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03 mai 2024  

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Livre I - Chapitre I - p.37 à 67


L'ENFANCE LA FAMILLE LES VOIX
Naissance de Jeanne d'Arc. — Ses parents. — Son éducation. — Ses travaux, ses jeux, ses compagnes. — Son caractère. — Ses vertus. — Son inspiration. — Ses conseils. — Sa détermination. — Première tentative. — Durand Laxart et Robert de Baudricourt.

  
e 6 janvier 1412, à Domremy, près Vaucouleurs, dans la vallée de la Meuse, sur les confins de la Champagne et de la Lorraine, de Jacques d'Arc et d'Isabelle Romée, originaires, l'un de Ceffonds, près Montier-en-Der, en Champagne, l'autre de Vouthon, près Domremy, naquit Jeanne ou Jeannette d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans, libératrice de la France. Elle fut baptisée dans l'église paroissiale de son village, consacrée à saint Remi. Suivant l'usage du temps, elle eut plusieurs parrains et marraines : Jean Barré, Jean le Langart, Jean Morel, Jean Rainguesson; Jeanne, femme du maire Aubery; Jeannette, femme de Thiesselin de Vitel; Jeannette Rose, femme de Thévenin Royer; Edette, femme de Jean Barré; Béatrix, femme d'Estellin (1).
  Ses parents étaient de bons chrétiens et d'honnêtes laboureurs, de condition plutôt aisée, et comptés même au nombre des notables du village, mais vivant modestement et demandant au travail la principale source du revenu qui leur servait à nourrir et à élever leur famille, composée, outre Jeanne, de trois fils: Jacquemin, Jean et Pierre, et d'une fille nommée Catherine, qui se maria et mourut avant le départ de sa sœur.
  Elle grandit dans la maison paternelle, simple chaumière bâtie à côté de l'église, et entourée d'un petit jardin. Sa mère lui enseigna de bonne heure à joindre les mains, à dire Notre Père; Je vous salue, Marie ; Je crois en Dieu ; de bonne heure aussi elle lui apprit à ne pas rester oisive, et Jeanne à Rouen, durant son procès, put se rendre à elle-même ce naïf témoignage, qu'elle n'avait pas peur d'être vaincue par les meilleures ménagères dans l'art de coudre et de filer. La prière et le travail, qui est aussi une prière, telle est l'école où Jeanne fut élevée dès sa plus tendre enfance ; quant à la lecture et à l'écriture, bien que ces connaissances fussent alors moins rares qu'on ne le dit, elle ne les a certainement pas possédées. Mais cette ignorance relative fut grandement rachetée par un bon sens admirable, un cœur sublime et l'inspiration de Dieu.
  Elle veillait donc aux soins du ménage et faisait œuvre de ses mains. On la vit parfois coudre bien avant dans la nuit, et ses doigts n'étaient pas les moins actifs aux veillées d'hiver, qu'égayaient des récits, que charmaient des légendes empruntées souvent à ces vieux poèmes où vit l'esprit de la France. Le sujet des entretiens n'était pas toujours aussi divertissant, aussi joyeux. On parlait à ces veillées des malheurs de la patrie, de l'invasion étrangère. On s'attendrissait sur le sort du pauvre fou qui portait la couronne de France; on plaignait le dauphin trahi par sa mère; on s'indignait contre Isabeau, contre le duc de Bourgogne; car les habitants de Domremy étaient Armagnacs, ou plutôt ils étaient Français. Ces généreux élans d'un patriotisme ardent et naïf éveillaient sans doute dans l'âme de la jeune enfant comme un pressentiment de sa mission future. Avant de se manifester directement à elle, la voix de la Providence se faisait déjà sourdement entendre au fond de son cœur.
  Quand elle fut un peu grande et forte, elle commença d'aider son père dans les travaux des champs. Elle apprit à manier la bêche et le hoyau, comme l'aiguille et la quenouille. Plus tard, quand elle parut au milieu des gens de guerre, on disait volontiers d'elle que c'était une pauvre bergerette. La vérité est qu'elle ne fit pas de garder les troupeaux et de les conduire aux pâturages son occupation habituelle. Surtout lorsque d'enfant elle fut devenue jeune fille, son père hésitait à la laisser isolée au milieu des champs, et il préférait que, s'occupant au logis, elle demeurât auprès de sa mère. Parfois cependant elle mena paître les brebis de son père, et aussi le troupeau communal quand c'était le tour de Jacques d'Arc d'y donner ses soins. Elle conduisit de temps à autre, à cause des incursions des gens de guerre, son troupeau à l'abri d'une forteresse située en face du