Procès
de condamnation
L'organisation
du Tribunal ecclésiastique - index. |
n
rescrit du roi d'Angleterre, daté du 3 janvier 1431, conféra
officiellement à Pierre Cauchon, organisateur du procès,
le droit de le juger.
Jeanne d'Arc lui fut remise avec cette seule réserve
"de la reprendre si ainsi était qu'elle ne fût
convaincue d'aucun cas regardant la foy", clause hypocrite
que l'évêque de Beauvais dicta sans doute lui-même,
et qui laissait entrevoir la possibilité d'un acquittement
là où la condamnation était certaine et décidée
d'avance (1).
Pierre Cauchon n'avait plus qu'à constituer son
tribunal ecclésiastique. Il s'étudia à donner
à l'affaire un éclat inusité et toutes les
apparences de la justice.
Rien n'est frappant comme le soin que mirent à
s'effacer les dignitaires et les fonctionnaires laïques. Là
même où leur présence était légitime,
on ne vit paraître que des gens d'Église. Le duc de
Bedford, absent de Rouen pendant presque toute la durée du
procès, semble avoir alors résigné la régence
entre les mains du cardinal de Winchester. Bien que les historiens
l'aient représenté comme exerçant un espionnage
qui privait les juges de leur liberté, il faut reconnaître
qu'il ne parut pas se mêler directement au procès.
Il avait quitté Rouen dès le 13 janvier 1431, pour
se rendre à Paris (2).
On est tout aussi frappé de la solennité
que l'évêque de Beauvais donna à cette iniquité
judiciaire qu'on est péniblement affecté de voir la
responsabilité s'étendre sur une si notable partie
du clergé.
II s'agissait, apparemment au moins, non de représailles
à exercer contre une prisonnière de guerre, mais d'un
de ces procès de foi, si fréquents au moyen-âge,
qui étaient instruits et jugés par l'autorité
ecclésiastique, en dehors du pouvoir civil. Or, dans ces
procès, l'évêque et l'inquisiteur ne citaient
ordinairement que trois ou quatre chanoines désignés
par le chapitre, autant ou à peu près d'avocats
en cour d'Église, et il n'était pas question de délégués
de l'Université de Paris.
Dans le procès de Jeanne d'Arc, au contraire,
on comptera plus de dix membres de ce corps célèbre,
la plus grande partie du chapitre de Rouen et de la Communauté
des avocats en cour d'Église, quelques religieux des communautés
de Rouen et plusieurs grands prélats ou abbés que
les évènements ou les faveurs du gouvernement anglais
retenaient à Rouen, capitale du pays conquis.
Cauchon tenait, avant tout, à s'entourer d'un
grand nombre de complices.
C'est qu'il s'agissait en effet, d'une affaire extraordinaire,
à laquelle on attachait une si grande importance que l'Université
en corps, le chapitre en corps, furent consultés sur
les articles extraits des interrogatoires et sur les qualifications
données par les assesseurs. En outre la sentence rendue devait
être notifiée aux princes et au Souverain Pontife.
C'était surtout, répétons-le, une
affaire politique, parce que la mission de La Pucelle, qu'on croyait
généralement inspirée par Dieu, avait pour
conséquence l'illégalité de la conquête
et la culpabilité de ceux qui s'étaient ralliés
au parti bourguignon confondu avec le parti anglais. Les juges et
assesseurs le comprirent si bien qu'ils se firent remettre des lettres
de garantie, en prévision d'un changement de fortune, et
que le dominicain, qui fut appelé à remplir les fonctions
d'inquisiteur, s'y refusa d'abord, et n'obéit qu'aux injonctions
de son supérieur.
C'est pourquoi Pierre Cauchon avait dit qu'il voulait
faire un beau procès, ce qui signifiait dans le langage juridique
de l'époque, un procès régulier, en bonne et
due forme. C'était là une habileté et une hypocrisie
de plus, car, malgré les formes observées, jamais
accusée ne parut devant des juges plus suspects de partialité
et plus susceptibles de récusation. Jamais aussi plus d'illégalités
ne furent intentionnellement accumulées. Il convient de les
signaler, en dehors de la critique générale que soulève
la procédure barbare de l'Inquisition et des procès
de foi au moyen-âge.
Même en tenant compte de quelques rectifications
proposées sur plusieurs points, peut-être erronés,
combien d'irrégularités certaines n'allons-nous pas
rencontrer dans cette procédure, et que de reproches justifiés
n'est-on pas encore autorisé à retenir à la
Charge des Anglais et des juges ?
La partialité de Cauchon éclata dès
le début quand on le vit écarter Jean de Saint-Avit,
évêque d'Avranches, doyen des évêques
de Normandie, chargé par le chapitre, en l'absence
de l'archevêque, de la célébration des ordres
du diocèse. Il savait pertinemment que ce prélat,
qui occupait son siège depuis 1391, ne devait rien aux Anglais
et s'était montré favorable à la Pucelle.
D'un autre côté, il s'abstint, et c'était
une autre habileté, d'appeler à siéger les
maîtres et les docteurs d'Angleterre, qui résidaient
à Rouen. Cauchon voulait sauver les apparences et éviter
qu'on ne l'accusât d'avoir transformé un procès
de foi en un procès politique.
L'Inquisition était alors représentée
à Rouen par Jean Le Maître, religieux de l'ordre des
Frères prêcheurs. Sollicité par Cauchon, Lemaître
refusa son ministère et ne céda que sur un ordre formel
que Cauchon lui fit transmettre par l'inquisiteur général.
Lemaître ne siégea d'ailleurs que comme assesseur et
son rôle fut passif, mais il couvrit le procès de l'autorité
considérable de l'Inquisition.
Le soin de l'accusation fut remis à un chanoine
de Beauvais chassé avec son évêque, Jean d'Estivet,
qui se fit remarquer par sa grossièreté et sa haine
féroce envers la Pucelle.
Soixante docteurs, dont six des plus illustres de l'Université
de Paris, furent appelés à siéger comme assesseurs.
On leur donna pour collègues les gros bénéficiers,
abbés ou prieurs normands, que la crainte ou l'intérêt
rendait maniables, et vingt-deux chanoines de Rouen. Trois prêtres
rouennais furent choisis pour greffiers, et un autre, Massieu, fut
chargé d'exécuter les mandements du tribunal :
Les juges, les greffiers, l'huissier
Les docteurs de l'Université
de Paris
Les chanoines de Rouen
Les avocats en cour d'Église
Les abbés normands
Les prieurs rouennais et normands
Les religieux rouennais
Divers assesseurs
Les personnages suivants ne font pas partie du Tribunal ecclésiastique
mais ont joué un rôle plus ou moins important sur le
déroulement du procès :
Henri VI, sa suite, les membres du
conseil d'Angleterre
Les évêques de Normandie.
Source
: Albert Sarrazin - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV°
siècle (1896)".
Notes :
1 O'Reilly, Jeanne d'Arc à Rouen.
2 Les chanoines firent chaque matin une procession dans la cathédrale
pour le succès de son voyage. (arch.Seine inf., Reg.cap.)
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