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27 avril 2024  

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Livre VII - ROUEN - L'instruction
II - Les interrogatoires de la prison - p.103 à 146

eanne fut ramenée à sa prison sans autre assignation à comparaître. Le spectacle de ces débats, la candeur de la jeune fille, sa présence d'esprit, sa fermeté, sa droiture dans cette lutte soutenue avec les docteurs les plus habiles devaient produire dans l'âme des assistants les moins prévenus une impression que ne recherchaient pas ses ennemis. L'évêque déclara donc que, voulant continuer sans interruption le procès, il choisirait quelques savants docteurs pour recueillir et mettre en écrit les principaux aveux de Jeanne; et que, si des éclaircissements paraissaient encore désirables, il donnerait à quelques commissaires le soin de l'interroger sans fatiguer par de nouveaux débats la multitude des assistants. Tout, d'ailleurs, devait être écrit, afin qu'ils pussent en conférer quand cela paraîtrait utile. L'évêque les invitait en outre à réfléchir dès à présent sur ce qu'ils avaient entendu, et à lui communiquer leurs sentiments, s'ils n'aimaient mieux les mûrir pour en délibérer en temps opportun (1).
  P. Cauchon, réunissant donc plusieurs « solennels » docteurs, employa les cinq jours suivants à extraire des réponses de Jeanne ce qui pouvait fournir matière à une information nouvelle, et il commit Jean de la Fontaine pour l'aller interroger dans sa prison (2).
  Cette nouvelle enquête se continua presque sans interruption toute une semaine, du 10 mars au 17, et plusieurs fois les séances commencées le matin recommencèrent après midi. L'évêque y amena le premier jour et y accompagna plusieurs fois son commissaire. Mais de plus il eut la satisfaction de s'y adjoindre enfin le collègue désiré. Le 11 mars il reçut le message par lequel l'inquisiteur donnait à son vicaire, Jean Lemaître, l'ordre d'intervenir en son nom au procès. Jean Lemaître, assigné le 12 devant l'évêque, demanda pour dernier délai le temps de prendre connaissance des pièces. Elles lui furent immédiatement communiquées, et le 13, il vint, avec l'évêque, à la prison de Jeanne, pour prendre officiellement la place qui lui était marquée dans le procès. Il donna une preuve de sa répugnance personnelle au procès, ou de sa condescendance envers Pierre Cauchon en prenant pour officiers les officiers mêmes choisis par le premier juge : d'Estivet pour promoteur, et Massieu pour huissier ; le 14, il adjoignit comme greffier à Manchon et à Boisguillaume, Jean Taquel, qui entra en fonctions le lendemain (3).
  Les interrogatoires de la prison sont, en plusieurs points, comme une édition nouvelle des interrogatoires publics. C'est toujours la même pensée qui y préside; et c'est aussi à peu près le même thème. Le caractère et les particularités des visions de Jeanne, le signe par lequel le roi y a cru, les circonstances en raison desquelles on refuse d'y croire, à savoir, les échecs de Paris, de la Charité, de Compiègne, opposés à son inspiration, et tout ce qu'on peut relever dans sa vie, dans son enfance, dans les actes de sa mission, pour établir l'indignité de l'inspirée : voilà le cercle où continueront de rouler les débats. Malgré ces répétitions, ils sont loin d'être sans intérêt ; car une chose y paraît toujours la même aussi, et d'autant plus admirable qu'elle dure sans jamais s'altérer : c'est le calme et la fermeté de Jeanne parmi ces assauts redoublés. Et le désordre même de l'interrogatoire
a bien son enseignement : on a vu dans les séances antérieures par quelle lactique le juge, rompant sa voie et revenant par mille détours au même propos, cherche à la prendre en contradiction, sans parvenir à mettre en lumière autre chose que la constance de l'accusée. Mais c'est assez d'avoir suivi une première fois le procès-verbal dans la marche tortueuse de l'enquête. En y ramenant le lecteur, nous craindrions de lui faire éprouver la fatigue dont Jeanne se plaignait elle-même. Nous rassemblerons donc, selon l'ordre des matières, les questions éparses dans l'interrogatoire. Cela ne supprimera pas entièrement les redites : car l'objet même de l'enquête est de revenir sur les points où l'on a cherché vainement à établir les fondements du procès. Mais les redites du juge feront jaillir des traits nouveaux de la Pucelle; et, de plus, c'est parmi ces répétitions, lorsque le juge a retourné en tous sens les griefs de l'accusation sans y rien découvrir, qu'on le verra trouver dans le sentiment même de sa défaite l'idée d'une attaque nouvelle, où Jeanne un instant semble n'avoir d'autre alternative que de se rendre à sa merci ou de succomber sous ses coups.

       

  Les révélations de Jeanne étaient-elles feintes ou réelles ? Pour l'éprouver, rien ne semblait plus sûr que de connaître quel signe elle en avait donné au roi. Elle avait d'abord refusé net d'en rien révéler. Elle n'en avait rien voulu dire que le temps, le lieu, toutes choses accessoires. C'était donc le point où il convenait surtout de la presser. Lorsqu'on lui en parla ;
  « Il est, dit-elle, beau et honoré; il est bien croyable et bon, et le plus riche qui soit au monde.
  — Pourquoi ne l'avez-vous point voulu aussi bien dire et montrer comme vous avez voulu avoir le signe de Catherine de la Rochelle ?
  — Si le signe de Catherine eût été aussi bien montré devant notables gens d'Église et autres comme le mien l'a été, je n'aurais point demandé à le savoir. »
  Elle alléguait comme ses propres témoins l'archevêque de Reims, Charles de Bourbon (comte de Clermont), le duc d'Alençon, le sire de La Trémouille
et plusieurs autres. C'était donc, à ce qu'on devait croire, quelque chose de constant, de sensible. On lui demanda s'il durait encore :
  « Il est bon à savoir, et qu'il durera jusques à mille ans et au delà.
  — Où est-il ?
  — Au trésor du roi.
  — Est-ce or, argent, pierre précieuse ou couronne ?
  — Je ne vous en dirai autre chose, Et ne saurait-on deviser aussi riche chose comme est le signe. Toutefois, le signe qu'il vous faut, c'est que Dieu me délivre de vos mains ; c'est le plus certain qu'il vous sache envoyer. »

