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04 mai 2024  

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Livre I - Chapitre II - p.68 à 75


LE DÉPART
Les adieux à Domremy. — Vaucouleurs. — Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. — Le duc de Lorraine. — Le peuple. — Les habits d'homme. — Marche sur Chinon.

  
l y avait plus de deux mois que le siège d'Orléans était commencé quand, la veille de la Saint-Jean (26 décembre 1426), Jeanne dit à Michel Lebuin, de Domremy, un de ses amis d'enfance, qu'il y avait entre Coussey et Vaucouleurs (c'est-à-dire à Domremy même) une jeune fille qui, avant qu'il fût un an, ferait sacrer le roi de France à Reims. « Compère, disait-elle un autre jour à Gérardin d'Épinal, si vous n'étiez Bourguignon, je vous dirais quelque chose. »
  Ces paroles, échappées à l'impatience de Jeanne, sont un témoignage de l'ardent désir qu'elle éprouvait de reprendre l'œuvre à laquelle Dieu l'avait destinée, et que ses voix l'excitaient de plus en plus à accomplir. Les saintes lui ordonnaient d'aller délivrer Orléans, et cle commencer par là le salut du royaume. Au commencement cle l'année 1429, elle n'y tint plus; il lui fallait définitivement partir. Combien ce départ affligerait ses parents, elle ne l'ignorait pas; mais avant tout elle devait accomplir la volonté de l'Éternel. « Quand j'aurais eu cent pères et cent mères, répondit-elle à ses juges lorsqu'ils lui reprochèrent cet acte de prétendue ingratitude, je serais partie. »
  Pour écarter les soupçons de sa famille, elle s'adressa cette fois encore à son cousin Durant Laxart. Elle lui persuada de demander à son père qu'elle allât servir à Burey sa cousine, alors en couches. Laxart, qui avait foi dans la vocation de Jeanne, se prêta à cet expédient et vint la prendre à Domremv. Quel serrement de cœur quand elle s'éloigna de l'humble chaumière où s'était écoulée sa pieuse enfance, laissant sous le toit paternel, avec les êtres les plus chers à son cœur, ses plus joyeux souvenirs! En passant devant la maison de Mengette, elle lui dit adieu. Elle dit aussi adieu au père de Gérard Guillemette, un des amis de son père. Elle dit adieu à Domremy, à son cher village natal. Hauviette n'apprit, que plus tard le départ de sa compagne, et elle pleura beaucoup, dit-elle en son simple langage, parce que Jeanne était bonne. Quand le père et la mère de la Pucelle surent la véritable cause de son départ, la douleur les accabla presque au point de leur faire perdre le sens. Mais Jeanne leur écrivit, et elle fut pardonnée. C'est la beauté, c'est le mérite sans égal des vertus domestiques, d'inspirer aux nobles âmes des sentiments si hauts, qu'au jour marqué ceux qui les ont pratiquées les sacrifient avec douleur, mais avec courage, à des vertus d'un ordre plus élevé : le patriotisme et l'obéissance à Dieu.
  Laxart emmena donc sa cousine à Burey; puis, après quelque temps, il la conduisit à Vaucouleurs, où elle fut logée chez un habitant nommé Henri le Royer, dont la femme Catherine accueillit Jeanne avec bonté, et ne tarda pas à ressentir pour elle une vive admiration. Elles filaient et cousaient ensemble. Jeanne, quand elle ne travaillait point avec son hôtesse, allait à l'église. Elle priait, elle se confessait. Cette paysanne, dans ses grossiers habits rouges, était à Vaucouleurs, comme à Domremy, le modèle de toutes les vertus. Mais elle ne négligeait pas sa mission, que ses voix lui rappelaient sans cesse. Baudricourt s'obstinait dans son scepticisme. Un jour il la vint visiter, accompagné du curé de Vaucouleurs, Jean Fournier, qui, s'étant revêtu de l'étole, se mit à exorciser Jeanne. Celle-ci se jeta humblement à ses pieds. Mais elle dit ensuite qu'il avait eu tort; car il devait bien la connaître, l'ayant peu auparavant entendue en confession.
  Cependant le bruit commençait à se faire autour du nom de Jeanne, et déjà, à Vaucouleurs, beaucoup de monde croyait en elle. Un des hommes d'armes de Baudricourt, nommé Jean de Nouillompont et surnommé Jean de Metz, vint la voir un jour et lui dit :
  « Mon amie, que faites-vous ici? Faut-il donc que le roi soit chassé de son royaume et que nous soyons Anglais? »
  La Pucelle répondit :
  « Je suis venue ici, dans une ville royale, demander à Robert de Baudricourt qu'il veuille me conduire ou me faire conduire vers le roi. Mais il n'a souci ni de moi ni de mes paroles; cependant, avant le milieu du carême, il faut que je sois devers le roi, quand j'y devrais user mes jambes jusqu'aux genoux. Personne au monde, ni roi, ni duc, ni fille du roi d'Écosse (1), ni qui que ce soit, ne peut reconquérir le royaume de France, et il n'aura secours que de moi, quoique j'aimasse mieux filer auprès de ma pauvre mère; car ce n'est pas là mon état. Mais il faut que j'aille et que je fasse cela, parce que mon Seigneur veut que je le fasse.
