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19 mars 2024  

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Le doyen de Saint-Thibaud de Metz

n ignore le nom de cet ecclésiastique qui fut à la fois un citoyen dévoué de la république messine et un grand admirateur de la Pucelle. On sait seulement par son propre témoignage qu'il fut official de Metz et curé de Saint-Sulpice, puis de Saint-Eucaire, paroisses de la même ville, en même temps que doyen de la collégiale de Saint-Thibaud. Il reste de lui deux ouvrages où il s'étend avec un plaisir marqué sur le compte de Jeanne d'Arc.
  Le premier de ces ouvrages a été publié par dom Calmet parmi les preuves de son Histoire de Lorraine (tome II , col. cc). C'est une chronique de Metz, composée en langage lorrain, qui va de 1337 à 1445.
  L'autre écrit du Doyen de Saint-Thibaud est inédit. Il consiste en une liste chronologique des rois de France dressée jusqu'à Charles VII et terminée, sous la rubrique de ce prince, par le curieux morceau qu'on lira ci-après. Il porte la date du 24 janvier 1460 (vieux style). Nous le publions d'après le manuscrit de Cangé n° 122, à la Bibliothèque royale, qui renferme aussi une copie de la chronique de Metz. On remarquera que de l'un à l'autre de ses ouvrages, l'auteur a modifié son opinion sur la mort de Jeanne d'Arc. En 1445 (date probable de la composition de la chronique de Metz) il se refuse à y croire, et cela se conçoit : il avait vu la fausse Jeanne d'Arc, qui alla loger e
n 1436 dans un faubourg de Metz. En 1461, sans revenir positivement sur son dire, il déclare que, pour ce qui est de la fin de la Pucelle, il s'en rapporte aux cronicques qui en sont faites.

                                                                             *
                                                                      *           *
[extrait de la chronique de Metz]

1428. — Vous debvez sçavoir de cestuy roy Charles, dont j'ay parlé, qui fut plus de XV ans debouteit et deschassez de son pays et royaume de France par les Anglois, que par le confort et aides dou duc de Bourgongne, que les soustenoit et confortoit à son pouvoir de toutes gens, dont estoit contre droict et raison, et contre son serement : dont c'estoit grant pitié.
  En ceste année avint une moult grant merveille, comme vous orés cy après : car une jone fille native de pauvre laboureur de la ville de Dom-Remy on diocèse de Toul, se mist en voye, et fist tant par ses journées que vint par devers le roy Charles de France dessusdit, et fist tant que le roy accompaigniez de moult de gens vaillans et ses loyaux amis, il se mist on chemin de conquester son royaume de France ; et fit tant qu'il avint que en moins de trois mois, il conquist tellement partie de son dit royaume, que le dimanche XVIIe jour de juillet par M CCC et XXIX ans, il fut sacré en la cité de Reims. Et fut en partie par la prouesse de celle fille, appelée Jehanne ; car elle chevauchoit en armes moult hardiment, et portoit dès une moult grosse lance et une grande espée, et faixoit porter apprès elle une noble bannière poincturée de la benoiste Trinité et de la benoiste Vierge Marie. Encore avoit elle telle coustume que, ung chacun jour devant qu'elle montoit à cheval, elle oyoit II ou III messes, et se confessoit, et recevoit chancune sepmaine Nostre-Seignour Jésus-Crist. Et moult de bonnes villes, de chastelz, de cités, de forteresses elle aida à conquester, moyennant les gens dou roy ; mais au dernier elle fut prinse par les Angloiz et par les Bourguignons, qui estient contre la gentil flour de lys ; et fut moult longuement détenue en prison, et puis envoyée en la cité de Rouen en Normandie. Et là fut elle eschaffaudée et arce en ung feu, ce volt on dire ; mais depuis fut trouvé le contraire. Et disoit on que c'estoit sans cause, et que on li avoit faict par hayne.
  Encores fut il dit pour le temps qu'elle regnoit avec le bon roy Charles, que tantost après son sacre, qu'elle conseilloit bien d'aller devant Paris, et disoit pour vray qu'ilz la pranrient; mais ung sires appellé La Trimouille, qui gouvernoit le roy, destriat icelle chose ; et fut dict qu'il n'estoit mie bien loyaux audit roy son seigneur ; et qu'il avoit envie des faicts qu'elle faisoit, et fut coupable de sa prinse.

