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10 décembre 2024  

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L'abréviateur du procès - index
p. 32 à 49 du ms.

OUBLE DE LA CEDULLE de la sommacion faicte par l'evesque de Beauvoys au duc de Bourgoingne et messire Jehan de Luxembourg pour rendre la Pucelle.

  C'est ce que requiert l'evesque de Beauvoys a monseigneur le duc de Bourgoingne, a monseigneur Jehan de Luxembourg, et au bastard de Vendosme, de par le roy nostre syre, et de par luy, comme evesque de Beauvoys.
  Que celle femme [33] nommee Jhenne la Pucelle, prisonniere, soit envoyee au roy pour la delivrer a l'Eglise, pour luy faire son procez ; pour ce qu'elle est suppessonnee et diffamee d'avoir commis plusieurs crimes, comme sortileges, ydolatries, invocacions d'ennemys et autres plusieurs cas touchant nostre foy et contre icelle. Et, combien qu'elle ne doye point estre de prinse de guerre, comme il semble, consideré ce qui dit est, neantmoins pour la remuneracion de ceulx qui l'ont prinse et detenue, le roy veult liberalement leur bailler jusques a la somme de VI M livres ; et pour ledit bastard qui l'a prinse, [luy donner et assigner] rente pour soustenir son estat, jusques a deux ou troys cens livres.
  Item, ledit evesque requiert de par luy aux dessusdits et a chascun d'iceulx, comme icelle femme ait esté prinse en son dyocese et soubz sa jurisdicion spirituelle, qu'elle luy soit rendue pour luy faire son procez, comme il appartient. A quoy il est tout prest de entendre par l'assistence de l'inquisiteur de la foy, si besoing est, par [l'assistence] des docteurs en theologie, en decret et [aultres] notables personnes, expers en fait de judicature, ainsy que la matiere requiert ; affin qu'il soit deuement et meurement faict a [exaltacion] de la foy, et l'instruction de ceulx qui ont esté en ceste matiere deceuz et abusez, a l'occasion d'icelle femme.
  Item, et en la parfin. se, par la maniere avantdicte, les dessusdits ou aulcun d'eulx ne voulloyent estre contens ne obtemperer a ce que dessus est dit, combien que la prinse d'icelle femme ne soit pareille a la prinse de roy, prince ou aultres gens de grand estat, lesquelz toutesfoys, se prins estoyent ou aulcun de tel estat, fust le roy, le daulphin, ou aultre prince, le roy le pourroit avoir, s'il voulloit, [34] en baillant au [prenant] dix mil frans, selon le droit, usaige et coustume de France, ledit evesque somme et requiert les dessusdits, au non comme dessus, que ladicte Pucelle luy soit delivree, en baillant seureté de ladicte somme de dix mil frans, pour toutes choses quelconques ; et ledit evesque, de par luy, selon les formes et peines de droit, la requiert a estre a luy baillee et delivree, comme dessus.

        

DOUBLE DES LECTRES DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS A MESSIRE JEHAN DE
LUXEMBOURG, pour la rendicion de la Pucelle.


