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Lettre d'anoblissement de la famille de La Pucelle
décembre 1429

' original des lettres d'anoblissement de la Pucelle et de sa famille n'existe pas plus que celui qui concédait exemption d'impôts à Greux et à Domrémy. On en possède plusieurs vidimus, ou copies déclarées officiellement authentiques, et insérées comme telles au « Trésor des chartes ». Des descendants de la famille anoblie ayant voulu en réclamer les privilèges ont dû prouver et leur descendance, et en même temps exhiber le titre.
  C'est ainsi que ce titre se trouve sous la date de 1562, au Trésor des chartes, dans un acte de Henri II en faveur de Robert Le Fournier, baron de Tournebu, et de Lucas du Chemin, seigneur de Féron. Denys Godefroy a reproduit cette copie, elle a été reproduite partiellement ou dans son intégrité par bien d'autres, et notamment dans notre siècle par Buchon, Michaud, Quicherat.
  Un incendie ayant détruit en 1737 la plus grande partie des archives de la cour des comptes, un édit du roi ordonna à tous ceux qui avaient des titres qui y ressortissaient d'en faire la présentation, et copie en fut tirée pour réparer, dans la mesure du possible, les ravages du feu. Parmi ces copies se trouve une reproduction des lettres d'anoblissement de la Pucelle que Vallet de Viriville se croit autorisé à donner comme la meilleure.
  L'on ne reconnaît pas ici la sûreté ordinaire du paléographe. On n'en a pas imprimé d'aussi manifestement et lourdement fautives. Peut-être le critique a-t-il été entraîné par le désir d'appuyer une de ses thèses. Lui qui se fit admonester pour avoir ajouté à son nom patronymique celui de « de Viriville » tient à dépouiller le nom d'Arc de l'apostrophe, et veut qu'on l'écrive « Darc ». Il s'appuie sur la copie de 1738; mais on est bien forcé de dire que la pièce ne lui en donne pas le droit. Le nom d'Arc y revient trois fois, les deux premières fois il est écrit d'Arc; ce n'est qu'à la troisième qu'on lit Darc. Une recension des textes des érudits de profession ménage parfois de ces surprises et de plus importantes à ceux qui n'ont pas pour leurs assertions la foi aveugle que le clan naturaliste exige vis-à-vis de ses coryphées. Le vidimus de Henri II, comme on le verra, n'est pas non plus exempt de fautes.
  Le texte le meilleur semble être celui qui fut donné en 1612 par un membre de la famille, par Hordal, dans son volume bien connu: Heroinæ nobilissimæ
Johannæ Darc Lotharingæ... historia
. Un ami de Hordal, le fameux jurisconsulte Pierre Grégoire, dans son traité De republica (liv. XI, chap. X),
avait reproduit les lettres d'anoblissement, quelques années avant Hordal. Elles présentent plusieurs variantes avec celui de Hordal que nous traduisons. Hordal dit que son texte a été enregistré à la cour des comptes à la date du 16 janvier 1429 (a. st.) et qu'il se lit au folio CXXI du Registre de chartes de cette époque.
En voici la traduction :

                                                                            *
                                                                      *         *

Traduction

  Karolus Dei gratia, Francorum rex, ad perpetuam rei memoriam.

