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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice
16 : Entrée de Jeanne d'Arc avec un convoi de vivres
dans Orléans |
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L'entrée
de Jeanne d'Arc à Orléans, sans que les Anglais fissent
rien pour l'empêcher, était un acte qui pouvait dejà
communiquer aux habitants la foi qu'elle avait dans leur délivrance.
On sait comment elle y entra : tous les testes sont d'accord. Comment
y fit-elle entrer le convoi qu'elle amenait ? C'est un point sur
lequel ils varient. M. Boucher de Molandon les a rapprochés
et discutés dans un savant traité intitulé
: Première expédition de Jeanne d'Arc. Le ravitaillement
d'Orléans (Orléans 1874) ; et ici encore il y a beaucoup
à prendre, il y a quelque chose à laisser dans ses
conclusions.
On a vu que les capitaines prirent le chemin de la Sologne,
tournant les bastilles anglaises et trompant Jeanne d'Arc
qui les voulait aborder de front. Sur ce point M. Boucher de Molandon
prétend à tort, je pense, que Jeanne d'Arc avait fini
par goûter leurs raisons. Il n' y a point à biaiser
avec le témoignage de Dunois qui est clair et formel : "Estis
vos qui dedistis consilium quod venerim huc de isto latere ripariæ
et quod non iverim de directo ubi erat Tallebot et Anglici... Vos
credidistis me decipere et vosmet ipsum plus decipitis"
(Procès t.III, p.5)
Après avoir passé par Olivet on se rabatit
sur la Loire, en laissant de côté la bastille des Augustins
et celle de St Jean-le-Blanc qui fut évacuée par les
Anglais. La plupart des récits font arriver Jeanne jusqu'à
Chécy qui est sur
la rive droite de la Loire, ce qui implique qu'elle l'a passée
d'un point situé en face de ce village. Ainsi fait le Journal
du siège (t.IV, p.151); la chronique de la fête du
8 mai, plus précise, la fait venir jusqu'à l'île
aux Bourdons qui confine à la rive gauche, à la hauteur
de Chécy, et c'est là qu'elle fait arriver les chalans
envoyés d'Orléans pour charger les vivres : "Et
environ fin-avril, fut baillé à ladite Jehanne, monseigneur
de Rais, mareschal de France, (il ne le fut que depuis le
sacre) et plusieurs autres capitaines, et aussi des communes des
païs d'à bas et luy fut ordonné d'amener tourna
d'aval et tellement que un chalen menoit deux ou trois chalens,
qui estoit une chose merveilleuse, et failloit dire que ce fust
miracle de Dieu. Et passèrent par devant les bastilles des
Anglois, et arrivèrent à leur port, et là chargèrent
leurs vivres, et puis passa la rivière la dicte Pucelle.
(t.V, p.289, 290)
Ce point situé en face de Chécy est le
lieu que parait désigner également un habitant d'Orléans,
Beaucroix, quand il le fixe entre Orléans et Jargeau (Procès,
t.III, p.78), témoignage sur lequel nous aurons à
revenir. D'autres, et ils y étaient, placent un peu plus
près d'Orléans le lieu où Dunois vint la rejoindre
: "Et dum sciverunt ipsam Johannam advenisse, ipse loquens
et plures alii transfretaverunt fluvium Ligeris et iverunt quæsitum
eamdem Johannam quæ erat de latere sancti Johannis",
t. III, p.119 (Th. de Termes). Du côté de Saint Jean-le-Blanc
: cela pourrait, à la rigueur, ne vouloir dire que sur la
rive gauche. Mais d'Aulon, écuyer de Jeanne dit : "Se
misdrent iceluy seigneur et ses dictes gens en ung bateau et par
la riviere de Loire alèrent au devant d'elle environ ung
quart de lieue et là la trouvèrent (ibid.,
p. 210). Pasquerel, son aumônier, dit que c'était assez
près et à la vue des Anglais : "Satis prope Anglicos
ita quod oculalive poterant Anglici et Gallici se videre" (ibid.,
p.105). Dunois est d'accord avec eux quand il dit que c'était
en face de l'église Saint-Loup (il faut traduire ainsi, puisque
Saint-Loup est sur l'autre rive) : "et venerunt a parte de
la Sologne usque ad ripam Ligeris de directo, et usque juxta
ecclesiam sancti Lupi" (ibid. p. 5). Enfin lui-même
a déterminé précisément le lieu dans
un acte signé par lui, à une date où il n'en
pouvait avoir perdu la mémoire, le surlendemain de l'arrivée,
de Jeanne :
"Nous, Jehan bastart d d'Orléans confessons
avoir eu et reçu la sommc de 600 l. tournois..., pour payer
les gens de guerre estans en icelle ville en garnison..., ad ec
que on les entretensist jusques ad ce que l'armée qui estoit
venue avec la Pucelle jusques au port du Bouschet, qui est retournée
à Blois fut revenue en cette ville pour lever le siège...
