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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice
15 : Etendard de Jeanne d'Arc |
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Il
y a quelques diversités dans les descriptions qui nous sont
faites de l'étendard de la Pucelle. Jeanne d'Arc dit elle-même
qu'il était blanc et semé de lis, qu'on y voyait le
monde et deux anges aux côtés avec cette inscription
: JHESUS, MARIA. "Respondit quod habebat vexillum (gallice,
estendart ou bannière) cujus campus erat seminatus
liliis ; et erat ibi mundus figuratus, et duo angeli a lateribus
; eratque coloris albi de tela alba vel boucassino, erantque ibi
seripta ista nomina JHESUS MARIA, sicut ei videtur, et oral fimbriatum
de serico.3 (T.I, p.78.) Cette expression, le monde, est expliquée
un peu plus loin : c'est Dieu tenant le monde : "Deum tenentem
mundum, et duos angelos, - Regem coli a (Ibid., p.117) ;
cf., p.181 "Ipsa fecit ibi fieri istam figuram Dei et angelorum"
et dans le 58° des articles proposés contre elle : "Fecit
depingi vexillum suum, ac in eo describi duos angelos assistentes
Deo tenenti mundum in manu sua, cum his nominibus JHESUS MARIA,
et aliis picturis." (Ibid., p.300.) Le revers nous est
donné par le seul Perceval de Cagny: "La Pucelle print
son estendart ouquel estoit empainturé Dieu en sa Majesté,
et de l'austre costé ..., et ung escu de France tenu par
deux anges." (t. IV, p.12.)
Le Journal du siège qui, en un endroit, décrit
sommairement de la même sorte le côté principal
de l'étendard de la Pucelle : "ouquel par le vouloir
d'elle on feist paindre et mectre pour devise : JESUS MARIA et une
majesté" (Ibid., p.129), dit
ailleurs, à propos de son entrée dans Orléans
: "Et faisoit porter devant elle un estendard qui estoit pareillement
blanc ouquel avoit deux anges tenant chacun une fleur de lis en
lour main ; et ou panon estoit painte comme une Annonciation (c'est
l'image de Notre-Dame ayant devant elle ung ange lui présentant
ung liz." (t. IV, p.152.)
Les autres témoignages ne font que reproduire,
en résumé, cette description ou y joindre quelques
traits accessoires.
La Chronique de la Pucelle se borne à dire :
"Un ostendart blanc auquel elle fist pourtraire la représentation
du sainct Sauveur et de deux anges." (t.IV, p.215) Pasquerel
ne parle que d'un ange tenant un lis que bénissait le Seigneur
siégeant sur les nuées : "In quo depingebatur
imago Salvatoris nostri sedentis in judicio in nubibus cœli,
et erat quidam angelus depictus tenens in suis manibus florem lilii
quem benedicebat imago." (t. III, p.203) Eberhard de Windeken,
trésorier de l'empereur Sigismond, qui doit écrire
d'après les relations officielles venues de France, modifie
simplement l'attitude du Sauveur : "Une bannière de
soie blanche sur laquelle était peint Notre-Seigneur Dieu,
assis sur l'arc en ciel, montrant ses plaies, et ayant de chaque
côté un ange qui tenait un lis à la main."
(t.IV, p.490)
C'est identiquement la même chose qu'on lit dans
la Chronique des Pays-Bas : "Aïans son estendart de blancq
satin ouquel estoit figuré Jhésu-Christ seant sups
le arche (arc-en-ciel) monstrant ses plaies, et à cascun
lez (de chaque côté) ung angel tenant une fleur de
lis (Smet, Coll. des Chroniq. badges, t.III, p.409).
Dunois, par une confusion évidente, dit que c'était
le Seigneur qui tenait le lis : "Vexillum... album... in quo
oral figure Domini nostri tenentis florem lilii in manu sua."