1429. —En celle année et en celluy temps, fut levé le siége que les Anglois tenoient devant la cité d'Orléans ; et en y ot grande partie de tués par Jehanne la Pucelle.
  Item en l'an precédent, avoit esté tués d'un cop de bombarde le comte de Salcybery. Et dixoit on que ces choses avient esté faictes par la vertus d'une pucelle, appellée Jehanne, qui estoit natifves du pays de près de Vauquellour ; et dixoit on que ces choses avient esté pronostiquées par certain mètres trouvés ès anciens livres de France, dont la tenour est telle :

            Gallorum pulli throno bella parabunt.
            Ecce beant bella, fert tunc vexilla Puella.


  Per hunc versum denotatur numerus anni, scilicet M CCCC XXIX :

            bis seX CVCVLLI, bls septeM se soCIabVnt (1).

  Item fuit etiani pronosticatum per alia metra, scilicet M CCCC XXIX :

            Cum fuerint anni completi mille ducenti
            Et decies deni fuerint in ordine pleni,
            Et duo sex deni fuerint in ordine pleni,
            Et duo sex deni vanient ab æquore remi :
            Tunc perit Anglorum gens pessima fraude suorum.


  En celle année, par le conseil de ladite Jehanne la Pucelle, vint Charles, roy de France en Champaigne à force d'armes, et print Troyes, Chaalons et Reims, et y fut couronné on mois de juillet ; et moult d'autres villes se rendirent à luy. Et on mois d'aoust, les II ost furent l'un devant l'autre, et ne se firent riens. Et le jour de la Nostre-Dame en septembre, la Pucelle assaillit la cité de Paris ; mais elle n'y fit riens de prouffict, et y fut navrée ; mais elle ne fut mie bien xeute (2) : per quoy fit tromper la retraicte.

1430. — Et en la mesme année, Phelippe, duc de Bourgoingne, avec les Anglois mixrent le siége devant Compiegne ; et un poc après Jehanne la Pucelle fut prinse et mise en la main des Anglois ; mais ledict siége, environ la Saint Luc (3) tantost après, fuit levés par les gens Charles roy de France, à la grant honte, à la grant confusion de messire Jehan de Lucembourg, capitaines des Bourguignons, pour ceu que les Bourguignons estient plus que les autres, et s'en fuyont honteusement.


         

[Extrait de la chronique du Doyen de Saint-Thibaud de Metz, imprimé par le Père Vignier, dans le Mercure galant du mois de novembre 1683, longtemps avant l'édition complète de l'ouvrage, indiquée dans notre t. IV, p. 321. La publication de ce morceau fit beaucoup de bruit. Elle donna lieu au paradoxe plusieurs fois soutenu depuis, que la Pucelle avait échappé au bûcher des Anglais. Le public qui donna un moment dans cette erreur, ignorait que dès 1650 Symphorien Guyon avait, dans son histoire d'Orléans, réduit à sa juste valeur le témoignage de l'annaliste messin ; que celui-ci même s'était corrigé ou avait été corrigé par un de ses contemporains, puisque dans un manuscrit de sa chronique ( voy. l'article qui suit) l'apparition de 1436 est donnée pour une supercherie. (Quicherat)]

