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10 décembre 2024  

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Procès de condamnation - procès d'office
Premier interrogatoire public - 21 février 1431

e mercredi, savoir le vingt-et-unième jour du mois de février, sur les huit heures du matin, nous, évêque, nous sommes rendu à la chapelle royale du chateau de Rouen, où nous avions fait citer la dite femme à comparaitre à ce jour et à cette heure. Là nous avons pris séance, en tribunal, assisté de révérends pères, seigneurs et maitres : Gilles, abbé de la Sainte Trinité de Fécamp, Pierre, prieur de Longueville-Giffard, Jean de Chastillon, Jean Beaupère, Jacques de Touraine, Nicolas Midi, Jean de Nibat, Jacques Guesdon, Jean Le Fèvre, Maurice du Quesnay, Guillaume Le Boucher, Pierre Houdenc, Pierre Maurice, Richard Prati, Gérard Feuillet, docteurs en théologie sacrée ; Nicolas de Jumièges, Guillaume de Sainte-Catherine et Guillaume de Cormeilles, abbés ; Jean Garin, chanoine, Raoul Roussel, docteurs en l'un et l'autre droit. Guillaume Haiton, Nicolas Couppequesne, Jean Le Maistre, Richard de Grouchet, Pierre Minier, Jean Pigache, Raoul Le Sauvage, bacheliers en théologie. Robert Le Barbier, Denis Gastinel, Jean Le Doulx, bacheliers en l'un et l'autre droit. Nicolas de Venderès, Jean Basset, Jean de la Sceau de la chapelle royale de RouenFontaine, Jean Bruillot, Aubert Morel, Jean Colombel, Laurent du Busc et Raoul Anguy, bacheliers en droit canon. André Marguerie, Jean Alespée, Geoffroy du Crotay et Gilles Deschamps, licenciés en droit civil.

  En leur présence, il a été d'abord donné lecture des lettres du roi sur la reddition et le renvoi à nous fait de ladite femme ; puis des lettres du chapitre de Rouen nous accordant  territoire, lettres dont la teneur est transcrite ci-dessus. Après cette lecture, le seigneur Jean d'Estivet, notre promoteur, constitué et député dans cette affaire, nous a rapporté qu'il avait fait citer et évoquer ladite Jeanne par notre huissier dans cette cause, afin qu'elle comparût au dit lieu, au jour et à l'heure prescrits, pour répondre, comme de droit, aux interrogations qui lui seraient proposées, ainsi qu'il résultait clairement du rapport dudit huissier annexé à nos lettres d'ajournement.

  (1) "Pierre, par, la grâce divine évêque de Beauvais, jouissant du territoire dans la cité et le diocèse de Rouen sur l'autorisation du vénérable chapitre de la cathédrale de Rouen pendant la vacance du siège archiépiscopal, afin de déduire et mener à terme l'affaire ci dessous rapportée, au doyen de la chrétienté de Rouen, à tous les prêtres, curés on non de cette cité et diocèse, à qui ces présentes lettres parviendront, salut dans l'auteur et consommateur de notre foi, Notre Seigneur Jésus Christ. Comme une certaine femme, vulgairement dite Jeanne la Pucelle, avait été capturée et prise dans notre diocèse de Beauvais, puis nous avait été été rendue, expédiée, baillée et livrée par très chrétien et sérénissime prince, monseigneur le roi de France et d'Angleterre, comme véhémentement soupçonnée d'hérésie, afin que nous fissions son procès en matière de foi, après avoir ouï le bruit de ses faits et dits blessant notre foi notoirement répandu non seulement à travers le royaume de France mais encore à travers toute la chrétienté, après une diligente information et sur l'avis de gens experts, désirant mûrement procéder dans cette affaire, nous avons résolu d'appeler ladite Jeanne, de la citer et de l'entendre sur les articles et interrogatoires qui lui seront donnés et faits concernant cette matière. C'est pourquoi nous mandons à tous et à chacun de vous de ne pas s'attendre l'un l'autre, s'il est requis par nous, ni de s'excuser l'un sur l'autre. Citez donc péremptoirement ladite Jeanne si fort suspecte d'hérésie, à comparaitre devant nous, dans la chapelle royale du château de Rouen, le mercredi 21 du présent mois de février à huit heures du matin, afin qu'elle dise la vérité sur lesdits articles, interrogatoires et autres sur quoi nous la tenons pour suspecte, et pour faire d'elle, comme il nous paraîtra juste et de raison, en lui intimant qu'elle sera excommuniée faute de comparaître ce jour là devant nous. Rendez-nous fidèlement compte de tout ce qui aura été fait, vous qui suivrez en personne cette affaire. Donné à Rouen, sous notre sceau, l'an du Seigneur 1431, le mardi vingtième jour du mois de février. Ainsi signées G. BOISGUILLAUME. G. MANCHON."

