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27 avril 2024  

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Procès de condamnation - procès d'office
Deuxième interrogatoire privé - 12 mars 1431.

tem, le lundi suivant, douzième jour du mois de mars (1), comparut dans notre maison d'habitation à Rouen, religieuse et discrète personne frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères Prêcheurs, ci-dessus nommé, vicaire dudit seigneur inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France ; présents vénérables et discrètes personnes seigneurs et maîtres Thomas Fiesvet, Pasquier Vaulx, docteurs en décret, Nicolas de Hubent, secrétaire apostolique, et frère Ysambard de La Pierre, de l'ordre des frères Prêcheurs. Et nous, évêque susdit, avons exposé à notre vicaire que jadis, au début du procès par nous commencé en matière de foi contre cette femme vulgairement nommée la Pucelle, nous avions sommé et requis ledit vicaire de s'adjoindre au présent procès, offrant de lui communiquer les actes, les preuves et autres choses quelconques que nous possédions concernant cette matière et le procès. Mais ledit vicaire avait fait quelques difficultés de s'adjoindre au procès, étant seulement délégué pour la ville et le diocèse de Rouen ; et le procès était conduit devant nous à raison de notre juridiction de Beauvais, en territoire concédé. C'est, pourquoi pour plus grande sûreté en cette besogne, pour plus de précaution sur le conseil de gens experts, nous avons conclu d'écrire au seigneur inquisiteur lui-même, lui requérant de se rendre en cette cité de Rouen, ou au moins de députer spécialement son vicaire en cette affaire, qui aurait toute puissance de par le seigneur inquisiteur pour conduire et terminer ce procès, ainsi que ces choses sont rapportées plus haut et plus longuement. Or, après que ledit seigneur inquisiteur eut nos lettres, déférant bénignement à notre réquisition, pour l'honneur et l'exaltation de la foi orthodoxe, il commit et députa spécialement ledit frère Jean Le Maistre, pour conduire et mener à fin cette cause, par ses lettres patentes, munies et fortifiées de son sceau, dont la teneur suit :

Suit la teneur de la lettre de commission adressée par le seigneur inquisiteur et mentionnée plus haut,

  "A son cher fils en Christ frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères Prêcheurs, frère Jean Graverent, du même ordre, humble professeur en théologie sacrée et inquisiteur de la perversité hérétique, député au royaume de France par l'autorité apostolique, salut en l'auteur et consommateur de la foi, notre Seigneur Jésus-Christ. Comme révérend père en Christ et seigneur, monseigneur l'évêque de Beauvais, nous avait écrit sur le fait d'une certaine femme du nom de Jeanne, vulgairement nommée La Pucelle, par ses lettres patentes dans les termes qui suivent : "Pierre, par la miséricorde divine évêque du Beauvais, à vénérable frère, maitre Jean Graverent, etc..."  Et comme, légitimement empêché, nous ne pouvons présentement nous rendre commodément à Rouen, confiant dans votre zèle et discrétion en tout ce qui concerne notre office, ainsi que dans le fait et affaire de ladite femme jusqu'à sentence définitive inclusivement, nous vous avons commis spécialement et nous vous commettons par la teneur des présentes, espérant qu'à la louange de Dieu, à l'exaltation de la foi et édification du peuple, vous y procéderez justement et saintement. En témoignage de quoi le sceau dont nous usons en cet office est apposé à ces présentes.
Donné à Coutances, l'an du seigneur 1431, le quatrième jour du mois de mars. Ainsi signé : N. OGIER (2).
"

C'est pourquoi nous sommions et requérions ledit frère Jean Le Maistre, suivant la teneur de sa commission, de s'adjoindre à nous dans ce dit procès.
  A quoi ledit frère nous répondit qu'il verrait volontiers ladite commission à lui adressée, le procès signé des seings des notaires, et tout ce que nous voudrions lui communiquer ; ces documents vus et considérés, il nous donnerait réponse, et ferait son devoir pour l'office de la sainte inquisition. Mais nous lui dîmes alors qu'il avait été présent à une grande partie du procès, où il avait pu ouïr bien des réponses de ladite Jeanne ; et que d'ailleurs nous étions consentant et tout disposé à lui communiquer le procès, et tout ce qui s'était fait en cette matière, afin qu'il les vît et en prît connaissance.