(t.III, p. 409)
J'avais pensé d'abord qua cette deuxième
figure pouvait se rapporter au revers de l'étendard ; et
je m'y sentais autorisé par Jules Quicherat, qui avait propose
de combler la lacune du texte de Perceval de Cagny donnée
plus haut, par cet autre passage du même auteur : "Elle
fist faire un estendart ouquel estoit l'image de N. Dame (ibid.,
p. 5)." Mais il vaut mieux supposer, avec Vallet de Viriville,
qu'il s'agit ici d'un autre étendard. Le panon qui
est nomme avec l'étendard dans la phrase du journal, est
certainement un étendard plus petit que la Pucelle s'était
fait faire à la façon des simples bacheliers ou des
chevaliers non bannerets ; il était commun d'avoir ainsi,
tout à la fois, un étendard et le pennon de l'étendard
ou guidon, témoin ce passage indiquant le jeu de la scène
dans le Mystère du siége d'Orléans :
"Adont icy y a pause de trompettes et d'instruments.
- Et partiront tous en l'ordonnance de la Pucelle, chascun son estendart
et guidon en très belle ordonnance et bien en point."
(Mystère, etc., après le vers 15 903.)
Pour ce qui est
de la Pucelle, on trouve, en effet, dans les comptes le nom du peintre
qui a fait les deux étendards, et ce qui lui a été
payé pour l'un et pour l'autre : "Et à Hauves
Poulnoir, peintre demourant à Tours,
pour avoir paint et baillée estoffes pour ung grand estandard
et ung petit pour la Pucelle, 25 livres tournois." (t.V, p.
255) Or ces deux étendards ne sont pas, l'un celui de la
Pucelle, l'autre cette seconde bannière qu'elle fit faire
pour les prêtres de l'armée. Car Pasquerel, son confesseur,
à qui elle en remet le soin, dit qu'elle la fit faire à
Blois, quand elle allait marcher vers Orléans, et qu'elle
y fit représenter le Sauveur en Croix : "Et fuerunt
in villa Blesensi circiter per duos vel tres dies... et ibidem dixit
loquenti quatenus faceret fieri unum vexillum pro congregandis presbyteris,
gallice, une bannière, et quod in eodem vexillo faceret
depingi imaginem Domini nostri crucifixi." (t. III, p.104)
Or, le même Pasquerel, qui a décrit à peu près
comme les autres l'étendard de la Pucelle (on l'a vu ci-dessus),
sait très bien qu'on l'avait fabriqué à Tours
: "Et applicuit ipse loquens Turonis illo tunc quod depingebatur
illud vexillum" (ibid., p.105).
On est donc amené à distinguer trois choses
: 1° la bannière des prêtres avec l'image de Jésus
crucifié ; 2° l'étendard de la Pucelle, peint
comme nous l'avons indiqué sur les deux faces ; et 3°
cet étendard plus petit ou panonceau fait aussi pour la Pucelle,
et où l'on avait figuré l'Annonciation. Mais il faut
dire que, dans tout le récit, il n'est jamais parlé
que d'un étendard : celui qu'elle décrit elle même
à ses juges. C'est de celui-là, en effet, qu'elle
déclare qu'elle le portait dans la bataille pour éviter
de tuer personne : "Dicit etiam quod ipsamet portabat vexillum
prædictum, quando aggrediebatur adversarios, pro evitando
ne interficeret aliquem." (t.I, p.78) Lors donc que les
historiens la représentent tenant son étendard, c'est
de ce drapeau et non du panonceau qu'ils doivent être entendus.
Une addition, ou, pour mieux dire, une modification
plus considérable aux descriptions connues, est celle que
M. de Certain a tirée du Mystère du siège d'Orléans,
mystère qu'il vient de publier avec M. Guessart (Documents
inédits sur l'Histoire de France, 1862). Voici comme l'étendard
y est représenté
Un
estendart avoir, je vueil
- Tout blanc, sans nulle autre couleur,
Ou dedans sera un souleil
Reluisant aiusi qu'en chaleur ;
Et ou milieu en grant honneur
En lettre d or escript sera
Ces deux mots do digno valeur
Qui sont c"est AVE MARIA.
Et au-dessus notablement
Sera majesté
Pourtraicte bien et joliment
Faicte de grant autorité, Aux
deux coustés seront assis
Deux anges, que chascun tiendra
En leur main une fleur de liz,
L'autre le soleil soustiendra.
