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Chronique d'Enguerrand de Monstrelet - index
L.I-248 - [Comment les deux princes, c'est assavoir le duc de Bourgongne et les Daulphinois assemblèrent en bataille.]

r est vérité que ce samedi derrenier jour d'aoust, environ onze heures de matin, les deux batailles dessusdictes chevaulchans l'un contre l'aultre moult fièrement, s'arrestèrent ung petit comme à trois traicz d'arc l'un près de l'autre, et adonc furent faiz de chascune partie de nouveaulx chevaliers. Entre lesquelz le fut fait ledit duc par la main de messire Jehan de Luxembourg. Lequel duc fist après chevalier Phelippe de Saveuses; et si le furent faiz de son costé, Colard de Commines, Jehan d'Estenguse, Jehan de Rombaix, Andrieu Vilain, et Jehan Vilain, Philibert Audriet et David de Poix, Gerard d'Athies, le seigneur de Mayencourt, le maistre de Renti, Colinet de Brimeu, Jaques Pot, Loys de Saint-Saulieu, Guilain de Halvyn et aucuns autres. Et de la partie des Daulphinois le furent faiz pareillement, Giles de Gamaches, Regnault de Fontaines, Colinet de Vilquiert, le marquis de Sere, Jehan Rigault, Jehan d'Espaigne, Corbeau du Rieu et Sarrasin de Beaufort.
  En après, de la partie du duc de Bourgongne fut envoyé l'estendart de Phelipe de Saveuses avecques cent vingt compaignons, fors hommes d'armes, que conduisoient messire Maulroy de Saint-Léger et le bastard de Coucy, loings à plains champs, sur le costé, pour férir lesdiz Daulphinois au travers. Et lors les deux parties qui estoient moult désirans d'assembler l'un contre l'autre, s'approuchèrent très fort, et par espécial, les Daulphinois en grant bruit et raideur se férirent tant que chevaulx les porent porter à plein cours, dedens la bataille du duc de Bourgongne, de laquelle ilz furent très bien receuz. Et y eust à ceste première assemblée grant frosseiz de lances, et hommes d'armes et chevaulx portez à terre moult terriblement de costé et d'autre. Et adonc de toutes pars commencèrent à férir l'un sur l'autre, et moult cruellement abatre, tuer et navrer. Mais durant ceste première assemblée se départirent de l'ost dudit duc bien les deux pars de ses gens, et moult en haste se prindrent à fuir vers Abbeville, où ilz ne furent point receuz, et pour tant alèrent de là à Piquegny. Si estoit avec eulx la bannière dudit duc, laquelle pour le grant haste n'avoit point esté baillée en autre main que du varlet qui l'avoit acoustumée de porter, lequel en fuiant avecques les autres la gecta par terre, mais elle fut relevée par ung gentil homme, nommé Jehan de Rosinbos, et à icelle se rallièrent plusieurs gentilz hommes des fuians dessusdiz. Desquelz grant partie, paravant ce jour estoient renommez d'estre vaillans en armes, toutesfoiz ilz laissèrent le duc de Bourgongne leur seigneur et leurs compaignons en ce danger, dont ilz furent depuis grandement diffamez. Mais les aucuns se vouloient excuser pour la dessusdicte bannière, disant qu'ilz pensoient que avec icelle feust le duc de Bourgongne. Et aussi de rechef leur fut certifié par le roy-d'armes que icellui duc estoit prins ou mort et qu'il le sçavoit véritablement. Pour quoy, en poursuivant de mal en pis, furent plus effréez que devant et sans retourner s'en alèrent, comme dit est, passer l'eaue de Somme à Piquegny, et de là s'en alèrent en leurs propres lieux. Et entretant, une partie des Daulphinois qui les virent partir, commencèrent à courir après, c'estassavoir Jehan Raolet et Péron de Lupe, à tout six vingts combatans, et en occirent et prindrent aucuns, et entendoient avoir gaigné la journée et que tous leurs adversaires feussent desconfis. Mais leur pensée ne leur fut pas véritable, car ledit duc et avec lui