Ce même lundi :

  Item, ce même jour de lundi au matin, nous, évêque susdit nous rendîmes dans la chambre assignée pour geôle à ladite Jeanne, au château de Rouen, où pareillement se trouvèrent en même temps que nous, vénérables et discrètes personnes seigneurs et maîtres de La Fontaine, député notre commissaire, comme il a été dit ; Nicolas Midi et Gérard Feuillet, docteurs en théologie sacrée ; présents Thomas Fiesvet et Pasquier de Vaulx, docteurs en droit canon, et Nicolas de Hubent, secrétaire apostolique, nommés ci-dessus.

                                                                            *
                                                                      *         *

  En leur présence nous avons requis ladite Jeanne de jurer de dire la vérité sur ce qui lui serait demandé. Elle a répondu :
- De ce qui touchera votre procès, comme autrefois vous ai dit, je dirai volontiers vérité ; et ainsi jura.

  In quorum præsentia, prædictam Johannam requisivimus quatenus juraret dicere veritatem, super his quæ peterentur ab ea. Quæ quidem sic respondit quod :
- de hoc quod vestrum processum tangebat, quemadmodum alias dixerat, libenter diceret veritatem. Et sic juravit.


  Ladicte Jehenne fut requise par monseigneur de Beauvoys de dire verité de ce qui luy seroit demandé, respond :
- De ce qui touchera vostre procez, comme autresfoys vous ay dict, je dirai voluntiers verité. Et ainsy le jura.


  Ensuite elle fut interrogée sur notre commandement par ledit maître Jean de La Fontaine : et premièrement si l'ange qui apporta le signe à son roi, dont il a été fait mention plus haut, ne parla point ; répondit que oui, et qu'il dit à son roi qu'on la mît en besogne et que le pays serait aussitôt allégé.

  Deinceps, interrogata, de mandato nostro, per supradictum magistrum Johannem de Fonte, et primo, utrum angelus  qui detulit signum ad regem suum, de quo superius fit mentio, fueritne locutus, respondit quod sic, et dixit regi suo quod ipsa Johanna poneretur ad opus, et patria statim esset alleviata.

  Et apprez fut interroguee par le commandement de mondit seigneur l'evesque de Beauvoys, par Maistre Jehan de la Fontaine. Et premierement, se l'ange, qui apporta le signe, parla point a elle, respond que ouy. Et qu'il dist a son roy que on la mist en besongne. Et que apprez seroit tantost alegee.


  Interrogée si l'ange qui apporta ledit signe à son roi fut l'ange qui premièrement lui apparut, ou si ce fut un autre, répondit que c'est toujours tout un, et onques ne lui faillit.

  Interrogata utrum angelus qui apportavit signum regi suo fuerit ille idem angelus qui primo apparuerat ipsi Johannæ, respondit quod semper est unus et idem, et nunquam sibi defecit.

  Interroguee se l'ange, qui apporta ledit signe, fut l'ange qui premierement apparut a elle, ou se ce fut ung aultre, [respond] :
- C'est tousiours tout ung. Et oncques ne luy faillit.


  Interrogée si l'ange ne lui a point failli, quant aux biens de fortune, quand elle a été prise, répondit qu'elle croit, puisqu'il plut à notre Sire, que c'est le mieux qu'elle fût prise.
  Interrogée si, dans les biens de grâce, l'ange ne lui a point failli, répondit :
- Comment me faillirait-il, quand il me réconforte tous les jours ?
  Et entend, à ce qu'elle dit, que ce réconfort vient de sainte Catherine et de sainte Marguerite.

  Interrogata utrum ille angelus defeceritne sibi, quatum ad bona fortunæ, in hoc quod capta fuit, respondit quod credit, postquam illud placuit Deo, quod est pro meliori quod ipsa sit capta.
  Interrogata utrum, in bonis gratiæ, ille angelus defeceritne sibi, respondit :
- Qualiter mihi deficeret, quando quotidie me confortat ?
  Et intelligit, ut dicit, quod ista confortatio est sanctis Katharina et Margareta.