  Magnificaturi divinæ celsitudinis uberrimas nitidissimasque gratias, celebri ministerio Puellæ, Johannæ d'Ay de Dompremeyo, caræ et dilectæ nostræ, de ballivia Calvimontis seu ejus ressortis, nobis elargitas, et, ipsa divina cooperante clementia, amplificari speratas, decens arbitramur et opportunum, ipsam Puellam et suam, nedum ejus ob officii merita, verum et divinæ laudis præconia, totam parentelam dignis honorum nostræ regiæ majestatis insigniis attollendam et sublimandam, ut divina claritate sic illustrata, nostræ regiæ liberalitatis aliquod munus egregium generi suo relinquat, quo divina gloria et tantarum gratiarum fama perpetuis temporibus accrescat et perseveret. Notum igitur facimus universis præsentibus et futuris, quod nos, præmissis attentis, considerantes insuper laudabilia, grataque et commodiosa servitia, nobis et nostro regno jam per dictam Johannam Puellam multimode impensa, et quæ in futurum impendi speramus, certisque aliis causis ad hoc animum nostrum inducentibus, præfatam Puellam, Jacobum d'Ay dicti loci de Dompremeyo, patrem, Ysabellam ejus uxorem, matrem, Jacqueminum et Johannem d'Ay et Petrum Prerelo, fratres ipsius Puellæ, et totam suam parentelam et lignagium (1), et in favorem et pro contemplatione ejusdem, etiam eorum posteritalem masculinam et femininam, in legitimo matrimonio natam et nascituram, nobilitavimus, et per præsentes nobilitamus et nobiles facimus,
concedentes expresse ut dicta Puella, dicti Jacobus, Ysabella, Jacqueminus, Johannes et Petrus, et ipsius Puellæ tota parentela et lignagium, ac ipsorum posteritas nata et nascitura, in suis actibus, in judicio et extra, ab omnibus pro nobilibus habeantur et reputentur; et ut privilegiis, libertatibus, prærogativis, aliisque juribus, quibus alii nobiles dicti nostri regni ex nobili genere procreati, uti consueverunt et utuntur, gaudeant pacifice et fruantur, eosdemque et dictam eorum posteritatem, aliorum nobilium dicti nostri regni ex nobili stirpe procreatorum consortio aggregamus, non obstante quod ipsi, ut dictum est, ex nobili genere ortum non sumpserint, et forsan alterius quam liberæ conditionis existam (1).
  Volentes eliam, ut iidem prænominati,
dictaque parentela et lignagium sæpefatæ Puellæ, et eorum posteritas masculina et foeminina, dum, et quotiens eisdem placuerit, a quocumque milite militiæ cingulum valeant adipisci, seu decorari. Insuper concedentes eisdem et eorum posteritati tam masculinæ, quam foemininæ in legitimo matrimonio procrealæ et procreandæ, ut ipsi feoda, et retrofeoda, et res nobiles a nobiiibus et aliis quibuscumque personis acquirant, et tam acquisitas quam acquirendas retinere, tenere et possidere perpetuo valeant atque possint, absque eo quod illas vel illa, nunc vel futuro tempore, extra manum suam innobilitatis occasione ponere cogantur ; **nec aliquam fînanciam nobis, vel successoribus nostris, propter hanc nobilitationem, solvere quovis modo teneantur aut compellantur : quam quidem financiam, prædecessorum intuitu et consideratione, eisdem supranominatis, et dictæ parentelæ et lignagio prædictæ Puellæ, ex nostra ampliori gratia donavimus et quitavimus, donamusque et quitamus per præsentes, ordinationibus, statutis, edictis, usu, revocationibus, consuetudine, inhibitionibus, et mandatis factis, vel faciendis ad hoc contrariis, non obstantibus quibuscumque. Quocirca dilectis et fidelibus nostris gentibus compotorum nostrorum, ac thesaurariis necnon generalibus et commissariis super facto financiarum nostrarum ordinatis seu deputandis, et ballivo dictæ balliviæ Calvimontis, cæterisque justiciariis nostris, vel eorum locatenentibus præsentibus et futuris, et cuilibet ipsorum, prout ad eum pertinuerit, damus harum serie in mandatis quatenus dictam Johannam Puellam, et dictos Jacobum, Ysabellam, Jacqueminum, Johannem et Petrum, ipsiusque Puellæ totam parentelam et lignagium, eorumque posteritatem prædictam in legitimo matrimonio, ut dictum est, natam et nascituram, nostris præsentibus gratia, nobilitatione et concessione uti, et gaudere pacifice nunc et in posterum faciant et permittant, et contra tenorera præsentium eosdem nullatenus impediant, seu molestent ; aut a quocumque molestari, seu impediri patiantur.
  Quod ut perpetuæ stabilitatis robur obtineat, nostrum præsentibus apponi fecimus sigillum, in absentia magni ordinatum ; nostro in aliis, et alieno in omnibus, jure semper salvo.
  Datum Magduni super Ebram, mense decembri, anno Domini millesimo quadringentesimo vicesimo nono, regni vero nostri octavo.

