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Le château de Rouen |
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fut dans les derniers jours de décembre 1430 que Jeanne d'Arc
arriva à Rouen, sous les murs du Vieux-Château, où
elle devait subir une si longue et si dure captivité.
On avait préparé sa prison dans l'une des tours de ce chateau dit de Bouvreuil ou de Philippe-Auguste,
où se trouvait déjà le jeune roi d'Angleterre
Henri VI, le duc de Bedford, régent du royaume, Warwick et
tant d'autres importants personnages.
Cette imposante forteresse avait été bâtie
par Philippe-Auguste en 1205, sur le penchant de la colline de Bouvreuil,
lorsqu'il eut repris la Normandie sur Jean-Sans-Terre. Il voulait
assurer ainsi sa conquête et garantir à la fois contre
un retour possible des Anglais, et contre les habitants de Rouen,
habitués à la domination anglo-normande.
Par sa construction, le donjon rappelait la fameuse
tour du Louvre qui venait d'être achevée en 1204, lorsqu'on
commençait les fondations du chateau de Rouen.
Ce n'est pas dans cette citadelle que l'évêque
Cauchon et les Anglais aurait dû enfermer leur prisonnière,
Jeanne était poursuivie en matière de foi. Elle était
justiciable de l'archevêque de Rouen ou plutôt du Chapitre,
puisque le siège était vacant. On devait donc la mettre
immédiatement à la disposition de l'autorité
ecclésiastique et la déposer dans les prisons de l'officialité.
Les chanoines avaient laissé toute latitude à
cet égard à Pierre Cauchon et certains lors du procès
opinèrent en vain pour cette solution.
Cependant si Jeanne avait été mise en prison d'Église,
elle y eût été traitée avec plus de convenance
et d'humanité, et elle aurait pu quitter sans inconvénient
ses habits d'homme dont l'hypocrisie de ses juges lui fit plus tard
un si grand crime.
T1 : Grosse tour
T2 : Tour de la grande cuisine (demi-tour)
T3 : Tour Saint-Gilles (ou du Gascon )
T4 : Tour de l'horloge (ou du beffroy)
T5 : Tour du coin de la Chapelle
T6 :
T7 : Tour devers Saint-Patrice
T8 : Tour de la Pucelle
1 à 9 : appartements du Régent, puis de Warwick
10 : grande cuisine basse du commun
11 : haute cuisine ou cuisine du roi
12 à 16 : appartements royaux
12 : chambre de la reine
14 : chambre du roi
17 :
18 : salle du parement
19 : grande salle
20 : cuisine de la grande salle
21 : terrasse
22 : chapelle royale ou Saint-Romain
23 :
24 : chapelle Saint-Gilles
25 : porte devers les champs
26 : boulevard de la porte devers les champs
- La 1ère séance publique eut lieu dans
la chapelle royale (22)
- les autres séances publiques se sont déroulées
dans la salle du parement (18)
- les séances "en comité restreint" ont eu
lieu dans la prison de Jeanne (Tour T8)
- La menace de torture d'est déroulée le 9 mai dans
la "grosse tour" T1
Ce droit aux prisons ecclésiastiques, la Pucelle
le réclama d'ailleurs avec insistance pendant tout le cours
du procès et même jusqu'au moment du supplice. "Hélas
! s'écrait-elle encore avant d'être conduite au Vieux-Marché,
si j'eusse esté en la prison ecclésiastique à
laquelle je m'estoit submise et que j'eusse esté gardée
par des gens d'Église, non par mes ennemys et adversaires,
il ne me fut pas si misérablement mescheu, comme il est.
Oh ! j'en appelle devant Dieu, le grant juge, des grans torts et
ingravances qu'on me fait." (2)
Comment justifier en effet, que Jeanne n'ait pas été
mise aux prisons de l'Église sous prétexte qu'elle
était prisonnière de guerre, lorsqu'on voit, peu de
temps après, deux ecclésiastiques, prévenus
de crime de lèse-majesté, renvoyés pour leur
jugement à la cour d'Église, sur les énergiques
réclamations de l'autorité ecclésiastique
?
De même, lorsque Jean de Saint-Avit, évêque
d'Avranches, fut incarcéré lui-même au chateau
de Rouen, en 1443, pour "soupçon d'avoir sceu, consenti
et non révélé certaines conspirations naguères
faites en la ville de Rouen", il dut être rendu au
promoteur de l'archevêque de Rouen, comme justiciable de l'Église,
et cela, grâce à l'intervention de Pierre Cauchon lui-même (3).