  Elle raconta ensuite comment c'était sur la foi de ce signe qu'elle était venue trouver le roi. Ses voix lui avaient dit : « Va hardiment ; quand tu seras devers le roi, il aura bon signe de te recevoir et croire. » Et répondant ensuite à diverses questions qui ne sont pas toutes exprimées, mais que suppose le manque de liaison de ses réponses dans la suite du procès-verbal, elle dit que ce signe l'avait délivrée de la peine que lui faisaient les clercs chargés d'arguer contre elle. Elle en avait remercié Dieu et s'était agenouillée plusieurs fois. C'est un ange envoyé de Dieu et non d'aucun autre qui l'avait donné au roi. Le roi le vit et ceux qui étaient avec lui ; et quand elle se fut retirée dans une petite chapelle au voisinage, elle ouït dire qu'après son départ plus de trois cents personnes le virent encore : Dieu l'ayant ainsi permis pour qu'on cessât de l'interroger.
  Comme on lui demandait si son roi et elle-même n'avaient pas fait de révérence à l'ange quand il apporta le signe, elle ne dit rien du roi, mais répondit que, pour elle, elle s'était agenouillée et avait ôté son chaperon (4).
  Ces réponses, assez précises en apparence sur un point où elle avait déclaré qu'elle ne voulait pas et qu'elle ne pouvait pas dire la vérité, encourageaient par leur demi-clarté les investigations du juge, et lui laissaient l'espoir d'arriver à une entière révélation. Il se promit bien de n'en pas rester là. Il y revint dès la séance suivante. Il lui demanda si l'ange qui avait apporté le signé au roi ne lui avait point parlé.
  « Oui, dit-elle, il lui a dit qu'on me mît en besogne et que le pays serait tôt allégé.
  — Est-ce le même ange qui vous est premièrement apparu ?
  — C'est toujours tout un, et jamais il ne m'a failli. »
  Cette parole fît dévier le juge de la question. Mais il la reprit le lendemain avec plus d'insistance. Elle répondit :
  « Seriez-vous content que je me parjurasse ?
  — Est-ce que, lui dit le vice-inquisiteur, vous avez promis à sainte Catherine de ne point dire ce signe ? »
  Elle avait déjà répondu : elle répéta : « J'ai juré et j'ai promis de ne point dire ce signe, et je l'ai fait de moi-même, parce qu'on me chargeait trop de le dire. » Et elle ajouta : « Je promets que je n'en parlerai plus à personne. »
  Tout ce qu'elle en voulut dire, c'est que l'ange avait certifié au roi, en lui apportant la couronne, qu'il aurait tout le royaume de France avec l'aide de Dieu et le labeur de la Pucelle ; ajoutant qu'il la mît en besogne, c'est-à-dire qu'il lui donnât des gens d'armes : autrement, il ne serait sitôt couronné et sacré (5).
  On lui demanda comment l'ange avait apporté la couronne au roi, s'il la lui mit sur la tête. Elle répondit, mêlant à dessein la promesse et la cérémonie du sacre, la scène de Chinon et celle de Reims :
  « Elle fut donnée à un archevêque, à l'archevêque de Reims, comme il me semble, en la présence du roi. L'archevêque la reçut et la donna au roi, et j'étais présente ; et la couronne fut mise au trésor du roi.
  — En quel lieu fut-elle apportée ?
  — En la chambre du roi, au château de Chinon.
  — Quel jour et à quelle heure ?
  — Du jour, je ne sais ; et de l'heure, il était haute heure; autrement n'ai mémoire de l'heure. Quant au mois, c'était en avril ou en mars, comme il me semble, il y a deux ans, et c'était après Pâques,
  — De quelle matière était cette couronne ?
  — C'est bon à savoir qu'elle était de fin or, et si riche que je ne saurais nombrer la richesse. »
  Et elle déclara à qui voulait l'entendre ce qu'était ce signe au fond ; elle dit que la couronne signifiait que le roi obtiendrait le royaume de France.
  « Y avait-il des pierreries ? dit le juge, refusant de comprendre.
  — Je vous ai dit ce que j'en sais.
  — L'avez-vous maniée ou baisée ?
  — Non.
  — L'ange qui l'apporta venait-il de haut, ou s'il venait par terre ?
  — Il venait de haut. »
  Et elle déclara qu'elle l'entendait ainsi, en ce qu'il venait par le commandement de Notre-Seigneur : déclaration gardée par la minute française, et supprimée dans la rédaction latine du procès.
  Elle ajouta, revenant à sa propre mission, sous la figure de Fange, qu'il était entré par la porte de la chambre, qu'il fit révérence au roi en s'inclinant devant lui et prononçant les paroles qu'elle a dites du signe, et en lui rappelant la patience qu'il avait montrée dans ses grandes tribulations.
  « Quel espace y avait-il de la porte jusques au roi ?
  — Il y avait bien la longueur d'une lance. »
  Et elle dit que l'ange s'en retourna par où il était venu (6). Elle parlait d'un ange, et c'est à elle qu'elle pensait dans tout ce discours. Les juges, qui prenaient ses paroles à la lettre, devaient être curieux de savoir ce qu'elle faisait elle-même pendant que l'ange faisait ainsi. Elle répondit, pressée sans doute par leurs questions et ne se séparant pas d'ailleurs du guide invisible dont elle avait accompli le message, que quand l'ange vint, elle l'avait accompagné ; qu'elle était allée avec lui par les degrés à la chambre du roi ; que l'ange entra le premier, puis elle, et que ce fut elle qui dit au roi : « Sire, voilà votre signe, prenez-le. »
  « En quel lieu l'ange vous a-t-il apparu ?
  — J'étais presque toujours en prière, afin que Dieu envoyât le signe du roi. J'étais à mon logis, chez une bonne femme, près du château de Chinon, quand il vint. Et puis, nous nous en allâmes ensemble vers le roi. Et il était bien accompagné d'autres anges que chacun ne voyait pas. » Et elle ajouta que plusieurs virent l'ange (connurent sa céleste mission), qui ne l'eussent pas vu si ce n'eût été pour l'amour d'elle et pour la mettre hors de peine des gens qui l'arguaient.
  « Tous ceux qui étaient là avec le roi ont-ils vu l'ange ?
  — Je pense que l'archevêque de Reims, les seigneurs d'Alençon et de la Trémouille et Charles de Bourbon l'ont vu ; pour ce qui est de la couronne, plusieurs gens d'Église et autres la virent, qui ne virent pas l'ange.
  — De quelle figure et de quelle grandeur était l'ange ?
  — Je n'ai point congé de le dire, je répondrai demain (7). »
  Les juges la retinrent sur ce chapitre où elle semblait s'abandonner. Ils lui demandèrent si ceux qui étaient dans la compagnie de l'ange étaient tous de même figure : « Ils s'entre-ressemblaient volontiers pour plusieurs, et les autres non, en la manière que je les voyais : les uns avaient des ailes, d'autres des couronnes. »
  Elle ajouta que sainte Catherine et sainte Marguerite étaient en leur compagnie, et qu'elles furent avec l'ange désigné et les autres anges jusque dans la chambre du roi; que l'ange l'avait quittée dans la petite chapelle où il s'était montré à elle ; qu'elle en fut bien courroucée (affligée) et pleurait, et qu'elle s'en fût volontiers allée avec lui.
  « Est-ce par votre mérite que Dieu a envoyé son ange ?
  — Il venait pour grandes choses. Ce fut en espérance que le roi crût le signe et qu'on cessât de m'arguer, pour donner secours aux bonnes gens d'Orléans, et aussi pour le mérite du roi et du bon duc d'Orléans.
  — Et pourquoi vous, plutôt qu'un autre ?
  — Il plut à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les adversaires du roi.
  — Vous a-t-il été dit où l'ange avait pris cette couronne ?
  — Elle a été apportée de par Dieu, et il n'y a orfévre au monde qui la sût faire si belle ou si riche. Où il la prit, je m'en rapporte à Dieu, et ne sais point autrement où elle fut prise.
  — Avait-elle bonne odeur, était-elle reluisante ?
  — Je n'en ai point mémoire; je m'en aviserai. »
  Et elle ajouta aussitôt :
  « Elle sent bon et elle sentira, pourvu qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il appartient.
  — L'ange vous a-t-il écrit des lettres ?
  — Non.
  — Quel signe eurent le roi, les gens qui étaient avec lui et vous-même, pour croire que c'était un ange ?
  — Le roi le crut par renseignement des gens d'Église qui étaient là, et par le signe de la couronne.
  — Et les gens d'Église ?
  — Par leur science et parce qu'ils étaient clercs (8). »
  Les gens d'Église qu'elle avait devant elle n'en demeuraient pas aussi convaincus; mais s'ils ne devinaient pas l'allégorie dont Jeanne usait en cette rencontre, c'est qu'en général, dans le récit de ses visions, ils recherchaient toute autre chose qu'une feinte.