cinq cens combatans qui estoient demourez avecques lui, des plus nobles et expers en armes, se combatirent moult asprement et vaillamment contre lesdiz Daulphinois, et tant firent que en conclusion ilz obtindrent la victoire et demourèrent maistres en la place. Et comme il fut relaté de toutes les deux parties, ledit duc se y gouverna si prudentement et fut en péril d'avoir grande occupacion par ce qu'il assembla des premiers, et fut enferré de deux lances de première venue, dont l'une lui perça sa selle de guerre tout oultre l'arçon de devant et lui eschapa de costé son harnas, et avecques ce fut prins aux bras d'un puissant homme d'armes qui le cuida tirer jus. Mais il estoit monté sur fleur de bon coursier, qui à force le porta oultre. Si soustint et aussi donna plusieurs cops à ses ennemis, et print de sa main deux hommes d'armes, et chassa lesdiz Daulphinois bien longuement vers la rivière. Et au plus près de lui estoit le seigneur de Longueval, Gui d'Arli et autres en petit nombre, qui bien le compaignèrent. Si fut bonne espace que la plus grant partie de ses gens estoient en grant effroy par ce qu'ilz ne sçavoient où il estoit. Et après, Jehan Raoulet et Péron de Lupe, avecques leurs gens, retournans de la chasse dessusdicte, vindrent ou lieu où s'estoit faicte la bataille, et entendoient à trouver leurs autres compaignons victorieux. Mais quant ilz perceurent le contraire, ilz se mirent à fuir, et avecques eulx le seigneur de Moy, vers Saint Wale, et aucuns prindrent leur chemin vers Araines. Et adonc, le duc de Bourgongne qui estoit retourné sur le champ, fist rassembler ses gens, et les aucuns de son costé, qui là avoient esté mis à mort, fist lever, et par espécial le seigneur de la Viesville. Et jà soit ce que les nobles et grans seigneurs qui estoient derrière avecques ledit duc se portassent cedit jour très vaillamment, entre les autres fault parler de Jehan Vilain, qui ce jour avoit esté fait chevalier, lequel estoit du pays de Flandres, bien noble homme, de haute estature, bien puissant de corps, monté sur ung bon cheval, tenant une forte hache à ses deux mains, à tout laquelle à l'assembler se bouta en la plus grant presse desdiz Daulphinois, et avoit habandonné sa bride ; si leur départoit si grans cops que ceulx qui en estoient actains estoient portez jus sans remède. Et en cet estat le racompta (1) Pothon de Saincte-Treille, lequel, comme depuis il relata, voiant les merveilles qu'il faisoit, se tira arrière le plus tost qu'il peut pour doubte de la hache dessusdicte.
  En oultre, après que le duc eut fait rassembler ses gens comme dit est, s'en retourna à Abbeville, où il fut joieusement receu, à tout grant partie des Daulphinois qui avoient esté prins à ceste besongne, c'est assavoir le seigneur de Conflans, Loys d'Aulphemont, messire Giles de Gamaches et son frère Loys, messire Loys de Chiembronne, Pothon de Saincte-Treille, le marquis de Sere, Phelippe de Saint-Sauflieu, messire Renault de Fontaines, Sauvage de La Rivière, Jehan de Proisy gouverneur de Guise, messire Raoul de Gaucourt, messire Jehan de Rogon, Bernard de Saint Martin, Jehan de Joingny, le seigneur de Monmor, Jehan de Versailles, Le Bourg de La Hire, Yvon du Puis, Jehan de Sourmain, Heyne Dourdas, et autres jusques au nombre de cent à six vingts. Et si furent mors sur la place, tant d'une partie comme d'autre, de quatre à cinq cens ou environ, dont de la partie du duc de Bourgongne on estimoit tant seulement de vingt à trente hommes, desquelz furent les principaulx ledit seigneur de la Viefville et Jehan seigneur de Mailli. Et de la partie du Daulphin furent mors de ceulx de grant nom, messire Pierre d'Argency, baron d'Ively, messire Charles de