Sur ce point les historiens sont unanimes. Un Anglais
célèbre, David Hume, dans son histoire d'Angleterre,
a justement flétri l'inhumanité de ses compatriotes
du XV° siècle : "Il n'y avait aucune raison plausible
pour que Jeanne ne fut pas regardée comme une prisonnière
de guerre et n'eut pas droit, comme telle, à tous les bons
traitements que les nations civilisées ont en pareil cas
pour leurs ennemis. Elle n'avait jamais dans ses campagnes, mérité
par aucun acte de mauvaise foi ou de crauté d'être
privée de ces égards. On ne pouvait lui reprocher
de crime dans la vie civile ; elle avait même toujours pratiqué
avec rigidité toutes les vertus". A plus forte raison
si l'on prenait la voie détournée et hypocrite d'un
procès de foi pour en débarrasser les Anglais, devait-on
la remettre à ses juges naturels !
L'illégalité commise "était
d'autant plus grave, qu'elle eut pour conséquence de priver
la captive de toute communication avec les personnes aui auraient
pu l'aider de leurs conseils. En outre, on lui donnait pour gardiens,
au lieu d'ecclésiastiques, une soldatesque grossière
et brutale, dont les procédés obligèrent à
conserver ses habits d'homme et à les reprendre lorsqu'elle
les eut quitté après l'abujuration au cimetière
de Saint-Ouen, ce qui donna prétexte à sa condamnation
définitive. En effet, "elle prit" des habits d'homme
en s'excusant sur ce que, si elle avait été envoyée
dans les prisons de l'Église, elle n'aurait pas pris des
habits d'homme, et sur ce qu'elle n'aurait pas osé rester
en habits de femme avec ses gardiens anglais." (4)
Les prisons ecclésiastiques où Jeanne
d'Arc aurait dû être enfermée se trouvaient à
l'Officialité
qui dépendait de l'ancien manoir archiépiscopal, lequel
datait de 1079 et avait remplacé la modeste demeure des premiers archevêques
de Rouen. On sait en effet, que l'archevêché actuel
ne fut commencé qu'en 1461 par Guillaume d'Estouteville et
continué par Georges d'Amboise. L'Officialité, dont
on voit encore aujourd'hui quelques sombres constructions dans la
rue Saint-Romain (5) était située
au-dessous du portail des Boursiers ou des Libraires. C'est dans
cette rue qu'existait encore, en 1788, le greffe de la juridiction
supérieure des Hauts-Jours de l'archevêché,
titre qui lui fut imposé par un arrêt du parlement
de 1515. C'était le siège du procureur des officialités
métropolitaines le siège du procureur des officialités
métropolitaine et diocésaine de Rouen. Tout près
de là était la prison de la cour d'église ou
de l'officialité, dont la juridiction fut transférée
dans la chapelle dite des Ordres. Outre la fosse, qui faisait
partie de cette prison, et dont on croit encore connaitre la place,
il en existait une autre sous la tour Saint-Romain (6).
Ces restes de l'officialité, des XIII° et
XIV° siècles, offrent encore une façade très
sévère à l'intérieur du portail des Libraires, à gauche en entrant à la Cathédrale,
en face du bâtiment du xv° siècle qui fut autrefois
la Bibliothèque du Chapitre, et dans lequel on installa plus
tard la Faculté de Théologie.
La démolition des vieilles constructions qui
masquaient ces souvenirs vénérables a mis récemment
à découvert, à l'intérieur, la grande
fenêtre ogivale de la chapelle des Ordres (7),
et une tour d'un grand caractère, avec ses étroites
meurtrières et son poste pour le guet.
Si les Anglais n'avaient pas violé en tout la
légalité, c'était là, dans le voisinage
de la chapelle des Ordres, que Jeanne d'Arc aurait dû séjourner
pendant tout le cours du procès. Mais le Grand Conseil ne
voulut pas abandonner la précieuse captive aux hasards d'une détention dans la cité, ni la soumettre au régime
plus humain des prisons ecclésiastiques. Il n'était
pas possible de la déposer dans les prisons du bailliage
(prisons du roi), qui se trouvaient au bord de la rue de la Truie,
en face du château de Bouvreuil et formaient une dépendance
de la Cohue. En effet, une enquête de 1425 nous révèle
que les prisons et salles d'audience "estoient abattues
et anihilées par le fait des guerres passées."