  TRES NOBLE, HONNORÉ et puissant seigneur, nous nous recommandons tres affectueusement a vostre haulte noblesse.
  Vostre noble prudence sçait bien et congnoist que tous bons chevaliers catholicques doibvent leur force et puissance employer premierement au service de Dieu ; en especial, le serment premier de l'ordre de chevalerie, qui est garder et deffendre l'honneur de Dieu et la foy catholicque et sa saincte Eglise. De ce serment vous est bien souvenu, quand vous avez vostre noble puissance et presence personnelle employee a apprehender telle femme qui se dict la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a esté sans mesure offensé, la foy excessivement blecee, et l'Eglise trop fort deshonnoree.
  Car, par son occasion, ydolatries, erreurs, maulvaises doctrines, et aultres maulx et inconveniens irreparables, se sont ensuiviz en ce royaulme. Et en verité tous loyaulx chrestiens vous doibvent mercyer grandement d'avoir faict [35] si grand service a nostre saincte foy et a tout ce royaulme. Et quand a nous, nous en remercyons Dieu de tous noz couraiges et vostre noble prouesse, tant comme le povons. Mais peu de chose seroit avoir faict telle prinse, s'il ne s'en suivoit ce qu'il appartient pour satisfaire a l'offense par icelle femme perpetree contre nostre tres doulx Createur, en sa foy et sa saincte Eglise, avecques ses aultres mesfectz innumerables, comment on dit ; et seroit plus grand inconvenient que onques mez ; et si seroit intolerable offence contre la maiesté divine, si ceste femme demouroit en ce point, ou que il advint que icelle femme fust delivree ou perdue, comme ont dit aulcuns adversaires soy vouloir efforcer de faire et applicquer tous leurs entendemens par toutes voyes exquises, soit par argent ou rançon. Mais nous espoerons que Dieu ne permetra pas advenir si grand mal sur son peuple ; et que ainsy vostre bonne et noble prudence ne le souffrira pas, mais y saura bien pourveoir convenablement. Car, se ainsy estoit faicte delivrance d'icelle sans convenable reparacion, ce seroit deshonneur irreparable a vostre grande noblesse et a tous ceulx qui de ce se seroyent entremis. Mais, a ce que tel esclande cesse le plus tost que faire ce pourra, comme le besoing est, pour ce que en ceste matiere le delay est trop perilleux et tres preiudiciable en ce royaulme, nous supplyons tres humblement et de cordialle affection a vostre puissante et honoree noblesse que, en faveur de l'honneur divin, a la conservacion de foy, au bien et exaltacion de tout ce royaulme, vous baillez icelle femme a la metre en justice [36] et envoyez par de ça a l'inquisiteur de la foy, qui icelle a requise et requiert tres instamment pour faire discution de ses grandz charges, tellement que Dieu en puisse estre content et le peupple ediffîé deuement et en bonne et saincte doctrine ; ou vous plaise icelle femme rendre et delivrer a reverend pere en Dieu et nostre tres honnoré seigneur, l'evesque de Beauvoys, qui icelle a pareillement requise, a la jurisdiction duquel elle a esté apprehendee ; et, comme on dit, les prelatz et inquisiteur sont juges d'icelle en la matiere de la foy ; et est tenue obayr tout chrestien, de quelque estat qu'il soit, à eulx, en ce cas present, sur les peines de droit qui sont grandes. Et en ce faisant, vous acquerrez la grace et amour de la haulte divinité ; vous serez moyen de l'exaltacion de la saincte foy ; et aussy accroisserez la gloire de vostre hault et noble non, et mesmement de tres hault et tres puissant prince, nostre tres redoubté et le vostre, monseigneur le duc de Bourgoingne ; et sera chascun tenu a prier Dieu pour la prosperité de vostre tres noble personne ; laquelle Dieu nostre Saulveur veuille conduire par sa saincte grace en tous ses affaires, et finablement luy retribuer joye sans fin.

  Escript a Paris le XIIIIme jour de juillet, mil IIIIccXXX.


Ensuit la teneur des lectres envoyees par ladicte Jhenne au roy d'Angleterre, duc de Bethfort et aultres seigneur.

  ROY DE ANGLETERRE et vous, duc de Bethfort, qui vous dictes regent le royaulme de France ; vous, Guillaume de la Poulle, conte de Suffort ; Jehan syre de Tallebot ; et vous, Thommas, syre Descalles, qui vous dictes lieutenan dudit duc de Bethfort,
  Faictes raison au Roy du ciel. Rendez a la Pucelle qui est envoyee de par Dieu le Roy du Ciel, les clefz de toutes les bonnes villes que vous avez prinses et violees en France. Elle est icy venue de par Dieu le Roy du Ciel pour reclamer le sang royal. Elle est toute preste de faire paix se vous luy vouliez faire raison, par ainsy que France vous mectez ius, et payez ce que vous l'avez tenu.
  Et oultre vous, archiers, compaignons de guerre, gentilz et aultres qui estes devant la ville d'Orleans, allez vous en, de par Dieu, en vostre pays. Et se ainsy ne le faictes, actendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous yra veoir brefvement, a voz bien grans dommaiges.
  Roy d'Angleterre, se ainsy ne le faictes, je suis chef de guerre, et en quelque lieu que je actaindray voz gens en France, je les en feray aller, veuillent ou non. Et se ilz ne veullent obayr, je les feray tous occire. Je suis icy envoyee de par Dieu le Roy du ciel, corps pour corps, vous boutter hors de toute France. Et se ilz veuillent obayr, je les prendray a mercy. Et ne ayez point en vostre oppinion, car vous ne tiendrez point le royaulme de France de Dieu le Roy du Ciel, filz de saincte Marie. Ains le tiendra le roy Charles, vray herithier. Car Dieu le Roy du ciel le veult, et luy est revelé par la Pucelle. Lequel entrera a Paris en belle compaignie et bonne.
  Se ne voulez croire les nouvelles [38] de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous frapperons dedens et y ferons ung grand hahay, que encoires mil ans a que en France ne fut si grand, si vous ne faictes raison. Et croyez fermement que le Roy du Ciel envoira plus de force a la Pucelle que vous ne luy sçauriez mener de tous assaulx a elle et a ses bonnes gens d'armes. Et aux horions verra l'en qui aura le meilleur droit de Dieu du Ciel.
  Vous, duc de Bethfort, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous
faictes point destruire.
  Se vous luy faictes raison, encoires pourrez vous venir en sa compaignie
veoir que les Françoys feront le plus beau faict que oncques fut faict pour la
chretiente.
  Et faictes responce se vous vouliez faire paix en la cyté d'Orleans. Et si
ainsy ne le faictes, de voz biens grands dommaiges vous souviengne brievement.