   

  On reprit donc toute cette matière.
  Jeanne avait dit qu'en ses grandes affaires, quelque chose qu'elle fît, ses voix l'avaient toujours secourue :
  « Et, disait-elle, allant hardiment au-devant de la secrète pensée du juge, c'est un signe que ce sont bons esprits.
  — N'avez-vous pas, dit le juge, d'autres signes que ce soient bons esprits ?
  — Saint Michel me l'a certifié avant que les voix me vinssent.
  — Et comment avez-vous connu que c'était saint Michel ?
  — Par le parler et le langage des anges.
  — Comment connûtes-vous que c'était le langage des anges ?
  — Je le crus assez tôt, et j'eus cette volonté de le croire.
  — Si l'ennemi se mettait en forme d'ange, comment connaîtriez-vous que ce fût bon ange ou mauvais ange ?
  — Je connaîtrais bien si c'était saint Michel ou une chose contrefaite à son image. »
  Elle avoua d'ailleurs qu'à la première fois elle fît grand doute si c'était saint Michel, et qu'elle eut grand'peur, et qu'elle le vit maintes fois avant de savoir si c'était lui.
  « Pourquoi, cette dernière fois, le connûtes-vous plutôt que la première ?
  — La première fois j'étais jeune enfant, et j'eus peur; mais depuis il m'enseigna et me montra tant de choses, que je crus fermement que c'était lui.
  — Quelle doctrine vous enseigna-t-il ?
  — Sur toutes choses, il me disait que je fusse bonne enfant, et que Dieu m'aiderait. Il me disait encore, entre autres choses, que je vinsse au secours du roi de France. Et la plus grande partie de ce que l'ange m'enseigna est dans ce livre (elle parlait peut-être du livre de ses interrogatoires à Poitiers), et l'ange me racontait la pitié qui était au royaume de France (9). »
Les juges ne tentèrent pas d'en savoir davantage sur ce point; ils aimèrent mieux l'interroger sur la grandeur et la stature de l'ange. Elle les ajourna à la séance suivante ; et quand alors ils lui demandèrent « en quelle forme et espèce, grandeur et habit lui avait apparu saint Michel, » elle répondit :
  « Il était en la forme d'un très-vrai prud'homme; et de l'habit et autre chose je n'en dirai pas davantage. Quant aux anges, je les ai vus de mes yeux, et on n'en aura rien de plus de moi.
  — Quel était l'âge, quels étaient les vêtements de sainte Catherine et de sainte Marguerite ?
  — Vous êtes répondus de ce que vous en aurez de moi, et n'en aurez autre chose. Je vous en ai répondu tout au plus certain que je sais.
  — Ne croyiez-vous pas autrefois que les fées fussent mauvais esprits ?
  — Je n'en sais rien.
  — Ne savez-vous point que sainte Catherine et sainte Marguerite haïssent les Anglais ?
  — Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce que Dieu hait.
  — Dieu hait-il les Anglais ?
  — De l'amour ou de la haine que Dieu a aux Anglais, je ne sais rien; mais je sais bien, dit-elle hardiment, qu'ils seront boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra victoire aux Français contre les Anglais.
  — Dieu était-il pour les Anglais quand ils étaient en prospérité en France ?
  — Je ne sais si Dieu haïssait les Français, mais je crois qu'il voulait permettre de les laisser battre pour leurs péchés, s'ils y étaient (10). »
  Des voix si peu favorables aux Anglais ne pouvaient pas être fort bien famées auprès des juges. On demanda à Jeanne si, quand elles venaient, elle leur faisait révérence, absolument comme à un saint ou à une sainte.
  « Oui, dit-elle, et si parfois je ne l'ai fait, je leur en ai crié pardon et merci; et je ne leur sais faire de si grande révérence comme il leur appartient : car je crois fermement que ce sont sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel.
  — N'avez-vous point fait à ces saints et saintes qui viennent à vous oblation de chandelles ardentes ou d'autres choses, à l'église ou ailleurs, comme on fait volontiers aux saints du paradis ?
  — Non, si ce n'est en faisant offrande à la messe, en la main du prêtre et en l'honneur de sainte Catherine; et je n'en ai point tant allumé comme je ferais volontiers à sainte Catherine et à sainte Marguerite, qui sont en paradis : car je crois fermement que ce sont elles qui viennent à moi.
  — Quand vous mîtes ces chandelles devant l'image de sainte Catherine, les mîtes-vous en l'honneur de celle qui vous est apparue ?
  — Je le fais en l'honneur de Dieu, de Notre Dame et de sainte Catherine, qui est au ciel, et ne fais point de différence de sainte Catherine qui est au ciel et de celle qui se montre à moi.
  — Les mîtes-vous en l'honneur de celle qui s'est montrée à vous ? dit le juge, insistant dans une intention que l'on devine.
  — Oui, car je ne mets point de différence entre celle qui se montre à moi et celle qui est au ciel (11). »
  A propos de l'un de ses anneaux, qui portait les noms Jesus Maria, comme on lui avait demandé pourquoi elle le regardait volontiers allant à la guerre, elle avait répondu : « Par plaisance et pour l'honneur de mon père et de ma mère, et parce qu'ayant cet anneau en main, j'ai touché sainte Catherine.
  — En quelle partie avez-vous touché sainte Catherine ? s'écria le juge avec empressement.
  — Vous n'en aurez autre chose.
  — N'avez-vous jamais baisé ou accolé (embrassé) sainte Catherine ou sainte Marguerite ?
  — Je les ai accolées toutes deux.
  — Fleuraient-elles bon ?
  — Il est bon à savoir qu'elles sentaient bon.
  — En les accolant, ne sentiez-vous point de chaleur ou autre chose ?
  — Je ne les pouvais point accoler sans les sentir et toucher.
  — Par quelle partie les accoliez-vous, par le haut ou par le bas ?
  — Il convient mieux de les accoler par le bas que par le haut.
  — Ne leur avez-vous point donné de guirlandes ou de couronnes ?
  — En l'honneur d'elles, j'en ai plusieurs fois donné à leurs images, dans les églises ; quant à celles qui se montrent à moi, je ne leur en ai point baillé dont j'aie mémoire.
  — Quand vous mettiez des guirlandes à l'arbre, les mettiez-vous en l'honneur de celles qui vous apparaissaient ?
  — Non.
  — Quand ces saintes venaient à vous, ne leur faisiez-vous pas révérence, comme de vous agenouiller et incliner ?
  — Oui, et le plus que je pouvais leur faire de révérence, je le faisais, car je sais que ce sont bien celles qui sont au royaume du paradis (12). »

   

  Le juge avait les déclarations qu'il voulait. Les voix de Jeanne étaient des êtres véritables : elle les avait honorées comme des saints; mais, si c'étaient de mauvais esprits, Jeanne se trouvait par là atteinte et convaincue d'idolâtrie. Il ne s'agissait donc que de faire voir qu'ils procédaient du démon : c'est ce qu'on avait déjà voulu établir par maintes questions dans l'interrogatoire public, et c'est encore le principal objet qu'on a en vue dans ce nouvel interrogatoire.
  Une chose déjà rendait suspectes les voix de Jeanne : c'est qu'elle avait eu si longtemps commerce avec elles, sans en rien dire à personne. Il lui était arrivé de les mentionner à propos des incidents de son enfance, et on lui avait demandé si elle en avait parlé à son curé ou à quelque autre homme d'Église. Elle répondit : « Non, mais seulement à Robert de Baudricourt et au roi. »
  L'aveu dut paraître grave, car on lit en marge du procès-verbal : « Elle a celé ses visions à son père, à sa mère et à tout le monde. » Mais si ses voix étaient de Satan, elles devaient se trahir, dans les œuvres de Jeanne, par ce qui est de Satan : la révolte, l'orgueil, la vanité, l'impudicité, le mensonge; elles devaient se manifester à la fin par l'impuissance et par le désespoir. Le juge va rechercher tous ces signes dans les inspirations et dans les actes de la Pucelle (13).
  Il crut en trouver la marque à l'origine même de sa mission. Elle était partie sans la permission de ses parents. Il lui demanda si elle pensait bien faire de partir sans le congé de ses parents, puisqu'on doit honorer père et mère.
  « En toute autre chose, répondit-elle, je leur ai bien obéi, excepté de ce partement; mais, depuis, je leur en ai écrit, et ils m'ont pardonné. Elle leur a demandé pardon : elle se jugeait donc coupable ? On lui demanda si, en quittant son père et sa mère, elle ne croyait point pécher. « Puisque Dieu le commandait, il le convenait faire. Quand j'aurais eu cent pères et cent mères, et que j'eusse été fille de roi, je serais partie.
  — N'avez-vous pas demandé à vos voix si vous le deviez dire à votre père et à votre mère ?
  — Pour ce qui est de mon père et de ma mère, les voix étaient assez contentes que je le leur disse, n'était la peine qu'ils m'eussent faite si je leur avais dit mon départ; et, quant à moi, je ne le leur eusse dit pour chose quelconque. »
  On aurait voulu mettre ses voix elles-mêmes en contradiction avec le souverain commandement d'honorer père et mère : mais elle persista à dire que ses voix l'avaient laissée libre de leur en parler ou de s'en taire (14).

