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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.II-65 - Comment le duc de Bethfort assambla gens d'armes pour aller combatre le roy Charles, et comment il lui envoia unes lettres.

n ce mesme temps, le duc de Bethfort régent, à tout dix mille combatans ou environ qu'il avoit assamblés d'Angleterre, de Normendie et d'aulcunes aultres marches de France, se tira de Rouen à Paris, et de là par pluiseurs journées, tendans à rencontrer le roy Charles pour à lui et à sa puissance livrer bataille, s'en ala par le pays de Brie à Monstereau ou Fault Yonne. Duquel lieu il envoia ses messages devers le dessusdit Roy, portant ses lettres seellées de son seel. Desquelles la teneur s'ensuit.

  « Nous Jehan de Lancastre, régent de France et duc
de Bethfort. Scavoir faisons à vous, Charles de Valois, qui vous soliés nommer Daulphin de Viennois, et maintenant sans cause vous dites Roy, que pour ce que torcionnièrement avez de nouvel entrepris contre la couronne et la seigneurie de très hault et excellent prince et mon souverain seigneur, Henri, par la grace de Dieu, vray, naturel et droiturier roy de France et d'Angleterre, par donnant à entendre au simple peuple que venez pour lui donner paix et seureté, ce que n'est pas, ne ne puet estre par les moyens que avez tenus et tenez, qui faites séduire et abuser le peuple ignorant et vous aidiés plus de gens suppersticieus et reprouvés, comme d'une femme desordonnée et diffamée, estant en habit d'homme et de gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant, appostat et sédicieux, comme nous sommes informés; tous deux, selonc la Saincte Escripture, abhominables à Dieu; qui par force et puissance d'armes avez occupé ou pays de Champaigne et aultre part, aulcunes cités, villes et chasteaulx apartenans à mondit seigneur le roy, et les subgiez demourans en ycelles constraint et induict à desloyaulté et parjurement, en leur faisant rompre et violer la paix finale des royaumes de France et d'Angleterre, sollempnellement jurée par les rois de France et d'Angleterre qui lors vivoient, et les grans seigneurs, pers, prélats, barons, et Trois Estas de ce royaume; nous, pour garder et deffendre le vray droit de mondit seigneur le roy, et vous et vostre puissance rebouter de ses pays et seigneuries, à l'ayde du Tout-Puissant nous sommes mis sus et tenons les champs en nostre personne, en la puissance que Dieu nous a donnée. Et comme bien avez sceu et sçavez, vous avons poursuivi et poursuivons de lieu en lieu pour vous cuidier trouver ou rencontrer, ce que n'avons encore peu faire, pour les advertissemeus que avez fais et faites. Pour quoy, Nous, qui de tout nostre ceur désirons l'abrégement de la guerre, vous sommons et requerrons que, se vous estes tel prince qui quérés honneur et ayez pitié et compacion du povre peuple chrestien, qui tant longuement à vostre cause a esté très inhumainement traictié, foulé et opprimé, et que briefment soit hors de ces afflictions et douleurs, sans plus continuer la guerre, prenez au pays de Brie, où, vous et nous sommes, ou en l'Isle de France, qui est bien prouchaine de nous et de vous, aulcune place aux champs, convenable et raisonnable, avec jour briefet compétent et tel que la prouchaineté des lieux, ou nous et vous sommes, pour le présent le puet souffrir et demander. Auxquelz jour et place, se comparoir y voulez en vostre personne, avec le conduict de la difformée femme, et apostat dessusdicte, et tous les parjures et aultres puissance telle que vouldrez et pourrez avoir, Nous, au plaisir de nostre Seigneur, y comparerons au nom de mondit seigneur le roy, en nostre personne. Et lors, se vous voulez aulcune chose offrir ou mettre avant regardant le bien de paix, nous l'orrons, et ferons tout ce que bon prince catholique doibt et puet faire. Et tous jours sommes et serons enclins et volontaires à toutes bonnes voies de paix, non fainte, corrompue, dissimulée, violée ne parjurée, comme à Monstreau fault Yonne celle dont, par vostre coulpe et consentement, s'ensuivit le très horrible, détestable et cruel murdre commis contre loy et honneur de chevalerie, en la personne de feu nostre très chier et très amé père, le duc Jehan de Bourgongne, cuy Dieux pardoinst. Par le moyen de laquelle paix par vous enfrainte, violée et parjurée, sont demourés et demeurent à tous jours mais, tous nobles et aultres subgetz de ce royaume et d'ailleurs, quittes et exemptz de vous et de vostre seigneurie, à quelque estat que vous ayez peu ou povez venir, et tous seremens de féaulté et de subjection les avez absolz et acquittés, comme par vos lettres patentes, signées de vostre main et de vostre seel, puet clèrement apparoir. Toutes voies, se pour le iniquité et malice des hommes ne povons proufiter au bien de paix, chascun de nous pourra bien garder et deffendre à l'espée sa cause et sa querelle, ainsi que Dieu, qui est seul juge, et auquel, et non à autre, mondit seigneur a à respondre, lui en donra grace. Auquel nous supplions humblement, comme à cellui qui scel et connoist le vrai droit et légitime querelle de mondit seigneur, que disposer en vuelle en son plaisir. Et par ainsy, le peuple de ce royaulme, sans telz foulemens et oppressions, pourra demourer en longue paix et seur repos, que tous rois et princes chrestiens qui ont gouvernement doivent quérir et demander. Si nous faictes sçavoir hastivement et sans plus délayer, ne passer temps par escriptures ne argumens, ce que faire ne vouldrez. Car se par vostre deffault plus grans maulx, inconvéniens, continuacions de guerre, pilleries, rançonnemens, occisions de gens et dépopulacions de pays adviennent, nous prenons Dieu en tesmoing et protestons devant lui et les hommes, que n'en serons point en cause, et que nous avons fait et faisons nostre debvoir. Et nous nous mettons et voulons mettre en tous termes de raison et d'honneur, soit préalablement, par moyen de paix ou journée de bataille de droit prince, quand autrement entre puissans et grans parties ne se pueent faire. En tesmoing de ce, nous avons fait seeller ces présentes de nostre seel.
  Donné audit lieu de Monstreau où Fault Yonne, le VIIe jour d'aoust, l'an de grace mil quatre cens vingt neuf. Ainsi signé. Par monseigneur le Régent du royaume de France duc de Bethfort. »


