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10 décembre 2024  

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Procès de condamnation - procès d'office
Troisième interrogatoire privé - 13 mars 1431.

tem le mardi suivant, treizième jour dudit mois de mars, nous, évêque susdit, nous rendîmes au lieu de la prison où, à la même heure, comparut vénérable et discrète personne frère Jean Le Maistre, assisté de vénérables et discrètes personnes seigneurs et maîtres nommés plus haut : Jean de La Fontaine, Nicolas Midi et Gérard Feuillet, et en présence de Nicolas de Hubent et d'Ysambard de La Pierre, de l'ordre des frères Prêcheurs. Ledit frère Jean Le Maistre, vu les lettres à lui adressées par le seigneur inquisiteur et les autres choses : considérer en cette matière, s'est adjoint au dit procès, prêt à procéder avec nous pour la décision ultérieure de l'affaire, comme de droit et de raison. Ce que nous avons exposé charitablement à ladite Jeanne, l'exhortant et l'avertissant, pour le salut de son âme de dire la vérité dans cette cause sur tout ce qui lui serait demandé. Et alors ledit vicaire du seigneur sceau de John Greyinquisiteur, voulant procéder plus avant en cette affaire, ordonna maître Jean d'Estivet, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais, pour promoteur de la sainte inquisition ; noble homme John Grey, écuyer de corps du roi notre sire, et John Berwoit pour gardiens de la geôle ; et maître Jean Massieu, prêtre, pour l'exécution des citations et des convocations ; lesquels ci-dessus nommés nous avons députés et ordonnés ailleurs aux dits offices, comme il est contenu plus à plein dans les lettres confirmées par nos sceaux : nos lettres épiscopales sont transcrites plus haut, et plus bas on trouvera nos lettres pour le dit vicaire. Et les dits officiers prêtèrent serment au dit vicaire d'exercer fidèlement leur office.

Suit la teneur des lettres d'institution du promoteur par ledit seigneur vicaire,

  "A tous ceux qui ces présentes lettres verront, frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères Prêcheurs, vicaire général de révérend père, seigneur et maître Jean Graverent, du même ordre, insigne professeur en théologie sacrée et inquisiteur de la perversité hérétique au royaume de France, spécialement délégué par autorité apostolique, salut en l'auteur et consommateur de la foi, notre Seigneur Jésus-Christ. Comme révérend père en Christ et seigneur, Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, juge ordinaire en cette matière, et jouissant du territoire dans cette ville et dans le diocèse de Rouen, avait invité par ses lettres patentes ledit révérend père seigneur inquisiteur et l'avait sommé et requis en faveur de la foi de se rendre dans cette cité de Rouen, s'il le pouvait commodément, ou qu'il nous daignât commettre à sa place, nous ou un autre bien disposé à cela, pour instruire, avec ledit révérend père, monseigneur l'évêque de Beauvais, la cause de cette femme nommée vulgairement la Pucelle, en matière de foi, évoquée par ledit évêque et entre ses mains. Et le dit révérend père, seigneur inquisiteur, ne pouvant aucunement se rendre en cette ville de Rouen, nous a confié ses pouvoirs concernant cette affaire par ses lettres, ainsi que ces choses et d'autres sont contenues dans les lettres du dit seigneur inquisiteur, renfermant aussi la teneur des lettres de sommation et de réquisition du dit seigneur évêque, ainsi que notre commission ; et ces lettres de notre commission, datées du quatrième jour du mois de mars, l'an 1431, sont signées du sceau du seigneur inquisiteur et du seing manuel de vénérable personne, maitre Nicolas Ogier, prêtre, notaire public. C'est pourquoi nous, désirant et souhaitant humblement remplir de toutes nos forces la commission du dit inquisiteur par la louange de Dieu et l'exaltation de la foi orthodoxe, comme nous sommes tenu de le faire, et de tout notre pouvoir, ayant pris le conseil et les avis dudit seigneur évêque et de plusieurs autres personnes savantes, tant en théologie sacrée qu'en droit canon et civil, nous publions que pour mener à fin cette affaire, il y a lieu de constituer et d'ordonner un promoteur des causes de l'office de la sainte inquisition, des notaires et un exécuteur de nos mandements, bienveillant et notable. C'est pourquoi, en conséquence de l'autorité apostolique et dudit révérend père monseigneur l'inquisiteur dont nous jouissons en ce qui concerne cette affaire, ayant pleine confiance en Notre Seigneur et dûment informé de la probité, du zèle, de la suffisance et capacité de la personne de vénérable maître Jean d'Estivet, prêtre, chanoine des églises de Bayeux et de Beauvais et promoteur des causes d'office dudit seigneur évêque en cette partie, nous avons fait, constitué, créé, nommé, ordonné, député et nous faisons, constituons, créons, nommons, ordonnons et députons ledit maître Jean notre promoteur ou procureur général, pour cette cause et matière généralement et spécialement ; et nous donnons audit promoteur et notre procureur général, par la teneur des présentes, licence, faculté et autorité d'ester et comparaître en jugement et ailleurs contre ladite Jeanne ; de se faire partie, de donner, bailler et administrer, produire et exhiber articles, interrogatoires, témoignages, lettres, instruments, et tous autres genres de preuves, d'accuser et dénoncer cette Jeanne, de faire et de requérir qu'elle soit examinée et interrogée, de conclure dans la cause, et de faire promouvoir, procurer, conduire, exercer tous et chacun des actes qui sont reconnus concerner l'office de promoteur et procureur, suivant le droit et la coutume. C'est pourquoi à tous et à chacun en ce qui le concerne, nous mandons obéissance, soumission, bonne volonté, envers ledit maître Jean dans l'exercice de son office, et qu'on lui prête secours, conseil et aide. En témoignage de quoi nous avons ordonné d'apposer notre sceau à ces présentes lettres."