  

  La révolte contre l'autorité légitime a son principe dans l'orgueil, et l'orgueil peut aller jusqu'à rechercher des adorations sacriléges. Le juge demanda à Jeanne si les voix ne l'avaient point appelée fille de Dieu. Elle répondit en toute simplicité qu'avant la levée du siége d'Orléans, et, depuis, tous les jours, quand les voix lui parlent, elles l'ont plusieurs fois appelée : « Jeanne la Pucelle, fille de Dieu. »
  Autres signes ou matière d'orgueil : son étendard, ses armoiries, ses richesses.
  On lui demanda ce que signifiait sur son étendard l'image de Dieu tenant le monde, avec deux anges à ses côtés.  « Sainte Catherine et sainte Marguerite, répondit-elle , me dirent de prendre et de porter hardiment cet étendard, d'y faire mettre en peinture le roi du ciel, et je l'ai dit au roi bien malgré moi. Quant à la signifiance, je n'en sais autre chose. »
  Sur ses armoiries, elle dit qu'elle n'en avait jamais eu; mais, le roi, dit-elle, en a donné à mes frères : c'est à savoir, un écu d'azur avec deux fleurs de lis d'or et une épée parmi; et ce leur fut donné par le roi à leur plaisance, sans requête de moi, et sans révélation. »
  On lui demanda encore quel cheval elle avait quand elle fut prise; qui le lui avait donné; si elle tenait du roi quelque autre richesse : « Je n'ai rien demandé au roi, si ce n'est bonnes armes, bons chevaux, et de l'argent à payer les gens de mon hôtel.
  — N'aviez-vous point de trésors ?
  — Dix ou douze mille (écus) que j'ai vaillants : ce n'est pas grand trésor à mener la guerre. »
  Elle ajouta que ses frères en avaient le dépôt, et que c'était de l'argent du roi (15).
  On revint à plusieurs reprises sur cette matière. Son étendard, son épée, ses anneaux, n'étaient vus des juges qu'avec une défiance extrême. Les actes
mêmes où respirait sa piété, sentaient pour eux la superstition et la magie. Les noms de Jésus et de Marie, qu'elle mettait dans ses lettres, leur étaient suspects. On lui demanda quelles armes elle avait offertes à saint Denis.
  « Un blanc harnois, avec une épée que j'avais gagnée devant Paris.
  — A quelle fin cette offrande ?
  — Par dévotion, ainsi qu'il est accoutumé par les gens de guerre quand ils sont blessés; et, parce que j'avais été blessée devant Paris, je les offris à saint Denis , pour ce que c'est le cri de France.
  — N'était-ce pas pour qu'on les adorât ?
  — Non.
  — A quoi servaient ces cinq croix qui étaient en l'épée trouvée en Sainte-Catherine-de-Fierbois ?
  — Je n'en sais rien.
  — Qui vous mut de faire peindre des anges avec bras, pieds, jambes, vêtements.
  — Vous y êtes répondus.
  — Les avez-vous fait peindre tels qu'ils viennent à vous ?
  — Je les ai fait peindre en la manière qu'ils sont peints dans les églises.
  — Les vîtes-vous jamais en la manière qu'ils furent peints ?
  — Je ne vous en dirai autre chose.
  — Pourquoi n'y fîtes-vous peindre la clarté qui venait à vous, avec les anges et les voix ?
  — Il ne me fut point commandé (16).
  On la ramena au même sujet à la reprise de la séance. On lui demanda si les deux anges qui étaient peints sur l'étendard représentaient saint Michel et saint Gabriel.
  « Ils n'y étaient que pour l'honneur de Notre-Seigneur, qui était peint en l'étendard, tenant le monde, et j'ai tout fait par le commandement de mes voix.
  — Ne leur avez-vous pas demandé si, en vertu de cet étendard, vous gagneriez toutes les batailles où vous iriez ?
  — Elles me dirent que je prisse hardiment l'étendard et que Dieu m'aiderait.
  — Qui aidait plus, vous à l'étendard, ou l'étendard à vous ?
  — De la victoire de l'étendard ou de moi, c'était tout à Notre-Seigneur.
  — Mais l'espérance d'avoir victoire était-elle fondée en votre étendard ou en vous ?
  — Elle était fondée en Notre Seigneur, et non ailleurs.
  — Si un autre que vous l'eût porté, eût-il eu aussi bonne fortune ?
  — Je n'en sais rien ; je m'en attends à Notre-Seigneur.
  — Si un des gens de votre parti vous eût baillé son étendard à porter, eussiez-vous eu aussi bonne espérance comme en celui qui vous était donné de Dieu, ou en celui de votre roi ?
  — Je portais plus volontiers celui qui m'était ordonné de par Notre-Seigneur, et toutefois du tout je m'en attends à Notre-Seigneur.
  — Ne fit-on point flotter ou tourner votre étendard autour de la tête du roi, comme on le sacrait à Reims ?
  — Non, que je sache.
  — Pourquoi fut-il plutôt porté au sacre, en l'église de Reims, que ceux des autres capitaines ?
  — Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à l'honneur (17). »

   

  La marque où l'on croyait voir le plus sûrement l'esprit diabolique, c'est l'impudicité. Mais Jeanne était vierge, et les juges ne le savaient que trop. Rien ne les embarrasse plus que ce point. Ils voudraient croire qu'elle a voué sa virginité au diable ! On lui demanda si elle parlait à Dieu quand elle lui promit de la garder.
  « Il devait bien suffire, dit-elle, de la promettre à ceux qui étaient envoyés de par lui, c'est à savoir sainte Catherine et sainte Marguerite. »
  On affecta de croire qu'elle avait voulu rompre son vœu en promettant mariage à un jeune homme, en le voulant épouser, en l'assignant sur son refus à comparaître devant l'officialité de Toul. C'est Jeanne, on se le rappelle, qui avait au contraire repoussé cette étrange poursuite ; elle le raconta à ce propos, et ajouta que ses voix l'avaient assurée qu'elle gagnerait son procès.
  Mais du moins, elle portait l'habit d'homme. On lui demanda encore si elle l'avait pris à la requête de Robert de Baudricourt ou au commandement de ses voix ; si en le prenant elle pensait mal faire :
  « Non, dit-elle, et encore à présent, si j'étais en cet habit d'homme avec ceux de mon parti, il me semble que ce serait un des grands biens de la France que je fisse comme je faisais avant d'être prise. »
  Elle s'en rapportait d'ailleurs au commandement de Dieu :
  « Puisque je l'ai fait par commandement de Notre-Seigneur et en son service, je ne cuide (pense) point mal faire, et quand il lui plaira de commander, il sera tantôt mis là. »
  On crut avoir une manière sûre de prouver que Dieu ne lui avait pas commandé de le prendre, en mettant son obstination à le garder en opposition avec un autre commandement de Dieu. Elle avait prié qu'on l'admît à entendre la messe, ce qu'on lui avait refusé à cause de son habit. Mais, comme malgré ce refus, elle avait gardé son habit, on voulut la mettre en demeure de déclarer elle-même sa préférence. On lui demanda ce qu'elle aimerait le mieux, prendre habit de femme et entendre la messe, ou demeurer en habit d'homme et ne point entendre la messe :
  « Certifiez-moi, dit-elle, que j'entendrai la messe si je suis en habit de femme, et je vous répondrai.
  — Je vous le certifie, dit le juge.
  — Et que direz-vous, reprit-elle, si j'ai juré et promis à notre roi de ne point quitter cet habit ?
  Toutefois je vous réponds : faites-moi faire une robe longue jusques à terre, sans queue, et me la baillez pour aller à la messe, et puis, au retour, je reprendrai l'habit que j'ai. »
  Et elle requérait en l'honneur de Dieu et de Notre-Dame, qu'elle pût ouïr la messe en cette bonne ville.
  Mais comme on insistait pour qu'elle prît l'habit de femme simplement et absolument :
  « Baillez-moi, dit-elle, un habit comme en ont les filles de bourgeois, c'est à savoir une houppelande longue, et je le prendrai, et même le chaperon de femme pour aller entendre la messe ; »  marquant bien qu'elle ne le prendrait que pour cela, et demandant encore avec instance qu'on lui laissât l'habit qu'elle portait, et qu'on lui permît d'entendre la messe sans le changer (18).