(Mystère
du siège d'Orléans, v.10539-10554, p.411)
On voit combien de traits de fantaisie l'auteur a joints
à quelques traits exacts. M. de Certain me paraît expliquer
fort bien comment Jeanne n'a parlé que d'un côté
de son étendard : elle n'a pas l'habitude de répondre
à ses juges plus qu'ils ne lui demandent, et ils ne lui ont
pas demandé si l'étendard était peint des deux
côtés. Mais il diminue trop l'autorité de sa
description, sous
prétexte que "la simple jeune fille n'avait pas acquis
une grande connaissance des choses d'art." Elle avait pu,
en commandant son étendard au peintre, ne pas lui marquer
bien exactement l'ordonnance du sujet ; mais l'ouvrage fait, elle
savait aussi bien et mieux que personne ce qu'il représentait.
Aux descriptions données, ajoutons celle des
lettres patentes de Louis XIII sur les armoiries de la Pucelle quelque
peu officielle que soit la pièce en cette matière,
elle ne fait qu'y ajouter une confusion de plus. Il y est dit "qu'elle
estoit de toile blanche semée de fleurs de lis d'or avec
la figure d'un ange qui présentoit un lis à Dieu porté
par la Vierge sa mère." (Procès, t.V, p.
239).
Un document nouveau publié par M. Jules Quicherat
dans la Revue historigue (t. IV, p.338) (Anonyme
de la Rochelle), donne ce trait qu'on ne trouve nulle autre
part : "Et fit faire audit lieu de Poitiers son étendard
auquel y avoit un escu d'azur, et un coulon blanc dedans ycelluy
estoit lequel coulon tenoit un role en son bec où avoit escrit
de par le roydu ciel". L'auteur, greffier de l'hôtel
de ville de la Rochelle, n'avait certainement pas vu l'étendard
et comme il écrit, selon toute probabilité en 1429,
avant tout autre récit, il est douteux qu'il en ait lu une
description autorisée. Évidemment cet écu d'azur
avec la colombe ne peut remplacer les emblèmes essentiels
que Jeanne décrit elle-même et les autres chroniqueurs
après elle. Mais M. J. Quicherat est tenté d'y voir
une sorte de blason propre à la Pucelle et relégué
dans un coin de l'étendard. "Dans les usages militaires
du quinzième siècle, dit-il, l'étendard, qui
était un signe du commandement général, était
couvert d'emblêmes au choix du capitaine à qui il appartenait,
et ces emblêmes n'étaient point assujettis aux lois
du blason : dans un coin seulement étaient figurées
les armoiries du personnage. Jeanne, parait-il, se conforma à
cette coutume... Ni marque nobiliaire, ni aucun des emblêmes
consacrés de la chevalerie ne figuraient sur l'écusson
: c'était un Saint-Esprit d'argent au champ d'azur, l'oiseau
tenant dans son bec une banderolle sur laquelle étaient écrits
les mots : De par le roy du ciel » (Ibid., p.338).
Et il suppose que la Pucelle y substitua plus tard les armes que
Charles VII lui donna, le 2 juin 1429, à Chinon, "pour
son estandard et pour soi decorer." Malgré l'autorité
de M. Jules Quicherat j'incline à croire que le greffier
de la Rochelle a fait quelque confusion ; que cet emblême
de la colombe ne trouva jamais place sur l'étendard de Jeanne,
et que même les armoiries qui lui furent données
pour son estandart et pour soy decourer, n'y figurèrent
jamais : car aucun texte ne l'établit. (1)
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Illustrations :
- Etendard, bannière et penon figurés dans la version
illustrée de Wallon du présent ouvrage (Firmin-Didot
- 1892)
Notes :
1 NDLR : voir l'étude très
appronfondie de l'étendard que fait le colonel de Liocourt
dans son ouvrage "la Mission de Jeanne d'Arc, t.I, p.191
à 287.
La description du greffier de la Rochelle se rapporte justement
à l'autre face de l'étendard où une colombe
tient la banderolle "De par le roy du ciel" et y figure
un écu d'azur.
Dans son procès Jeanne elle-même l'appelle "l'étendard
De par le roy du ciel".
Il est de même à noter que des chronique parlent
de "coulon blanc" lors de l'assaut des Tourelles "aucuns
chevaliers veirent un coulong blanc voler par sus l'estendart
de la dicte Pucelle..." (chronique del'établissement
de la fête du 8 mai)...
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