Item suit la teneur de la lettre par laquelle ledit vicaire de l'inquisiteur a constitué Jean Massieu, prêtre, comme exécuteur des convocations et des citations à faire dans la cause,

   "A tous ceux qui ces présentes lettres verront, frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères Prêcheurs etc... Nous, ayant pleine confiance dans le Seigneur, et dûment informé de la probité, du zèle, de la suffisance et de la capacité de discrète personne maitre Jean Massieu, prêtre, doyen de la chrétienté de Rouen, commis et député pour exécuteur en cette cause des mandements dudit seigneur l'évêque, nous l'avons constitué, retenu et ordonné exécuteur des mandements et convocations à faire de notre part en cette matière ; et nous lui avons concédé et concédons par ces présentes toute licence sur ce. En témoignage de quoi nous avons fait apposer notre sceau à ces présentes lettres.
  Donné et fait à Rouen l'an du Seigneur 1431, le mardi treizième jour de mars.
Ainsi signé : BOISGUILLAUME. MANCHON
"

         La pucelle amenée devant le roi - miniature du XV° siècle

  Cela fait, comme il a été dit au lieu ci-dessus désigné, nous évêque susdit, et frère Jean Le Maistre, vicaire de l'inquisiteur, nous avons par la suite et d'un commun accord procédé à interroger et à faire interroger ladite Jeanne, comme il avait été commencé auparavant.

                                                                            *
                                                                      *         *

  Et premièrement sur notre ordre, Jeanne fut interrogée sur le signe qu'elle bailla à son roi, à quoi elle répondit :
- Seriez-vous contents que je me parjurasse ?

  Et primo, ex ordinatione nostra, fuit eadem Johanna interrogata quale signum fuit quod ipsa tradidit regi suo. Ad quod respondit :
- Essetis vos contenti quod ego incurrerem perjurium ?


  Interroguee premierement du signe baillé a son roy, quel il fut, respond :
- Estes vous content que je me pariurasse.

  Item interrogée si elle avait juré et promis à sainte Catherine de ne pas dire ce signe, répondit :
- J'ai juré et promis de ne pas dire ce signe, et de moi-même, pour ce qu'on me chargeait trop de le dire. Et alors je me suis dit à moi-même : Je promets que je n'en parlerai plus à aucun homme. (1).

  Item, interrogata utrum juraverat et promiserat sanctæ Katharinæ non dicere illud signum, respondit :
- Ego juravi et promisi non dicere illud signum. Et hoc ex me ipsa, quia homines nimium onerabant ne me de dicendo.
 
Et tunc ipsamet promisit quod de hoc non amplius loqueretur cuicumque homini.

 
Interroguee par monseigneur le vicaire de l'inquisiteur se elle avoit juré et promis a saincte Katherine non dire ce signe, respond :
- J'ai juré et promis non dire ce signe, et de moy mesme, pour ce que on m'en chargoit trop de le dire. Et adoncq dist elle mesme : "Je promect que je n'en parleray plus a homme".


  Item dit que le signe ce fut que l'ange confirmait son roi, en lui apportant la couronne, et en lui disant qu'il aurait tout le royaume de France entièrement à l'aide de Dieu, et cela au moyen du labeur de ladite Jeanne ; et qu'il la mît en besogne, c'est assavoir qu'il lui baillat des gens d'armes, autrement il ne serait pas de si tôt couronné et sacré.