  L'an M CCCC XXXVI, fut sire Phelepin Marcoulz maistre eschevin de Metz. Icelle année, le XXe jour de may, vint la Pucelle Jehanne qui avoit esté en France, à la Grange-aux-Hormes, près de Saint-Privay ; et y fut amoinnée pour parler à aucuns des seigneurs de Metz ; et se faisoit appeller Claude. Et le propre jour y vinrent veoir ces deux frères, dont l'un estoit chevalier, et s'appelloit messire Pierre ; et l'autre, Petit-Jehan, escuyerz. Et cuidoient qu'elle fut ars ; et tantost qu'ils la virent, ils la congneurent, et aussy fist elle eulx. Et le lundi, xxie jour doudit mois, ils l'ammoinont lor suer avecq eulx à Bacquillon, et ly donnaist le sire Nicole Lowe, chevalier, ung roussin du pris de XXX francs, et une paire de houzelz, et seignour Aubert Boulay ung chapperon, et sire Nicole Groingnat une espée. Et la dite Pucelle saillit sur ledit cheval très habillement, et dict plusiours choses au sire Nicole Lowe, dont il entendit bien que c'estoit celle qui avoit esté en France ; et fut recongneu par plusiours enseignes pour la Pucelle Jehanne de France, qui amoinnat sacrer le roy Charles à Reims ; et voulrent dire plusiours qu'elle avoit esté ars à Rouen en Normandie ; et parloit le plus de ses paroles par paraboles, et ne dixoit ne fuer ne ans de son intention ; et disoit qu'elle n'avoit point de puissance devant la Sainct-Jehan-Baptiste. Mais quant ses frères l'en orent moinnée, elle revint tantost en les festes de la Penthecoste en la ville de Mareville, enchieu Jehan Quenast ; et se tint là jusques environ trois sepmaines ; et puis se partist pour aller en Nostre-Dame-de-Liance, ly troisiesme ; et quant elle volt partir, plusiours de Metz l'allont veoir à ladite Mareville, et ly donnont plusieurs juelz, et là recougnurent ilz que c'estoit proprement Jehanne la Pucelle de France. Et adoncq ly donnait Joffroy Dex ung cheval, et puis s'en allait à Arelont, une ville qui est en la duchié de Lucembourg.
  Item, quant elle fut à Arelont, elle estoit tousjours de coste madame de Lucembourg; et y fut grant pièce, jusques à tant le filz le comte de Warnonbourg l'enmoinnoit à Coullongne. Et l'aymoit ledit comte très fort ; et tant que, quant elle en volt venir, il ly fist faire une très belle curesse pour el armer. Et puis s'en vint à ladicte Arelon ; et là fut faict le mariage de messire Robert des Hermoises, chevalier, et de la dite Jehanne la Pucelle. Et puis après s'en vint ledit siour des Hermoises avec sa femme la Pucelle demourer en Metz, en la maison ledit sire Robert, qu'il avoit devant Saincte-Segoleine ; et se tinrent là jusques tant qu'il lors plaisit.

[Extrait du Tableau des rois de France.]

  CHARLES qui reigne présentement, fust couronné à Rains le dix septiesme jour de juillet M CCCC XXIX. De cestuy Charles doient estre aussy belles cronicques et merveilleuses comme d'aulcuns précédant, excepté de Charlemaigne et de sainct Loys ; car il est escript en sa vie [avoir esté] en deux grandes extrémités, c'est assavoir premièrement, on temps de sa jeunesse, très pauvre et dechassé de son royaume, ou la plus grant partie, par les Anglois. Et ay autrefois ouye dire qu'il fut en telle pauvreté, pour le temps qu'il se tenoit à Bourges, que ung couvrexier (4) ne luy volt mie croire une paire de houzel ; et qu'il en avoit chaussez ung, et pour tant qu'il ne le pehut payer contant, il luy redechaussit ledict houzel, et luy convint reprendre ses vielz houzel. Et de faict, ses malveillans en firent une chanson par dérision, et estoit le commencement de ladicte chanson :

            Quant le roy s'en vint en France
            Il feit oindre ses houssiaulx,
            Et la royne luy demande :
            Où veult aller cest damoiseaulx ?