  Escript ce mardy sepmaine saincte [1429].


Ensuit la teneur des lectres envoyees par le roy de Angleterre.
TENOR LITTERARUM REGIS [un blanc] de reddicione Johanne dicte le Pucelle episcopo Balvacensi.


[H]ENRY, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET D'ANGLETERRE,
a tous ceulx qui ces presentes lectres verront, salut.
  Il est assez notoire et commun, comme, depuis aulcun temps en ça, une femme, qui se faict appeller Jhenne la Pucelle, laissant l'habit et vesture de sexe feminyn, c'est, contre la loy divine, comme chose abhominable a Dieu, repunee et deffendue [39] de toute loy, vestue, habillee et armee en estat et habit d'homme ; a faict et excerce cruel faict de homicides ; et, comme l'en dit, a donne a entendre au simple peuple, pour le seduire et abuser, qu'elle estoit envoyee de par Dieu, et avoit congnoissance de ses secretz divins, ensemble plusieurs aultres dogmatizacions tres pe[ri]culeuses, et a nostre foy catholicque tres preiudiciables et scandaleuses ; en poursuivant par elle lesquelles abusions, et excersant hostilite a l'encontre de nous et nostre peuple, a esté prinse armee devant Compieigne, par aulcun de noz loyaulx subiectz, et depuis emmenee prisonniere par devers nous. Et, pour ce que de supersticions, faulces dogmatizacions, et aultres crimes de leze maieste divine, comme l'en dit, a esté de plusieurs reputee suspecte, notee et diffamee, avons esté requis tres instamment par reverend pere en Dieu, nostre amé et feal conseiller l'evesque de Beauvoys, juge ecclesiasticque et ordinaire de ladicte Jhenne, pour ce qu'elle a esté prinse et apprehendee es termes et limites de son dyocese ; et pareillement exhortez de par nostre tres chere et tres amee fille, l'Universite de Paris, que icelle Jhenne voullions faire rendre, bailler et delivrer audit reverend pere en Dieu, pour la interroguer et examiner sur lesdits cas, et proceder oultre contre elle selon les ordonnances et dispositions des drois divins et canoniques, appeliez ceulx qui y feront a appeller.
  Pour ce, est il que nous, qui, pour reverence et honneur du nom de Dieu, deffence et exaltacion de saincte Eglise et foy catholicque, voulons devotement obtemperer, comme vrays et humbles enfans de Saincte Eglise, aux requestes et instances dudit reverend pere en Dieu, et exhortacions des docteurs et maistres de nostredicte fille l'Université de Paris, ordonnons et consentons [40] que, toutes et quantes foys que bon semblera audit reverend pere en Dieu, icelle Jhenne luy soit baillee et delivree reaulment et de faict par noz gens et officiers, qui l'ont en garde, pour icelle interroguer et examiner, et faire son procez, selon Dieu, raison et les droictz divins et saincts canons, par ledit reverend pere en Dieu.
  Si donnons en mandement a nosdictes gens et officiers, que icelle Jhenne
ont en garde, que audit reverend pere en Dieu baillent et delivrent reaulment et de faict, sans refuz ou contredit aulcun, toutes et quantes foys que par luy en seront requis. Mandons oultre a tous noz justiciers, officiers et subiectz, tant Françoys comme Angloys, que audit reverend pere en Dieu, et a tous aultres qui sont et seront ordonnez pour assister, vacquer et entendre audit procez, ne donnent de faict ne aultrement aulcun empeschement ou destourbier ; mais, se requis en sont par ledit reverend pere en Dieu, leur donnent garde, ayde et deffence, protection et confort, sur peine de griefve pugnicion.
  Toutesvoys, c'est nostre intencion de ravoir et reprendre par devers nous icelle Jhenne, s'ainsy a estoit qu'elle ne fust convaincue ou actaincte des cas dessusdits ou d'aulcun d'iceulx, ou d'autres touchans et regardans de nostredicte foy.
  En tesmoing de ce, nous avons faict metre nostre seel, ordonné, en l'absence du grand, a ces presentes.
  Donné a Rouen, le tiers jour de janvier, l'an de grace mil IIIIcc et XXX, et de nostre regne le IXme.

