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Procès
de réhabilitation
Déposition
du seigneur Raoul de Gaucourt. |
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L'an comme dessus, le 25 du mois de février, noble et puissant seigneur [Raoul] de Gaucourt, chevalier, grand maître de l'hôtel
du roi, âgé de quatre-vingt-cinq ans environ, témoin produit,
interrogé et entendu sur les mêmes articles, dit et affirme
qu'il était présent dans le château et la ville de Chinon
lorsque la Pucelle y arriva ; il la vit quand elle se présenta à la vue de la majesté royale avec grande humilité et simplicité,
comme une pauvre petite bergère, et il entendit les
paroles suivantes qu'elle adressa au roi en ces termes : « Très
illustre sire dauphin, je suis venue, envoyée par Dieu, pour
porter secours à vous et au royaume ». Alors le roi, l'ayant
vue et entendue, pour être plus amplement informé de son état, ordonna de la confier à la garde du maître de son hôtel,
Guillaume Bellier, bailli de Troyes et lieutenant dudit déposant à Chinon, dont l'épouse était femme de grande dévotion
et d'excellente renommée ; le roi prescrivit en outre que ladite
Jeanne serait examinée par des clercs, prélats et docteurs,
pour savoir si on devait, ou si on pouvait, vraiment prêter
foi à ses dires. Ce qui fut fait, car elle et ses faits et gestes furent
examinés par les clercs pendant un temps de trois semaines et
davantage, tant à Poitiers qu'à Chinon. Après examen dûment
fait, ces clercs dirent qu'il n'y avait rien de mal chez elle, ni dans ses dires ; et enfin, après plusieurs interrogatoires
de cette Jeanne la Pucelle, on lui demanda quel signe
elle pouvait montrer pour qu'on ajoutât foi à ses paroles.
Elle répondit alors que le signe qu'elle leur montrerait serait
la levée du siège et le secours à la ville d'Orléans. Ensuite
elle quitta le roi et se rendit à Blois, où d'abord elle s'arma,
afin de conduire le ravitaillement à Orléans et de secourir
les habitants.
Dépose en outre, interrogé sur ce, comme le sire de Dunois,à propos et du changement du vent contraire, et de la manière
d'introduire le ravitaillement dans la cité.
Ajoute en outre qu'elle prédit expressément le changement rapide du
temps et du vent ; ce qui se réalisa aussitôt après sa déclaration
; de même elle prédit que le ravitaillement serait librement
introduit dans la cité.
Le déposant est en accord avec ledit sire de Dunois sur
la prise de la bastille, la levée du siège et l'expulsion des
ennemis. A déposé de la même manière et de la même façon
que le sire de Dunois sur tous les autres points concernant
la délivrance de cette cité d'Orléans, la prise des châteaux
et des villes sur le fleuve de Loire, dont il est fait mention.
Il est également d'accord sur tout ce qui est relatif au passage
du roi et à son sacre à Reims.
De même interrogé sur la vie et les moeurs de Jeanne,
dit et répond que Jeanne était sobre au boire et au manger,
et de sa bouche ne sortaient que de bonnes paroles, servant à édifier et à donner un bon exemple ; elle était chaste et
aucun homme, à la connaissance du déposant, n'a jamais été de nuit en sa compagnie ; au contraire elle avait toujours
avec elle de nuit une femme qui couchait dans sa chambre.
Elle se confessait souvent ; elle s'adonnait assidûment à
la prière ; elle écoutait la messe chaque jour et recevait fréquemment
le sacrement de l'eucharistie ; elle ne supportait
pas qu'en sa présence on prononçât de vilaines paroles ou
des blasphèmes, mais haïssait de telles choses, en actions
comme en paroles. Ne sait rien d'autre.
Anno quo supra, die xxv. mensis februarii, nobilis et potens vir,
dominus Johannes de Gaucourt (1), miles, magnus magister hospitii
regis, ætatis LXXXV annorum, vel circa, testis productus,
interrogatus et examinatus super eisdem articulis.