  — Ce Seigneur, qui est-il?
  — C'est Dieu. »
  Jean de Metz lui promit alors de la conduire au dauphin, et lui demanda quand elle désirait partir.
  « Plutôt aujourd'hui que demain, répondit-elle, demain plutôt qu'après-demain. »
  Un écuyer, nommé Bertrand de Poulangy, qui l'année précédente avait assisté à l'entrevue de Jeanne avec Baudricourt, résolut également de se dévouer pour la mener au dauphin. Mais le capitaine de Vaucouleurs demeurait toujours incrédule et inflexible. L'impatience de Jeanne allait croissant: « Le temps me pèse, disait-elle, comme à une femme enceinte. »
  Elle ne voulait point pourtant partir sans garantie et comme une aventurière. Durant Laxart et un certain Jacques Alain, de Vaucouleurs, lui avaient un jour fait prendre le chemin de France et l'avaient conduite jusqu'à la chapelle de Saint-Nicolas-de-Sefonds, située à une lieue de la ville. Après avoir prié dans cette chapelle, elle leur demanda de la ramener à Vaucouleurs, parce qu'il ne serait point honnête de s'en aller de la sorte.
  Cependant la renommée avait porté jusqu'au duc de Lorraine, alors malade dans sa capitale, les merveilleux récits qui commençaient à se répandre dans la vallée de la Meuse et dans les marches de Lorraine sur la Pucelle de Domremy. Ce prince désira la voir et lui envoya un sauf-conduit. Jeanne consentit à se rendre à son invitation, espérant que peut-être il lui viendrait en aide. Elle lui demanda de lui donner son gendre, René d'Anjou, et quelques hommes d'armes pour la conduire au dauphin. Mais le duc lui parla surtout de sa maladie, et, confondant cette jeune fille avec la troupe vulgaire des charlatans et des guérisseurs, il la pria de lui dire s'il recouvrerait la santé. Jeanne répondit qu'elle n'en savait rien, mais qu'il lui accordât sa demande, et qu'elle prierait pour sa guérison. Elle lui donna aussi, dit-on, le conseil de reprendre sa bonne femme, qu'il avait lâchement renvoyée (2). Le prince ne prit point cet avis en mauvaise part; il congédia Jeanne en lui faisant présent de quelques pièces d'or.
  En quittant Nancy, elle se rendit à un sanctuaire nommé Saint-Nicolas-du-Port, lieu de pèlerinage célèbre en Lorraine, et situé à trois lieues environ de cette ville.   Elle rentra ensuite à Vaucouleurs, un peu avant le premier dimanche de carême (février 1429), et reprit ses instances auprès de Baudricourt. On rapporte que, le jour même où fut livrée à Rouvray-Saint-Denis la bataille connue sous le nom de journée des Harengs, elle vint trouver le capitaine : « En mon Dieu, lui dit-elle, vous tardez trop à m'envoyer, car aujourd'hui le gentil dauphin a eu, assez près d'Orléans, un bien grand dommage; et encore l'aura-t-il plus grand si vous ne m'envoyez bientôt vers lui. »
  Le peuple était loin de partager les hésitations de Baudricourt. Les habitants de Domremy, les hommes d'armes de l'entourage du capitaine, ne pouvaient souffrir ces lenteurs et ce scepticisme. Pleins d'admiration pour les vertus de Jeanne, pleins de foi dans sa mission, ils s'écriaient qu'on devait la lui laisser remplir, ne pas mettre obstacle aux desseins de Dieu sur elle et sur la France. Bertrand de Poulangy et Jean de Metz étaient les chefs de ce généreux complot. Ils résolurent d'équiper Jeanne, de lui procurer des vêtements de guerre, une épée.
  Les pauvres gens de Vaucouleurs se cotisèrent; Durant Laxart et Jacques Alain contribuèrent aussi. L'épée cependant fut donnée par Baudricourt, qui, ayant sans doute pris les ordres du conseil royal, se décida enfin à consentir au départ, qui eut lieu le 23 février. « Adieu, avait dit le capitaine en congédiant Jeanne, allez, et advienne que pourra. »
  Jeanne était habillée en homme; elle avait les cheveux coupés court, un gippon ou pourpoint qui se liait avec ses chausses au moyen de vingt aiguillettes, une huque ou robe courte. Elle était chaussée de houseaux, sorte de souliers à guêtres armés de longs éperons, coiffée d'un chaperon de laine découpée. Une cuirasse ou plastron protégeait sa poitrine. Une lance, une épée, une dague, étaient ses armes offensives (3). Elle montait un cheval que son cousin avait payé seize francs d'or (4). Ce vêtement de guerre, ces habits d'homme furent un des principaux griefs que firent valoir les ennemis de Jeanne lors du procès. Mais puisqu'elle allait se mêler aux gens armés, il fallait bien qu'elle se vêtît en homme de guerre; il le fallait pour accomplir sa mission, il le fallait pour sauvegarder sa pudeur.
  La petite troupe qui escortait la Pucelle se composait de ses fidèles, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy, avec leurs serviteurs, Jean de Honecourt et Julien, de Colet de Vienne, messager du roi, et d'un archer nommé Richard.