  Si le juge avait voulu comprendre pourquoi elle tenait si fort à l'habit d'homme, il en aurait eu plus d'une occasion dans le cours de ce débat. A la séance suivante, comme il revenait sur l'habit de femme et sur la messe, elle persista dans son refus, mais elle dit :
  « Si ainsi est qu'il me faille mener jusques en jugement, qu'il me faille dévêtir en jugement, je requiers aux seigneurs de l'Église qu'ils me donnent la grâce d'avoir une chemise de femme et un couvre-chef en ma tête. »
  Le juge crut la prendre en contradiction : « Vous avez dit que vous portez habit d'homme par le commandement de Dieu : pourquoi demandez-vous chemise de femme en article de mort ?
  — Il suffit qu'elle soit longue. »
  Le juge, déconcerté, se rejeta sur une tout autre question; mais il revint bientôt à l'habit. N'avait-elle pas dit qu'elle prendrait l'habit de femme, pourvu qu'on la laissât aller, s'il plaisait à Dieu ?
  Jeanne redressa sa réponse, et lui donna un autre moyen d'entendre pourquoi elle ne renonçait point à cet habit, qui était sa sauvegarde, non-seulement dans la prison, mais encore à la guerre, et comme la marque de sa mission :
  « Si on me donne congé en habit de femme, dit-elle, je me mettrai tantôt en habit d'homme, et ferai ce qui m'est commandé par Notre-Seigneur.
  Je l'ai autrefois ainsi répondu, et ne ferai pour rien le serment de ne m'armer et mettre
en habit d'homme pour faire le plaisir de Notre-Seigneur.
  — Quel garant et quel secours attendez-vous de Notre-Seigneur, de ce que vous portez habit d'homme ?
  — Tant de l'habit que d'autres choses que j'ai faites, je n'en ai voulu avoir d'autre loyer que le salut de mon âme (19). »

  C'était peu que de lui reprocher de porter l'habit du soldat; on aurait voulu montrer qu'elle en avait pris les mœurs, l'accuser, la convaincre de jurements, de cruautés, de rapines. Elle nia tout jurement. Pour le reste, on ne trouvait à lui objecter que la haquenée de l'évêque de Senlis, qu'elle avait prise pour de l'argent, et fait rendre au prélat ; et la mort de Franquet d'Arras. Elle raconta comment Franquet avait été mis à mort après s'être reconnu meurtrier, larron et traître. Jeanne, loin d'ordonner sa mort, l'avait voulu échanger contre un prisonnier, mais le prisonnier était mort, et, sur les réclamations du bailli de Senlis, elle avait dû abandonner Franquet à la justice.
  En vain essaya-t-on d'obtenir par aveu ce qu'on n'avait pu découvrir par enquête. Dans un précédent interrogatoire, elle avait cité ce dicton des petits enfants, que parfois on était pendu pour avoir dit la vérité. On lui demanda si elle savait en elle quelque crime ou faute pour quoi elle pût être mise à mort, si elle le confessait. Elle dit :
  — Non (20).

 
  Mais, si l'esprit malin ne se manifestait point dans ses actes, ne se trahissait-il pas au moins dans ses prédictions et par ses échecs ? Elle avait échoué à Paris, à la Charité, à Pont-l'Évêque : elle avait dit qu'elle avait à délivrer le duc d'Orléans, et elle avait été prise elle-même à Compiègne.
  Pour tous ces lieux, elle répondit qu'elle n'y était point allée par le conseil de ses voix, mais à la requête des gens d'armes, comme elle l'avait déjà déclaré. Depuis qu'elle avait eu révélation à Melun qu'elle serait prise, elle se rapportait surtout du fait de la guerre aux capitaines, sans leur dire toutefois qu'elle sût par révélation qu'elle dût être prise.
  « Fut-ce bien fait le jour de la Nativité de Notre-Dame, un jour de fête, d'aller attaquer Paris ?
  — C'est bien fait de garder les fêtes ce Notre-Dame, et en ma conscience il me semble que ce serait bien fait de garder les fêtes de Notre-Dame depuis un bout jusqu'à l'autre.
  — Ne pensez-vous pas avoir fait péché mortel en attaquant Paris ce jour-là ?
  — Non, et si je l'ai fait, c'est à Dieu d'en connaître, et en confession à Dieu et au prêtre.
  — N'avez-vous point dit devant Paris : «Rendez la ville de par Jésus ? »
  — Non, mais j'ai dit : « Rendez la ville au roi de France. »

   

  Quant à la délivrance du duc d'Orléans, on fut curieux de savoir comment elle l'aurait opérée :
  « J'aurais pris en France assez d'Anglais pour le ravoir, et si je n'en eusse assez pris de ça, j'aurais passé la mer pour l'aller querir en Angleterre à puissance (par la force). »
  On lui demanda si sainte Marguerite et sainte Catherine le lui avaient dit ainsi :
  « Oui, je l'ai dit à mon roi et je lui ai demandé qu'il me laissât faire des prisonniers. »
  Elle ajouta que, si elle avait duré trois ans sans empêchement, elle l'eût délivré (21).
  Mais elle-même était prisonnière.
  N'était-ce point assez pour qu'elle reniât ses voix comme l'ayant déçue ?
  « Sainte Catherine et sainte Marguerite, dit-elle, m'ont dit que je serais prise avant qu'il fût la Saint-Jean, qu'il le fallait ainsi, que je ne m'en ébahisse point et prisse tout en gré, et que Dieu m'aiderait. »
  Elle ajouta que ses voix le lui avaient souvent annoncé depuis son passage à Melun.
  « Et je leur requérais quand je serais prise que je mourusse tantôt, sans long travail de prison, mais elles me disaient toujours que je prisse tout en gré, qu'ainsi le fallait faire; et ne me dirent pas l'heure. Si je l'eusse su, je n'y fusse point allée, et j'avais plusieurs fois demandé de savoir l'heure, mais elles ne me la dirent point.
  « Si les voix vous eussent commandé de faire la sortie, et signifié que vous seriez prise, y seriez-vous allée ?
  — Si j'avais su l'heure que je dusse être prise, je n'y serais point allée volontiers ; toutefois j'aurais fait leur commandement, quelque chose qui me dût advenir. »
  Le juge revint à sa question, la pressant de répondre précisément sur ce point : « Si ses voix lui avaient commandé de sortir ce jour-là ? » comme s'il voulait au moins les rendre, de son propre aveu, complices de sa captivité.
  Elle répondit que ce jour-là elle ne sut point qu'elle serait prise, et qu'elle n'eut autre commandement de sortir (22).

                               