Dicit et affirmat quod ipse erat præsens in castro
seu villa de Chinon, quando ipsa Puella accessit, viditque eam quando
ipsa præsentavit se in conspectu regiæ majestatis, cum
magna humilitate et simplicitate, una paupercula bergereta, et audivit
verba sequentia, quæ dixit ipsi regi in hunc modum : «
Clarissime domine Dalphine, ego veni et sum missa ex parte Dei,
ad præbendum adjutorium vobis et regno. » Et tunc rex,
ipsa visa et audita, ut amplius informaretur de statu suo, jussit
eam tradi in custodia Guillelmo
Bellier, magistro suæ domus, baillivo Trecensi et locumtenente
dicti deponentis apud Chinon, cujus Bellier uxor erat foemina magnæ
devotionis et commendatissimæ famæ ; præcepitque
præterea ipse rex quod dicta Johanna visitaretur per clericos,
prælatos et doctores, ad sciendum si deberet aut posset licite
adhibere fidem dictis præfatæ Johannæ : sicut
et factum est, quia dicta ejus et facta fuerunt examinata per ipsos
clericos, spatio et tempore trium septimanarum et amplius, tam Pictavis
quam Caynone. Qui clerici tandem, debita examinatione facta, dixerunt
quod nihil mali erat in ea, nec in dictis ejus ; et denique, post
plura interrogatoria facta ipsi Johannæ Puellæ, fuit
quæsitum ab ea quale signum ipsa monstraret pro credendo dictis
suis. Tunc ipsa respondit quod signum quod ostenderet eis, esset
de levatione obsidionis et succursu villæ Aurelianensis. Et
tunc recessit a rege, et ivit apud Blesis, ubi primo se armavit,
pro conducendo victualia Aurelianis et succurrendo habitantibus
in ea. Dicit ultra dictus deponens super hoc interrogatus, conformiter
ad [dominum] Dunensem, de mutatione venti contrarii et de modo ponendi
victualia infra civitatem.
Addit ultra quod præterea ipsa expresse prædixit
quod in brevi spatio tempus et ventus mutarentur ; sicut et factum
est statim post dictum suum.
Similiter prædixit quod victualia infra civitatem libere introducerentur.
Et concordat dictus deponens cum præfato domino de
Dunoys, in captione bastilliæ et in levatione obsidionis,
et expulsione adversariorum.
Cætera omnia deponit modo et forma quo dictus
dominus Dunoys, concernentia liberationem illius villæ et
civitatis Aurelianensis, et captionem castrorum et villarum, de
quibus facta est mentio, super flavium Ligeris exsistentium.
Similiter per omnia concordat in his quæ concernunt
transitum regis, ad suam consecrationem fiendam Remis.
Item, interrogatus de vita et moribus ipsius Johannæ
: dicit et respondet quod præfata Johanna erat sobria in potu
et cibo, nec exibant de ore suo nisi bona verba, ad ædificationem
et bonum exemplum servientia ; eratque castissima, nec unquam scivit
quod de nocte secum conversaretur vir ; imo semper de nocte habebat
mulierem secum, cubantem in camera sua.
Confitebatur sæpe ; vacabat orationi assidue ; audiebat missam
quotidie, et recipiebat frequenter Eucharistiæ sacramentum,
nec patiebatur in societate sua proferri verba turpia, nec blasphemias
; imo talia detestabatur in factis et dictis. Nec aliud scit.
Sources
:
- Texte latin : Quicherat,
Procès t.III p.16.
- traduction : Duparc, t. IV, p. 11 et suivants.
Notes :
1 Quicherat : Je soupçonne ici une faute de copie, car Guillaume Bellier
ne put pas être bailli de Troyes à une époque
où cette ville était encore soumise aux Anglais.
D'ailleurs il n'aurait pas cumulé un aussi haut office
que le bailliage de Troyes avec la lieutenance de Chinon. Guillaume
Bellier figure dans plusieurs titres, et toujours comme un officier
inférieur des deux maisons de France et d'Orléans.
En 1424 il est qualifié, dans une exemption d'octroi que
lui accorde Charles VII, « escuier et premier veneur du
roy. » En 1428 il fit, comme écuyer et sergent (serviens)
du duc d'Orléans, un voyage auprès de son maitre
en Angleterre. Il finit par être conseiller du même
prince ; on le trouve avec cette qualité en 1440. (RYMER
, t. X, p. 396. — Cabinet des titres de la Bibl. Roy.)
Présentation du témoin :
M. de Gaucourt s'appelait Raoul et non pas Jean. Il
avait été fait chevalier à la bataille de Nicopolis,
en 1396. Au temps du siège d'Orléans, il était
conseiller, premier chambellan de Charles VII et bailli d'Orléans
par provision du duc d'Orléans, alors prisonnier en Angleterre.
Il s'était illustré en 1415 par la défense
d'Harfleur à la suite de laquelle il resta treize ans entre
les mains des Anglais. En 1429, le roi le fit capitaine de Chinon
et l'année suivante gouverneur de Dauphiné. Il mourut
au commencement du règne de Louis XI, destitué à
quatre-vingt-dix ans de l'office de grand maître de l'hôtel
qui lui avait été donné en 1453, et peu riche,
au dire d'un avocat qui plaidait pour ses héritiers en 1477,
« car il a payé pour ses rançons bien six
vingts quatorze mille livres, dont il n'a esté recompensé
; et si fut d'une lance percé au travers du corps. »... (Ayroles)
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