  Interroguee se l'ange luy a point failly, de ce qu'elle a esté prinse, aux biens de fortune, respond qu'elle croit, puisqu' il plaist a nostre Seigneur, c'est le mieulx qu'elle soit prinse.
  Interroguee se, es biens de grace, l'ange luy a point failly, espond :
- Et comme me fauldroit il, quand il me conforte tous les jours.
  Et entend cest confort, que c'est de saincte Katherine et saincte Margueritte.


  Interrogée si elle appelle ces saintes Catherine ou Marguerite, ou si elles viennent sans qu'elle les appelle, répondit qu'elles viennent souvent sans être appelées ; et parfois, si elles ne venaient bientôt, elle requérait Notre Seigneur qu'il les lui envoyât.
  Interrogée si parfois lesdites saintes ne vinrent pas quand elle les a appelées, répondit qu'elle n'en eut jamais besoin qu'elle ne les eût.

  Interrogata utrum ipsa vocat illas sanctas Katbarinam et Margaretam, vel utrum veniant sine vocando, respondit quod sæpe veniunt sine vocando ; et aliis vicibus, nisi venirent, bene cito ipsa requiseret a Deo quod eas mitteret.
  Interrogata utrum aliquando prædictæ Sanctæ non venerint, quando vocabat eas, respondit quod nunquam indiguit ipsis, quin eas aberet.


  Interroguee se elle les appelle, ou se ilz viennent sans appeller, respond :
- Ilz viennent souvent sans appeller. Et aultres foys, se ilz ne venoyent bien tost, elle requerroit nostre Seigneur qu'il les envoyast.
  Interroguee se elle les a aulcunes foys appellees, et ilz ne estoyent point venues, respond qu'elle n'eust oncques besoing, que elle ne les ait.


  Interrogée si saint Denis (3), lui apparut, répondit que non, à ce qu'elle sache.

  Interrogata utrum sanctus Dionysius apparuit unquam sibi, respondit quod non, quod ipsa sciat.

 
Interroguee se sainct Denis apparut oncques a elle, respond que non, qu'elle saiche.

  Interrogée si elle parla à Notre Seigneur, quand elle lui promit de garder sa virginité, répondit qu'il devait bien suffire de le promettre à celles qui étaient envoyées de par lui, c'est à savoir à sainte Catherine et à sainte Marguerite.

  Interrogata utrum ipsa loquebatur Deo, quando sibi promisit servare virginitatem suam, respondit quod bene debebat sufficere hoc promittere illis qui erant missi ex parte ipsius Dei, videlicet sanctis Katharinæ et Margaretæ.

  Interroguee se, quand elle promist a nostre Seigneur de garder sa virginité, s'elle parloit a luy, respond :
- Il debvoit bien suffire de promettre a ceulx qui estoyent envoyez de par luy, c'est assavoir a saincte Katherine et a saincte Margueritte.


  Interrogée qui la poussa à faire citer un homme à Toul, en cause matrimoniale (4), répondit :
- Je ne le fis pas citer ; mais ce fut lui qui me fit  citer ; et là je jurai devant le juge de dire vérité.
   Et enfin elle dit qu'elle n'avait pas fait de promesse à cet homme.

  Interrogata quid movit eam de faciendo citari quemdam hominem ad civitatem Tullensem, in causa matrimonii, respondit :
- Ego non feci citari, sed ipse fuit qui fecit ibi me citari ; et ibi juravi coram
judice dicere veritatem.
  Et finaliter dixit quod illi homini nullam promissionem fecerat.


  Interroguee qui la meut de faire citer ung homme a Tou (5), en cause de mariage, res
pond :
- Je ne le feis pas cyter. Mais ce fut luy qui me feist cyter.
  Et la, jura devant le juge dire verité ; et en fin qu'elle ne luy avoit faict promesse.


  Item dit que la première fois qu'elle ouït sa voix, elle fit voeu de garder sa virginité, tant qu'il plairait à Dieu ; et était en l'âge de treize ans, ou environ. Item dit que ses voix lui assurèrent qu'elle gagnerait son procès à Toul.