                                                   

  Pendantce même temps, le régent, duc de Bedford, ayant réuni à peu près dix mille combattants, amenés d'Angleterre ou recrutés en Normandie et en quelques autres marches de France, vint de Rouen à Paris, et partit de Paris, cherchant à rencontrer le roi Charles pour lui livrer bataille; il chemina durant plusieurs jours à travers la Brie, et arrivé à Montereau-fault-Yonne, il envoya par ses messagers des lettres scellées de son sceau, dont voici la teneur :

  « Nous, Jean de Lancastre, régent de France et duc de Bedford, à vous, Charles de Valois, qui aviez coutume de vous nommer Dauphin de Viennois, et maintenant sans cause vous dites roi ; c'est injustement que vous avez formé de nouvelles entreprises contre la couronne et la seigneurie de très haut et excellent prince, et mon souverain seigneur, Henri, par la grâce de Dieu, vrai, naturel et droiturier roi de France et d'Angleterre, en donnant à entendre au simple peuple que vous venez pour lui donner la paix et la sécurité. Cela n'est pas et ne peut être, vu les moyens que vous avez tenus et tenez encore, vous qui faites séduire et abuser le peuple ignorant, et vous faites aider principalement, ainsi que nous en sommes informé, par des gens superstitieux et condamnés, tels qu'une femme désordonnée, travestie, portant vêtement d'homme, et de gouvernement dissolu, et aussi d'un Frère mendiant, apostat et séditieux, tous deux, selon la Sainte Écriture, abominables à Dieu; vous, qui, par force et par la violence des armes, avez occupé au pays de Champagne et ailleurs plusieurs cités, villes et châteaux appartenant à Monseigneur le roi; vous qui avez contraint et induit les sujets qui y demeuraient à se montrer déloyaux et parjures, en leur faisant rompre et violer la paix finale des royaumes de France et d'Angleterre, paix solennellement jurée par les rois de France et d'Angleterre alors vivants, et par les grands seigneurs, prélats, barons, et par les trois États de ce royaume. Nous, pour garder et défendre le vrai droit de mondit seigneur le roi, et, à l'aide du Tout-Puissant pour vous repousser vous et votre armée de ses pays et seigneuries, nous nous sommes mis en campagne,
nous tenons les champs de notre personne avec les forces que Dieu nous a données ; et comme vous l'avez su et le savez, nous vous avons poursuivi et nous vous poursuivons de lieu en lieu dans l'espérance de vous trouver et vous rencontrer ; ce que nous n'avons pas encore pu faire, parce que vous vous êtes dérobé et vous dérobez encore. C'est pourquoi nous qui désirons de tout notre coeur que la guerre soit abrégée, nous vous sommons et vous requérons, si vous êtes un prince ami de l'honneur, que vous ayez pitié et compassion du pauvre peuple chrétien, qui depuis longtemps à cause de vous a été inhumainement traité, foulé et opprimé, pour que bientôt il soit à l'abri de tant d'afflictions et de douleurs, et que la guerre prenne fin. Prenez au pays de Brie, où nous sommes vous et nous, ou en l'Ile-de-France qui est bien voisine de tous deux, une place aux champs qui soit convenable et raisonnable ; fixez un jour prochain et apte, tel que peut le comporter et le demande le voisinage des lieux où nous sommes pour le présent, nous et vous. Si, en ce jour et en ce lieu, vous