village, dans une île formée par les deux bras de la Meuse, et que l'on appelait pour cette raison la forteresse de l'île. Mais il fallut un jour se réfugier plus loin. A une époque indéterminée, l'ennemi, probablement quelque bande bourguignonne, passa par Domremy. Les habitants s'étaient enfuis à son approche et réfugiés à Neufchâteau, ville située à quelque distance, avec leurs meubles et leurs troupeaux. Jeanne y séjourna pendant une quinzaine de jours; mais elle ne fut point séparée de sa famille, à laquelle une honnête femme, nommée la Rousse, qui tenait une hôtellerie, accorda l'hospitalité. Jeanne, en retour, ne refusa point son aide à l'hôtesse, jusqu'au moment où elle revint avec ses parents dans son village.
  En son enfance, bien qu'elle ait eu de bonne heure l'âme sérieuse et réfléchie, elle ne s'abstenait point de se mêler aux jeunes filles et aux jeunes garçons de Domremy, de courir avec eux dans la plaine, et de s'ébattre innocemment. De la maison de son père on voyait à droite, un peu plus loin, sur la pente du coteau qui descend vers la Meuse et auquel s'adosse le village, un épais, un sombre bois de chênes, le bois chesnu; vers le milieu de la colline s'élevait un beau hêtre, d'une vénérable antiquité, et dont les branches, chargées de feuillages verdoyants, s'inclinaient vers le sol avec grâce et avec majesté. Cet arbre, qu'on appelait l'arbre aux Loges-les-Dames ou l'arbre fée de Bourlemont, avait dans toute la contrée une renommée mystérieuse. Les fées, disait-on, y venaient autrefois danser. La femme du maire Aubery, marraine de Jeanne, affirmait les y avoir vues. Elle le croyait, la bonne femme; mais sa filleule ne fit pas sans doute un bien grand cas de cette créance; car, pour elle, les fées étaient son moindre souci. Jamais elle ne les vit près du hêtre, bien que parfois elle s'y rendit pour jouer avec ses compagnes. Tous les ans, le quatrième dimanche de Carême, appelé dimanche de Lætare, les enfants de Domremy allaient faire ce qu'ils appelaient leurs fontaines. Munis de petits pains préparés par leurs mères, ils se dirigeaient vers l'arbre en chantant. La troupe joyeuse, se tenant par les mains, frappant des pieds, formait des rondes autour du vieux tronc; puis, se répandant çà et là, on cueillait des fleurs, on tressait des guirlandes qu'on suspendait aux rameaux du hêtre. En revenant du village, on s'arrêtait près d'une fontaine qu'environnaient des touffes de groseilliers. Les enfants, s'asseyant sur l'herbe, y faisaient leur goûter frugal; ils buvaient délicieusement de l'onde fraîche, et l'on prenait ensuite le chemin du logis en jasant et en riant. Jeanne prenait part avec les autres à cette petite fête; travaillant, toute jeune encore, comme une sage et habile ménagère, elle se divertissait comme une simple fille des champs.
  Son âme était pleine de franchise et son cœur de bonté, elle aimait ses compagnes et en était aimée. Mais entre toutes elle en avait distingué deux: la petite Mengette, sa voisine, qui plus tard épousa Jean Joyard, laboureur à Domremy, et sa chère Hauviette, la préférée, qui fut mariée, elle aussi, à un laboureur du même village, Jean de Sionne. Sans doute en leur vie paisible, tout entière écoulée dans le lieu qui les avait vues naître, bien des fois les larmes leur vinrent aux yeux au souvenir de leur amie d'enfance, morte à Rouen sur un bûcher. Mais alors elles riaient avec elle et la chérissaient, la jugeant une parfaite compagne, quoique peut-être, à leur avis, un peu trop pieuse et se dérobant trop volontiers à leurs jeux pour aller prier Dieu ou Notre-Dame. Mais sur ce point Jeanne ne savait pas céder, bien que parfois un tel reproche, si glorieux pour elle, la rendit un peu confuse, et que sa modestie en ait rougi.
  C'est qu'en effet le trait dominant du caractère de Jeanne était une piété innée, une foi ardente, un vif amour de Dieu. Chez la jeune paysanne, ces sentiments étaient simples et forts; mais ils n'étaient pas, comme on l'a cru, poussés jusqu'à l'exaltation fiévreuse et parfois subtile de l'illuminisme. La raison, le bon sens, étaient en elle aussi solides que la foi et la piété. Comme l'a dit avec une parfaite justesse M. Wallon (2), la Lorraine et la Champagne ne sont pas des pays de visionnaires, et Jeanne avait bien l'esprit de ces deux pays. L'énergie de son âme, capable des plus sublimes élans, s'alliait à une naïveté pleine de finesse, et qui laissait à l'occasion percer une pointe de raillerie, mais de raillerie douce et presque toujours inoffensive. Jeanne était vive et gaie, non moins que sérieuse et réfléchie; car ces qualités ne s'excluent point. Ses saillies spirituelles et ses promptes reparties font songer au sire de Joinville ; mais elles sont adoucies et comme amorties par cette charité sensible qui se manifesta toujours en elle, et qui est aussi un des traits dominants de son caractère.