  (2)  "A révérend père en Christ monseigneur Pierre, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et jouissant du territoire dans cette cité et le diocèse de Beauvais sur l'agrément du vénérable chapitre de la cathédrale de Rouen pendant la vacance du siège archiépiscopal, afin qu'il puisse déduire et terminer l'affaire ci-dessous rapportée, l'humble, prétre Jean Massieu, doyen de la chrétienté de Rouen, présente, en toute révérence et tout honneur, prompte obéissance à tous ses mandements. Sache votre révérende paternité que j'ai cite péremptoirement, en vertu du mandement que vous m'avez adressé et auquel est annexé mon présent exploit, la femme vulgairement appelée Jeanne la Pucelle, le mercredi 21 février à huit heures du matin, dans la chapelle royale du château de Rouen ; cette femme, appréhendée personnellement dans l'enceinte dudit château, et que vous tenez véhémentement pour suspecte d'hérésie, devant répondre la vérité aux articles et interrogatoires qui lui seraient faits et posés touchant la matière de la foi, ainsi qu'aux autres points sur lesquels vous l'estimez suspecte, et pour faire à son sujet comme de juste et de raison suivant l'intimation contenue dans vos lettres. Ladite Jeanne m'a en effet répondu que volontiers elle comparaîtrait devant vous et répondrait la vérité aux interrogations qui lui seraient faites ; que toutefois elle demandait que, dans cette cause, vous voulussiez bien convoquer des ecclésiastiques des pays tenant le parti de France, tout autant qu'il y en avait d'Angleterre ; en outre elle suppliait humblement votre révérende paternité de lui permettre d'entendre la messe demain avant de comparaitre devant votre révérende paternité, et que j'eusse bien à vous le signifier : ce que j'ai fait. Tout ce qui précède a été fait par moi ; et je le signifie à votre révérende paternité par les présentes lettres, scellées de mon sceau et signées de mon seing manuel. Donné l'an du Seigneur 1431, le mardi veille dudit mercredi. Ainsi signé : JEAN."

 
Puis le promoteur, après lecture des lettres susdites, a requis instamment que cette femme reçût commandement de se rendre ici pour comparaître devant nous en jugement, ainsi qu'elle avait été citée, afin que nous l'interrogions sur certains articles concernant la matière de foi : ce que nous avons accordé. Mais comme, entre temps, cette femme nous avait requis qu'il lui fût permis d'ouïr la messe, nous avons exposé aux assesseurs que nous avions tenu conseil à ce sujet avec des maîtres et de notables personnes : vu les crimes dont ladite femme était diffamée, notamment l'inconvenance de son habillement dans laquelle elle persévérait, leur avis fut qu'il convenait de surseoir à lui accorder licence d'ouïr la messe et d'assister aux divins offices.

