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Procès
de condamnation
- préliminaires
Lettre du chapitre de l'Eglise
de Rouen portant concession de territoire au profit de l'évêque
de Beauvais pour le jugement de Jeanne la Pucelle - 28 décembre
1430. |
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"A
tous ceux qui verront les présentes lettres, le chapitre
de l'Église de Rouen, le siège archiépiscopal
vacant, maître, par la suite de l'administration de l'entière
juridiction spirituelle du diocèse de Rouen, salut en notre
Seigneur.
Il nous a été remontré par le révérend
père en Christ notre seigneur Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, que de son autorité
ordinaire et autrement, il se proposait d'enquérir, ainsi
qu'il lui appartient, contre certaine femme appelée communément
Jeanne la Pucelle, qui se conduit d'une manière déréglée,
contre les devoirs de son sexe et sans aucune pudeur, qui de plus,
dit-on, sème, articule et agit contre la foi catholique et
au mépris de l'orthodoxie, ce qui la lui rend gravement suspecte
; qu'il se propose et veut pour cette cause mettre en jugement cette
femme, qui naguère encore était dans son diocèse,
où, comme il a plu à Dieu, elle a été,
dans les limites de sa juridiction spirituelle, prise, détenue,
arrêtée, et ensuite transférée ailleurs
; qu'aussitôt ces faits parvenus à sa connaissance,
il avait, tant de sa propre personne qu'autrement, requis et avisé
le digne prince seigneur duc de Bourgogne, et le noble homme de
guerre messire de Luxembourg, et tous les autres ayant ladite femme
en leur pouvoir, de son intention, comme juge ordinaire de la susdite,
d'enquérir et de procéder contre elle comme suspecte
d'hérésie, prise en flagrant délit sans sa-dite
juridiction, et ce, pour lui faire son procès à raison
de ses méfaits contre la foi catholique. Se rendant, comme
il convient à de fidèles catholiques, aux monitions
et sommations qui leur ont été faites aussi, tant
par le prince très-chrétien, notre sire Henri, par
la grâce de Dieu roi des Français et d'Angleterre,
que par la haute Université de Paris, lesdits seigneurs et
autres qui avaient ladite femme entre leurs mains, ont livré
et remis à notre dit seigneur Roi ou à ceux à
lui pour ce commis, ladite Jeanne, qui vient d'être conduite
à Rouen où elle a été mise en bonne
garde, et qui est présentement remise et livrée au
susdit révérend père en Dieu. Par de hautes
considérations longuement pesées, tirées surtout
de l'état actuel des affaires, ledit révérend
père en Dieu a fait choix de cette ville de Rouen pour y
procéder à une information contre cette dite femme,
pour l'interroger, la détenir s'il y a lieu, en un mot pour
faire contre elle tout ce qui concerne un procès de cette
matière : toutefois n'entendant porter, sans notre consentement,
sa faux dans notre moisson, il vient réclamer de nous un
droit qui lui manque et nous demander concession de territoire pour
ce procès et tout ce qui s'y attache. Nous, prenant cette
demande en considération comme fondée en droit et
y acquiesçant en faveur de la foi catholique, avons concédé,
donné, assigné, concédons, donnons, assignons
au susdit révérend père, pour connaitre, décider
et juger cette affaire et tout ce qui la concerne, territoire tant
dans cette cité de Rouen que dans tout autre lieu de ce diocèse
qu'il plaira au révérend père choisir, avertissant
tous et chacun, tant en cette cité qu'en tout diocèse
de Rouen, de quelque sexe et condition qu'ils soient, et leur enjoignant
de par la vertu de l'obéissance, que soit pour rendre témoignage,
soit pour donner avis, soit pour toute autre cause que ce soit,
ils aient, dans cette cause et tout ce qui s'y rattache, à
y obéir et aider de tout leur pouvoir ledit révérend
père ; concédons et consentons que ledit révérend
père puisse mener et terminer ce procès intégralement,
jusqu'à la sentence et l'exécution comme s'il était
dans son propre diocèse de Beauvais, par lui-même ou
par ses commissaires, nommés ou à nommer, avec ou
sans l'inquisiteur ou son représentant, lui donnons et concédons,
en tant que de besoin et en la meilleure forme qui se puisse faire,
tout pouvoir et toute autorité : mais sous réserve
expresse du droit de la dignité du siège archiépiscopal
de Rouen pour tout ce qui est étranger au présent
procès. Donné sous le grand sceau de la cour de Rouen,
avec, ensemble, le seing dont nous usons en ce moment, l'an du Seigneur
1430, le 28° jour du mois de décembre (1).
Signé : R. GUEROULD (2)"


Source
: E. O'Reilly - Procès de Jeanne d'Arc - tome II - 1868
Texte traduit du Latin.
Notes :
1 Jeanne fut amenée à Rouen vers cette époque.
2 Robert Guerould - notaire, rédige de 1424 à 1441
les registres capitulaires (P.Champion - procès de condamnation
- 1921)
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