (sortir), veuillent ou non; et s'ils veulent obéir, je les prendrai à merci. Elle (la Pucelle) vient de par le roi du Ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France. Et vous promet et vous certifie la Pucelle, qu'elle fera si grand hahay (6), qu'il y a mille ans qu'il n'en fut si grand en France. Si vous ne lui faites raison, croyez fermement que le roi du Ciel lui enverra plus de force que vous ne sauriez lui mener d'assauts à elle et à ses bonnes gens. »

LETTRE AUX GENS D'ARMES. — « Entre vous autres, archers, compagnons d'armes, gentils et vilains (7), qui êtes dans Orléans, allez en votre pays de par Dieu. Et si ainsi ne le faites, donnez vous garde de la Pucelle; et de vos dommages vous souvienne (il vous souviendra) bientôt. Ne persévérez pas dans vos sentiments; car vous ne tiendrez point la France qui est au roi du Ciel, le fils de sainte Marie; mais la tiendra le roi Charles. Si vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous frapperons dedans (dans vos rangs), à grands horions, et nous verrons lesquels auront meilleur droit de Dieu ou de vous. »

LETTRE AUX CAPITAINES DES ANGLAIS. — « Guillaume La Poule, comte de Suffolk, Jean, sire de Talbot, et vous, Thomas, sire de Scales, lieutenants du duc de Bedford, soi-disant régent de France de par le roi d'Angleterre, faites réponse si vous voulez faire paix à la cité d'Orléans, et si ainsi ne le faites, de vos dommages vous souvienne. »

AUTRE LETTRE. — « Duc de Bedford qui vous dites régent de France de par le roi d'Angleterre, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous fassiez pas détruire. Si vous ne faites raison, de vos yeux vous pourrez voir qu'en sa compagnie les Français feront le plus haut fait qui oncques fut fait en la chrétienté. »

  Ces lettres furent portées et remises ; on n'en tint pas grand compte ; et pour cela la Pucelle se mit en devoir de tirer outre à ce pourquoi elle était venue. Elle arbora un étendard dedans lequel était...(8). Elle monta sur un grand cheval, bien armée et équipée; et avec les gens d'armes que Monseigneur le Dauphin lui donna, elle alla à Orléans où les Anglais avaient mis un siège très fort, et, selon le cours de nature, inexpugnable. Il n'y avait espérance quelconque d'avoir secours, ni aide de la part des hommes, car Mgr le Dauphin avait très peu de gens pour faire tel exploit. Il était quasi du tout au bas, tellement que, quand la Pucelle vint, on avait mis en délibération ce que l'on devait faire, si Orléans était pris. L'avis de la plus grande part fut que si cette ville était prise, il ne fallait pas tenir compte du demeurant du royaume, vu l'état dans lequel il se trouvait et qu'il n'y avait pas de remède, si ce n'est que Mgr le Dauphin se retirât dans ce présent pays du Dauphiné, et que là il le gardât en attendant la grâce de Dieu. Les autres disaient qu'il était plus convenable d'attendre ladite grâce au royaume, et qui autrement ferait donnerait trop grand courage aux ennemis; ce serait tout perdre sans aucun recours; que c'était meilleur que de tenir toute autre voie, car l'autre parti était comme une voie de désespérance, ce qui moult déplaît à Dieu.
  Monseigneur le Dauphin étant en cet état, arriva la Pucelle; et par son moyen, et moyennant la grâce de Dieu, par un miracle évident, furent très vaillamment assaillies et prises les très fortes et inexpugnables bastilles que les Anglais avaient faites, et le siège fut de tout point levé au très grand dommage et à la très grande confusion des Anglais. Alors, par la Pucelle et par les gens de Monseigneur le Dauphin, furent accomplis des faits de guerre merveilleux et ainsi comme impossibles. De là en après la Pucelle fit une très grande poursuite contre les Anglais, en recouvrant villes et châteaux; elle y fit plusieurs faits merveilleux; car depuis la prise d'Orléans les Anglais et leurs alliés n'eurent ni force ni vertu. Par ainsi le restaurement de France et son recouvrement a été fort merveilleux. Et sache un chacun que Dieu a montré et montre un chaque jour qu'il a aimé et aime le royaume de France. Il l'a spécialement élu pour son propre héritage, et pour, par le moyen de lui, entretenir la sainte foi catholique et la remettre du tout sus, et pour ce Dieu ne le veut pas laisser perdre. Mais sur tous les signes d'amour que Dieu a envoyés au royaume de France, il n'y en a point eu de si grand, ni de si merveilleux comme celui de cette Pucelle.

                                              
   


Sources : Procès de condamnation et de réhabilitation - J. Quicherat - t.IV, p.303 à 313.

Mise en français modernisé et ajouts de parties non mentionnées par Quicherat : J.B.J Ayroles - "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III p.254 à 267.


Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Voir le dossier : les vêtements de Jeanne. (ndlr). Ayroles se trompe dans la mise en français modernisé.

2 Une vierge foulera le dos de l'archer. Les archers faisaient la force de l'armée anglaise. Le sens de ce premier membre de phrase est clair; mais il n'en est pas de même du second. Les lis sont la fleur virginale; loin de les obscurcir, la Pucelle leur a donné un nouvel éclat. Obscurabit est certainement une faute : l'on ne sait ce qu'il faut y substituer.

3 Un autre texte fait dire aux docteurs, non obstant que ces promesses soyent seules humaines. Quicherat l'a préféré au point de voir un contresens dans celui de Thomassin (Procès, t. IV, p. 306, note). Il est manifeste que le célèbre érudit se trompe. Le sens donné par Thomassin est celui de la chronique de Tournay ; il est plus naturel ; et en adoptant dans notre premier volume le sentiment de l'éditeur du Double Procès, nous avons trop accordé à son autorité.

4 Thomassin divise en plusieurs lettres le document, au fond identique, qui, ailleurs,
est présenté comme ne formant qu'une seule et même pièce.

5 Pourvu que vous rendiez France.

6 Bruit, remue-ménage.

7 Très lisiblement, et non pas « vaillants », comme l'écrit Quicherat.

8 Lacune dans le texte.




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