On aurait pu toutefois l'enfermer dans la maison à l'enseigne de la Cloche, voisine de l'Hôtel-de-Ville, et qui servait
parfois de prison ; mais les féroces ennemis de la Pucelle
nourrissaient de tout autres projets.
Malgré la confiance qu'ils avaient dans beaucoup
de membres du haut clergé, ils préférérent
garder Jeanne sous leurs yeux et la tenir constamment enchaînée
dans la vieille forteresse de Philippe-Auguste, tant ils redoutaient
que leur précieuse victime ne leur échappât.
Ce château avait aussi ses prisons, au moins pendant l'occupation
anglaise, car la grosse tour et quelques autres servaient à
cet usage, spécialement pour les prisonniers de guerre. Rien
n'est mieux établi désormais que l'incarcération
de Jeanne d'Arc au Vieux-Château de Rouen, dès son
arrivée. C'est un point qui est affirmé par de nombreux
témoins, tous rouennais : Nicolas de Houppeville, Laurent
Guesdon, lieutenant du bailli, Nicolas Taquel, etc...
Nous avons déjà exprimé l'opinion
qu'on dût faire entrer directement la pauvre fille par la
porte de la tour carrée que les Anglais avaient construite
extérieurement pour se ménager une issue sur la campagne,
en cas d'alerte, plutôt que par la porte devers les champs ou porte postérieure située un peu plus bas, près
de sa prison. Cette première entrée extérieure,
plus familière aux Anglais, s'offrait naturellement à
l'escorte qui débouchait sur le Vieux-Château. Pour
l'introduire par la porte située au midi, vers le bailliage,
dite porte devers la ville, il aurait fallu l'y amener par la porte
Bouvreuil ou par la porte Cauchoise, en traversant les rues de la
ville. Or, les Anglais n'avaient aucune raison, avons nous dit,
d'imposer ce détour à l'escorte et de donner, dès
la première heure, la Pucelle en spectacle à la population
rouennaise. Ils devaient prudemment préparer les esprits
au cruel supplice qu'ils méditaient, et attendre le résultat
de la procédure inquisitoriale, pour conduire ensuite la
victime à travers les rues de la cité, en s'abritant
derrière les décisions des docteurs et des juges ecclésiastiques.
Le plan du Vieux-Château en 1515 (Livre des Fontaines)
ne reproduit pas l'entrée de la Tour carrée ; il représente
seulement la porte devers les champs avec pont-levis, qui
était située plus bas, à peu près vers
l'angle de la rue Morand actuelle et de la rue Jeanne d'Arc, un
peu au-dessous de la plaque commémorative que l'administration
municipale de Rouen a fait placer, en 1891, à l'endroit où
s'élevait la tour de la Pucelle, démolie en 1809.
Cette porte, qui aurait pu également donner accès
à la Pucelle, servait aussi de communication avec l'extérieur,
de porte de derrière (8) ou de
secours. On y accédait par un pont-levis jeté sur
le fossé. L'extrémité du pont contigu à
la porte était la seule partie qui se soulevât : le
reste du pont se trouvait partagé en deux parties par une
espèce de guérite. L'entrée fortifiée,
ménagée plus haut par les Anglais, était également
munie de pont-levis.
Un plan linéaire du chateau Bouvreuil, dressé
en 1635, lors d'un procès pendant entre les paroisses Saint-Godard
et Saint-Patrice qui se disputaient son emplacement, figure cette
porte qualifiée : ancienne porte des champs avec sa tour
carrée. C'est bien celle que Henri V avait fait construire
après la prise de Rouen pour s'en faire une position contre
le château et contre la ville elle-même, en cas de rébellion.
Il est facile de se rendre compte, par ces documents,
que cette tour carrée, située en dehors du château,
n'est pas la tour vers les champs que Nicolas Taquel indique comme
ayant été la prison de Jeanne ; de même que
la nouvelle issue, pratiquée par Henri V, en 1419, n'était
pas la porte des champs par laquelle la Pucelle a pu également
être introduite au château. Par cette porte devers
les champs, on accédait directement aux nombreux bâtiments
qui existaient au milieu et au pourtour de l'enceinte de la forteresse,
qui fut la dernière demeure de l'héroïne.