  Tandis que nous disions cela, cette femme fut introduite par notre huissier. Puisqu'elle comparaissait en jugement devant nous, nous commençâmes à exposer comment cette Jeanne avait été prise et appréhendée dans les termes et limites de notre diocèse de Beauvais ; comment de nombreux actes accomplis par elle, non seulement dans notre diocèse, mais encore dans beaucoup d'autres régions, blessaient la foi orthodoxe ; comment le bruit public s'en était répandu par tous les royaumes de la chrétienté. Tout récemment, le sérénissime et très chrétien prince, le roi notre sire, nous l'avait baillée et délivrée afin que nous lui fissions son procès en matière de foi, comme il apparaissait être de droit et de raison. C'est pourquoi, vu la commune renommée et le bruit public, ainsi que certaines informations dont nous fîmes précédemment mention, après tout d'abord tenu mûr conseil avec des personnes savantes en droit divin et civil, nous avons donné mandement de notre office pour que ladite Jeanne fût citée et évoquée par lettre, répondre la vérité aux interrogatoires en matière de foi qui lui seraient proposés et à l'effet de procéder, comme de droit et de raison, ainsi qu'il résultait des lettres susdites que le promoteur avait exhibées.

  Comme c'est le devoir de notre office de veiller à la conservation et exaltation de la foi catholique, avec le bénin secours de Jésus-Christ dont la cause est en jeu, nous avons d'abord exhorté charitablement et requis ladite Jeanne, alors assise devant nous afin que, pour l'abréviation du présent procès et la décharge de sa conscience, elle déclarât pleine vérité sur les questions qui lui seraient posées en matière de foi, sans recourir aux subterfuges et ruses l'éloignant de la vérité même .

                                                                            *
                                                                      *         *

  En outre, suivant notre office, nous avons requis judiciairement ladite Jeanne de prêter serment en forme due, les mains sur les sacrosaints Évangiles, et de dire la vérité sur les questions qui lui seraient posées, comme il a été dit ci dessus.
  Ladite Jeanne a répondu de la sorte :
- Je ne sais sur quoi vous voulez m'interroger. Peut-être pourrez-vous me demander telles choses que je ne vous dirai pas.

  Insuper, ex officio nostro, ipsam Johannam judicialiter requisivimus, quatenus juramentum in forma debita, tactis sacrosanctis Evangelis, præstaret, de dicendo veritatem, ut præmittitur, super his de quibus interrogaretur.
  Quæ quidem Johanna ad hoc in hunc modum respondit :
- Nescio super quibus vultis me interrogare. Forte vos poteritis a me talia petere, quæ non dicam vobis.


  La dessusdicte requeste accordee, comme dit est, icelluy evesque feist venir ladicte Jhenne, et l'admonnesta caritativement.
  Et luy pria qu'elle dist verité des choses qui luy seroyent demandees, tant pour l'abbreviacion de son procez que pour la descharge de sa conscience, sans querir subterfuges ne cautelles; et qu'elle jurast sur les sainctes Euvangilles de dire verité de toutes les choses sur lesquelles elle seroit interroguee.
  Laquelle Jhenne respondit :
- Je ne sçay sur quoy vous me voullez interroguer. Adventure me pourriez vous demander telles choses que je ne vous diray point.


Sur quoi nous lui répondîmes :
- Jurerez vous de dire vérité sur ce qui vous sera demandé, concernant la matière de foi, et sur ce que vous saurez ?

Cum vero nos eidem diceremus :
- Vos jurabitis dicere veritatem de his quæ petentur a vobis, fidei materiam concernentibus et quæ scietis.


Sur quoy ledit evesque luy dist :
- Vous jurerez de dire verité de ce que vous sera demandé qui concerne la foy catholicque et de toutes aultres choses que sçaurez.


Celle ci répondit que, au sujet de ses père et mère et sur ce qu'elle avait fait depuis qu'elle avait pris le chemin de France, volontiers en jurerait ; mais les révélations à elle faites de par Dieu, elle ne les avait dites ni révélées à personne, si ce n'est au seul Charles qu'elle dit être son roi ; ces choses là, elle ne les révélerait, dût on lui couper la tête ; car elle les avait eues par visions ou par son conseil secret. Et dans les huit prochains jours, elle saurait bien si elle les devait révéler.