  
  Et pluiseurs autres soffertés et pauvretés ay je oy dire et conter de luy : dont je m'en raporte à ses cronicques. Or adveint en la melie de son aage ou environ, c'est assavoir en l'an mil IIIIc et vingt huict, que une jeune fille nommée Jehanne, dicte la Pucelle, de Dompremy sur Meuze, à deux lieues près de Neuf-Chastel en Lorraine, se fist moiner par devers le roy par le baillif de Chaumont, nommé seigneur Robert de Baudricourt ; lequel le fist bien envis, car ly sembloit que ce n'estoit que follie et dérision de seu que ladicte Pucelle disoit. Et quant ladicte Pucelle veint au lieu où le roy estoit, ains qu'elle parlist au roy, elle fut très bien examinée tant de la foy comme de la cause pourquoy elle estoit venue. Sur quoy elle respondit très saigement et tellement que l'évesque, doctours, clercz et cappitaines que l'interroguèrent, chacun à son affaire, furent très grandement contens d'elle et le rapportont au roy. Dont il fust bien content et joieulx et la fist venir par devers luy, et l'interrogat comme au cas appartenoit ; sy la trouvist sy ferme et sy constante en ses parolles, qu'il fust incontinent donné à elle ; car elle ly dict qu'il estoit ainsy ordonné de Dieu que, ainsy que le royaume de France estoit esté destruictz et perdus, qu'il convenoit que par une pucelle (laquelle elle estoit) fust restauré et recuperé. Et adoncque dit au roy premièrement tout son affaire et la manière qu'il convenoit tenir ; et s'il la vouloit croire et avoir [foy] en Dieu, en monsieur sainct Michel et madame saincte Catherine, et en elle, qu'elle le moinroit corroner à Reins et le remectroit paisible en son royaume ; et que le faict desiroit briefveté, car il y avoit desjà plus de trois ans qu'elle dehut avoir encommencier ; mais elle n'avoit pehu trouver aucun qui la voulxist condhuire ne amoiner devers luy. Et incontinent le roy la fist habiller et s'armer et monter en son plaisir.
  Or estoit ledit roy en la plus grand perplexité et tribulacions qu'il estoit encor esté, car les Anglois tenoient le siege devant Orléans : lequel siege estoit clout merveilleusement. Si priast et requist ladicte Pucelle audict roy qu'il ly voulxist trouver de ses gens et que, au plaisir de Dieu, elle entreprenroit de lever le siege, de combatre lesdiz Anglois, et qu'elle ne doubtoit point qu'elle ne dehut avoir victoire. Sy n'en faisoient les capitaines du roy qu'une dérision et mocquerie, disans : « Voicy ung vaillant champion et capitaine pour recupérer le royaume de France ! » Et murmuroient contre le roy et ses conseillers, excepté le duc d'Alençon et un capitaine courageux et de bon vouloir, nommé La Hierre, qui saillit en place et dit et jurat qu'il la seuvroit à tout sa compagnie où qu'elle le voulroit moiner : dont elle fust moult joyeuse. Et incontinant elle feit appareiller bannière, pannons, et estandart, et autres habit et artillerie à ce nécessaire; et montèrent à chevaulx joyeusement ; et en vinrent à pouc de gens contre lesdiz Anglois qui tenoient ledit siége devant Orléans, qui très fortement estient enclous oudict, et les courrut sus et assaillit sy vigoureusement et de bon couraige, en reclamant Dieu, sainct Michiel et saincte Catherine, que on pouc de temps elle levoit le siege et desconfit lesdictz Anglois. Et y fut tué le conte de Salibery qui estoit le principal capitaine desdictz Anglois ; dont lesditz Anglois furent tous espoventez et esbahis, et de là en avant, ilz leur mescheut de jour en jour.
  Et fut le premier fait que ladicte Pucelle feit, que fut moult profitable et aggréable audit roy et à tous ses cappitaines et conseillers ; et eurent parfaicte fiance en Dieu et en ladicte Pucelle, et se mirent du tout à son obéyssance et la suivirent par tout là où elle les vouloit moiner. Et eurent pluiseurs victoires contre lesdictz Anglois et qui gaignèrent plusieurs places, tant que, pour faire briefs, elle dechassit lesdictz Anglois de la plus grande partie dou royaulme de France et moinit courronner ledit roy à Saint-Remy de Rains, le XVIIe jour du mois de jullet l'an MIL IIIIC XXIX. Et fut trouvé la saincte Ampole remplie d'oille miraculeusement, comme on disoit. Pour lors il y eut grant triumphe et grande noblesse, comme à tel cas appartient. Et de là en avant succedoit audit roy de mieulx en mieulx, tellement qu'il tint aujourdhuy, XXIIIIe de janvier pour l'an LX, tout le royaulme avec ses appartenances paisiblement ; et tint encor le Bourdelois, la duchié de Normandie, le Daulphinée, la duché d'Allenfort (5), la conté d'Arminach et pluiseurs autres pays ; et a reigné et reigne merveilleusement en ses deux grandes extrémités, comme jà par avant dit. Le surplus de sa vie et de son reigne trouveront on plus à plain en sa cronicque, que seroit bien haulte et merveilleuse, comme je tiens ; car pour le présent je n'en sçaurois escripre la fin. Dieu doient qu'elle soit bonne. Des autres affaires de la Pucelle je m'en rapporte aussy ez cronicques qui en sont faicte, qu'est une chose bien merveilleuse.
  Ceste relacion est esté faicte et escrite féalement et hastivement par moy, doyen de sainct-Thiebault, curé de Sainct-Suplice, par l'an et ... dessusditz. Et estoit pour lors officiers de Metz.