voulez comparaître en votre personne, escorté par la femme travestie et par l'apostat ci-dessus désigné, escorté par tous les parjures et autres auxiliaires que vous voudrez et pourrez trouver, nous, au plaisir de Notre-Seigneur, nousy comparaîtrons, c'est-à-dire Monseigneur le roi en notre personne. Et alors si vous voulez offrir, ou mettre en avant quelque chose pour le bien de la paix, nous prêterons l'oreille, et nous ferons tout ce que doit et peut faire un prince catholique. Nous sommes et serons toujours enclin et disposé à prendre toutes les bonnes voies d'une paix non feinte, ni altérée, ni dissimulée, ni violée ou parjurée, telle que le fut à Montereau-fault-Yonne, celle dont par votre faute et votre consentement, provint le terrible, détestable et cruel meurtre commis contre les lois et l'honneur de la chevalerie, en la personne de feu notre cher et très aimé père, le duc Jean de Bourgogne, que Dieu pardonne. Cette paix ayant été ainsi enfreinte, violée et parjurée par vous, tous les nobles, tous les sujets de ce royaume et d'ailleurs, sont demeurés et demeurent à tout jamais quittes et libres de vous et de votre obéissance, à quelque état que vous ayez pu et puissiez venir ; vous les avez absous et déliés de tout serment de fidélité et de sujétion, comme cela peut être démontré clairement par vos lettres patentes signées de votre main et scellées de votre sceau. Toutefois, si, à cause de l'iniquité et de la malice des hommes, nous ne pouvons arriver au bien de la paix, chacun de nous pourra bien garder et défendre sa cause et sa querelle par l'épée, ainsi que lui en donnera grâce Dieu, qui en est le seul juge, et auquel et pas à un autre, mondit seigneur doit en répondre. Nous le supplions très humblement, comme celui qui connaît le vrai droit et la juste querelle de mondit seigneur, de vouloir en disposer à son plaisir. Par suite le peuple de ce royaume, désormais à l'abri de si grands foulements et si grandes oppressions, pourra demeurer en longue paix, sécurité et repos ; ce que doivent quérir et demander tous les rois et princes chrétiens, qui ont charge de gouvernement. Faites-nous donc savoir promptement, sans plus de délai, et sans perdre le temps en écritures et en arguties, ce que vous en voudrez faire; car si par votre faute adviennent de grands maux et inconvénients, tels que continuation de la guerre, pillages, rançonnements et occisions de gens, nous prenons Dieu à témoin, et nous protestons devant lui, etdevant les hommes, que nous n'en serons pas la cause, et que nous avons fait et faisons notre devoir, que nous nous mettons et voulons nous mettre en tous termes de raison et d'honneur, soit préalablement par le moyen de la paix, soit par journée de bataille, en vertu du droit des princes, puisque autrement il ne se peut faire entre puissants princes. En témoin de ce, nous avons fait sceller les présentes de notre sceau.
  Donné audit lieu de Montereau-où-fault-Yonne, le septième jour d'août de l'an mil quatre cent vingt-neuf. Ainsi signé: Par Monseigneur, Le régent du royaume de France, Le duc DE BEDFORD. »


                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)
Mise en Français plus moderne : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III.





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