Ipsa rursum respondit quod de patre et matre, et his quæ fecerat, postquam iter arripuerat in Franciam, libenter juraret ; sed, de revelationibus eidem factis ex parte Dei, nunquam alicui dixerat seu revelaverat, nisi soli Karolo quem dicit regem suum ; nec etiam revelaverat, si deberet eidem caput amputari ; quia hoc habebat per visiones sive consilium suum secretum, ne alicui revelaret ; et quod, infra octo dies proximos, bene sciret si hoc deberet revelare.

A quoy ladicte Jhenne respondit que de ses pere et mere, et de toutes les choses qu'elle avoit faictes depuis qu'elle avoit prins le chemin pour venir en France, voluntiers en jureroit. Mais de revelacions a elle faictes de par Dieu, que jamais elle ne l'avoit dit ne revelé fors a Charles, que elle dit estre son roy. Et si on luy debvoit coupper la teste, elle ne les reveleroit ; pour ce qu'elle savoit par ses visions qu'elle les debvoit tenir secretes. Mais que dedens huit jours elle sçaura bien se elle les doibt reveler.

  Derechef, et vitrail de la chapelle du chateau de Rouen représentant St Pierrepar plusieurs fois, nous, évêque, l'avons admonestée et requise de vouloir bien prêter serment de dire vérité, en ce qui toucherait notre foi. Ladite Jeanne, les genoux fléchis, les deux mains posées sur le livre, assavoir le missel, jura qu'elle dirait la vériré sur toutes les choses qui lui seraient demandées, et qu'elle saurait, concernant la matière de foi. Elle passa sous silence la condition susdite, savoir qu'elle ne dirait à personne et ne dévoilerait les révélations à elles faites (7).

  Et iterato, et vicibus repetitis, nos, episcopus prædictus, monuimus et requisivimus eamdem Johannam quod in his quæ tangerent fidem nostram juramentum præstare vellet de dicendo veritatem. Quæ quidem Johanna, flexis genibus, ambabus manibus supra librum, videlicet supra Missale, positis, juravit quod diceret veritatem super his quæ requirerentur ab ea, fidei materiam concernentibus quæ sciret, tacendo de conditione antedicta, videlicet quod nulli diceret aut revelationes eidem factas (7).


  Apprez lesquelles paroles ledit evesque l'admonnesta et pria que, en ce que toucheroit la foy, elle feist serment de dire verité. Laquelle Jehenne se mist a genoulx, les deux mains sur le livre, c'est assavoir un messel, et jura qu'elle diroit verité de toutes les choses qui luy seroyent demandees, qui concernent la matiere de la foy. Mais que, des revelacions dessus dictes, elle ne les diroit a personne.

  Item ayant ainsi prêté serment, ladite Jeanne fut interrogée par nous sur son nom et surnom.
   A quoi elle répondit que dans son pays on l'appelait Jeannette ; et, après qu'elle vint en France, on l'appela Jeanne. Quant à son surnom, elle disait n'en rien savoir. Ensuite, interrogée sur son pays d'origine : elle répondit qu'elle naquit dans le village de Domrémy, qui est uni avec le village de Greux (3) ; et c'est à Greux qu'est la principale église.

  Item, juramento sic præstato, eadem Johanna per nos interrogata fuit de nomine et cognomine ipsius.
  Ad quæ respondit quod in partibus suis vocabatur Johanneta et, postquam venit in Franciam, vocata est Johanna. De cognomine autem suo dicebat se nescire. Consequenter, interrogata de loco originis : respondit quod nata fuit in villa de Dompremi, quæ est eadem cum villa de Grus ; et in loco de Grus est principalis ecclesia.


  (9) Ce jour mesme, ladicte Jhenne interroguee, de son nom et surnom,
  Respondit que, au lieu ou elle avoit esté nee, on l'appeloit Jhannette, et en France, Jhenne ; et du surnom n'en sçait riens.
  Interroguee du lieu de sa naissance,
  Respondit qu'elle avoit esté nee en ung villaige qu'on appeloit Dompremy de Grus, euquel lieu de Grus est la principalle eglise.


