Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index L.II-33- [Comment le Soudant et les Sarrasins déliberèrent d'aler conquerre tout le royaume de Cyppre.]

tem, après que les Sarrazins dont dessus est faite mention furent retournés du royaume de Cyppre en Surie, ils alèrent devers le Soudant, et en signe de victoire portèrent la teste et les esperons du chevalier qu'ils avoient occis, sur une lance, et crioient en hault par toute la ville du Kaire, que c'estoit la teste du frère du roy de Chippre nommé Henry, prince de Galilée; dont ils mentoient. Nientmains, pour ceste victoire tous les complices du Soudant et luy montèrent en tel orgueil, qu'ilz se délibérèrent du tout de faire si grande armée qu'ilz destruiroient tout le royaume de Cyppre. Or est vérité qu'en la ville de Damas estoit ung Sarrasin grand, riche et puissant, lequel par toute la Surie estoit réputé estre saint homme, et l'avoit le Soudant en grand révérence, et d'autre part estoit bon et cordial amy du roy de Cyppre. Et quant il vint à sa congnoissance de la destruction qu'avoient fait en Cyppre les six galées dessusdictes, il ala au Kaire devers le Soudant, et le reprist et le blasma de ce qu'il avoit commencé la guerre, et tant fist que le Soudant fust moult repentant de ce qu'il avoit fait, et accorda que ung bon accord y fust traictié. Pour lequel faire et atraire, se charga ce saint homme sarrasin d'envoyer son fils devers le roy de Cyppre traictier de ladicte paix, et de fait lui envoia. Mais quand il fu venu au pays, le Roy de Cyppre n'eut point conseil de parler à luy de sa personne, ains pour oyr ce qu'il demandoit y envoia ses ambaxadeurs, ausquelz, en conclusion, le ambaxadeur dessusdict ne volt dire nulle chose de son ambaxade et fist responce absolue, que se il povoit parler au roy, la paix se feroit à l'onneur de luy et de son royaume. Et les commis du roy de Cyppre luy remonstrèrent comment le Soudant fait avoit une folle emprise de commencer la guerre, pour ce qu'il auroit à faire à toute chrestienté. Et adonc respondi ledict ambaxadeur que le Soudant estoit bien informé du gouvernement des chrestiens, et que le roy de France, qui pour le temps passé avoit tousjours esté leur plus mortel ennemy, dormoit pour le présent, et que pour peu, ou nient, les doubtoit le Soudant. Après lesquelles parolles s'en retourna ledit ambaxadeur à Damas devers son père, et luy récita la manière comment le roy de Cyppre ne l'avoit voulu oyr. Pourquoy ledit saint homme fu très mal content, et demoura ennemy mortel dudict roy de Cyppre, et depuis ce jour continuelment conforta le Soudant, en luy enhortant de faire cruelle et forte guerre au roy de Cyppre, disant en oultre qu'il ne eust nulle doubte et qu'il demourroit victorien contre tous ses ennemys.

                                                 

Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
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