  L'enthousiasme, le bon sens, la finesse, étaient mêlés et comme confondus dans cette âme d'élite, que Dieu avait formée avec amour parce qu'il la destinait à accomplir ses grands desseins.
  Dès son plus jeune âge, on la vit pratiquer toutes les vertus. Elle accomplissait ses devoirs religieux, non pas seulement avec régularité et persévérance, mais avec un goût merveilleux et un ineffable plaisir. Ses confessions étaient fréquentes, et elle communiait très souvent, cherchant la consolation et la force où Dieu les a mises. Elle aimait à épancher dans la prière l'effusion de sa piété; à confier à Dieu, à la sainte Vierge, aux anges, aux saints, ses peines et ses espérances. On l'aperçut souvent qui priait toute seule, agenouillée dans l'église. Parfois, jouant avec ses compagnes, elle s'écartait soudain, et s'adressait à Dieu au milieu des champs. Elle se rendait très fréquemment à une petite chapelle originairement placée sous le vocable de saint Thiébault, mais où l'on vénérait une statue antique de la sainte Vierge et qu'on appelait Notre-Dame de Belmont (3), parce qu'elle était située sur un riant coteau, à quelque distance de Domremy. Elle y faisait de nombreuses offrandes et elle y brûlait des cierges. Parfois, tandis que ses compagnes folâtraient autour du vieux hêtre, près de la fontaine qu'on appelle aujourd'hui fontaine de la Pucelle, Jeanne s'en allait prier dans un autre oratoire alors déjà ruiné et qu'on nommait l'ermitage Sainte-Marie. Elle allait aussi fréquemment, cela va sans dire, prier dans l'église paroissiale. Elle se plaisait en particulier dans la chapelle de la sainte Vierge, aux pieds de Notre-Dame de Domremy, et elle y suspendait des guirlandes qu'elle avait faites, ce qui lui semblait plus méritoire que d'en orner les rameaux d'un arbre. Elle était pieusement fidèle aux divins offices, et quand le marguillier du village, Perrin Drapier, négligeait de sonner complies, elle le gourmandait doucement, disant que ce n'était pas bien, et lui promettant, s'il était plus exact, de lui donner des gâteaux. La première des vertus chrétiennes, qui consiste à aimer Dieu et à le servir, était donc en elle.
  Docile à la volonté de ses parents, chérie de ses frères, de sa sœur et de ses compagnes, elle était bonne et serviable à tous. C'était une joie pour elle de faire l'aumône aux malheureux. Elle faisait plus : on la vit quelquefois céder son lit à des mendiants qui n'avaient point de gîte. Elle dormait, ces nuits-là, près de l'âtre, sous la haute cheminée de la chaumière. Les malades se réjouissaient de la voir accourir à leur chevet pour leur prodiguer ses humbles secours et ses douces consolations. Elle comprenait et pratiquait admirablement le second devoir du chrétien : aimer son prochain comme soi-même.
  L'amour de la patrie, qui s'accorde si bien avec les vertus de la famille et de la piété chrétienne, et qui y trouve même son plus ferme appui, avait été déposé par Dieu dans l'âme de la jeune fille comme un puissant ressort que sa providence voulait faire agir pour l'accomplissement de l'œuvre à laquelle il destinait Jeanne. Ce senti-timent ne fit que croître et se fortifier en elle, à mesure qu'elle put mieux comprendre et plus vivement sentir toute l'étendue des maux que la guerre étrangère et les discordes civiles faisaient peser sur la France. Outre ce qu'elle entendait dire dans sa chaumière et dans son village, elle put voir dans les combats d'enfants qui souvent s'engageaient entre les jeunes garçons de Domremy et ceux d'un village voisin, de Maxey, dont les habitants suivaient le parti de Bourgogne, une image de la guerre qui désolait le royaume. En voyant revenir ses petits compagnons meurtris, le visage et les mains en sang, elle se représentait sans doute des luttes plus dangereuses et de plus cruelles blessures. Ce n'est pas tout : bien que la vallée de la haute Meuse fût située fort loin du vrai théâtre de la