  Item interrogée du nom de ses père et mère, répondit que son père était nommé Jacques d'Arc (4) et sa mère Isabelle (5).

  Item, interrogata de nomine patris et matris : respondit quod pater vocabatur Jacobus d'Arc, mater veto, Ysabellis.

  Interroguee du nom de ses pere et mere, respondit que son pere estoit nommé Jacques Tarc et sa mere Ysabeau.

  Interrogée où elle fut baptisée, répondit que ce fut dans l'église de Domrémy (6)

  Interrogata quo loco fuit baptizata : respondit quod in ecclesia de Dompremi.

  Interroguee ou elle fut baptisee, respondit que ce fut en l'eglise de Dompremy.

  Interrogée qui furent ses parrains et marraines, dit qu'une de ses marraines était nommée Agnès, une autre Jeanne, une autre Sibille ; de ses parrains, un se nommait Jean Lingué, un autre Jean Barrey : elle eut plusieurs autres marraines, comme elle l'avait bien ouï dire à sa mère.

  Interrogata qui fuerunt ejus patrini et matrinæ : dicit quod una matrinarum vocabatur Agnes, altera Johanna, altera Sibilla ; patrinorum vero unus vocabatur Johannes Lingué, alter, Johannes Barrey ; aliasque plures matrinas habuit, prout audivit a matre.

  Interroguee que fut ses parrains et marraines, respondit que une femme nommee Agnetz et ung aultre nommee Jhenne ; et ung nommé Jehan Bavent fut son parrain. Dist oultre qu'elle avoit bien ouy dire a sa mere que elle avoit d'aultres parrains et marraines que les dessusdits.

  Interrogée quel prêtre l'a baptisée, répondit que ce fut maitre Jean Minet, à ce qu'elle croyait.
  Interrogée s'il vivait encore, répondit que oui, à ce qu'elle croit .

  Interrogata quis sacerdos eam baptizavit : respondit quod dominus
Johannes Minet, prout credit.
  Interrogata an vivat ipse : respondit quod sic, prout credit.


  Interroguee qui fut le prebstre qui la baptisa, répondit que ce fut ung nommé messire Jehan Nynet, ainsy comme elle croyt.
  Interroguee
se ledit Nynet vist encoires, respondit que ouy, ainsy comme elle croit.

  Item interrogée quel âge elle avait, répondit qu'elle avait environ dix-neuf ans, comme il lui semble. En outre dit que sa mère lui apprit le Pater noster, l'Ave Maria, le Credo ; et que nulle autre personne que sa mère ne lui apprit sa croyance.

   Item, interrogata cujus ætatis ipsa erat : respondit quod, prout sibi videtur, est quasi XIX annorum. Dixit præterea quod a matre didicit Pater noster, Ave Maria, Credo ; nec alibi didicit credentiam, nisi a præfata ejus matre.

  Interroguee quel aage elle avoit, respondit qu'elle avoit dix neuf ans ou environ. Et oultre dist que sa mere luy apprint le Pater noster, Ave Maria et Credo ; et que aultre personne que sadicte mere ne luy apprins sa creance.

  Item, texte du Pater noster datant de 1593requise par nous de dire Pater noster, répondit que nous l'entendissions en confession, et qu'elle nous le dirait volontiers. Et comme, à plusieurs fois, nous l'avions requise de ce faire, elle répondit qu'elle ne dirait Pater noster, à moins que nous ne l'entendissions en confession. Or nous lui dîmes que volontiers nous lui baillerons un ou deux notables personnages de langue française, à qui elle dirait Paster noster, etc. ; à quoi ladite Jeanne répondit qu'elle ne leur dirait point s'ils ne l'entendaient en confession.