  Sic signata : Par le roy, a la relacion de son grand conseil.
  J. de Rinel.


Tenor summacionis nostri episcopi Balvacensis, domino duci Burgundie pro redicione dicte puelle.

[INSTRUMENTUM SUMMACIONIS facte pro reddicione Puelle].
  Anno Domini M° [IIIIcc] XXX°, die vero XIIIIa mensis Julii, indictione octava, pontificatus domini nostri Martini pape quinti anno XIII°, in bastillia illustrissimi principis domini ducis Burgundie, in [acie] sua, coram Compendio [statuta], presentibus nobilibus viris, dominis Nicolao de Malliaco, ballivo Viromandie, et Johanne de Pressy, militibus, cum pluribus aliis nobilibus, in copiosa multitudine testibus, etc., fuit presentata per reverendissimum in Christo patrem dominum Petrum, Dei gratia episcopum et comitem Balvacensem, prefato illustrissimo principi, domino duci Burgundie, quedam cedulla papirea, continens de verbo ad verbum quinque articulos supra scriptos ; quamquedam cedulam, ipse dominus dux realiter tradidit nobili viro Nicolao Raulini, militi, suo cancellario, ibidem presenti ; et eandem tradi precepit per eundem cancellarium nobili et potenti viro domino Johanni de Luxembourgo, militi, domino de Beaureveoir ; prout eandem cedullam realiter expedivit et deliberavit ipse dominus cancellarius, de mandato predicto, ipsi domino Johanni de Luxemburgo, ibidem supervenienti ; qui eandem cedulam, ut michi videbatur, perlegit.

[43] Sic signata : Ita actum est, presente Triquelot, publico appostolica et imperiali auctoritate tabellione.


TENOR LITTERARUM UNIVERSITATIS PARISIENSIS domino Johanni de Luxemburgo, pro redicione Puelle.

  Tres noble honore et puissant seigneur, nous nous recommandons tres
afectueusement a vostre haulte noblesse, etc... (1)


SEQUITUR TENOR LITTERARUM QUAS DOMINUS NOSTER REX prelatis Ecclesie, ducibus, comitibus et aliis nobilibus et civitatibus regni sui Francie.
C'est la teneur des lectres que le roy escripvit aux prelatz, gens d'Eglise,
ducz, contes, nobles, et cytoyens du royaulme.