                                                               
[extrait de la chronique de Metz]

1428. — Vous devez savoir de ce roi Charles, dont j'ai parlé, qu'il fut plus de quinze ans débouté et déchassé de son pays et royaume de France par les Anglais, et par le confort et aide du duc de Bourgogne, qui les soutenait et confortait à son pouvoir de toutes ses gens ; ce qui était contre droit et raison et contre son serment ; dont c'était grand pitié.
  En cette année advint une moult grande merveille, comme vous ouïrez ci-après; car une jeune fille native d'un pauvre laboureur de la ville de Domrémy au diocèse de Toul se mit en chemin, et elle fit tant par ses journées qu'elle vint pardevant le roi Charles de France dessus dit; elle fit tant que le roi accompagné de moult de gens vaillants et de ses amis se mit en voie de conquêter son royaume de France : et il fit tant qu'il advint qu'en moins de trois mois, il conquit une telle partie de son dit royaume, que le dimanche XVIIe jour de juillet, an MCCC et XXIX, il fut sacré en la cité de Reims, et ce fut en partie par la prouesse de cette fille appelée Jehanne. Elle chevauchait en armes moult hardiment, et portait dès lors une moult grande lance et une grande épée, et elle faisait porter après elle une noble bannière peinte de la benoite Trinité et de la benoite Vierge Marie. Elle avait encore cette coutume que un chacun jour, devant qu'elle montât à cheval, elle oyait deux ou trois messes, et se confessait, et recevait chacune semaine Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle aida à conquêter, moyennant les gens du roi, moult de bonnes villes, de chastels, de cités et de forteresses; mais en dernier lieu elle fut prise par les Anglais et par les Bourguignons qui étaient contre la gentille fleur de lys; elle fut moult longuement détenue en prison, et puis envoyée en la cité de Rouen en Normandie, et là elle fut mise en un échafaud et brûlée en un feu, à ce que l'on veut bien dire : mais depuis fut trouvé le contraire. Et l'on disait que c'était sans cause, et que on l'avait fait par haine.
  Il fut encore dit pour le temps qu'elle régnait avec le bon roi Charles, que bientôt après son sacre, elle conseillait bien d'aller devant Paris, et disait pour vrai qu'ils la prendraient ; mais un sire appelé La Trémouille qui gouvernait le roi, dérangea icelle chose, et il fut dit qu'il n'était pas du tout bien loyal audit roi son seigneur, et qu'il était jaloux des faits qu'elle faisait, et fut coupable de sa prise.

1429. — En cette année et en celui temps fut levé le siège que les Anglais tenaient devant la cité d'Orléans: et il y en eut une grande partie de tués par Jeanne la Pucelle.
  Item en l'an précédent, avait été tué d'un coup de bombarde, le comte de Salisbury et disait-on que ces choses avaient été faites par la vertu d'une Pucelle appelée Jeanne (6), qui était native de Vaucouleurs ; et dirait-on que ces choses avaient été pronostiquées par certains mètres (vers trouvés ès anciens livres de France, dont la teneur est telle :


            Gallorum pulli throno bella parabunt.
            Ecce beant bella, fert tunc vexilla Puella.


  Le vers suivant marque l'année 1429 :

            bis seX CVCVLLI, bls septeM se soCIabVnt (1).

  L'année de ces événements fut aussi prédite par d'autres vers que voici :

            Cum fuerint anni completi mille ducenti
            Et decies deni fuerint in ordine pleni,
            Et duo sex deni fuerint in ordine pleni,
            Et duo sex deni vanient ab æquore remi :
            Tunc perit Anglorum gens pessima fraude suorum.


  En icelle année, par le conseil de ladite Jeanne la Pucelle, vint Charles roi de France en Champagne, à force d'armes : il prit Troyes, Châlons et Reims, et y fut couronné au mois de juillet : et moult d'autres villes se rendirent à lui. Et au mois d'août, les deux armées furent l'une devant l'autre, et ne se firent rien. Et le jour de Notre-Dame en septembre la Pucelle assaillit la cité de Paris, mais elle n'y fit aucun profit, et elle y fut blessée ; c'est qu'elle ne fut pas bien suivie ; c'est pourquoi elle fit sonner la retraite (7).

1430. — Et en la même année, Philippe, duc de Bourgogne, avec les Anglais mirent le siège devant Compiègne : et un peu après Jeanne la Pucelle fut prise et mise en la main des Anglais, mais ledit siège, bientôt après la Saint-Luc fut levé par les gens de Charles roi de France, à la grande honte, à la grande confusion de messire Jean de Luxembourg, capitaine des Bourguignons, pour ce que les Bourguignons étaient plus que les autres, et qu'ils s'enfuirent honteusement.