  Il y avait pourtant depuis sa captivité une circonstance qui semblait condamner infailliblement Jeanne ou ses voix, selon qu'elle leur avait obéi ou qu'elle leur avait résisté : c'est l'affaire de Beaurevoir, lorsque Jeanne avait sauté de la tour. Elle redit les raisons qu'elle en avait déjà données :
  « J'avais ouï dire que ceux de Compiègne, tous, jusqu'à l'âge de sept ans, devaient être mis à feu et à sang, et j'aimais mieux mourir que vivre après une telle destruction de bonnes gens. De plus, je savais que j'étais vendue aux Anglais et j'eusse eu plus cher mourir que d'être en la main des Anglais, mes adversaires. »
  Elle ajouta qu'elle avait agi, non par le conseil, mais contre l'avis de ses voix, retraçant, avec une vivacité singulière, le débat qu'elle avait eu, à ce propos, si longtemps avec elles. Et comme on lui demandait si elle avait dit à sainte Catherine et à sainte Marguerite : « Laira Dieu mourir si mauvaisement ces bonnes gens de Compiègne, » parole où l'on voulait voir un blasphème, comme si elle avait voulu accuser la méchanceté de Dieu, là où elle ne songeait qu'à plaindre le malheur de ces bonnes gens, elle démêla la malice du juge, et dit qu'elle n'avait point dit si mauvaisement, mais en cette manière : « Comment laira Dieu mourir ces bonnes gens de Compiègne, qui ont été et sont si loyaux à leur seigneur ? »
  Jeanne avouait qu'elle avait mal fait de sauter de la tour. Sainte Catherine, qui l'en avait détournée, lui avait dit, la chose faite, de s'en confesser et d'en demander pardon à Dieu. Mais on voulait, malgré la netteté et la franchise de ses explications, faire de cette imprudence un tout autre crime. Elle avait dit qu'après sa chute « elle fut deux ou trois jours qu'elle ne voulait manger; » nouvel argument pour le juge. Il est vrai que le procès-verbal, qui le lui donne, le lui ôte lorsque aussitôt il ajoute : « Et même aussi pour ce saut fut grevée tant qu'elle ne pouvait ni boire ni manger. » Ce n'était donc pas l'aveu qu'on voulait. On tenta d'en obtenir plus directement un autre. On lui demanda si, en sautant de la tour, elle n'avait pas pensé se tuer :
  « Non, répondit-elle, en sautant je me recommandai à Dieu, et je pensais, par le moyen de ce saut, échapper et éviter que je ne fusse livrée aux Anglais. »
  Elle répéta une autre fois encore qu'elle avait mal fait, ajoutant qu'elle s'en était confessée, comme sa voix lui en avait donné le conseil, et qu'elle en avait eu pardon de Notre-Seigneur :
  « En avez-vous eu grande pénitence ?
  — J'en portai une grande partie du mal que j'ai eu en tombant.
  — Était-ce péché mortel ?
  — Je m'en attends à Notre-Seigneur. »
  L'information dressée sur cet incident avait même prétendu que, quand elle reprit la parole ce fut pour renier Dieu et ses saints. On reprit cette accusation, faute de mieux, mais Jeanne la repoussa comme la première fois. Et comme on lui demandait si elle s'en voulait rapporter à l'information
faite ou à faire, elle répondit :
  « Je m'en rapporte à Dieu et non à autre, et à bonne confession (23) ! »

   

  Ainsi Jeanne s'accusait d'une faute, mais d'une faute dont elle avait fait pénitence et qui prouvait en faveur de ses voix, car ses voix l'en avaient détournée: elles lui avaient commandé, comme l'eût pu faire l'évêque, de s'en confesser, et, ce qu'elles seules pouvaient faire, elles l'avaient secourue et gardée de la mort. Ses voix n'étaient donc pas ce qu'on voulait croire, et elle-même apparaissait d'autant plus sainte qu'on l'éprouvait davantage. Tous les fantômes de l'accusation se dissipaient à la lumière de cette âme pure; au lieu des oeuvres diaboliques, de l'orgueil, de la vanité, de l'impudicité, de la violence, du blasphème, du désespoir et du mensonge, on n'avait trouvé en elle qu'humilité, honnêteté, douceur, simplicité, confiance en Dieu. Elle semblait ne pas soupçonner la malice de ses juges, tant elle mettait de franchise, quand elle s'en croyait libre, à leur répondre, sans se soucier si elle ne provoquait pas la perfidie de ses accusateurs ou les ressentiments de ses ennemis.
  A propos de sa tentative d'évasion de Beaulieu, elle avait dit qu'elle ne fut jamais en aucun lieu prisonnière sans avoir la volonté de s'échapper :
  « Et il me semble, ajoutait-elle, qu'il ne plaisait pas à Dieu que je m'échappasse pour cette fois, et qu'il fallait que je visse le roi des Anglais, comme les voix me l'ont dit. »
  On lui demanda si elle avait congé de Dieu ou de ses voix de partir de prison toutes les fois qu'il lui plairait :
  « Je l'ai demandé plusieurs fois, mais je ne l'ai pas encore.
  — Partiriez-vous de présent, si vous trouviez l'occasion de partir ?
  — Si je voyais la porte ouverte, je m'en irais, et ce me serait le congé de Notre-Seigneur. Mais sans congé, je ne m'en irais, à moins que ce ne fût pour faire une entreprise, afin de savoir si notre Sire en serait content. »
  Et elle alléguait le proverbe : « Aide-toi, Dieu t'aidera, » ajoutant qu'elle le disait afin que, si elle s'en allait, on ne dît pas qu'elle s'en fût allée sans congé (24).
  Sa prison ne lui était donc pas si odieuse, qu'elle n'aimât mieux y demeurer que de manquer à la volonté de Dieu ou de paraître fausser sa foi. C'est pourquoi, au risque de se la rendre plus dure encore, elle disait tout haut par quels liens elle s'y croyait uniquement retenue. Sa délivrance lui était chère pourtant, mais elle ne la séparait pas de la libération de la France et du salut de son âme : c'étaient les trois choses qu'elle demandait en même temps à ses saintes. Elle songeait aussi au salut de ses persécuteurs. Elle avait dit à l'évêque de Beauvais qu'il se mettait en grand danger en la mettant elle-même en cause. On voulut qu'elle s'expliquât sur ce point :
  « J'ai dit à Mgr de Beauvais, reprit-elle : « Vous dites que vous êtes mon juge : je ne sais si vous l'êtes, mais avisez bien que vous ne jugiez mal, car vous vous mettriez en grand danger; et je vous en avertis afin que, si Notre-Seigneur vous en châtie, j'aie fait mon devoir de vous le dire.»
  — Mais quel est ce péril ? » dit le juge.
  Elle n'hésita point à s'ouvrir devant lui davantage, tant elle croyait la force des hommes impuissante contre la volonté de Dieu. Elle déclara que sainte Catherine lui avait dit qu'elle aurait secours : Comment ? « Je ne sais, disait-elle, si ce sera à être délivrée de la prison, ou si, lorsque je serai au jugement, il y surviendra aucun trouble par le moyen duquel je puisse être délivrée. »
  Le greffier, prenant acte de ses paroles, écrit en marge de sa minute : « Au jugement, il pourra y avoir trouble par quoi elle soit délivrée. »
  « Je pense, continua Jeanne, sans y prendre garde autrement, que ce sera l'une ou l'autre chose; ce que mes voix me disent le plus, c'est que je serai délivrée par grande victoire, et elles ajoutent : « Prends tout en gré, ne te chaille (soucie) de ton martyre, tu t'en viendras enfin au royaume de paradis. Pour cela, mes voix me l'ont dit simplement et absolument sans faillir (25). »
  Son martyre ! le paradis ! Ses juges n'étaient-ils donc que des persécuteurs devant lesquels elle confessait la foi ? Jeanne l'entendait plus humblement d'elle-même : son martyre, c'était la peine et l'adversité qu'elle souffrait en la prison :
  « Et je ne sais, ajoutait-elle, si je souffrirai plus, mais je m'en attends à Notre-Seigneur. »
  Le juge lui voulut faire un piége même de ses paroles : il lui demanda si, depuis que ses voix lui ont dit qu'elle ira à la fin au royaume de paradis, elle se croyait assurée d'être sauvée et de ne pas être damnée en enfer. Elle répondit :
  « Je crois fermement ce que mes voix m'ont dit, c'est à savoir que je serai sauvée, aussi fermement que si j'y fusse déjà.
  — Cette réponse est de grand poids, dit le juge.
  — Mais aussi je la tiens pour un grand trésor.
  — Croyez-vous donc, après cette révélation, que vous ne puissiez plus faire péché mortel ?
  — Je n'en sais rien, mais je m'en attends du tout à Notre-Seigneur. »
  Elle dit pourtant à quelle condition elle espérait être sauvée : c'est qu'elle tînt le serment qu'elle avait fait de bien garder sa virginité de corps et d'âme.
  « Pensez-vous, dit le juge, cherchant toujours à ressaisir le prétexte qui lui échappait, pensez-vous qu'il soit besoin de vous confesser, puisque vous croyez à la parole de vos voix que vous serez sauvée ?
  — On ne saurait trop nettoyer sa conscience (26) »

                                        