   

  De Vaucouleurs à Chinon le voyage était long, et offrait bien des difficultés, bien des périls. Jusqu'à la Loire on allait se trouver en pays ennemi, parcouru en tous sens par des gens de guerre, c'est-à-dire par des bandits de la pire espèce. Il fallait traverser plusieurs rivières, dont les ponts étaient aux mains des Anglais et des Bourguignons. Les villes étaient également en leur possession; si l'on s'y hasardait, on risquait fort de s'y faire prendre. L'hôte de Jeanne à Vaucouleurs, Henri le Royer, lui avait vivement représnté ces dangers. « Je ne crains pas les hommes d'armes, répondit-elle, mon chemin est préparé. S'il y a des ennemis sur le chemin, moi j'ai Dieu, mon Seigneur, qui saura bien m'ouvrir une voie pour aller jusqu'au dauphin; car je suis née pour le sauver. » Jean de Metz pensa qu'il fallait prendre des précautions, faire des détours, voyager quelquefois la nuit. On prit les chemins les moins fréquentés, et l'on coucha souvent sur la dure pendant les onze jours que consuma le voyage. Après la première journée de marche, on s'arrêta à l'abbaye de Saint-Urbain, où Jeanne put entendre la messe, ce qui fut un grand bonheur, une grande consolation pour elle. La peur ne pouvait avoir prise sur son âme éclairée des rayons d'en haut. Elle encourageait ses compagnons; elle leur disait: « Ne craignez point, mes frères du paradis m'enseignent ce que je dois faire. » Elle aurait bien voulu assister plus souvent aux divins offices : « Si nous entendions la messe, répétait-elle, cela serait bien. » Mais là prudence de ses compagnons ne lui permit guère d'entrer dans les églises. Pourtant elle pénétra dans Auxerre et entendit une messe dans la cathédrale. Tout le long de la route elle édifia son escorte par sa foi, sa piété, sa gaieté douce, son énergie. Jean de Metz et Poulangy étaient transportés d'enthousiasme, et cet enthousiasme n'avait d'égal que leur profond respect pour elle. Dans ces périlleuses conjonctures, sa bienfaisance demeurait inépuisable; elle répandait d'abondantes aumônes et empruntait à ses compagnons, pour satisfaire à l'ardeur de sa charité, un argent qui leur aura été rendu, Dieu merci! au centuple dans le ciel.
  La petite troupe arriva enfin sur les bords de la Loire, qu'elle traversa à Gien. Elle s'arrêta ensuite dans un village peu distant de Chinon, où se trouvait une chapelle consacrée à une des saintes de Jeanne, lieu de pèlerinage connu sous le nom de Sainte-Catherine-de-Fierbois. La Pucelle y entendit trois messes; puis elle écrivit, ou plutôt fit écrire au roi, pour lui demander la permission de l'aller trouver dans sa résidence royale. « J'ai fait cent cinquante lieues pour venir près de vous, lui disait-elle, et j'ai bien des choses excellentes à vous révéler. » Elle ajoutait qu'elle saurait le reconnaître entre tous.