Sur le repli : Per Regem, episcopo Sagiensi, dominis de La Tremoille et de Trevis, et aliis præsentibus.
Signé, MALLIERE.
Et plus bas : Expedita in Camera compotorum regis, decima sexta mensis januarii, anno Domini millesimo cccc° xxix°, et ibidem registrata, libro cartarum hujus temporis, fol. cxxi. Signé, AGRELLE.
Scellées du grand scel de cire verte, sur double queue, en laz de soie rouge et verte.

                                                 

                                                         


  CHARLES, ROI DES FRANÇAIS, POUR PERPÉTUELLE MÉMOIRE.

  « Exalter l'effusion des grâces si éclatantes que la Divine Majesté nous a départies par le signalé ministère de notre chère et aimée Pucelle, Jeanne Darc de Domrémy, du bailliage de Chaumont ou de son ressort, et celles que nous en espérons encore, par le secours de la divine Clémence, c'est notre but; et à cette fin nous croyons convenable et opportun que ce ne soit pas seulement la Pucelle, mais encore toute sa parenté qui, non pas tant pour ses services que comme expression de divine louange, soit élevée et exaltée par de dignes marques d'honneur de la part de Notre Royale Majesté. Celle qu'environne une si divine clarté, laissant à la race d'où elle est sortie un don insigne de notre royale libéralité, la gloire de Dieu ira se perpétuant et se prolongeant dans toute la suite des âges avec le souvenir de si magnifiques grâces que notre don proclamera. Sachent donc tous, dans le présent et dans l'avenir, qu'attendu ce qui vient d'être exposé, en considération des louables, agréables et opportuns services rendus à nous et à notre royaume de bien des manières par Jeanne la Pucelle, en considération de ceux que nous en attendons à l'avenir, pour d'autres motifs qui nous y incitent, nous avons anobli cette même Pucelle, et, en son honneur et considération, Jacques Day, dudit Domrémy, son père; Isabelle, sa mère, femme du même Jacques; Jacquemin et Jean Day et Pierre Pierrelot, ses frères, toute sa parenté et son lignage, toute leur postérité masculine et féminine, née et à naître en légitime mariage. Par les présentes, par grâce spéciale, de science certaine et de la plénitude de notre pouvoir, nous les anoblissons et les faisons nobles, concédant expressément que ladite Pucelle, lesdits Jacques, Isabelle, Jacquemin, Jean et Pierre, toute la parenté et lignage de la même Pucelle, et leur postérité née ou à naître en légitime mariage, dans leurs actes, devant et hors les tribunaux, soient par tous tenus et réputés nobles ; qu'ils jouissent et usent pacifiquement des privilèges, libertés, prérogatives et droits quelconques dont ont coutume de jouir et d'user les autres nobles de notre royaume issus de race noble. Nous les mettons, eux et leur susdite postérité, au rang des autres nobles de notre royaume, issus de race noble, nonobstant que, comme il a été dit, ils ne soient pas par leur origine de race noble, et que peut-être ils soient d'une autre que la condition libre.
  « Nous voulons encore que les susnommés et leur postérité masculine puissent, toutes les fois qu'ils en auront la volonté, recevoir de tout chevalier le baudrier et les insignes de la chevalerie. En outre nous concédons aux susnommés et à leur postérité masculine et féminine, née ou à naître en légitime mariage, de pouvoir acquérir tant des personnes nobles que de toute autre des fiefs, arrière-fiefs, et biens nobles ; de pouvoir conserver, garder et retenir à perpétuité les biens ainsi acquis ou à acquérir, sans que dans le présent ou à l'avenir on puisse les en déposséder par défaut de noblesse.
  « Que pour cet anoblissement ils ne soient tenus ni contraints de payer quoique ce soit, soit à nous, soit à nos successeurs, car, en considération des motifs ci-dessus allégués, par surcroît de grâce, nous avons fait rémission et donné quittance aux susnommés, à la parenté et lignage de la même Pucelle, de toute somme à verser, et nous leur en faisons don et quittance par les présentes, nonobstant les ordinations, statuts, édits, usages, révocations, coutumes, inhibitions et mandements à ce contraires, faits ou à faire, et quels qu'ils soient.
  « C'est pourquoi que nos amés et féaux préposés à nos comptes, que nos trésoriers soit généraux, soit commissaires députés ou à députer sur le fait de nos finances, que le bailli dudit bailliage de Chaumont, que nos autres hommes de justice, ou leurs lieutenants présents et à venir, que chacun d'entre eux en ce qui le regarde, sache qu'il lui est enjoint par les présentes de faire que ladite Jeanne la Pucelle, lesdits Jacques, Isabelle, Jacquemin, Jean et Pierre, que toute la parenté et lignage de cette même Pucelle, que leur susdite postérité née ou à naître en légitime mariage, use et jouisse pacifiquement maintenant et à l'avenir de nos présentes grâces, anoblissement et concession, sans leur susciter, contre la teneur des présentes, empêchement ou molestation d'aucune sorte, ne souffrant pas que qui que ce soit leur suscite empêchement ou obstacle.
  « Pour que nos présentes aient perpétuelle valeur et force, nous y avons fait apposer notre sceau en l'absence du grand, à ce destiné ; voulons qu'en tout le reste notre droit demeure sauf, et qu'en toutes choses soit sauf le droit d'autrui.
  « Donné à Meung-sur-Yèvre au mois de décembre de l'an 1429, de notre règne, le huitième. Sur le repli : De par le roi, présents l'évêque de Séez, les seigneurs de La Trémoille et de Trèves et d'autres. Signé : MALLIÈRES.
  « Vue et expédiée à la chambre des comptes, le 16 janvier de l'an 1429 (a. st.), et enregistrée au livre des chartes de ce temps, f°CXXI.
  A. GREELLE. »