  Item dicit quod, prima vice qua audivit vocem suam, ipsa vovit servare virginitatem suam, tamdiu quamdiu placuit Deo ; et erat in ætate XIII annorum, vel circiter. Item dicit quod voces suæ assecuraverunt eam de lucrando suum processum prædictum in civitate Tullensi.

  Item,
dit que, la premiere foys qu'elle ouyt sa voix, elle voua sa virginité,
tant qu'il plairoit a Dieu. Et estoit en l'aage de XIII ans, ou environ.
  Item, dit que ses voix l'assurerent de gaigner son procez.


  Interrogée si de ces visions, qu'elle dit avoir, elle n'a point parlé à son curé ou à un autre homme d'église, répondit que non (6), mais seulement à Robert de Baudricourt et à son roi. Et dit en outre qu'elle ne fut pas contrainte par ses voix à les céler ; mais redoutait beaucoup de les révéler, par crainte des Bourguignons et qu'ils n'empêchassent son voyage ; et spécialement redoutait fort que son père ne l'empêchat de faire son voyage.

  Interrogata an de istis visionibus, quas dicit se habere, feceritne verbum curato suo vel alteri homini ecclesiastico, respondit quod non, sed soli Roberto de Baudricuria et suo regi. Dicit ultra quod voces suæ non compulerunt eam ad hoc celandum, sed multum formidabat revelare pro timore Burgundorum, ne impedirent eam a suo voiagio ; et specialiter multum timebat patrem suum, quin impediret eam de faciendo suum voiagium.

  Interroguee si, de ses visions elle a point parlé a son curé ou aultre homme d'Eglise, respond que non ; mais seulement a Robert de Baudricourt et a son [roy]. Et dit oultre qu'elle ne fut point contraincte de ses voix a le celer. Mais doubtoit moult le reveler, pour doubte des Bourguygnons, que ilz ne l'empeschassent de son voyage ; et par especial doubtoit moult son pere, que il ne l'empeschast de fere son voyage.

  Interrogée si elle croyait bien faire de partir sans le congé de père et mère puisqu'on doit honorer père et mère, répondit qu'en toutes autres choses elle leur a bien obéi, excepté en ce départ ; mais depuis leur en a écrit et ils lui ont pardonné.
  Interrogée si, quand elle partit de chez ses père et mère, elle ne crut point pécher, répondit que puisque Dieu le commandait, il convenait de le faire. Et dit en outre, puisque Dieu le commandait, si elle eût cent pères et cent mères, si elle eût été fille de roi, ainsi serait-elle partie.

  Interrogata an credebat bene agere in recedendo sine licenca patris et matris, cum patri et matri debeat honor exhiberi, respondit quod, in cunctis aliis, bene obedivit patri et matri, præterquam de illo recessu ; sed postea de hoc eisdem scripsit, et ipsi dederunt ei veniam.
  
Interrogata utrum, quando recessit a patre et a matre, ipsa credidit peccare, respondit quod, postquam Deus præcipiebat, oportebat hoc fieri. Dicit ultra quod, postquam Deus præcipiebat, si habuisset centum patres et matres, et ipsa fuisset filia regis, nihilominus ipsa recessisset.

 
Interroguee se elle cuidoit bien faire de partir sans le congé de pere ou mere, comme il soit ainsy que on doibt honnorer pere et mere, respond que, en toutes autres choses, elle a bien obay a eulx, excepté de ce partement ; mais deppuis leur a escript, et luy ont pardonné.
 
Interroguee se, quand elle partist de ses pere et mere, elle cuidoit point pecher, respond :
- Puisque Dieu le commandoit, il le convenoit faire.
  Et dit oultre, puisque Dieu le commandoit, se elle eust eu cent peres et cent meres, et si elle east esté fille du roy, elle fut partye.


  Interrogée si elle demanda à ses voix si devait dire à son père et à sa mère son départ, répondit qu'en ce qui concerne son père et sa mère, les voix étaient assez contentes qu'elle leur dit, n'eût été la peine qu'ils lui eussent fait, si elle leur avait dit ; mais, quand à elle, elle ne leur eût pas dit pour cause quelconque.
  Item dit que ses voix s'en rapportaient à elle de le dire à son père ou à sa mère, ou de leur taire.