  Item, requisita per nos quod diceret Pater noster : respondit quod audiremus eam in confessione et ipsa nobis diceret libenter. Cumque iterum pluries super hoc requireremus eam : respondit quod non diceret Pater noster, etc..., nisi eam audiremus in confessione. Tunc autem diximus quod libenter sibi traderemus unum aut duos notabiles viros de lingua gallicana, coram quibus ipsa diceret Pater noster etc... Ad quod respondit ipsa Johanna quod non diceret eis, eam audirent in confessione.

  Requise qu'elle dist Pater noster et Ave Maria, respond qu'elle la dira voluntiers, pourveu que monseigneur l'evesque de Beauvoys, qui estoit present, la vouldroit oyr de confession. Et, combien qu'elle fust plusieurs foys requise de dire Pater noster et Ave Maria, elle respondit qu'elle ne le diroit point, se ledit evesque ne l'ouoyt de confession.
  Et adoncq ledit euesque dist : Je vous ordonneray ung ou deux notables personnaiges de ceste compaignie (8) ausquelz vous direz : Pater noster et Ave Maria. A quoy elle respondit :
-
Je ne le diray point, se ilz ne me oyent de confession.

  Après quoi nous, évêque susdit, avons défendu à Jeanne de sortir des prisons à elle assignées, dans le château de Rouen, sans autorisation, sous peine d'être convaincue du crime d'hérésie. Nous a répondu qu'elle n'acceptait point cette défense, ajoutant que si elle s'évadait, nul ne pourrait la reprendre d'avoir enfreint ou violé son serment, puisqu'elle n'avait donné sa foi à personne. Ensuite elle se plaignit d'être incarcérée avec chaînes et entraves de fer. Nous lui dîmes alors qu'elle s'était efforcée ailleurs et par plusieurs fois de s'évader des prisons ; et c'est à cette fin qu'elle fût gardée plus fidèlement et plus sûrement que l'ordre avait été donné de l'entraver de chaînes de fer. A quoi elle répondit :
- Il est vrai qu'ailleurs j'ai voulu et que je voudrais m'évader, comme il est licite à toute personne incarcérée ou prisonnière.

  Quibus sic peractis, nos, episcopus prædictus, prohibuimus eidem Johannæ ne recederet de carceribus sibi assignatis infra castrum Rothomagense, absque licentia nostra, sub pœna convicti de crimine hæresis. Ipsa vero respondit quod non acceptabat illam inhibitionem dicens ulterius quod, si evaderet, nullus posset eam reprehendere quod fidem suam fregisset vel violasset, quia nulli unquam fidem dederat. Deinceps conquesta fuit quod in vinculis et compedibus ferreis detinebatur. Tunc quoque sibi diximus quod alias nisa fuerat a carceribus evadere pluribus vicibus, et propterea, ut tutius et securius custodiretur, jussa fuerat vinculis ferreis compediri. Ad quod respondit, dicens :
- Verum est quod alias volui et vellem, prout licitum est cuicumque incarcerato seu prisionario, evadere.


   Ladicte Jhenne soy plaignant des fers qu'elle avoit aux jambes, luy fut dit par ledit evesque que par plusieurs foys elle se estoit efforcee d'eschaper des prisons, pour quoy, affin qu'elle fust gardee plus seurement, on avoit commandé qu'elle fust enferree.
  A quoy ladicte Jhenne respondit qu'il estoit vray que autresfoys elle avoit bien voullu eschapper de la prison, ainsy qu'il est licite a chascun prisonnier. Et dist oultre que, quand elle pourroit eschaper, on ne la pourroit reprendre qu'elle eust faulcé ou viollé sa foy a aulcun ; car elle ne l'avoit baillee jamais a personne.


                                                                            *
                                                                      *         *

   Nous avons ensuite commis à la garde sûre de ladite Jeanne noble homme John Grey, écuyer du corps du roi notre sire, et avec lui John Berwoit et William Talbot, en leur enjoignant de bien et fidèlement la garder, sans permettre à quiconque de conférer avec elle sans notre autorisation. Ce qu'ils jurèrent solennellement de faire la main sur les saints Evangiles. Enfin, après avoir accompli tous ces actes préliminaires, nous avons assigné Jeanne à comparaitre le lendemain jeudi, à huit heures du matin, en la chambre de parement située au bout de la grande salle dudit château de Rouen.