  Item dicit quod illud signum fuit quod angelus certificabat hoc regi suo, sibi apportando coronam et ei dicendo quod ipse haberet totum regnum Franciæ ex integro, mediante auxilio Dei et mediante labore ipsius Johannæ ; et quod ipse poneret eamdem Johannam ad opus, videlicet quod traderet sibi gentes armorum, alioquin non esset ita cito coronatus et consecratus.

 
Item, dit que le signe, ce fut que l'ange certiffioit a son roy en luy apportant la couronne, et luy disant qu'il aroit tout le royaulme de France entierement, a l'ayde de Dieu et moyennant son labeur ; et que il l'a mist en besongne ; c'est assavoir que aultrement qu'il luy baillast des gens, il ne seroit mye si tost couronné et sacré.

  Interrogée si depuis hier ladite Jeanne a parlé à sainte Catherine, répondit que depuis elle l'a ouïe ; et toutefois lui a dit plusieurs fois qu'elle répondît hardiment aux juges sur ce qu'ils lui demanderont touchant son procès.

  Interrogata utrum ipsa, depost diem hesternum, locua fuerit cum sancta Katharinæ, respondit quod, depost diem hesternum, audivit eam ; et tamen dixit ei pluries quod respondeat audacter judicibus de hoc quod petent eidem, tangens processum suum.

  Interroguee si depuis hier ladicte Jhenne a parlé a saincte Katherine, respond que depuis elle l'a ouye. Et toutesfoys luy a dict plusieurs foys qu'elle responde hardyment aux juges de ce que ilz demanderont a elle, touchant son procez.

  Interrogée en quelle manière l'ange apporta la couronne et s'il la mit sur la tête de son roi, répondit qu'elle fut baillée à un archevêque c'est assavoir celui de Reims, comme il lui semble, en la présence du roi.
 
Et ledit archevêque la reçut et la bailla au roi ; et elle-même était présente ; et fut mise cette couronne au trésor de son roi.

  Interrogata quomodo angelus ipse apportavit prædictam coronam, et utrum ipse posuit super caput regis sui, respondit quod corona fuit tradita uni archiepiscopo, videlicet archiepiscopo Remensi, prout ei videtur, in præsentia regis sui ; et dictus archiepiscopus eam recepit et tradidit eidem regi suo ; et ipsamet Johanna erat præsens. Estque corona predicta posita in tbesauro regis sui.

 
Interroguee en quelle maniere l'ange apporta la couronne, et se il la mist sur la teste de son roy, respond :
- Elle fut baillee a ung archevesque, c'est assavoir a celluy de Rains, comme il luy semble.
  Et ledit archevesque la receut, et la bailla au roy ; [et estoit elle-mesmes presente ; et est mise eu tresor du roy] (2)


  Interrogée en quel lieu elle fut apportée, répondit que ce fut en la chambre du roi au château de Chinon.
  Interrogée du jour et de l'heure, répondit que du jour elle ne sait ; et de l'heure, il était haute heure. Autrement n'a mémoire de l'heure. Et ce fut au mois d'avril ou de mars, comme il lui semble. Au mois d'avril prochain ou en ce présent mois, il y aura deux ans passés ; et c'était après Pâques (3).

  Interrogata quo loco fuit dicta corona apporuna, respondit hoc fuit in camera regis sui, in castro de Chinon.
  Interrogata quo die et qua hora, respondit quod de die, nihil scit ; et quantum est de hora, erat liora alta, aliter non habet memoriam de hora. Et fuit hoc in mense aprilis vel martii, prout ei videtur. Dixitque, in proximo mense aprilis aut in præsenti mense martii, essent duo anni elapsi ; et quod hoc fuit post Pascha.

  Interroguee du lieu ou elle fut apportee, respond :
- Ce fut en la chambre du roy, eu chastel de Chinon.
  Interroguee du jour et de l'heure, respond :
- Du jour, je ne sçay; et de l'heure, il estoit haulte heure. Aultrement n'a memoire de l'heure ; et du moys, au moys d'apvril ou de mars, comme il luy semble ; eu moys d'apvril prochain, ou en ce present moys, a deux ans ; et estoit apprez Pasques.


  Interrogée si, la première journée qu'elle vit le signe, son roi le vit, répondit que oui et qu'il l'eut lui-même.

  Interrogata utrum, eodem die quo ipsa vidit illud signum, suus rex etiam viderit, respondit quod sic, et quod ipsemet rex suus habuit illud.

  Interroguee se, la premiere journee qu'elle vist le signe, son roy le veit, respond que ouy ; et que il l'eut luy mesme.

  Interrogée de quelle matière était ladite couronne, répondit qu'il est bon à savoir qu'elle était d'or fin ; et était si riche et opulente qu'elle ne saurait en dénombrer et apprécier les richesses : et signifiait la couronne que son roi tiendrait le royaume de France.