Malheureusement, alors que nous possédons, pour
étudier l'extérieur du château, les plans de
1525 et de 1635, aucun document contemporain ne nous offre la reproduction
détaillée de l'intérieur de ce château,
que Jeanne traversa si souvent pendant le cours du procès,
pour aller de sa prison aux salles d'audience, la grosse tour ou
à la chapelle.
Tout au plus trouverions-nous une vue d'ensemble dans
les plans de Rouen des XVI° et XVII° siècles, qui
représentent le Vieux-Chateau du côté du midi.
Nous pouvons seulement, d'après le Compte "du domaine
de la ville et vicomté de Rouen", qui part précisemment
de l'année où Jeanne fut prisonnière au château
de Rouen, énumérer les bâtiments qui existaient
à l'intérieur. On y trouvait "la maison de paticerie
et espicerie, les chambres de l'artillerie et du doïen de la
chapelle, une maison séant auprès de la barrière,
un puits, une salle sur la galerie, une chambre joignant à
icelle, les galeries devers les champs, la grande cuisine basse,
la chambre des provisions et garnisons, ou bien le cellier des garnisons,
une chambre près de la grosse tour, la chambre du pennetier,
la chambre des pages du Roy, la garde-robe de la chambre de M. le
Comte, une chambre sur la porte, la chambre du grand chambellan,
la grande salle, la chambre de retraict du Roy, ou bien encore la
chambre du Roy nostre sire (occupée par Henri VI), avec la
chambre de parement auprès d'icelle dedans ledit chastel
; enfin, on trouvait une chambre pour la petite chappelle et la
grande chappelle du Roy, avec cloche et tour."
Dans un acte du 11 avril 1433, publié par M.
Léopold Delisle, on trouve la mention de travaux faits "en
la chambre où est de présent logié monseigneur
le gouvernant régent de France, duc de Bedford ; item un
huis et troiz fenestres pour la chambre de secret de mondit seigneur
le regent" ; et, ce précieux détail : "fait
ung prannel ou degré de la chambre ou soulloit estre logiée
Jeanne la Pucelle."
Une chapelle était dans l'intérieur de
la cour, car c'est de là que l'on tira contre la grosse tour
lorsque Ricarville et ses soldats s'y réfugièrent,
peu après le procès de la Pucelle.
Telle est la description forcément sommaire de
cette forteresse, où Jeanne devait être en butte, pendant
cinq longs mois, à tous les outrages, jusqu'au jour de son
supplice.
Photo de la "Tour Jeanne d'Arc" en août 2004. On repère
la partie restaurée sur le haut du donjon.
Voir la prison de Jeanne dans la Tour de La Pucelle.
Sources : - Richard Quenedey "les étapes de la voie douloureuse
de Jeanne d'Arc à Rouen"
- "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV° siècle" - Albert Sarrazin - 1896
Illustrations :
- Château de Rouen construit sous Philippe Auguste où
Jeanne d'Arc fut détenue (eau forte de Mlle Esp. Langlois
- Bibliothèque de Rouen).
- L'officialité et la chapelle des ordres (Au pays de Jeanne d'Arc - Jean de Metz - 1910)
- Photo du Donjon (Au pays de Jeanne d'Arc - Jean de Metz - 1910)
- Photo du donjon - 2004 par l'auteur du site.
Notes
:
1 Elle était assise en dehors des fortifications de la cité,
à cheval, sur la route venant de la mer, de Harfleur par Lillebonne et l'ancienne voie
romaine (porte Cauchoise) de Dieppe par Longueville et Clères. Cette dernière
route débouchait sous le Mont-Fortin et arrivait à la porte Bouvreuil par la rue
actuelle du Champ-des-Oiseaux.
Un marais devait exister à proximité. D'après
les fouilles faites, le sol naturel devait être de 8 à 10 mètres inférieur
au niveau actuel de la rue.
2 Déposition de Toutmouillé au procès
de réhabilitation.
3 Ch. de Beaurepaire.
4 Déposition de Manchon, procès t.II, p.300.
5 Autrefois Rue de l'archevêché.
6 Ces prisons servaient aux chanoines et on y infligeait parfois
la torture (Beaurepaire, les anciennes prisons de Rouen).
7 C'est dans cette chapelle que Jean
de St Avit, doyen des évêques, faisait les ordinations
le siège d'archevêque vacant et ce, pendant le procès
même de la Pucelle. Les juges de Jeanne s'y réunirent
plusieurs fois notamment le 29
mai 1431, veille de l'exécution de Jeanne.
8 C'est le nom qu'on lui donnait à l'époque.
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