                                                 


Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "La minute française des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952).
Quelques corrections du "Procès de condamnation de Jeanne d'Arc" - Pierre Tisset (1970) - T. II p. 32 à 42.


Illustrations :
- sceau de la chapelle de Rouen (Bibl.nle.ms.po.2309)
- vitrail de la chapelle du chateau de Rouen représentant St Pierre (Musée de Cluny)
- version du "Pater noster" de 1593.


Notes :
1 Teneur de la lettre d'ajournement

2 Exploit de l'huissier Jean Massieu

3 Greux : village touchant à Domrémy. Ne fut incorporé au royaume que sous les premiers Valois. Dépendait d'Andelot et non de Vaucouleurs.

4 C'est sous cette forme qu'est écrit d'Arc dans le procès de condamnation. Jacques d'Arc serait né à Ceffonds vers 1375 (Charles du Lys - 1628). Il s'est établi à Domrémy vers le temps de son mariage. Jacques d'Arc était de situation honorable sans être riche comme parfois insinué. Il était doyen du village et donc exerçait des fonctions semblables à celle d'un garde-champêtre. Il a été anobli en 1429 par Charles VII et serait mort du chagrin que lui causa la fin de sa fille (Boucher de Molandon, Jacques d'Arc, père de la Pucelle d'Orléans - 1886).

5 Isabeau d'Arc, mère de la Pucelle. Son surnom était Romée, son prénom en patois était aussi Zabilet. Isabelle Romée était de Vouthon, village vers Gondrecourt à 7 km de Greux. Elle s'est rendue au grand pélérinage du Puy-en-Velay au temps où sa fille de rendait vers le Dauphin. Après le décès de son mari sans doute, elle vint s'établir vers 1440 à Orléans où elle fut logée dans la résidence d'Henriet Anquetil et la municipalité lui alloua une pension mensuelle. Elle avait alors 60 ans environ. Elle mourut le 28 novembre 1458 soit deux ans après la réhabilitation de sa fille.

6 L'église de Domrémy existe encore mais a été profondément remaniée au début du XIX° siècle.

7 ..."Elle passa sous silence la condition susdite, savoir qu'elle ne dirait à personne et ne dévoilerait les révélations à elles faites"... mention ajoutée au procès latin par T.de Courcelles. Jeanne n'a pas passé sous silence les restrictions de son serment.

8 Le texte de T. de Courcelles prête à confusion "duos notabiles viros de lingua gallicana" souvent traduit par "deux notables de langue française" ou "deux notables de votre parti" alors que tout le monde parle Français dans ce procès et qu'on n'imagine pas Cauchon faire venir deux importants personnages du parti français. La minute du manuscrit d'Orléans semble correcte à ce sujet.