  L'un des témoins du procès de réhabilitation, frère Séguin, qui fut un des examinateurs de Poitiers, a rapporté qu'il avait ouï dire à Pierre de Versailles, mort évêque de Meaux, que quelques hommes d'armes au service du roi, ayant appris l'arrivée prochaine de la Pucelle à Chinon, s'étaient mis sur la route en embuscade pour saisir Jeanne et dévaliser son escorte. Mais quand ils pensaient le faire, voici qu'ils ne purent bouger, et que leurs pieds demeurèrent comme cloués au sol. Jeanne passa donc sans encombre. Pierre de Versailles disait tenir son anecdote des hommes d'armes eux-mêmes (5). Quoi qu'il en soit, le 6 mars 1429, vers midi, l'humble paysanne de Domremy, costumée en homme de guerre, forte de la pureté de ses sentiments, de la loyauté de son cœur, et surtout de la volonté divine qui la faisait agir, fit son entrée dans la ville de Chinon, où elle venait supplier le roi de France, et obtenir à grand'peine de ses conseillers de se laisser sauver par elle, eux et le royaume qu'ils avaient en garde.
  Les braves Orléanais, qui soutenaient si courageusement le poids de la guerre et qui se désespéraient de l'abandon où les laissait la cour, étaient dès lors informés qu'une libératrice leur était envoyée par Dieu; une rumeur leur était arrivée de Gien, où, disait-on, venait de passer une jeune fille qu'on appelait communément la Pucelle, et qui se disait chargée par la Providence de faire lever le siège d'Orléans et de mener le dauphin à Reims pour y recevoir l'onction royale. Tout émus de ce bruit, ne se pouvant contenir, ils résolurent d'envoyer à Chinon une ambassade pour recueillir des informations plus amples et plus sûres. Le bâtard d'Orléans, lieutenant général, désigna, pour remplir cette mission, le seigneur de Villars, sénéchal de Beaucaire, et Jamet du Thillay, plus tard bailli de Vermandois (6).
  Ces envoyés allaient trouver la Pucelle aux prises avec la défiance, les hésitations, les lenteurs du conseil royal, avec les objections de toute sorte des diplomates et des capitaines. Mais si l'enthousiasme et la foi ont à souffrir de la cauteleuse prudence des politiques, ils en triomphent pourtant, quand, inspirés de Dieu, ils opposent l'éternelle sagesse de sa raison souveraine aux arguments de la sagesse humaine, si souvent chancelante et aveugle.



          
                                      


Source : Jeanne d'Arc - Marius Sépet - 22° éd. 1899

Notes :
1 Jeanne faisait allusion au mariage projeté du fils de Charles VII avec Marguerite d'Ecosse.

2 Procès, t. III, p. 87. — Sur l'ordre des faits relativement aux voyages ou pèlerinages de Jeanne à Saint-Nicolas-de-Sefonds, à Nancy et à Saint-Nicolas-du-Port, cf. l'intéressant opuscule de M. G. de Braux : Jeanne d'Arc à Saint-Nicolas, Nancy, 1889. (Extrait du Journal de la société d'archéologie lorraine.)

3 J'emprunte cette description à Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, pp. 51, 52. — Le greffier de l'hôtel de ville de la Rochelle (Relation inédite sur Jeanne d'Arc, publiée par J. Quicherat dans la Revue historique, t. IV, p. 336, année 1877) décrit ainsi le costume de Jeanne à son arrivée à Chinon : « Elle avoit pourpoint noir, chausses estachées (attachées), robbe courte de gros gris noir, cheveux ronds et noirs, et un chapeau noir sur la teste. »

4 Le franc d'or valait environ dix francs d'argent, valeur intrinsèque.

5 Procès, t. III, pp. 202, 203. — Cf. Wallon, t.I. p. 32. — Vallet de Viriville, t. II, p. 54, note 2.



Jeanne d'Arc
Marius Sépet - 22°éd. 1899

Index

Préface

Introduction :


Livre I
I - L'enfance, ... les Voix
II - Le départ
III - L'examen






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