  REVEREND PERE EN DIEU.
  IL EST ASSEZ COMMUNE RENOMMEE, ja comme partout divulgé, comme celle femme, qui se faisoit appeller Jehenne la Pucelle, erronee divineresse, c'estoit, deux ans et plus, contre la loy [divine] et l'estat de son sexe feminyn, vestue en habit d'homme, chose a Dieu abhominable, et en tel estat transportee devers nostre ennemy capital ; auquel et a ceulx de son party, gens d'Eglise, nobles et populaires, donna souvent a entendre qu'elle estoit envoyee de par Dieu ; en soy presumptueusement vantant qu'elle avoit souvent communicacion personnelle et visible avec sainct Michel, et grande multitude d'angelz, [44] et de sainctes de paradis, comme sainte Margueritte et saincte Katherine ; par lesquelz faulx donnez a entendre, et l'esperance qu'elle prometoit de victoires futures, divertist plusieurs cueurs d'hommes et de femmes de la voye de verité, et les convertit a fables et mensonges ; se vestit aussi d'armes appliquees pour chevaliers et escuiers ; leva estandard ; et en trop grand oultraige, orgeuil et presumption, demanda avoir et porter les tres nobles et excellentes armes de France, ce que en partie elle obtint, et les porta en plusieurs conflictz et assaulx, et ses freres, comme l'en dit ; c'est assavoir ung escu a champ d'asur, avecques deux fleurs de lys d'or et une espee, la poincte en hault, ferue en une couronne. En sest estat, se est mise aux champs ; a conduict des gens d'armes et de traict en excercice et grandz compaignies, pour faire et excercer cruaultez inhumaines ; en respandant le sang humain ; en faisant sedicions et commocions de peuple, l'induisant a pariuremens et pernicieuses rebellions, supersticions et faulces creances, en perturbant toute voye de paix, et renouvelant guerre mortelle ; en se souffrant adorer et reverer de plusieurs, comme femme sainctiffiee ; et aultrement dampnablement ouvrant et en divers aultres cas, longs a exprimer, qui toutesfoys en plusieurs lieux ont esté assez congnuz, dont prez que toute la chrestienté a esté fort scandalisee. Mais la divine puissance, ayant pitié de son peuple loyal, qui ne l'a longuement laissé en peril, n'a souffert demourer en vaines, perilleuses et nouvelles [credulitez], ou si longuement se mectoit, a voulu permettre, de sa grande misericorde et clemence, que ladicte femme ait esté prinse devant Compieigne, et mise en nostre obaissance et dominacion. Et pour ce que de lors fusmes requis [45] par l'evesque ou diocese duquel elle avoit esté prinse, que icelle, comme nottee et diffamee de crimes de leze maiesté divines, luy feissons delivrer, comme a son juge ordinaire ecclesiasticque, nous, tant pour la reverence de nostre saincte Eglise, de laquelle voulions les sainctes ordonnances preferer a noz propres fais et volentez, comme raison est, comme pour honneur aussy et exaltacion de nostredicte saincte foy, luy feismes bailler ladicte Jehenne, affin de luy faire son procez, sans en vouloir estre prinse par les gens et officiers de nostre justice seculiere aulcune vengeance ou pugnicion, ainsy que faire nous estoit raisonnablement licite, actenduz les grans dommaiges et inconveniens, les horribles homicides et detestables crimes, cruaultez et aultres maulx innumerables qu'elle avoit commis a l'encontre de nostre seigneurie et loyal peuple obaissant. Lequel evesque, avecques luy adioinct le vicaire de l'inquisiteur des erreurs et heresies, et appelle avecques eulx grand et notable nombre de solempnelz maistres et docteurs en theologie et droict canon, commença par grand solempnité et deue gravité le procez d'icelle Jehenne. Et apprez ce que luy et ledit inquisiteur, juges en ceste partie, ouïrent par plusieurs et diverses journees interrogue ladicte Jehenne, feirent les confessions et assercions d'icelle meurement examiner par lesdits maistres et docteurs, et generalement par toutes les facultez de l'estude de nostre chere et tres amee [fille] l'Université de Paris, devers laquelle lesdictes confessions et assercions ont este envoyees. Par l'oppinion et deliberacion desquelz, trouverent lesdits juges [46] icelle Jehenne supersticieuse, divineresse, ydolate, invocatrisse des dyables, blasphemeresse en Dieu et en ses sainctz et sainctes, scismatique et errante par moult de foys en la foy de Jhesus Christ. Et pour la ramener et reduyre en l'union et communion de nostre mere saincte Eglise, la purger de si horribles, detestables et pernicieux crimes et pechez, et garir et preserver son ame de perpetuelle peine et dampnacion, fut souvent et par bien longtemps tres charitablement et doulcement admonnestee a ce que, toutes erreurs par elle reiectees et mises arriere, voulsist humblement retourner a la voye de droit sentier et verite ; aultrement elle se mectoit en gref peril d'ame et de corps. Mais le tres perilleux et divise esperit d'orgueil et de oultrageuse presumption, qui tousiours se efforce de voulloir empescher et perturber l'union et seurete des loyaulx chrestiens, tellement occupa et detint en ses lyens le couraige d'icelle Jehenne, que, pour quelconque saine doctrine