[Extrait du Tableau des rois de France.]

Charles qui règne présentement fut couronné à Reims le 17e jour de juillet 1429. De celui Charles les chroniques doivent être aussi belles et merveilleuses que d'aucuns des prédécesseurs, excepté de Charlemagne et de saint Louis ; car il est écrit en sa vie, qu'il a été en deux grandes extrémités, à savoir premièrement au temps de sa jeunesse, où il fut très pauvre et chassé de son royaume, ou de la plus grande partie, par les Anglais. J'ai ouï dire autrefois qu'il fut en telle pauvreté, au temps où il se tenait à Bourges, qu'un cordonnier ne voulut nullement lui faire crédit d'une paire de bottes ; il en avait chaussé une, et parce qu'il ne put le payer comptant, il lui déchaussa ladite botte, et il lui fallut reprendre la vieille chaussure. Et de fait, ses malveillants en firent par dérision une chanson, dont le commencement était :

            Quant le roy s'en vint en France
            Il fit cirer ses houseaux,
            Et la reine lui demande :
            Où veut aller ce damoiseau ?


  J'ai ouï dire et conter sur lui plusieurs autres souffrances et pauvretés ; je m'en rapporte à ses chroniques. Or il advint en la moitié de son âge ou environ, c'est à savoir en l'an mil IIIIe et vingt-huit (a. st.) qu'une jeune fille nommée Jeanne, dite la Pucelle, de Domrémy-sur-Meuse, à deux lieues près de Neufchâteau en Lorraine, se fit mener par devers le roi par le bailli de Chaumont, nommé le seigneur de Baudricourt ; lequel le fit bien malgré lui, car il lui semblait que ce n'était que folie et dérision de ce que ladite Pucelle disait. Quand ladite Pucelle vint au lieu où le roi était, avant qu'elle parlât au roi, elle fut très bien examinée tant sur la foi comme sur la cause pourquoi elle était venue. Sur quoi elle répondit très sagement, et tellement que l'évêque, les docteurs, clercs et capitaines qui l'interrogèrent, chacun à son affaire, furent très grandement contents d'elle et le rapportèrent au roi. Ce dont il fut bien content et joyeux; et il la fit venir par devers lui, et l'interrogea comme au cas il appartenait; il la trouva si ferme et si constante en ses paroles qu'il fut incontinent conquis à elle; car elle lui dit qu'il était ainsi ordonné de Dieu que, ainsi que le royaume de France avait été détruit et perdu (par une femme), il convenait qu'il fut restauré et récupéré par une Pucelle, laquelle elle était. Et alors elle dit au roi pour la première fois toute son affaire et la manière qu'il convenait de tenir; et que s'il la voulait croire et avoir foi en Dieu, en M. saint Michel et Mme sainte Catherine et en elle, elle le mènerait couronner à Reims et le remettrait paisible en son royaume; que le fait demandait prompte exécution; car il y avait déjà plus de trois ans qu'elle aurait dû avoir eu commencé ; mais elle n'avait pu trouver aucun qui la voulût conduire, ni amener devers lui. Et incontinent le roi la fit habiller, armer et monter, à son plaisir.
  Or, ledit roi était en la plus grande perplexité et tribulation qu'il eût encore été, car les Anglais tenaient le siège devant Orléans; lequel siège était clos merveilleusement. Aussi ladite Pucelle pria et requit ledit roi qu'il lui voulût trouver de ses gens et que, au plaisir de Dieu, elle entreprendrait de lever le siège, de combattre lesdits Anglais, et qu'elle ne doutait pas qu'elle ne dût avoir victoire. Cependant les capitaines du roi n'en faisaient que dérision et moquerie, disant : « Voici un vaillant champion et capitaine pour récupérer le royaume de France. » Et ils murmuraient contre le roi et ses conseillers, excepté le duc d'Alençon, et un capitaine courageux et de bon vouloir, nommé La Hire, qui saillit en place (s'offrit) et dit et jura qu'il la suivrait avec toute sa compagnie, partout où elle voudrait le mener; ce dont elle fut moult joyeuse. Incontinent elle fit appareiller bannière, pannons et étendards, et autres objets et artillerie à ce nécessaires. Ils montèrent à cheval joyeusement, et vinrent avec peu de gens contre lesdits Anglais qui tenaient ledit siège devant Orléans, qui était merveilleusement enclos. La Pucelle leur courut sus et les assaillit si vigoureusement et de si bon courage, en réclamant Dieu, saint Michel et sainte Catherine, que, en peu de temps, elle leva le siège et déconfit lesdits Anglais. Et y fut tué le comte de Salisbury qui était le principal capitaine desdits Anglais ; dont lesdits Anglais furent tous épouvantés et ébahis ; et de là en avant il leur arriva mal de jour en jour.
  Ce fut le premier fait que ladite Pucelle fit. Il fut moult profitable et agréable audit roi et à tous ses capitaines et conseillers, et ils eurent parfaite confiance en Dieu et en ladite Pucelle, et ils se mirent du tout en son obéissance, et ils la suivirent partout où elle les voulait mener. Ils eurent plusieurs victoires contre lesdits Anglais et gagnèrent plusieurs places, tant que pour faire brief, elle chassa lesdits Anglais de la plus grande partie du royaume de France, et mena couronner ledit roi à Saint-Remy de Reims, le dix-septième jour du mois de juillet, l'an 1429 et la sainte ampoule fut trouvée remplie miraculeusement d'huile, ainsi qu'on le disait. Il y eut grand triomphe et grande noblesse, comme à tel cas il appartenait. De là en avant, les affaires succédèrent au roi de mieux en mieux, tellement qu'il tient aujourd'hui, XXIII de janvier de l'an LX, tout le royaume avec ses appartenances, paisiblement ; il tient encore le Bordelais, la duchié de Normandie, le Dauphiné, la duchié d'Allenfort (d'Alençon), la comté d'Arminac et plusieurs autres pays; il a régné et il règne merveilleusement en ces deux grandes extrémités, comme déjà il a été dit par avant. Le surplus de sa vie et de son règne, on pourrait le trouver plus à plein dans sa chronique, qui serait bien haute et bien merveilleuse, ainsi que je tiens ; car pour le présent je n'en saurais écrire la fin. Dieu donne qu'elle soit bonne. Des autres affaires de la Pucelle, je m'en rapporte aussi aux chroniques qui en sont faites; qui est une chose bien merveilleuse.
  Cette chronique a été faite et écrite fidèlement et hâtivement par moi doyen de Saint-Tiébaud, curé de Saint-Supplice, par l'an et... dessusdits, et étais pour lors officier de Metz.