                                                    


Source : Introduction : J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III p.343 et suiv.
Texte latin* et traduction :
J.B.J. Ayroles, "la vraie Jeanne d'Arc", t.III p.628 et suiv.

* : Ayroles utilise une autre version que celle de Quicherat (voir introduction) mais ne donne pas dans le texte latin les formules de fin. Elles sont donc reprises sur le texte de Quicherat à partir de "**" (T.V, p.150 et suiv.)

Notes de J.B.J. Ayroles :
Une des fautes grossières du texte de 1738, c'est qu'il y est dit qu'on anoblit la postérité masculine et féminine de la Pucelle, addition qui ne se trouve pas dans les autres textes. L'on n'a jamais fait à la Pucelle l'injure de supposer qu'elle pût cesser d'être la Pucelle. Ce même texte et celui de Quicherat font dire au roi qu'il accorde aux nouveaux anoblis et à leur postérité masculine et féminine le droit de se faire armer chevaliers. La chevalerie ne se conférant pas aux femmes, le mot féminine est un non-sens qui ne se trouve pas dans le texte de Hordal. Les nouveaux anoblis devaient payer au Trésor une somme variant avec la valeur des biens que leur anoblissement allait soustraire à l'impôt. On voit qu'ici il y a complètement exemption de cette redevance. Le texte de Quicherat porte que cette exemption est accordée virtute prædecessorum, c'est encore un non-sens. Le texte de Hordal porte : virtute præmissorum ; il est manifestement le bon. Inutile de relever les autres variantes, qui ont peu d'importance.
  Comme celles qui anoblissaient de Cailli, ces lettres d'anoblissement s'écartent totalement des formes usitées dans pareils documents. Les lettres ordinaires d'anoblissement se composent de trois parties. Une phrase générale rappelle la fin de l'institution de la noblesse : exalter le mérite et lui susciter des imitateurs ; phrase plus ou moins étendue, exprimant un même sens en termes différents, car il n'y a pas de formule identique. Dans la seconde partie, on rappelle les mérites du nouvel anobli, ses titres à la faveur concédée. Dans les vingt-cinq ou trente pièces parcourues par nous, nous avons constaté que, dans la plupart, on mentionnait que si le nouveau noble était issu de parents plébéiens, il était cependant de condition libre : liberas tamen conditionis. Enfin la troisième partie, conçue en termes identiques dans toutes les pièces, énumère les privilèges concédés par les lettres de noblesse.
  Ici tout est exceptionnel. La fin proposée est d'exalter les magnificences de la libéralité divine qui resplendissent dans le ministère conféré à Jeanne la Pucelle. On veut que le souvenir s'en perpétue à travers les âges. Voilà pourquoi on anoblit sans doute celle qui en a été l'instrument, et on a bien soin de dire que tout se fait en sa considération ; mais que pouvait être la noblesse humainement concédée pour celle qui en avait reçu une si haute de la main de Dieu ? Les lettres insinuent ce que disent en termes exprès les lettres d'anoblissement de Cailli ; les mérites de la Pucelle sont au-dessus de toute appréciation et de toute récompense humaine ; voilà pourquoi pareille faveur étant à son endroit bien peu significative, on l'étend à ceux qui n'ont pour l'obtenir que l'honneur de lui être unis par le sang ; dérogation qui, par le contraste même, sera une hymne perpétuelle de divine louange : Nedum ob officii merita, verum et divinæ taudis præconia.