  Interrogata utrum ipsa petivit a vocibus suis an ipsa diceret patri et matri recessum suum, respondit quod, quantum de patre et matre, voces erant bene contentæ quod diceret eis, nisi fuisset pœna quam sibi intulissent, si eis recessum suum dixisset ; et, quantum est de ipsa, non dixisset eis pro quacumque re.
  Item dicit quod voces se referebant ei de hoc dicendo patri et matri, vel de tacendo.

  Interroguee se elle demanda a ses voix qu'ilz le dyent a son pere et a sa mere son partement, respond : quand est de pere et de mere, ilz estoyent assez contens qu'elle leur dise, se n'eust esté la peine qu'ilz luy eussent faict, se elle leur eust dist. Et quand est de elle, elle ne leur eust dit, pour chose quelquonque.
  
Item, dit que ses voix se rapporterent a elle de dire a pere ou a mere, ou de s'en taire.

  Interrogée si elle faisait sa révérence à saint Michel et aux anges quand elle les voyait, répondit que oui ; et baisait la terre après leur départ, là où ils avaient reposé.

  Interrogata utrum faciebat reverentiam sancto Michaeli et angelis, quando eos videbat, respondit quod sic ; et osculabatur terram super quam transierant, post recessum eorum.

  Interroguee se, quand elle veist sainct Michel et les angelz, se elle leur faisoit reverence, respond que ouy ; et baisoit la terre apprez leur partement, ou ilz avoyent reposé, en leur faisant reverence.

  Interrogée si les anges demeuraient longuement avec elle, répondit qu'ils viennent beaucoup de fois entre les chrétiens, qu'on ne les voit pas ; et les a bien des fois vus parmi les chrétiens.

  Interrogata utrum præfati angeli erant diu cam ipsa, respondit quod multotiens veniunt inter christianos, et non videntur ; et ipsa eos sæpe vidit inter christianos.

  Interroguee se ilz estoyent longuement avecq elle, [respond] : ilz viennent beaucoup de foys entre les chrestiens, que on ne les voit point. Et les a beaucoup de foys veuz entre les chrestiens.

  Interrogée si de saint Michel ou de ses voix elle n'a pas eu de lettres, répondit :
- Je n'ai point congé de vous le dire, et d'ici à huit jours j'en répondrai volontiers ce que je saurai.

  Interrogata utrum habuerit litteras a sancto Michaele, vel a suis vocibus, respondit :
- Ego non habeo licentiam de hoc dicendo vobis ; et inter hinc et octo dies, libenter de hoc respondebo vobis illud quod sciam.


  Interroguee si de sainct Michel ou de ses voix, elle a point eu de lectres, respond :
- Je n'en ay point eu de congié de le vous dire. Et entre cy et huit jours, je vous en respondray voluntiers ce que j'en sçauray.


  
Interrogée si ses voix ne font pas appelée fille de Dieu, fille de l'Église, la fille au grand coeur, répondit qu'avant le siège d'Orléans levé, et tous les jours depuis, quand elles lui parlent, l'ont plusieurs fois appelée Jehanne la Pucelle, fille de Dieu.
  Interrogée, puisqu'elle se dit fille de Dieu, pourquoi elle ne dit Pater noster, répondit qu'elle le dit volontiers ; et autrefois quand elle refusa de le dire, c'était dans l'intention que monseigneur de Beauvais la confessât.

  Interrogata utrum voces suæ vocaveruntne ipsam filiam Dei, filiam Ecclesiæ, filiam cum magno corde, respondit quod, ante levationem obsidionis Aurelianensis, et deinceps omnibus diebus, quando allocutæ sunt eam, frequenter vocaverunt eam, Johannam Puellam, filliam Dei.
  Interrogata, ex quo se dicit filiam Dei, cur non libenter dicit Pater Noster, respondit quod libenter diceret ; et alias, quando recusavit dicere, fecit sub hac intentione, quod nos, episcopus prædictus, audiremus eam in confessione.