guerre, elle en ressentit cependant le contre-coup et eut aussi à souffrir des horreurs qui résultaient du choc ou même de la simple présence des gens armés. Domremy fut loin d'être exempt de leurs incursions. Une fois même, dit-on, sans qu'on sache bien en quel temps ni à quelle occasion, le village fut incendié. Mais si vive qu'ait pu être l'impression reçue par Jeanne des maux de la guerre, ce sentiment de douleur et de pitié avait besoin, pour fructifier dans son âme au point de produire le salut de la patrie, d'une intervention miraculeuse. Dès l'âge de treize ans, l'humble paysanne avait reçu directement les consolations, les conseils, les ordres célestes.
  La première fois que la Providence se manifesta à elle d'une façon sensible, ce fut en été, vers l'heure de midi, dans le jardin de son père. Jeanne avait jeûné ce jour-là, mais non pas, comme on l'a cru, le jour précédent. Elle entendit du côté de l'église une voix, et cette voix était accompagnée d'une grande lumière : « Jeanne, sois bonne et pieuse, va souvent à l'église. » Tel fut, à défaut des termes, le sens des paroles qui lui furent adressées. Elle eut grand'peur à cette fois. Mais l'apparition revint, la voix se fit de nouveau entendre, et, après avoir 'assez longtemps douté du vrai caractère de ces célestes messages, Jeanne enfin reconnut que son inspirateur était réellement un être céleste, le chef des milices divines, l'archange saint Michel. Elle ne cessa plus depuis lors de le revoir de temps à autre. Il se montrait à ses yeux environné d'une multitude d'anges, lui parlait des malheurs de la France, et lui annonçait qu'elle devait aller au secours du roi.
  Une pauvre paysanne secourir le roi de France! Il y avait là de quoi surprendre cette âme forte, mais naïve, de quoi épouvanter ce cœur si humble et pur. Ce qu'on lui demandait au nom de Dieu, c'était le sacrifice de sa vie entière à une œuvre providentielle, un renoncement absolu à elle-même, aux douces joies de la famille, à la calme existence qu'elle pouvait couler dans son village. Pendant trois années, de 1425 à 1428, elle souffrit bien des angoisses; mais l'archange la réconfortait, lui promettant que Dieu lui serait en aide. Sentant bien qu'un jour viendrait où il faudrait nécessairement qu'elle accomplit les desseins de la Providence, elle avait spontanément voué au Seigneur sa virginité, comme un sigue marquant qu'elle appartenait désormais au ciel, et non plus à la terre. Quoique l'Esprit qui l'inspirait lui eût laissé toute liberté à cet égard, elle tint secrète la mission qui déjà, malgré ses frayeurs, ses objections, ses résistances, exerçait sur son âme et sur sa volonté un empire souverain; et, de peur de leur faire de la peine, elle n'épancha point ses sublimes douleurs dans le sein de ses bons parents. Mais à défaut de confidents humains, elle conserva désormais, et eut, pour ainsi dire, un continuel entretien avec deux grandes saintes, Catherine et Marguerite, que l'envoyé de Dieu lui avait annoncées, et qu'il lui donna pour institutrices. Ces visions qui lui procuraient de si ineffables joies, ces voix qui lui apportaient des consolations, des espérances surnaturelles, elle crut devoir les cacher alors même à son curé, de peur que la volonté de Dieu qui la faisait trembler, mais qui, au temps marqué, devait la trouver docile, ne rencontrât des empêchements, des obstacles qu'elle n'eût que difficilement surmontés.
  Cependant le patriotisme, enflammé par la grâce divine, embrasait comme d'un feu sacré le cœur de la jeune fille; une généreuse indignation s'emparait d'elle à la pensée de ces Anglais et de ces Bourguignons qui désolaient sa chère France. Elle a dit à Rouen qu'elle ne connaissait dans son village qu'un seul homme qui fût du parti de Bourgogne, et qu'elle eût bien voulu lui voir couper la tête, « pourvu, ajoutait-elle, que ce fût la volonté de Dieu. » Au reste, il ne faut voir dans cette parole qu'une saillie toute française; car ce même homme, Gérardin d'Épinal, elle ne le haïssait point; elle lui parlait doucement et l'appelait son compère.