  En règle générale, la noblesse n'était conférée qu'à un seul, et à sa postérité masculine ; la descendance féminine était noble, il est vrai, mais impuissante à transmettre la noblesse, qui ne s'étendait aux fils de demoiselles nobles, qu'à la condition qu'elles avaient des nobles pour maris. Ici, au contraire, la Pucelle fait rejaillir la noblesse sur tout ce qui se rattache et se rattachera dans la suite des âges au sang qui coule dans ses veines. Ce sont non seulement son père, sa mère, ses frères, qui sont expressément nommés ; c'est encore toute sa parenté, tout son lignage, avec toute la postérité née et à naître. L'on se demande jusqu'à quel degré de parenté pouvait refluer dans la ligne ascendante, une concession si étendue ? Il est certain, par les enquêtes publiées par MM. de Bouteiller et de Braux, que des neveux et des arrière-neveux d'Isabelle Romée, la mère de la Pucelle, ont réclamé le bénéfice des lettres d'anoblissement concédées immédiatement à celle qui n'était que leur cousine germaine, et qu'ils ont obtenu gain de cause. Soit que Jacques d'Arc n'eût pas de frère, soit que l'état de pauvreté de leur postérité ne leur permît pas de vivre noblement, il n'y a pas, à ma connaissance, de ligne collatérale du côté paternel qui ait fait valoir le titre qui nous occupe.
  A la différence des lettres de noblesse ordinaires, les femmes se rattachant à la Pucelle anoblissaient leur postérité, alors même qu'elles épousaient des roturiers. La preuve, ce sont les restrictions apportées par Louis XIII, ainsi que cela résulte des pièces citées dans l'article précédent,à un privilège qui, disait-on, multipliait trop les familles nobles. Pour être noble, il fallait être de condition libre. Une dérogation expresse du roi pouvait seule faire exception à la règle. Cette dérogation se trouve ici formellement exprimée dans l'incise : NON OBSTANTE QUOD IPSI... FORSAN ALTERIUS QUAM LIBERA CONDITIONIS EXISTANT. Ceux qui ont avancé que c'était là une formule de chancellerie ont énoncé une siénorme contre-vérité qu'elle rend leur témoignage fort suspect sur bien d'autres points. C'est le contraire qui est vrai. Le plus souvent il est dit, a-t-il été observé, que l'anobli est d'origine plébéienne, mais de condition libre. Il serait très vraisemblablement difficile de trouver une autre pièce de ce genre où se trouve pareille incise ; ce qui la rend d'autant plus digne d'attention. Le forsan n'est-il pas là pour atténuer un fait que l'on ne rappelle qu'à regret, et uniquement pour assurer la validité de la concession ? Le forsan al ternis quam liber se conditionis existant affecte-t-il et la Pucelle et toute la parenté, ou la parenté seulement ? Il semble bien que la Pucelle doit y être comprise. Si c'était la parenté seulement, il eût été bien plus simple de restreindre l'anoblissement à la famille de Jeanne et de ne pas rappeler ce qui, au moyen âge, était profondément humiliant. N'est-il pas de toute inconvenance de dire à celui que l'on fait passer au premier rang qu'on le prend dans le plus infime, et quelle excuse peut-il y avoir si non une impérieuse nécessité qui contraint de le rappeler ?
  Ces considérations semblent une forte preuve que la famille d'Arc n'appartenait pas à la condition des hommes libres. Etait-elle de condition servile ? Cela n'est pas invraisemblable. Qu'on remarque seulement que l'affranchissement ne s'opérait pas d'une manière uniforme, et qu'on ne rompait pas toujours d'un seul coup tous les anneaux du servage. M. Lefèvre a écrit dans la Bibliothèque de l'École des chartes l : « En 1300, tous les vilains sortent de leur caste et montent à la liberté; les uns l'atteignent, d'autres restent à moitié de l'échelle et gagnent une position tolérable ». Dans le volume précédent, il a été dit qu'au XVe siècle le servage était la condition normale des manants en Champagne, et qu'il fallait prouver l'état de liberté.M. Henri Sée, dans une Étude sur le servage, a écrit plus récemment :« Les maires et les autres sergents du domaine appartiennent presque toujours à la classe servile et sont choisis parmi les habitants de la ville; leurs enfants restent hommes de corps, eux-mêmes sont soumis à la justice seigneuriale; ils jouissent cependant de nombreux privilèges ».