Ce 1er jour de mai l'an mil IIII° vingt-neuf.
-Signé Le bastart d'Orléans (1)."
Or le lieu est fixé par une maison qui, aujourd'hui
encore, en retient le nom. Ce fut la que se passa la scène
rapportée ci-dessus entre la Pucelle et Dunois. C'est là
que se produisit tout à coup, comme à la voix de la
Pucelle, ce changement dans la direction du vent qui permit aux
bateaux de sortir d'Orléans et de remonter la Loire pour
venir charger les vivres. Dunois en a rendu témoignage :
"Opus erat habere naves seu bastellos, quas seu quos cum difficultate
habere poterant pro eundo quæsitum dicta victualia, quia oportebat
ascendere contra cursum aquæ, et ventus erat totaliter contrarius"
; puis après les paroles de Jeanne d'Arc : "Statim et
quasi in momento ventus qui erat contraries et valde impediens ne
ascenderent naves in quibus erant victualia ad civitatem AureIianensem."
Passage où M. Boucher de Molandon a justement soupçonné
une faute du greffier : les bateaux qui avaient à remonter
le fleuve n'étaient pas chargés de vivres ; ils allaient
charger des vivres. Il suffrait pour que le texte fût intelligible
de supposer le mot qui parait omis : "Naves in quibus erant
[ponenda] victualia ad civitatem Aurelianensem."
Mais ici se présente une grave difficulté.
D'après ce que dit Dunois lui-même, il monta alors
sur les bateaux : "Ventus qui erat contrarius... mutatus est
et factus ei propitius ; quare statim tensa sunt, vela et dictus
deponens intravit bastellos seu naves et cum eo frater Nicolaus
de Geresme, nunc magnus prior Franciæ ; et transiverunt ultra
ecclesiam Sancti Lupi, invitis Anglicis" (t.III, p.6) On comprend
très bicn que Dunois soit monté sur les bateaux pour
aller d'Orléans au port du Bouschet ; on ne comprend pas
qu'il l'ait fait pour aller, après avoir rejoint la Pucelle
et son escorte, du port du Bouschet à l'île des Bourdons,
en supposant que le convoi se soit avancé jusque là
; et le péril du côté des Anglais de Saint-Loup
dont il parle était dans le trajet d'Orléans au port
du Bouschet et non plus du port de Bouscbet à l'île
des Bourdons. Tout se concilierait si la deuxième partie
de la déposition de Dunois pouvait être placée
avant la première ; si son départ d'Orléans
était postérieur au changement du vent, ainsi que
le rapporte la Chronique de la Pucelle : "Or ne pouvoit-on
monter contremont (car on n'y peut conduire les bateaux sinon à
force de voile). Laquelle chose fut dite à la Pucelle qui
dit : "Attendez un petit : car, en nom Dieu, tout entrera
dans la ville." Et soudainement le vent changea en sorte
que les vaisseaux arrivèrent très aisément
et légèrement où estoit ladite Jeanne. En iceux
estoient le bastard d'Orléans et aucuns bourgeois de la ville,
etc... (t.IV, p.218). Mais cette transposition dans le texte de
Dunois n'est pas possible, puisqu'il dit que c'est après
sa conversation avec elle, que le vent changea et que les bateaux
purent venir d'Orléans. Il faut donc admettre qu'il en est
venu lui-même par quelque barque, soit à la rame, soit
en allant par terre en amont jusque vers Chécy. Mais je laisse
à expliquer pourquoi il serait ensuite remonté sur
les chalands.
Les vivres chargés il fut décidé
que l'armée irait passer la Loire à Blois : soit que
l'on ne crût pas sûr d'opérer cet embarquement
non seulement des vivres, mais des troupes en face de l'ennemi,
comme le voulait Jeanne, ou que les bateaux manquassent pour les
faire traverser, soit comme le conjecture M. Boucher de Molandon
qu'elles eussent ordre d'aller reprendre un nouveau convoi de vivres
à Blois. J'inclinerais davantage pour la première
opinion. On a vu comment Jeanne se décida à grand'peine
à laisser partir ses soldats et à passer la Loire
avec Dunois et 200 lances.
Le convoi a-t-il passé la Loire avec elle, et
est-ce par le même chemin, qu'il est entré dans Orléans
?