  A mesure qu'approchait le terme fixé par Dieu, les voix devenaient plus pressantes « Il faut, disait l'archange à Jeanne; il faut, répétaient sainte Catherine et sainte Marguerite, que tu ailles trouver le capitaine de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt, et qu'il te donne une escorte de gens armés qui te conduisent devers le dauphin; il te faut faire sacrer le roi à Reims, chasser l'étranger du royaume. — Mais, répondit Jeanne, je ne suis qu'une paysanne : comment donne-rais-je des ordres aux gens de guerre?—Fille de Dieu, fille au grand cœur, va, il le faut; Dieu te sera en aide. » Vers l'Ascension, en l'année 1428, au moment où les Anglais se disposaient à aller mettre le siège devant Orléans, elle se détermina à faire une tentative; elle résolut d'aller trouver le capitaine de Vaucouleurs.
  Elle ne pouvait compter sur l'appui, ni même sur l'assentiment de son père ou de sa mère. Bien qu'elle eût soigneusement caché son inspiration, quelque chose en avait transpiré autour d'elle. Sa piété de plus en plus ardente, les élans de son âme, les vives paroles qui sans cloute lui échappaient et décelaient son patriotisme généreusement ému, noblement indigné, tout cela inquiétait depuis longtemps Jacques d'Arc, le rude et franc laboureur, la bonne et pieuse ménagère Isabelle Romée. Deux ans ou environ après la première vision de Jeanne, son père rêva, la nuit, qu'elle l'abandonnait, qu'elle partait en compagnie de gens de guerre. Le lendemain, encore tout ému de ce songe, il disait à ses fils : « Si je croyais qu'une telle chose arrivât, j'aimerais mieux vous voir noyer ma fille, et au cas où vous y manqueriez, je la noierais moi-même. » Plus tard, pour essayer de la fixer à jamais dans la simple vie de famille, on s'avisa d'un adroit stratagème. De concert avec les parents de Jeanne, un jeune homme la cita devant l'officialité de Toul, prétendant qu'elle lui avait promis mariage. Mais ses voix la soutinrent dans cette épreuve. Elle comparut devant le tribunal, plaida elle-même sa cause, et gagna son procès. Ses parents, découragés, alarmés de plus en plus, la soumirent à une étroite surveillance. Toutefois elle trouva moyen d'accomplir son dessein.
  A Burey-le-Petit, village situé entre Domremy et Vaucouleurs, habitait un honnête laboureur, neveu d'Isabelle Romée, et qui avait nom Durand Laxart ou Lassois. Jeanne pensa qu'elle trouverait en lui l'auxiliaire dont elle avait besoin. Elle demanda la permission de se rendre chez son cousin, et passa huit jours à Burey. Elle confia à Laxart le but de sa visite, et, lui rappelant une antique prophétie qui circulait alors dans le peuple, et d'après laquelle le royaume, perdu par une femme (Isabeau de Bavière), devait être sauvé par une jeune fille des marches cle Lorraine, elle lui demanda de la conduire à Vaucouleurs. Le brave homme, au cœur simple et droit, fut touché de l'accent divin qui se faisait sentir dans les paroles de sa cousine et il accéda à sa demande. Ils partirent ensemble, et Jeanne obtint d'être introduite près de Baudricourt, qu'elle reconnut d'abord avec l'aide de ses voix, bien qu'elle ne l'eût jamais vu. Elle supplia ce capitaine de lui donner une escorte et de la faire conduire auprès du roi. « Mandez du moins au dauphin (4), disait-elle, qu'il ait bon courage, qu'il ne livre point encore bataille à ses ennemis; car Dieu lui enverra du secours vers le milieu du prochain carême. Le royaume n'appartient point à lui, mais à mon Seigneur, qui toutefois veut bien lui en confier la garde. Le dauphin deviendra roi en dépit de ses ennemis; je le mènerai à Reims, où il sera sacré. — Quel est ton Seigneur? dit Baudricourt. — Le Roi du ciel. »
  Le capitaine de Vaucouleurs n'était qu'un grossier homme de guerre. Les paroles de Jeanne ne le touchèrent point. Il dit à Durant Laxart que sa cousine était une folle, et il lui conseilla de la ramener le plus tôt possible à ses parents, après l'avoir bien souffletée.
  Jeanne ne se laissa pas abattre par cette résistance, par cet affront, prélude de tant d'autres. Mais, pour cette fois, elle n'insista plus et s'en revint à Domremy, où elle reprit auprès de ses parents ses occupations habituelles, sa douceur, sa docilité.
  Cette première tentative était demeurée infructueuse, mais Jeanne était entrée dans la période active de sa carrière. Le doigt de Dieu lui indiquait le chemin que son héroïsme devait suivre, route glorieuse où bien des triomphes l'attendaient, bien des angoisses, et au bout de laquelle la Providence distinguait, dans sa prescience éternelle, le bûcher, encore enfoncé dans la brume de l'avenir, où la sainteté de l'héroïne devait recevoir, avec la palme des martyrs, la couronne des bienheureux.