  Interroguee se ses voix l'ont point appellee : fille de Dieu, fille de l'Église, la fille au grand cueur, respond que, au devant du siege d'Orleans levé, et depuis, tous les jours, quand ilz parlent a elle, l'ont plusieurs foys appellee : Jhenne la Pucelle, fille de Dieu.
  Interroguee, puisqu'elle se dit : Fille de Dieu, pourquoy elle ne dit voluntiers : Pater Noster, respond qu'elle la dit voluntiers. Et autresfoys, quand elle recusa la dire, c'estoit en intencion que monseigneur de Beauvoys la confessast.


Même jour, lundi après-midi :

  Item, ce même jour, lundi après-midi, comparurent au lieu de ladite prison de Jeanne, les susnommés seigneurs et maîtres, Jean de La Fontaine, notre commissaire, Nicolas Midi et Gérard Feuillet, docteurs en théologie sacrée ; Thomas Fiesvet et Pasquier de Vaulx, docteurs en droit canon ; et Nicolas de Hubent, notaire apostolique.
  Ladite Jeanne fut interrogée par ledit de La Fontaine, sur notre commandement.

                                                                            *
                                                                      *         *

  Et premièrement sur les songes qu'on disait que son père avait avant qu'elle quittât sa maison. A quoi elle répondit que, tandis qu'elle était encore avec ses père La voix me disait "Va en France"et mère, lui fut dit par plusieurs fois que son père disait avoir rêvé que ladite Jeanne sa fille s'en irait avec les gens d'armes ; et avaient grand soin ses pères et mère de la bien garder, et la tenaient en grande sujétion. Et elle leur obéissait en tout, sinon au cas de mariage au procès de Toul.

  Et primo de somniis quæ pater suus dicebatur habuisse de ipsa, antequam recederet a domo ejus. Quæ quidemad respondit quod, dum adhuc esset in domo patris et matris, fuit ei pluries dictum per matrem ejus quod pater suus dicebat se somniasse quod ipsa Johanna filia sua itura erat cum gentibus armorum ; et inde habebant magnam curam prædicti pater et mater de custodiendo eam, et ipsam tenebant in magna subjectione ; et ipsa obediebat in omnibus, præterquam in processu quam habuit in civitate Tullensi, pro causa matrimonii.

  Interroguee des songes de son pere, respond que, quand elle estoit encoires avecques ses pere et mere, luy fut dict par plusieurs foys par sa mere que son pere disoit qu'il avoit songé que avecques les gens d'armes s'en yroit ladicte Jhenne sa fille ; et en avoyent grand cure ses pere et mere de la bien garder; et la tenoyent en grand subiection ; et elle obaissoit a tout, synon au procez de Tou, au cas de mariage.

  Interrogée dit qu'elle a ouï dire à sa mère que son père disait à ses frères : "Si je croyais que la chose advint que j'ai songé d'elle, je voudrais que vous la noyassiez ; et si vous ne le faites, je la noierais moi-même !" ; Et s'en fallut de peu que ses père et mère perdissent le sens quand elle partit pour aller à Vaucouleurs.

  Item dicit quod audivit dici a matre quod pater suus dicebat fratribus suis : "Vere, si ego crederem quod illa res eveniret, quam timeo de ipsa filia mea, ego vellem quod submergeretis eam ; et si non faceretis hoc, egomet submergerem eam." Et prædicti pater et mater fere perdiderunt sensum, quando ipsa recessit pro eundo ad oppidum de Vallecoloris

  Item, dit qu'elle a ouy dire a sa mere que son pere disoit a ses freres : "Se je cuidoye que la chose advint, que j'ay songé de elle, je vouldroye que la noyssiez ; et si vous ne le faisiez, je la noiroye moy mesme". Et a bien peu qu'ilz ne perdirent le sens, quand elle fut partye a aller a Vaucouleur.


  Interrogée si ces pensées ou songes vinrent à son père depuis qu'elle eût ces visions, répondit que oui, depuis plus de deux ans qu'elle eût ses voix.

  Interrogata utrum istæ cogitationes aut somma acccidebant patri, postquam ipsa habuit istas visiones suas, respondit quod sic, plus quam per duos annos posteaquam habuit voces.

  Interroguee se ses pensees ou songes venoyent a son pere puis qu'elle eut ses visions, respond : Ouy, plus de deux ans puis qu'elle eut les premieres voix.