  Interrogata de qua materia erat prædicta corona, respondit quod bonum est scire quod erat de puro auro ; et erat corona adeo dives seu opulenta quod divitias exsistentes in illa nesciret numerare seu appretiari ; significabatque illa corona quod rex ejus teneret regnum Franciæ

  Interroguee de quelle matiere estoit ladicte couronne, respond :
- C'est bon assavoir qu'elle estoit de fin or ; et estoit si riche que je ne sçauroye nombrer la richesse. Et que la couronne signifioit qu'il tiendroit le royaulme de France.


  Interrogée s'il y avait pierreries, répondit :
- Je vous ai dit ce que j'en sais.
  Interrogée si elle la mania ou la baisa, répondit que non.

  Interrogata utrum emnt ibi lapides pretiosi, respondit :
- Ego vobis dixi illud quod scio de hoc.

  Interrogata utrum tenuit vel osculata est coronam prædictam, respondit iuod non.

  Interroguee se il y avoit pierrerie, respond :
- Je vous ay dict ce que j'en sçay.
  Interroguee se elle la manya ou baisa, respond que non.


  Interrogée si l'ange qui apporta cette couronne venait de haut ou s'il venait par terre, répondit que, quand il vint devant le roi, il fit révérence au roi en s'inclinant devant lui et prononçant les paroles que ladite Jeanne a dites du signe ; et, avec ce, l'ange lui remémorait la belle patience qu'il avait eue selon les grandes tribulations qui lui étaient advenues. Et depuis l'huis l'ange marchait et allait sur la terre en venant au roi.

  Interrogata utrum angelus qui hanc coronam apportavit venerat ab alto, vel si veniebat per terram, respondit quod, quando idem angelus venit coram suo rege, fecit eidem reverentiam inclinando se coram eo, et pronuntiando verba quæ ipsa Johanna supra dixit de hoc signo. Et cum hoc, ipse angelus eidem regi suo reducebat ad memoriam pulchram patientam quam ipse habebat, secundum magnas tribulationes quæ ipsi contigerant. Et depost ostium, ipse angelus gradiebatur et ibat super terram, veniendo ad dictum regem suum.

  Interroguee se l'ange qui l'apporta venoit de haut, ou se il venoit par terre respond :
- Il vint de haut. Et entend qu'il venoit par le commandement de nostre Seigneur ; et entra par l'huis de la chambre.
  Interroguee se l'ange venoit par terre et erroit depuis l'huys de la chambre, respond : (4)
- Quand il vint devant le roy, il feist reverence au roy, en se inclynant devant luy, et prononçant les parolles qu'elle a dictes du signe ; et avecq ce luy ramantevoit la belle pascience qu'il avoit eue, selon les grandes tribulacions qui luy estoyent venues ; et depuis l'huis, il marchoit et erroit sur la terre, en venant au roy.


  Interrogée quel espace il y avait de l'huis jusqu'au roi, répondit à ce qu'elle pense, qu'il y avait bien l'espace de la longueur d'une lance ; et, par où ledit ange était venu, s'en retourna.

  Interrogata quale spatium erat ab ostio usque ad locum, in quo tunc erat dictus rex suus, respondit quod, prout credit, bene erat spatium longitudinis unius lanceæ ; et per quem locum venerat præfatus angelus, per eumdem reversus est.

  Interroguee quelle espace il y avoit de l'huis jusques au roy, respond : comme elle pense, il y avoit bien l'espace de la longueur d'une lance ; et, par ou il estoit venu, s'en retourna.


   

  Item dit que, quand l'ange vint, elle l'accompagna et alla avec lui par les degrés à la chambre du roi ; et entra l'ange le premier et puis elle-même. Et elle dit au roi :
- Sire, voilà votre signe, prenez-le.

  Item dicit quod, quando idem angelus venit, ipsa associavit eum, et ivit cum eo per gradus ad cameram regis sui ; et intravit primo angelus, deinde ipsa Johanna ; dixitque ipsa Johanna regi suo :
- Domine, ecce signum vestrum, capiatis ipsum.

  Item, dit que, quand l'ange vint, elle l'accompaigna; et alla avecques luy par les degrez a la chambre du roy, et entra l'ange le premier. Et puis elle mesme dist au roy :
- Syre, vela vostre signe ; prenez le.


  Interrogée en quel lieu l'ange lui apparut, répondit :
- J'étais presque toujours en prière, afin que Dieu envoyât le signe du roi, et j'étais dans mon logis, qui est chez une bonne femme près du château de Chinon, quand l'ange vint. Et puis nous en allâmes ensemble vers le roi, lui et moi. Et l'ange était bien accompagné d'autres anges avec lui, que chacun ne voyait pas. Et dit en outre, ce n'eût été pour l'amour d'elle, et pour l'ôter hors de la peine des gens qui l'arguaient, elle croit bien que plusieurs gens qui virent l'ange dessus dit ne l'eussent pas vu.