                                                 


Source : Présentation et texte original : Quicherat, t.IV, p. 321 et suiv.
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.IV, p. 287 et suiv.


Notes :
1 Ce vers, ainsi que les deux précédents, a été déjà rapporté dans le mémoire de Jean Bréhal. Voyez t. III , p. 338. Quicherat)

2 Suivie (Quicherat)

3 La St-Luc était le 18 octobre, le siège fut levé le 25 octobre. (Ayroles)

4 Cordonnier en patois lorrain.(Quicherat)

5 Sans doute Alençon, confisqué sur le duc titulaire en 1456.(Quicherat)

6 Salisbury fut tué six mois avant l'arrivée de la Pucelle. (Ayroles)

7 Ce n'est pas elle qui fit sonner la retraite (Ayroles)




Les chroniques

Index


Les chroniqueurs "français" :
- la geste des nobles français
- la chronique de la Pucelle
- le journal du siège d'Orléans
- la chronique de Jean Chartier
- la chronique de Perceval de Cagny
- la relation du greffier de La Rochelle
- la chronique de Tournay
- l'histoire de Charles VII de Thomas Basin
- la chronique du héraut d'armes Berri
- le registre delphinal de Thomassin
- la chronique de Richemont
- le miroir des femmes vertueuses
- la chronique fête du 8 mai
- l'abbréviateur du procès
- doyen de St-Thibaud de Metz

Les chroniqueurs "anglo-bourguignons" :
- La chronique de Monstrelet
- La chronique des Cordeliers de Paris
- Gilles de Roy
- Le Bourgeois de Paris
- La chronique de P. Cochon
- La chronique de Jean Wavrin
- La chronique de Chastellain
- Le registre du parlement de Paris
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Les chroniqueurs étrangers :
- la chronique de Windecke
- la chronique de Morosini
- les mémoires de Pie II



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Jeanne d'Arc, histoire et dictionnaire