Saint-Sauflieu, Galehault d'Oisy, Thiébault de Céricourt, messire Corbeau de Rieux, messire Sarrasin de Beaufort, Robinet de Verselles, Guillaume du Pont, le bastard de Moy et plusieurs autres gentilz hommes jusques au nombre dessusdit. Et pareillement furent emmenez prisonniers des gens du duc messire Colart de Commines, messire Guillaume Haluin, le seigneur de Sailli en Harevase, et Lanion de Lannoy. A laquelle besongne messire Jehan de Luxembourg par trop asprement assembler fut prins prisonnier d'un homme d'armes qui se nommoit Lamoure, et fut amené grant espace. Mais depuis, par aucuns de ses gens et aussi des gens du duc, fut rescoux. Néantmoins fut navré moult vilainement ou visaige de travers le nez. Et en cas pareil fut prins prisonnier et navré le seigneur de Humbercourt, et depuis rescoux avec le dessusdit de Luxembourg.
  En après, ledit duc de Bourgongne venu à Abbeville, comme dit est, ala en l'église Nostre Dame faire son oroison et regracier son Créateur de sa bonne fortune. Et de là s'en ala loger à l'ostel de la Couronne, et ses gens se logèrent aval la ville où ilz porent le mieulx. Desquelz les plusieurs avoient esté navrez à ladicte journée. Et adonc sceut ledit duc comment grant partie de son ost l'avoient laissé et s'en estoit fuy à Piquegny, dont il fut grandement esmerveillé et très mal content de eulx, non point sans cause. Et tant, que depuis ce jour, ne voult recevoir en son hostel aucuns de ses serviteurs qui avoient esté des fuians, mais leur donna totalement congié. Toutesfoiz peu y eut de gens de nom de son hostel qui le laissassent. Et après qu'il eut séjourné dedens la ville d'Abbeville par trois jours pour rafreschir et aiser ses gens, et qu'il eut eu délibéracion avecques son conseil de non reséger la ville de Saint-Riquier, tant pour l'ocupacion de ses gens qui estoient navrez, comme pour autres causes, se parti d'icelle ville, et pardevant Saint-Riquier s'en ala loger, à tout son ost, en la ville d'Auxi (2), et portoit-on avecques lui messire Jehan de Luxembourg en une lictière, pour la douleur de sa blesseure. Et lendemain, partant de la ville d'Auxi s'en ala à Hesdin, ouquel lieu il séjourna par aucuns jours, et ordonna à mectre garnison en plusieurs lieux contre les Daulphinois de ladicte ville de Saint-Riquier; et si donna congié à la plus grant partie des gens d'armes d'entour lui. Et avec ce fist tant qu'il eut tous les capitaines daulphinois qui par ses gens avoient esté prins, moiennant qu'il les contenta de leurs raençons, et les envoya prisonniers en son chastel de Lisle, où ilz furent certain espace de temps. Si fut de ce jour en avant ceste besongne appellée la rencontre de Mons en Vimeu. Et ne fu déclairée à estre bataille, pour ce que les parties rencontrèrent l'un l'autre aventureusement et qu'il n'y avoit comme nulles bannières desploiées. Et au regard des principaulx qui se départirent de ceste journée pour aler à Piquegny, en fut l'un le seigneur de Cohem, qui estoit capitaine d'Abbeville, et n'estoit encores pas bien sané de la blesseure qu'il avoit eue en ladicte ville, dont dessus est faicte mencion, pour quoy bonnement ne se povoit armer de la teste, et lui avoit esté conseillé par ses gens au partir d'Abbeville qu'il se déportast de y aler pour la cause dessusdicte. Si fut aucunement excusé à l'occasion d'icelle blesseure. Avecques lequel s'en alèrent des gens de nom, Jehan de Rosimbos et autres, à tout la bannière du duc.

                                                 


Source : La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L.Douët d'Arcq - 1860)

Notes :
1 Le rencontra.

2 Auxi-le-Chateau (en Artois).



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