  Interrogata quo loco angelus apparuit ipsi Johannæ, respondit :
- Ego eram quasi semper in oratione ut Deus mitteret signum ipsius regis, et eram in hospitio meo, in domo unius bonæ mulieris, prope castrum de Chinon, quando ipse angelus venit ; et postea ipse et ego simul ivimus ad regem ; eratque idem angelus bene associatus aliis angelis cum eo exsistentibus, quos non quilibet videbat. Et dixit ultra quod, nisi fuisset pro amore suimet et pro ponendo eam extra pœnam hominum arguentium eam, bene credit quod plures viderunt angelum prædictum, qui non vidissent.


  Interroguee en quel lieu il apparut a elle, respond :
- Je estoye prezque tousiours en priere, affin que Dieu envoyast le signe du roy ; et estoye a mon logis, qui est chieux une bonne femme, prez du chasteau de Chynon, quand il vint. Et puis et nous alasmes ensemble au roy ; et estoit bien accompaigné d'aultres angelz avecques luy, que chascun ne voyoit pas.
  Et dit oultre ce n'est pas pour l'amour d'elle, et de la oster hors de peine des gens qui l'arguoyent, elle croit bien que plusieus gens veirent l'ange dessusdit, que ne le eussent pas veu.

  Interrogée si tous ceux qui étaient là avec le roi virent l'ange, répondit qu'elle pense que l'archevêque de Reims, les seigneurs d'Alençon et de la Trémoille et Charles de Bourbon le virent. Quant à la couronne, plusieurs gens d'église et autres la virent, qui ne virent pas l'ange.

  Interrogata utrum omnes qui illic erant cum rege suo viderint prædictum angelum, respondit quod, prout credit, archiepiscopus Remensi, domini de Alenconio et de Tramoilla, et Karolus de Borbonio viderunt ipsum. Et, quantum est de corona, plures viri ecclesiasti et alii viderunt eam, qui non viderunt angelum.

  Interroguee se tous ceulx, qui la estoyent avecq le roy, veirent l'ange, respond qu'elle pense que l'archevesque de Rains, les seigneurs d'Alençon et de la Trimouille et Charles de Bourbon le veirent. Et, quand est de la couronne, plusieurs gens d'Eglise et aultres la veirent, qui ne veirent pas l'ange.

  Interrogée de quelle figure et de quelle grandeur était cet ange, répondit qu'elle n'a point congé de le dire ; et demain en répondra.

  Interrogata eujus figruræ et cujus magnitudinis erat angelus prædictus, respondit quod de hoc dicendo non habet licentiam, et quod in crastino responderet.

  Interroguee de quelle figure, et quel grand estoit ledit ange, respond qu'elle n'en a point congé ; et que demain en respondra.

  Interrogée si tous les anges qui étaient en la compagnie de l'ange susdit étaient tous d'une même figure, répondit que certains se ressemblaient assez entre eux et les autres non, en la manière qu'elle les voyait : certains avaient des ailes, et il y en avait de couronnés, et les autres non ; et étaient en leur compagnie saintes Catherine et Marguerite qui furent avec l'ange dessus dit et les autres anges aussi jusque dedans la chambre du roi.

  Interrogata an omnes angeli qui comitabantur angelum prædictum erant unius figuræ, respondit quod bene invicem assimilabantur aliqui eorum, et alii non, in eo modo quo videbat eos ; et aliqui eorum habebant alas, aliqui etiam erant coronati ; et erant in illa societate sanctæ Katharina et Margareta, quæ fuerunt simul cum dicto angelo, et etiam alii angeli, usque infra cameram regis sui.

  Interroguee se ceulx qui estoyent en la compaignie de l'ange estoyent tous d'une mesme figure, respond :
- Ilz se entresembloyent voluntiers les aulcuns. Et les aultres non, en la maniere qu'elle les veoit ; et les aulcuns avoyent aelles ; et si y en avoyent de couronnez, et les aultres non ; et y estoyent en la compaignie sainctes Katherine et Margueritte ; et furent avecq l'ange dessusdit, et les aultres anges aussy, jusques dedens la chambre du roy.


  Interrogée comment cet ange la quitta, répondit qu' il se départit d'elle dans une petite chapelle ; et fut bien courroucée de son départ et pleurai ; et s'en fusse volontiers allée avec lui, c'est assavoir son âme.
  Interrogée si, au départ de l'ange, elle demeura joyeuse, répondit qu'il ne la laissa apeurée ni effrayée mais qu'elle était courroucée de son départ.