  Interrogée si ce fut à la requête de Robert de Baudricourt ou d'elle qu'elle prit habit d'homme, répondit que ce fut d'elle-même, et non à la requête d'homme au monde.
  Interrogée si la voix lui commanda qu'elle prît habit d'homme, répondit :
- Tout ce que j'ai fait de bien, je l'ai fait par le commandement de mes voix ; et quant à l'habit, j'en répondrai autre fois ; de présent n'en suis point avisée ; mais demain en répondrai.
  Interrogée si, en prenant habit d'homme, elle ne pensait mal faire, répondit que non ; et encore à présent, si elle était en l'autre parti en habit d'homme, lui semble que ce serait un des grands biens de France de faire comme elle faisait avant sa prise.

  Interrogata utrum hoc fuit ad requestam Roberti de Baudricuria vel ipsiusmet Johannæ quod ipsa cepit habitum virilem, respondit quod hoc fuit per ipsammet Johannam, et non ad requestam cujuscumque hominis viventis.
  Interrogata utrum vox sibi præceperit quod acciperet habitum, respondit :
- Totum quod feci de bono, ego foci per præceptum vocum mearum ; et, quantum ad habitum, alias respondebo ; non sum de præsenti advisata ; sed cras respondebo de hoc.
  Interrogata an capiendo habitum virilem, ipsa credebatne male facere, respondit quod non ; et adhuc de præsenti, si esset apud illos de alia parte in isto habitu virili, videtur ei quod esset unum de magnis bonis Franciæ, de faciendo quemadmodum ipsa per prius faciebat, ante captionem suam.


  Interroguee si ce fut a la requeste de Robert ou d'elle qu'elle print habit d'homme, respond que ce fut par elle, et non a la requeste de homme du monde.
  Interroguee se la voix luy commanda qu'elle print habit d'homme, respond :
- Tout ce que j'ay faict de bien, je l'ay faict par le commandement des voix.
  Et dit oultre, quand a cest habit, en respondra aultresfoys ; que, de present, n'en est advisee. Mais demain en respondra.

  Interroguee si, en prenant habit d'homme, elle pensoit mal faire, respond que non ; et encoires de present, si elle estoit en l'autre party et en cest habit d'homme, luy semble que se seroit un des grands biens de France, de faire comme elle faisoit au devant de sa prinse.

  Interrogée comment elle eût délivré le duc d'Orléans, répondit qu'elle eût assez pris d'Anglais outre mer pour le ravoir ; et si elle n'eût fait assez de prise par deçà, elle eût passé la mer pour l'aller quérir par puissance, en Angleterre.

  Interrogata qualiter ipsa liberasset ducem Aurelianensem, respondit quod ipsa cepisset satis multos Anglicos citra mare, pro rehabendo ipsum ; et, si non cepisset satis citra, ipsa transiisset mare, pro eundo ipsum quæsitum in Angliam, cum potentia.

  Interroguee comme elle eut delivré le duc d'Orleans, respond que elle eust assez prins de sa prinse des Angloys pour le ravoir ; et se elle n'eust prins assez de sa prinse de ça, elle eust passé la mer, pour le aller querir a puissance en Engleterre.

  Interrogée si sainte Marguerite et sainte Catherine lui avaient dit, sans condition et absolument, qu'elle prendrait gens suffisamment pour avoir le duc d'Orléans qui était en Angleterre, ou autrement qu'elle passerait la mer pour l'aller quérir, répondit que oui ; et qu'elle dit à son roi qu'il la laissât faire au sujet des seigneurs anglais qui étaient alors prisonniers.
  Dit en outre que, si elle avait duré trois ans sans empêchement, elle eût délivré ledit duc.
  Item dit que pour ce faire il y avait plus bref terme que de trois ans et plus long que d'un an ; mais de présent n'en a pas mémoire.

  Interrogata utrum sanctæ Katharina et Margareta dixerant sibi, absolute et sine conditione, quod ipsa caperet sufficientes homines pro habendo ducem Aurelianensem existentem in Anglia, vel alias transiret mare pro eundo quæsitum ipsum, respondit quod sic, et quod ipsa dixit hoc regi suo, et quod ipse dimitteret eam agere de illis dominis Angliæ, qui tunc erant prisionarii.
  Dicit ultra quod, si ipsa durasset per tres annos, sine habendo impedimentum, ipsa liberasset præfatum ducem.
  Item dicit quod, pro faciendo illud, erat brevior terminus quam de tribus annis, et longior quam de uno ; sed non habet de illo memoriam.