Le Journal du Siége qui la fait aller
avec ses troupes jusqu'à Chécy et la fait coucher
à Chécy (2), paraît
dire que le convoi vint par terre de Chécy à Orléans
: car, après avoir parlé de l'escarmouche qui avait
pour but d'occuper la garnison de la bastille Saint-Loup, il ajoute
: "Et lors que celle escarmouche se faisoit, entrèrent
dedans la ville les vivres et artillerie que la Pucelle avait conduits
jusques à Chécy (ibid. p. 152) (3).
Jollois l'a entendu ainsi, il a même entrepris de prouver
que le convoi n'avait pas pu entrer autrement (4),
et son opinion a été suivie par la plupart des historiens
après lui. Je l'avais adoptée comme les autres. Mais
un témoignage non moins considérable que celui du
Journal, le témoignage de Simon Beaucroix dit que les vivres
furent mis sur les vaisseaux et conduits à Orléans
"et fuerunt posita victualia in navibus et ducta ad villam
Aurelianensem" (t.III, p.78), phrase qui dans sa brièveté
implique plus un transport direct par eau qu'un dépôt
sur le rivage et un transport par terre. De plus M.Boucher de Molandon
a produit des mandats de paiement délivrés par les
procureurs de la ville sous le sceau de la prévôté
et le contre-seing de Jehan de Cailly, leur notaire, où l'on
trouve le détail des sommes payées pour le déchargement,
le transport, l'emmagasinage et le mesurage des blés venus
à Blois, le 29 avril 1429. Or, dit l'auteur, "ces titres
constatent que les blés étaient entrés par
chalands dans les fossés de la porte de
Bourgogne alimentés par la Loire". (5)
Blé
du 29 avril amené par bateaux.
A Jehan Le Camus pour bailler à quatre hommes
qui couchèrent au chalan au blé la nuit que on l'amena
: viii sous parisis.
A Jehan Le Camus pour bailler à certains compagnons
qui apportèrent le blé du chalan à la porte
Bourgogne et qui aidèrent à charger les voitures :
xii s. p.
A Collin Nollet, sergant, et à Jehan Casseau,
nottaire, pour leur sallaire d'avoir fait information pour la ville
du blé emblé (pris) aux chalans : xliv s. p. (Première
expédition de Jeanne d'Arc, p.55-56)
M. Boucher de Molandon a donc raison de croire que ces
textes tranchent ici la question.
Les charriots arrivés avec l'escorte au port
du Bouschet avaient pu se ranger le long du rivage en amont dans
la direction de l'île aux Bœufs et de l'île aux
Bourdons. Les bateaux ayant pris leur chargement purent redescendre
la rivière comme ils l'avaient remontée, passant entre
l'île Saint-Loup et l'île Saint-Aignan ou l'île
aux Toiles : la Bastille de Saint Jean-le-Blanc auprès de
l'île Saint Aignan, sur la rive gauche, était abandonnée,
et la Bastille Saint Loup, derrière l'île de ce nom,
sur la rive droite, occupée ailleurs par une attaque dirigée
d'Orléans contre elle en forme de diversion. C'est ainsi
qu'ils arrivèrent aux fossés ou plutôt à
la grève la plus voisine de la porte de Bourgogne, où
on les déchargea.
(Cf. Mantellier, Histoire du Siège
d'Orléans, p.87)
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes
:
1 Reçu tiré des archives
d'Orléans et publié par M. Boucher de Molandon et
Manlellier, Hist. du siège d'Orléans, p.230.
2 Et on ce point s'en allèrent et firent tant que ilz vindrent
presque à ung village nommé Chécy là
où ilz geurent la nuit en suivant (t.IV, p.151). Ce texte
ne permet pas d'entendre qu'elle vint seulement sur le territoire
de Chécy qui s'étendait sur la rive gauche de la
Loire. Il s'agit bien du village qui est sur la rive droite.
3 La Chronique de la Pucelle ne sépare pas non plus
Jeanne de son convoi. Quand les vivres furent mis ès vaisseaux
ou bateaux avec ladicte Jeanne, Ie maréchal de Rais, le
seigneur de Loré, et autres s'en retournèrent au
audit lieu de Blois (ibid., p.221).
4 Histoire du siége d'Orléans, p.72-74.
5 Première expédition de Jeanne d'Arc, p.55.
Les fossés de la porte Bourgogne avaient-ils sur la Loire
une telle ouverture sur la Loire que les chalans puissent y pénétrer
? Je laisse l'assertion à la charge de M.Boucher de Molandon.
Elle me parait fort contestable. Il est dit que ce blé
fut porté du chaland à la porte de Bourgogne, mais
non que les chalans aient pénétré par les
fossés jusqu'à la porte de Bourgogne.
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