9 La minute française du ms d'Orléans, donne le texte dans l'ordre ci-dessous. A noter que la minute précise "après les interrogatoires faits à Jeanne concernant ses noms, prénoms..." T. de Courcelles a donc remis le texte dans l'ordre chronologique.
Dans le texte ci-dessus, l'ordre de la minute française a été mis dans l'ordre chronologique pour permettre la comparaison avec la version latine officielle :
..."Item, ce mesme jour, apprez aulcuns interrogatoires faictz a ladicte Jehenne, c'est assavoir du nom de ses pere et mere, et du lieu ou elle avoit esté nee, et de son aage.
  Ladicte Jhenne soy plaignant des fers qu'elle avoit aux jambes,
  Luy fut dit par ledit evesque que par plusieurs foys elle se estoit efforcee d'eschaper des prisons, pour quoy, affin qu'elle fust gardee plus seurement, on avoit commandé qu'elle fust enferree.
  A quoy ladicte Jhenne respondit qu'il estoit vray que autresfoys elle avoit bien voullu eschapper de la prison, ainsy qu'il est licite a chascun prisonnier. Et dist oultre que, quand elle pourroit eschaper, on ne la pourroit reprendre qu'elle eust faulcé ou viollé sa foy a aulcun ; car elle ne l'avoit baillee jamais a personne...
  ...Ce jour mesme, ladicte Jhenne interroguee, de son nom et surnom,
  Respondit que, au lieu ou elle avoit esté nee, on l'appeloit Jhannette, et en France, Jhenne ; et du surnom n'en sçait riens.
  Interroguee du lieu de sa naissance,
  Respondit qu'elle avoit esté nee en ung villaige qu'on appeloit Dompremy de Grus, euquel lieu de Grus est la principalle eglise.
  Interroguee du nom de ses pere et mere,
  Respondit que son pere estoit nommé Jacques Tarc et sa mere Ysabeau.
  Interroguee ou elle fut baptisee,
  Respondit que ce fut en l'eglise de Dompremy.
  Interroguee que fut ses parrains et marraines,
  Respondit que une femme nommee Agnetz et ung aultre nommee Jhenne ; et ung nommé Jehan Bavent fut son parrain. Dist oultre qu'elle avoit bien ouy dire a sa mere que elle avoit d'aultres parrains et marraines que les dessusdits.
  Interroguee qui fut le prebstre qui la baptisa,
  Répondit que ce fut ung nommé messire Jehan Nynet, ainsy comme elle croyt.
  Interroguee se ledit Nynet vist encoires,
  Respondit que ouy, ainsy comme elle croit.
  Interroguee quel aage elle avoit,
  Respondit qu'elle avoit dix neuf ans ou environ. Et oultre dist que sa mere luy apprint le Pater noster, Ave Maria et Credo ; et que aultre personne que sadicte mere ne luy apprins sa creance.
  Requise qu'elle dist Pater noster et Ave Maria,
  Respond qu'elle la dira voluntiers, pourveu que monseigneur l'evesque de Beauvoys, qui estoit present, la vouldroit oyr de confession. Et, combien qu'elle fust plusieurs foys requise de dire Pater noster et Ave Maria, elle respondit qu'elle ne le diroit point, se ledit evesque ne l'ouoyt de confession.
  Et adoncq ledit euesque dist : Je vous ordonneray ung ou deux notables personnaiges de ceste compaignie (8) ausquelz vous direz : Pater noster et Ave Maria.
  A quoy elle respondit : Je ne le diray point, se ilz ne me oyent de confession.
"




Procès de condamnation en Français (1431)
- Index

Préliminaires :
- ouverture du procès
- séance du 9 janvier

- séance du 13 janvier
- séance du 23 janvier
- séance du 13 février
- séances des 14 au 16 fév.
- séance du 19 février
- séance du 20 février

Procès d'office :
séances publiques
- 1ère séance du 21 février
- séance du 22 février
- séance du 24 février
- séance du 27 février
- séance du 1er mars
- séance du 3 mars
- réunions du 4 au 9 mars
séances dans la prison
- séance du 10 mars
- séance du 12 mars
- séance du 13 mars
- séance du 14 mars
- séance du 15 mars
- séance du 17 mars
- réunion du 18 mars
- réunion du 22 mars
- séance du 24 mars
- séance du 25 mars

Procès ordinaire :
- réunion du 26 mars
- réquisitoire du 27 mars
- suite réquisitoire 28 mars
- séance du 31 mars
- réunion du 2 avril
- réunion du 5 avril - articles
- suite - délibération
- exhor. charit. du 18 avril
- admonition du 2 mai
- menace torture du 9 mai
- délibération du 12 mai
- délibération du 19 mai
- admonestation du 23 mai
- abjuration du 24 mai

La cause de relapse :
- constat relapse du 28 mai
- délibération du 29 mai
- citation du 30 mai

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