ou conseulx, ou aultre doulce exhortacion que on luy administroit, son cueur endurcy et obstine ne se voult humilier ne amolir ; mais souvent se vantoit que toutes choses qu'elle avoit faictes estoyent bien faictes, et du commandement de Dieu et desdictes sainctes vierges, qui visiblement s'estoyent a elle apparus ; et, qui plus fort est, ne recongnoissoit ne voulloit recongnoistre en terre fors que Dieu seulement et les sainctz de paradis, en refusant et reboutant le jugement de nostre sainct pere le pappe, du concille general et de toute [universelle] Eglise militante. Et voyans les juges ecclesiasticques sondit couraige par tant et si longue espace de temps endurcy et [obstine] [47] la feirent admener devant le clerge et le peuple [assemble] en tres grande multitude ; en la presence desquelz furent solempnellement et publicquement par ung notable maistre en theologie, ses cas, crimes et erreurs, a l'exaltacion de nostredicte foy, extirpacion des erreurs, edifficacion et amendement du peuple chrestien, preschez, exposez et declarez, et de rechef fut charitablement admonnestee de retourner a l'union de saincte Eglise, et de corriger ses faultes et erreurs ; en quoy encoires demoura pertinace et obstinee. Et ce considere, les juges dessusdits procederent a prononcer la sentence contre elle, en tel cas de droit introduicte et ordonnee. Mais devant que icelle sentence fust parleue, elle commença par semblant a muer son couraige, disant qu'elle vouloit retourner a saincte Eglise ; ce que voluntiers et joyeusement ouyrent les juges et clergé dessusdits, qui a ce la receurent benignement, esperans par ce moyen son ame et son corps estre rachaptees de perdicion et tourment.
  Adoncques se submist a l'ordonnance de saincte Eglise, et ses erreurs et detestables crimes renunça de sa bouche et [abjura] publicquement, signant de sa propre main la cedulle de ladicte renonciacion et abiuracion. Et par ainsy, nostre piteuse mere saincte Eglise, soy esioyssant sur la pecheresse faisant penitence, voulant la brebis recouvrer, qui par le desert se estoit esgaree et forvoyee, ramener avecques les aultres, icelle Jehenne, pour faire penitence salutaire, condempna en chartre. Mais gueres de temps ne fut illec, que le feu de son orgeuil, qui sembloit estre estaint en elle, ne se rembrasast [48] en flammes pestilencieuses, par les soufflemens de l'ennemy. Et tantost rencheut ladicte femme malheureuse en erreurs et faulces enrageries, que par avant avoit proferees, et depuis revocquees et abiurees, comme dit est.
  Pour lesquelles choses, pour ce que les jugemens et institucions de saincte Eglise l'ordonnent, afïin que doresnavant elle ne contemninast les aultres membres de Jhesus Christ, elle fut de rechef preschee publicquement, et, comme de rechef rencheue es crimes et faultes par elle acoustumez, delaissee a la justice seculiere, qui incontinent la condempna a estre bruslee. Et voyant approcher son finement, elle congnut plainement et confessa que les esperitz qu'elle disoit estre apparus a elle souventes foys, estoyent maulvaix et mensongers, et que la promesse que iceulx esperitz luy avoient par plusieurs foys faictes de la delivrer, estoit faulse ; et ainsy se confessa par lesdictz esperitz avoir esté mocquee et deceue.
  Icy est la fin des oeuvres et l'yssue d'icelle femme, que presentement vous signifions, reverend pere en Dieu, pour vous informer veritablement de ceste matiere ; afïin que par les lieux de vostre dyocese que bon vous semblera, par predicacions et sermons publicquez et aultrement, vous faictes notifier ces choses pour le bien et exaltacion de nostredicte foy et edifficacion du peuple chrestien, qui, a l'occasion des oeuvres d'icelle femme a esté longuement deceu et abusé ; et que pourvoyez, ainsy que a vostre dignité appartient, que aulcuns du peuple a vous commis ne presument croire de leger en telles erreurs et perilleuses supersticions, mesmement a ce present temps ouquel [49] nous voyons drecier plusieurs faulx prophetes et sepmeurs de dampnees erreurs a fole creance, lesquelz, eslevees contre nostre mere saincte Eglise par fol hardement et oultraigeuse presumption, pourroyent par adventure contaminer [de]1 venyn perilleux de faulse creance, le peuple chrestien [se] Jhesus Christ de sa misericorde n'y pourvoit, et vous ses ministres, ainsy comme il appartient, n'y entendez diligemment [a] rebouter et pugnir les voluntez et folz hardemens des hommes reprochez.
  DONNÉ en nostre ville de Rouen le vingt huitme jour de juing CCCC trente et ung.

                                                 


Source : Édition de "La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle".1952 - Paul Doncoeur.

Notes :
1
Lettre déjà reproduite plus haut.

2 Cette lettre, par laquelle Henri VI notifie la condamnation et la mort de Jeanne, est de
nouveau transcrite par O, comme le font les mss notariés, après les actes du Procès. Le texte est établi par Doncoeur en corrigeant la première copie par la seconde copie.



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