  Toutes ces questions, toutes ces réponses, n'avaient rien fourni de sérieux contre la Pucelle. Il y avait des matières qu'elle avait réservées, où elle avait déclaré elle-même qu'elle ne pourrait pas dire la vérité parce que cette vérité était le secret d'une autre : le signe du roi. A cet égard, pressée de questions, elle avait fini par calquer ses réponses sur les demandes qu'on lui adressait, prenant au sens allégorique l'idée grossière que s'en faisaient les juges; et quand on aurait pu l'accuser de s'être trop complaisamment arrêtée au développement de son allégorie, en se jouant de la curiosité qu'elle ne voulait pas satisfaire, ce n'était pas un crime capital. Les juges, d'ailleurs, lorsqu'ils s'attaquaient à ses visions, songeaient moins à y trouver des fictions (le cas était véniel) que des êtres véritables, des voix réelles révélant la source de leur inspiration par leurs impostures. Mais tous leurs efforts pour amener Jeanne à se faire leur complice en rejetant sur ses voix ses échecs ou ses fautes n'avaient point abouti. Ni dans l'affaire de Paris ou de la Charité, ni dans l'affaire du saut de Beaurevoir, elle n'avait rien dit qui n'allât contre leur but. Ses voix ne lui avaient rien commandé que de bon, rien révélé que de vrai ; sa captivité même, elles la lui avaient prédite. Sur aucun point on n'avait donc pu les prendre en défaut; sur aucun point on ne l'avait pu incriminer elle-même. Une tentative d'évasion, un chevalier pillard abandonné à la vindicte de la justice, la haquenée de l'évêque de Senlis, un mauvais cheval acheté fort cher et renvoyé dès qu'on le réclama, ce n'était point là de quoi la faire réputer hérétique : elle ne l'était que dans son habit. Toutefois, si le crime ici était patent, il était de telle sorte qu'on sentait le besoin, pour la condamner, d'en avoir un autre à mettre à sa charge. On commençait à en désespérer, lorsqu'on trouva dans la défiance même de Jeanne à l'égard de ses juges un piège d'où il ne semblait pas qu'elle pût sortir.

       

C'est le commissaire Jean de la Fontaine qui fit entrer le procès dans cette voie. Mais à la perfidie et à l'habileté de la manœuvre on sent qu'une autre main le dirige ; et il parut en témoigner lui même par les efforts qu'il fit un peu plus tard pour tirer Jeanne du péril où il l'avait amenée.
  Le jeudi 15, dès le début de la séance (nouveau signe de préméditation), la question s'engage, mais paisiblement, sans éclat ni rien qui pût faire ombrage à l'accusée. Le commissaire lui dit « avec des exhortations charitables, » et comme pour en finir amiablement, que, s'il se trouve qu'elle ait fait quelque chose contre la foi, elle doit vouloir s'en rapporter à la détermination de notre sainte mère l'Église. Jeanne, justement défiante, demanda que ses réponses fussent vues et examinées par les clercs, et qu'on lui dît s'il y avait en elles quelque chose contre la foi chrétienne :
  « Et alors, dit-elle, je saurai bien dire par mon conseil ce qu'il en sera; » ajoutant d'ailleurs que, s'il y avait rien contre la foi chrétienne, elle ne le voudrait soutenir, et serait bien courroucée (fâchée) d'aller à l'encontre.
  A ses juges elle opposait ses saintes. On lui expliqua la distinction de l'Église triomphante et de l'Église militante, et on la requit de se soumettre présentement à la détermination de l'Église pour « tout ce qu'elle avait fait ou dit, bien ou mal. »
Elle dit :
  « Je ne vous en répondrai autre chose pour le présent (27). »
  On n'insista pas, et l'interrogatoire passa comme de plain-pied aux détails ordinaires : mais on y revint un peu après, et on lui répéta la question :
  « Voulez-vous vous soumettre et rapporter à la détermination de l'Église ? »
Elle répondit dans le même sens :
  « Toutes mes oeuvres et mes faits sont en la main de Dieu, et je m'en attends à lui ; et je vous certifie que je ne voudrais rien faire ou dire contre la foi chrétienne, et si j'avais rien fait ou dit qui fût, au jugement des clercs, contre la foi chrétienne, je ne le voudrais soutenir, mais le bouterais hors. »
  Ces protestations générales n'étaient pas ce que voulait le juge : il lui fallait une déclaration nette et précise, et il lui demanda encore si elle ne s'en voudrait point soumettre en l'ordonnance de l'Église.
Elle dit :
  « Je ne vous en répondrai maintenant autre chose, mais samedi, envoyez-moi le clerc, si vous ne voulez venir, et je lui répondrai sur ce point à l'aide de Dieu, et il sera mis en écrit (28). »
  C'est ce qu'on entendait bien faire.
  Le samedi 17 mars, on lui posa donc plus catégoriquement encore la question :
  « Voulait-elle s'en remettre à la détermination de l'Église de tous ses dits et faits, soit de bien, soit de mal ? »
  Si elle disait oui, elle abandonnait sa mission elle-même à l'arbitraire de ses juges ; si elle disait non, elle se rendait suspecte d'hérésie. Jeanne ne se laissa pas prendre au piège ; elle distingua entre les matières de foi et l'objet de sa mission :
  « Quant à l'Église, dit-elle, je l'aime et la voudrais soutenir de tout mon pouvoir pour notre foi chrétienne ; ce n'est pas moi qu'on doive empêcher d'aller à l'église et d'entendre la messe (le mot d'Église rappelait surtout à cette simple fille le lieu où elle faisait ses dévotions). Quant aux bonnes œuvres que j'ai faites et à ma venue, il faut que je m'en attende au Roi du ciel, qui m'a envoyée à Charles, fils de Charles, roi de France, qui sera roi de France. Et vous verrez, s'écria-t-elle, que les Français gagneront bientôt une grande besogne que Dieu leur enverra, tant qu'il branlera presque tout le royaume de France. Je le dis, afin que, quand ce sera advenu, on ait mémoire que je l'ai dit.
  — Quand cela sera-t-il ? dit le juge.
  — Je m'en attends à Notre-Seigneur (29) »
  La juge la rappela à sa question :
  « Vous en rapportez-vous à la détermination de l'Église ?
  — Je m'en rapporte à Notre-Seigneur qui m'a envoyé, à Notre-Dame et à tous les benoîts saints et saintes du paradis. Il m'est avis que c'est tout un de Notre-Seigneur et de l'Église, et qu'on n'en doit point faire de difficulté. Pourquoi, ajouta-t-elle, interpellant ses juges, faites-vous difficulté que ce ne soit tout un ? »
  On lui redit la distinction de l'Église triomphante et de l'Église militante :
  « Il y a l'Église triomphante, où est Dieu, les saints, les anges et les âmes sauvées ; l'Église militante, c'est notre saint père le Pape, vicaire de Dieu en terre, les cardinaux, les prélats de l'Église, le clergé et tous les bons chrétiens et catholiques, laquelle Église bien assemblée ne peut errer et est gouvernée du Saint-Esprit. Ne voulez-vous pas vous en rapporter à l'Église militante ?
  — Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie et tous les benoîts saints et saintes du paradis et l'Église victorieuse de là-haut, et de leur commandement ; et à cette Église-là je soumets tous mes bons faits et tout ce que j'ai fait ou à faire. Pour l'Église militante, je n'en répondrai maintenant autre chose (30). »

                           

  C'était assez pour les juges qu'elle ne répondît pas. Mais il était un autre point sur lequel on croyait pouvoir compter qu'elle ne répondrait pas davantage. On n'y arriva pas sur-le-champ. On passa aux questions ordinaires, l'habit d'homme, les fées, les visions, et on reprit de la même sorte la séance de l'après-midi, que l'évêque de Beauvais vint présider lui-même pour clore cette enquête. On lui demanda s'il lui avait été révélé qu'en perdant sa virginité elle perdrait son bonheur ; si ses voix lui viendraient encore après qu'elle serait mariée ? On lui demanda même si elle pensait que son roi fît bien de tuer ou faire tuer le duc de Bourgogne :
  « Ce fut grand dommage pour le royaume de France, dit-elle, et quelque chose qu'il y eût entre eux, Dieu m'a envoyée au secours du roi de France. »
Alors on lui dit :
  « Vous avez dit à Mgr de Beauvais que vous répondriez à lui ou à ses commissaires comme vous feriez devant notre saint père le Pape, et toutefois il y a plusieurs interrogatoires à quoi vous ne voulez répondre. Ne répondriez-vous pas devant le Pape plus pleinement que vous ne faites devant Mgr de Beauvais ?
  — J'ai répondu tout le plus vrai que j'ai su, et, s'il me venait à la mémoire quelque chose que je n'aie dite, je la dirais volontiers.
  — Vous semble-t-il que vous soyez tenue de répondre pleinement au Pape, vicaire de Dieu, sur tout ce qu'on vous demanderait touchant la foi et le fait de votre conscience ?
  — Menez-moi devant lui, et je répondrai tout ce que je devrai répondre. »
  La question tournait donc contre le juge; il n'avait introduit le nom du Pape que pour le faire récuser, et il n'avait fait que donner à Jeanne l'occasion de le reconnaître et d'en appeler à lui (31).