  Interrogata qualiter angelus ille recessit ab ipsa, respondit quod ab ea recessit in quadam parva cappella ; et bene fuit irata de recessu ejus ; ipsa quoque flebat et libenter ivisset cum eo, hoc est quod anima sua ivisset.
  Interrogata utrum, in illo recessu angeli, ipsa remansit gaudens, respondit quod ipse non dimisit eam in timore, nec frementem ; sed erat irata de suo recessu.

Interroguee connme celluy ange se partit de elle, respond : il departit d'elle en ceste petite chappelle ; et fut bien courroucee de son partement ; et plouroit; et s'en fust voluntiers allee avecques luy, c'est assavoir son ame.
  Interroguee se au partement elle demoura joyeuse, ou effroyee et en grand paour, respond :
- Il ne me laissa point en paour ne effroyee; mais estoye courroucee de son partement.


  Interrogée si ce fut pour son mérite que Dieu lui envoya son ange, répondit qu'il venait pour une grande chose ; et fut en espérance que le roi crût au signe, et qu'on la laissât sans l'arguer, et pour donner secours aux gens d'Orléans, et aussi pour les mérites du roi et du bon duc d'Orléans.

  Interrogata utrum hoc fuerit per meritum ipsiusmet Johannæ quod Deus misit ad eam suum angelum, respondit quod ipse angelus veniebat pro re magna ; et fuit in spe quod rex suus crederet illud signum et quod homines dimitterent arguere eamdem Johannam, et pro dando succursum bonis gentibus de villa Aurelianensi, ac etiam pro meritis regis sui et boni ducis Aurelianensis.

  Interroguee se ce fut par le merite de elle que Dieu envoya son ange, respond :
- Il venoit pour grande chose ; et fut en esperance que le roy creust le signe ; et que on laissast a l'arguer ; et pour donner secours aux bonnes gens d'Orleans ; et aussy pour le merite du roy et du bon duc d'Orleans.


  Interrogée pourquoi elle l'eut plutôt qu'une autre, répondit qu'il plut à Dieu ainsi faire par une simple pucelle pour bouter hors les adversaires du roi !

  Interrogata quare ipsa hoc habuit plus quam una alia, respondit quod placuit Deo ita facere per unam simplicem puellam, pro repellendo adversarios regis.

  Interroguee pourquoy elle, plus tost que ung aultre, respond :
- Il pleut a Dieu ainsy faire par une simple pucelle, pour reboutter les adversaires du roy.

  Interrogée s'il lui a été dit où l'ange avait pris cette couronne, répondit qu'elle a été apportée de par Dieu et qu'il n'y a orfèvre au monde qui la sût faire si belle ou si riche ; et où l'ange la prit, elle s'en rapporte à Dieu, et ne sait point autrement où elle fut prise.

  Interrogata utrum sibi dictum fuerit ubi angelus prædictus ceperat illam coronam, respondit quod ipsa corona fuit apportata ex parte Dei, et quod non est aurifaber in mundo qui scivisset facere ita pulchram vel ita divitem ; ubi autem angelus eam coronam cepit, eadem Johanna de hoc se refert Deo, et aliter nescit ubi fuit capta.

  Interroguee se il a esté dit a elle ou l'ange avoit prins celle couronne, respond qu'elle a esté apportee de par Dieu ; et qu'il n'a orfebvre eu monde, qui la sceust faire si belle ou si riche. Et ou il la print, elle s'en rapporte a Dieu ; et ne sçait point aultrement ou elle fut prinse.

  Interrogée si cette couronne ne fleurait pas bon et n'avait point bonne odeur, et si elle n'était point reluisante, répondit qu'elle n'a point mémoire de cela, et s'en avisera. Et après dit qu'elle sent bon et sentira toujours bon ; pourvu qu'elle soit bien gardée, ainsi qu'il convient. Et était en manière de couronne.

  Interrogata an eadem corona erat boni odoris, et utrum erat relucens, respondit quod non habet inde memoriam, et de hoc se advisabit. Postea vero dicit quod est boni odoris, et erit, dummodo bene custodiatur sicut decet ; et erat in modum coronæ.

  Interroguee se celle couronne fleuroit point bon et avoit bon odeur, et se elle estoit point reluisant, respond : elle n'a point de memoire de ce. Elle s'en advisera. Et apprez dit :
- Elle sent bon et sentira ; mais qu'elle soit bien gardee, ainsy qu'il appartient. Et estoit en matiere de couronne.