  A ceux qui, sur la foi de Siméon Luce, seraient tentés de faire de Jacques d'Arc le principal personnage de Domrémy, parce que durant quelque temps il y porta le titre de doyen, opposons ces lignes de M. Robiou, dans les Questions historiques : « Le doyen paraît ici remplir l'office d'huissier et de gardien des coupables. Seul, il ne représenterait que la dépendance ; mais le maire est déjà un fonctionnaire et communique au doyen un caractère quasi municipal. » Un survivant de l'ancienne Sorbonne s'est passé, paraît-il, vers le milieu de ce siècle, la fantaisie de donner par le menu le détail de la fortune de Jacques d'Arc, comptant les arpents de ses terres, de ses prés, de ses vignes, et jusqu'à la somme tenue en réserve pour les besoins imprévus. Pas l'ombre d'une preuve de pareilles assertions, se produisant quatre cents après la mort du père de la Pucelle, à l'encontre des documents contemporains qui le disent pauvre. En histoire, l'on ne tient pas compte des pasquinades; voilà pourquoi il n'a pas été fait mention de celle-ci dans la Paysanne et l'Inspirée. Elle n'est mentionnée présentement que parce qu'on la trouve dans quelques ouvrages écrits dans de louables intentions, mais sans souci des sources historiques. Chateaubriand a dit que l'aristocratie est de sa nature ingrate et ingagnable quand on n'est pas né dans ses rangs. L'humilité de la naissance de la Libératrice de la France, comme celle du Libérateur du genre humain, offusque l'orgueil de ceux qui sont nés dans des conditions plus élevées. Voilà pourquoi on veut l'en faire sortir. Il faut l'accepter telle que le Ciel la fit. Une fois de plus Dieu s'est abaissé vers ce qui était plus bas, et a donné aux petits un nouveau gage de ses prédilections. Fût-elle née serve, l'intervention divine n'en serait que plus manifeste, et la gloire de la sainte fille n'en serait nullement diminuée. Celle dont l'histoire semble sur tant de points calquée sur la vie du Rédempteur du monde rappellerait par sa naissance ce que l'Apôtre a dit du Sauveur : Étant dans la forme de Dieu, il s'est anéanti jusqu'à prendre la forme de l'esclave.
  Jacques d'Ay, Jacques Day, Jacques d'Aï, Jacques d'Arc, Jacques Darc, les divers textes des lettres d'anoblissement de la Pucelle écrivent le nom de toutes ces manières, même les pièces réputées les plus authentiques. Pourquoi tant de divergences ? Quicherat pense qu'elles tiennent aux diverses manières dont le mot d'Arc était prononcé en Lorraine. Cela semble peu admissible. L'accent lorrain admet l'r, et ne l'élide pas. Il semble plus vrai de dire que ce que nous appelons le nom de famille était peu usité pour les roturiers, au XVe siècle. La Pucelle ne l'a jamais revendiqué ; elle a dit au contraire que les filles portaient dans son pays le nom de leur mère, encore qu'elle n'ait jamais dit s'appeler Romée. Nous n'avons pas souvenance d'avoir vu une seule Chronique du temps qui l'ait appelée du nom aujourd'hui si populaire de Jeanne d'Arc ; c'est constamment Jeanne la Pucelle, ou la Pucelle. Pourquoi ne pas lui rendre le nom qu'elle se donnait ?



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