  Il était grand temps d'en finir. Après quelques questions encore sur le menu détail des superstitions où on l'eût voulu engager, sur ses anneaux, sur ceux qui vont en l'erre (qui errent) avec les fées, et sur son étendard, l'évêque la laissa enfin, assuré d'avoir dans les procès-verbaux la matière d'une suffisante accusation (32).



                                                


Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879

Notes :
1 Procès, t. I, p. 111, 112.

2. Ibid., p. 112.

3 T. I, p. 113 et suiv. : Lettres de l'inquisiteur Jean Graverent, ibid., p 124
Adjonction du vice-inquisiteur : ibid., p. 134.
Institution de ses officiers : p. 135, 138. — Adjonction de Taquel comme greffier, p. 148,149. — Assesseurs : ibid. : N. Midi et G. Feuillet sont présents à toutes les séances. N. de Hubert, notaire apostolique, assiste à la plupart depuis le 12; frère Isambard de la Pierre à toutes, depuis le 13, avec le vice-inquisiteur dont il était l'acolyte. A la dernière, on retrouve avec l'évêque les docteurs de Paris, non-seulement N. Midi et G. Feuillet, mais J. Beaupère, Jacques de Touraine, P. Maurice, Th de Courcelles.

4 Signe du roi ; t. I, p. 54 (22 février) ; p. 119 (10 mars).

5 T. I, p. 126 (12 mars); 139 (13 mars).

6 T. I, p. 140-142 (même jour).

7 T. I, p. 142, 143 (même jour).

8 T. I, p. 144-146 (même jour).

9 Saint Michel : t. I, p. 169-171 (15 mars).

10 Saint Michel : t. I, p. 172 (17 mars).
Sainte Catherine et sainte Marguerite : p. 177, 178 (même jour).

11 Révérences, oblations aux saintes : t. I. p. 166-168 (15 mars).

12 Sainte Catherine : t. I, p. 185-187 (17 mars après midi).

13 Secret sur ses voix : t. I, p. 128 (12 mars). L'observation sur le secret est du greffier : car on la retrouve uniformément à la marge des copies authentiques : Bibl. du Corps législ., B. 105 g, t. 570, fol. 29, v°; Bibl. nat., n° 5965, fol. 42, v°; n° 5966, fol. 59, v°. Le manuscrit d'Urfé, copie de la minute française, porte aussi une annotation marginale, Bibl. nat., Suppl. lat., n° 1383, fol. 20. v°.

14 Silence à l'égard de ses parents : t. I, p. 129 (12 mars).

15 Fille de Dieu : t. I, p. 130.
Etendards : t. I, p. 117. Elle explique ailleurs en quels termes elle avait reçu ce commandement : « Tout l'estaindard estoit commandé par nostre Seigneur, par les voix de sainctes Catherine et Margarite qui luy dirent : « Pren l'estaindard de par le Roy du ciel. » Et pour ce qu'ils lui dirent : « Pren l'estaindard de par le Roy du ciel, » elle y fist faire celle
figure de nostre Seigneur et de deux angles, et de couleur ; et tout le fist par leur commandement, » t. I, p. 181.
Armoiries, chevaux, etc. : « Interroguée s'elle avoit ung cheval quand elle fut prinse, respond qu'elle estoit à cheval, et estoit ung demi-coursier celluy sur qui elle estoit quant elle fut prinse.... Et en avoit cinq coursiers de l'argent du roy, sans les trottiers , où il en avoit plus de sept, etc., » t. I, p. 117-119 (10 mars). Cf. p. 78 (27 février).

16 Offrande à saint Denis, etc. : t. I, p. 179, 180 (17 mars).

17 L'étendard: t. I, p. 181-183 et 187 (même jour après midi). — Et si socius fueris poenæ, eris et gloriæ (De imitât. Christi, II.

18 Vœu de virginité, etc. : t. I, p. 127 (12 mars);
L'habit d'homme, p. 133 (même jour après midi); p. 161 (14 mars après midi); p. 164-166 (15 mars).

19 La chemise de femme : t. I, p. 176 (17 mars);
L'habit de femme pour partir : p. 177 et 179 (même jour).

20 Accusation de jurement, etc. : t. I, p. 157, 158 (14 mars, après midi; le proverbe : p. 172 (15 mars); cf. p. 65 (24 février).

21 Ses échecs : t. I, p. 146-148 (13 mars) ; p. 159(14, après midi).
Délivrance du duc d'Orléans : t. I, p. 133 (12. après midi).

22 Sa captivité prédite, etc. : t. I, p. 115-117 (10 mars).

23 Beaurevoir : t. 1, p. 150-152 (14 mars), et 160 (même jour, après midi) : « Je le faisoye, non pas en espérance de moy déespérer, mais en espérance de sauver mon corps et de aler secourir plusieurs bonnes gens qui estoient en nécessité. » Voy. ce que nous avons raconté dans l'histoire, ci-dessus, p. 13.

24 Procès, t. I, p. 163 (15 mars).

25 Ce qu'elle demandait : t. I, p. 154. — Avertissement à l'évêque : ibid. — Sa délivrance et son martyre : ibid. (14 mars).
Note du greffier : Bibl. du Corps législ., B 105 g, t. 570, fol. 35, r° ; Bibl. nat., n° 5965, fol. 51, r° ; n° 5966, fol. 70,r°. Le manuscrit d'Urfé note le passage par une accolade à la marge.

26 Procès, t. I, p. 156, 157 (même jour).

27 Procès, t. I, p. 162 (15 mars).

28 Procès, t. I, p. 166 (même jour).

29 Procès, t I. p. 174 (17 mars).

30 Procès, t. I, p. 175 (même jour).

31 Questions diverses : Se il luy a point esté révélé, s'elle perdoit sa virginité, qu'elle perdroit son eur et que ses voix ne luy vendaient plus : respond : « Cela ne m'a point esté révélé. » — Interroguée s'elle estoit mariée, s'elle croist point que ses voix luy vensissent : respond : « Je ne sçay ; et m'en actend à nostre Seigneur, » etc.: t. I, p. 181-183 (17, après midi).
Le Pape : p. 184.

32 Les anneaux, etc. : t. I, p. 185, 187 (même jour).

 

Jeanne d'Arc
Henri Wallon - 5°éd. 1879

Index

Avertissement
Préface

Introduction :

- La guerre de cent ans
- Charles VII et Henri VI
- Le siège d'Orléans

Livre IDomrémy et V...
I - L'enfance de J. d'Arc
II- Le départ

Livre II : Orléans
I - L'épreuve
II - Entrée à Orléans
III - La délivrance d'Orléans

Livre.III : Reims
I - La campagne de la Loire
II - Le sacre
III - La Pucelle

Livre.IV : Paris
I - La mission de J. d'Arc
II - La campagne de Paris
III - L'attaque de Paris

Livre.V :
Compiègne
I - Le séjour sur la Loire
II - Le siège de Compiègne

Livre.VI : Rouen - Les juges
I - Le marché
II - Le tribunal
III - Les procès-verbaux

Livre.VII : L'instruction
I - Les interrog. publics
II - Les interrog. de la prison
III - Les témoins

Livre.VIII : Le jugement
I - L'accusation
II - Les douze articles
III - Les consultations...
IV - La réponse de...

Livre.IX : L'abjuration
I - Le cimetière de St-Ouen
II - La relapse

Livre.X : Le supplice
I - La visite à la prison
II - La pl. du Vieux-marché

Livre.XI : La réhabilitation
I - La mémoire de Jeanne...
II - Le second procès...

Livre.XII : L'histoire

I - Les contemporains...
II - L'inspiration de J.d'Arc




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