  Interrogée si l'ange ne lui avait point écrit de lettres, répondit que non
  Interrogée quel signe eurent le roi et les gens qui étaient avec lui, et elle-même, de croire que c'était un ange qui apporta cette couronne, répondit que le roi le crut bien par l'enseignement des gens d'église qui étaient là, et par le signe de la couronne.
  Interrogée comment les gens d'église surent que c'était un ange, répondit que c'était par leur science, et parce qu'ils étaient clercs.

  Interrogata utrum angelus scripserat sibi litteras, respondit quod non
  Interrogata quale signum habuit rex ejus, et qui cum eo erant et ipsamet, ad credendum quod esset unus angelus qui hanc coronam apportaverat, respondit quod rex suus hoc credidit per instructionem seu documentum virorum ecclesiasticorum qui erant illie, et per signum coronæ.
  Interrogata qualiter viri ecclesiastici sciverunt quod erat unus angelus, respondit quod sciverunt hoc per scientiam suam, et per hoc quod erant clerici.

  Interroguee se l'ange luy avoit aporté lectres (7), respond que non.
  Interroguee quel signe eurent le roy, les gens qui estoyent avecques luy et elle, de croire que c'estoit ung ange, respond que le roy le creut par l'enseignement des gens d'Eglise qui la estoyent, et par le signe de la couronne.
  Interroguee comme les gens d'Eglise sceurent que c'estoit ung ange, respond :
- Par leur science, et parce que ilz estoyent clercs.


  Interrogée d'un prêtre concubinaire et d'une tasse perdue dont on disait qu'elle les avait découverts (5), répondit que de tout cela elle ne sait rien, ni onques n'en ouït parler.

  Interrogata de uno sacerdote concubinario et de uno scypho perdito, quos dicebatur indicasse, respondit quod de omnibus his nihil scit nec unquam audivit loqui.


  
Interroguee d'ung prebstre concubinaire, etc...; et d'une tasse perdue, respond :
- De tout ce, je n'en sçay rien ; ne oncques n'en ouy parler.


  Interrogée quand elle alla devant Paris, si elle eut révélation de ses voix d'y aller, répondit que non, mais y alla à la requête des gentils hommes qui voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d'armes : et avait bien l'intention d'aller outre et de passer les fossés de Paris.

  Interrogata utrum, quando ivit ad villam Parisiensem, ipsa habuerit per revelationem suarum vocum de eundo illuc, respondit quod non, sed ivit ad requestam nobilium qui volebant facere unam invasionem, gallice une escarmouche, vel unam valentiam armorum ; et bene habebat intentionem eundi ultra et transeundi fossata villæ Parisiensis.

  Interroguee se, quand elle alla devant Paris, se elle eust par revelacion de ses voix de y aller, respond que non, mais a la requeste des gentilzhommes, qui voulloyent faire une escarmouche ou une vaillance d'armes ; et avoit bien intencion de aller oultre et de passer les fossez.

  Interrogée si elle n'eut point révélation d'aller devant La Charité, répondit que non ; mais elle y alla à la requête des gens d'armes, comme autrefois elle a dit.

  Interrogata utrum etiam habuerit revelationem de eundo ante villam de Caritate, respondit quod non, sed ivit ad requestam hominum armorum, velut alias ipsa respondit.

  Interroguee aussi d'aller devant La Charité, se elle eust revelacion, respond que non ; mais par la requeste des gens d'armes, ainsy comme aultresfoys elle a dit.

  Interrogée si elle n'eut point révélation d'aller au Pont-Levêque répondit que, depuis qu'elle eut révélation à Melun (6) qu'elle serait prise, elle s'en rapporta le plus souvent à la volonté des capitaines au fait de la guerre ; et toutefois ne leur disait point qu'elle avait révélation d'être prise.

  Interrogata utrum habuerit aliquam revelationem de eundo ad Pontem-Episcopi, respondit quod, postquam habuit revelationem supra fossata Meleduni quod ipsa caperetur, ipsa se retulit ut in pluribus ad capitaneos de facto guerræ ; et tamen non dicebat eis se habere revelationem quod caperetur.

  Interroguee du Pontlevesque, se elle eut point de revelacion, respond que, puis ce qu'elle ouit revelacion a Melun qu'elle seroit prinse, elle se rapporta le plus du faict de la guerre a la volunté des cappitaines ; et toutesvoyes ne leur disoit point qu'elle avoit revelacion de estre prinse.

  Interrogée si ce fut bien fait, au jour de la Nativité de Notre Dame, puisque c'était fête, d'aller assaillir Paris, répondit que c'est bien fait de garder les fêtes de Notre Dame ; et en sa conscience lui semblait que c'était et ce serait bien fait de garder les fêtes de Notre Dame d'un bout jusqu'à l'autre.
  Interrogée si elle n'a pas dit devant la ville de Paris : "Rendez la ville de par Jésus", répondit que non ; mais dit : "Rendez-la au roi de France !"