          
                                      


Source : Jeanne d'Arc - Marius Sépet - 22° éd. 1899

Notes :
1 Procès, t. V, à la table, et en général, pour ce chapitre et le suivant, t. I et II. — Cf. Jeanne d'Arc, par M. Wallon, 2° édition, t. I, pp. 1-32. — Vie de Jeanne d'Arc, par Abel Desjardins, pp. 1-27. — La Famille de Jeanne d'Arc, etc., par E. de Bouteiller et G. de Braux. Paris, Claudin, 1878, in-8°.— Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc. Paris, Claudin, 1878, in-8°. — Guide et souvenirs du pèlerin à Domremy, par M. l'abbé Bourgaut, curé de Domremy. Nancy, Berger-Levrault, 1878, in-32. — Jeanne d'Arc à Domremy, par Siméon Luce. Paris, Champion, 1886, in-8°.

2 Jeanne d'Arc, par M. Wallon, 2e édition, t. I, p. 9. — M. Wallon dit mystiques, j'y substitue visionnaires, car il y a un mysticisme que l'Église approuve, qu'elle a même glorifié : par exemple, dans sainte Thérèse.

3 Aujourd'hui Bermont.

4 Aux yeux de Jeanne, Charles VII ne devait porter le titre de roi qu'après le sacre.

Jeanne d'Arc
Marius Sépet - 22°éd. 1899

Index

Préface

Introduction :


Livre I
I - L'enfance, ... les Voix
II - Le départ
III - L'examen






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