  Interroguee se saincte Marguerite et saincte Katherine luy avoyent dit sans condicion et absolutement qu'elle prendroit gens suffisans pour avoir le duc d'Orleans, qui estoit en Engleterre, ou aultrement qu'elle passeroit la mer pour le aller querir a puissance en Engleterre, et admener dedens troys ans, respond que ouy. Et qu'elle dist a son roy, et qu'il la laissast faire des prisonniers (7).
  Dit oultre de elle que, se elle eust duré troys ans sans empeschement elle l'eust delivré.
  Item, dit qu'il avoit plus bref terme que de troys ans, et plus long que d'ung an ; mais n'en a pas de present memoire.

  Interrogée sur le signe qu'elle bailla a son roi, répondit que sur ce, elle aura conseil de sainte Catherine.

  Interrogata quod erat signum quod ipsa dedit regi suo, respondit quod de hoc ipsa habebit consilium a sancta Katharina.

  Interroguee du signe baillé a son roy, respond que elle en aura conseil a saincte Katherine.



                                                 


Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)

Notes :
1 "apprez Letare Jherusalem" comme il est dit dans la minute française, ce qui nous rappelle le "dimanche des Fontaines" cher aux enfants de Domrémy. (ndlr)

2 On voit un OGIER signer souvent comme notaire de la chancellerie des lettres de Henri VI.

Jean Graverent, inquisiteur de France, résidait en général à Paris mais, pendant les longs débats du procès de Rouen, il s'en tint complètement à l'écart et se consacra à une obscure affaire, celle de Jean Le Couvreur, bourgeois de St Lô suspecté d'hérésie. Il tenait ses assises à Coutances non loin de Rouen. Son désintérêt pour le procès de Rouen et l'extrême répugnance de Jean Lemaître à obéir aux injonctions de Cauchon posent un curieux problème non résolu à ce jour (E.Bourassin)

3 Saint Denis, patron des rois de France. Les Anglais l'ont mis dans leur parti en s'emparant de l'abbaye et de l'oriflamme de la ville de St Denis depuis 1419. Cette question est à rapprocher des questions relatives à l'amour de Dieu pour les Anglais (P.Champion).

4 Procès en promesse de mariage. C'était assez fréquent si on considère les archives des officialités de l'époque (P.Champion).

5 Ecrit "Tou" au lieu de "Toul" dans la minute française c'est à dire prononcé à la Lorraine comme Jeanne devait le dire.

6 Voir la lettre de Perceval de Boulainvilliers à ce sujet.

7 Fin de phrase modifiée de manière significative dans le procès officiel.


Procès de condamnation en Français (1431)
- Index

Préliminaires :
- ouverture du procès
- séance du 9 janvier

- séance du 13 janvier
- séance du 23 janvier
- séance du 13 février
- séances des 14 au 16 fév.
- séance du 19 février
- séance du 20 février

Procès d'office :
séances publiques
- 1ère séance du 21 février
- séance du 22 février
- séance du 24 février
- séance du 27 février
- séance du 1er mars
- séance du 3 mars
- réunions du 4 au 9 mars
séances dans la prison
- séance du 10 mars
- séance du 12 mars
- séance du 13 mars
- séance du 14 mars
- séance du 15 mars
- séance du 17 mars
- réunion du 18 mars
- réunion du 22 mars
- séance du 24 mars
- séance du 25 mars

Procès ordinaire :
- réunion du 26 mars
- réquisitoire du 27 mars
- suite réquisitoire 28 mars
- séance du 31 mars
- réunion du 2 avril
- réunion du 5 avril - articles
- suite - délibération
- exhor. charit. du 18 avril
- admonition du 2 mai
- menace torture du 9 mai
- délibération du 12 mai
- délibération du 19 mai
- admonestation du 23 mai
- abjuration du 24 mai

La cause de relapse :
- constat relapse du 28 mai
- délibération du 29 mai
- citation du 30 mai

Actes postérieurs




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