  Interrogata utrum fuerit bene factum de eundo ad invadendum villam Parisiensem in die Nativitatis Beatæ Mariæ, cum esset festum, respondit quod est bene factum servare festa Beatæ Mariæ ; et videtur ei in ejus conscientia quod esset bene factum servare festa Mariæ Mariæ a principio usque ad finem.
  Interrogata utrum dixeritne coram villa Parisiensi : "Reddatis villam, Jhesu !", respondit quod non, sed dixit : "Reddatis eam regi Franciæ".


  Interroguee se ce fut bien faict au jour la Nativité nostre Dame, qu'il estoit feste, de aller assaillir Paris, respond :
- C'est bien faict de garder les festes de nostre Dame.
  Et, en sa conscience, luy semble que c'estoit et seroit bien faict de garder les festes nostre Dame, depuis ung bout jusques en l'autre.
  Interroguee se elle dist point devant la ville de Paris : "Rendez la ville de par Jhesus", respond que non ; mais dist : "Rendez la au roy de France".





Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)

Notes :
1 Phrase au sens un peu trouble
O'REILLY "Et alors je me suis dit à moi-même : Je promets de n'en parler à homme au monde".
CHAMPION : Et alors se dit à elle-même : "Je promets que je n'en parlerai plus à aucun homme"
TISSET : Et elle-même promit alors qu'elle n'en parlerait plus à quiquonque.
O'Reilly traduit dans le sens où elle se remémore sa promesse faite à elle-même autrefois. La traduction de Champion laisserait plutôt penser qu'elle se fait cette promesse pendant qu'elle est au tribunal. La minute française (Urfé et Orléans identiques) ne clarifie pas la situation.
Étant donné qu'elle va décrire le signe dans les réponses suivantes, il faudrait plutôt penser dans le sens O'REILLY. (ndlr)

2 La partie entre crochets figure dans la minute du ms de d'Urfé et dans le résuisitoire de d'Estivet.

3 La date traditionnelle d'arrivée de Jeanne à Chinon est le 6 mars 1429. Certains historiens penchent plutôt pour le 23 février 1429 qui parait plus correcte. (Lire article très intéressant de P. Boissonade)

4 Toute cette partie est omise dans la rédaction latine : "respond : Il vint de haut. Et entend qu'il venoit par le commandement de nostre Seigneur ; et entra par l'huis de la chambre.
Interroguee se l'ange venoit par terre et erroit depuis l'huys de la chambre, respond :..."
Cela ressemble à une bévue de Courcelles, les deux questions étant ressemblantes, il a pu sauter deux ou trois lignes. Cette partie est présente dans le réquisitoire de d'Estivet.
Encore une preuve de l'authenticité de la minute du ms d'Orléans.

5 De Courcelles a rajouté : "qu'elle avait indiqués", ce qui ne figure ni dans le réquisitoire, ni dans la minute française.

6 Jeanne alla à Melun dans la semaine de Pâques qui tombe le 16 avril en 1430.

7 ndlr : C'était l'époque où circulaient des "lettres tombées du ciel". En posant la question à Jeanne, ses juges ont peut-être pensé aux "lettres de Michel à Satan" - Voir : Etienne Delaruelle "L'Archange St-Michel dans la spiritualité de Jeanne d'Arc" - dans "La piété populaire au Moyen-Age" - 1967.


Procès de condamnation en Français (1431)
- Index

Préliminaires :
- ouverture du procès
- séance du 9 janvier

- séance du 13 janvier
- séance du 23 janvier
- séance du 13 février
- séances des 14 au 16 fév.
- séance du 19 février
- séance du 20 février

Procès d'office :
séances publiques
- 1ère séance du 21 février
- séance du 22 février
- séance du 24 février
- séance du 27 février
- séance du 1er mars
- séance du 3 mars
- réunions du 4 au 9 mars
séances dans la prison
- séance du 10 mars
- séance du 12 mars
- séance du 13 mars
- séance du 14 mars
- séance du 15 mars
- séance du 17 mars
- réunion du 18 mars
- réunion du 22 mars
- séance du 24 mars
- séance du 25 mars

Procès ordinaire :
- réunion du 26 mars
- réquisitoire du 27 mars
- suite réquisitoire 28 mars
- séance du 31 mars
- réunion du 2 avril
- réunion du 5 avril - articles
- suite - délibération
- exhor. charit. du 18 avril
- admonition du 2 mai
- menace torture du 9 mai
- délibération du 12 mai
- délibération du 19 mai
- admonestation du 23 mai
- abjuration du 24 mai

La cause de relapse :
- constat relapse du 28 mai
- délibération du 29 mai
- citation du 30 mai

Actes postérieurs




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