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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Première
séance - 27 mars 1431 |
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Article
11. "Item ladite Jeanne, étant entrée en
familiarité avec Robert, se vantait de lui avoir dit qu'après
avoir expédié et accompli tout ce qui lui avait été
enjoint par révélation de par Dieu, elle aurait trois
fils dont le premier serait pape, le second empereur et le troisième
roi. Ce qu'entendant, ledit capitaine lui dit : "Or donc, je
voudrais bien t'en faire un, puisqu'ils seront hommes si puissants,
car j'en vaudrait mieux moi-même !" A quoi elle répondit
"Gentil Robert, nenni, nenni ; il n'est pas temps ; le Saint-Esprit
y oeuvrera !" Ainsi ledit Robert, en divers lieux et en présence
de prélats, de grands maîtres et de notables personnes,
l'a affirmé, dit et publié."
- A ce onzième article, Jeanne répond qu'elle s'en
réfère à ce qu'elle a dit ailleurs sur cela
; et dit que, quant à avoir trois enfants, elle ne s'en est
point vantée.
Respond comme en l'article précédent.
[Or le lundi 12 mars, interrogée
si ses voix l'appelèrent fille de Dieu ou fille de l'Église,
ou fille au grand coeur, répondit qu'avant la levée
du siège d'Orléans, et depuis, elles lui ont parlé
tous les jours, et plusieurs fois l'appelèrent Jeanne
la Pucelle, fille de Dieu.]
Article 12. "Item, et pour mieux et plus apertement
entreprendre son propos, ladite Jeanne a requis du dit capitaine
de lui faire faire des habits d'homme, avec des armes à l'avenant
; ce que fit ledit capitaine, bien malgré lui, et avec grande
répugnance, acquiesçant enfin à la demande
de ladite Jeanne. Ces vêtements et ces armes étant
fabriqués, ajustés et confectionnés, ladite
Jeanne rejeta et abandonna entièrement le costume féminin
: les cheveux taillés en rond ; à la façon
des pages, elle prit chemise, braies, gippon, chausses, joignant
ensemble, longues et liées audit gippon par vingt aiguillettes,
souliers hauts lacés en dehors, et robe courte jusqu'au genou
ou environ ; chaperon découpé, bottes ou houseaux
serrés, longs étriers, épée, dague,
haubert, lance et autres armures (1)
; ainsi elle s'habilla et s'arma à la façon des hommes
d'armes ; et avec eux elle exerça faits de guerre, assurant
en cela qu'elle remplissait le commandement de Dieu par révélations
à elle faites, et qu'elle faisait cela de par Dieu."
- A ce douzième article, Jeanne répond qu'elle
s'en rapporte à ce qu'elle a répondu ailleurs sur
ce. En conséquence, interrogée si elle a pris cet
habit et armes avec autres habillements de guerre par le commandement
de Dieu, répond : "Je m'en rapporte, comme dessus,
à ce que, autrefois, j'ai répondu".
S'en rapporte, comme dessus a
ce que aultrefoys en a respondit.
[Or le jeudi 22 février,
elle a déclaré que la voix lui avait dit qu'elle allât
vers Robert, capitaine de Vaucouleurs, et qu'il lui baillerait gens
; à quoi elle répondit qu'elle était une pauvre
fille qui ne savait chevaucher ni mener guerre. Item déclara
qu'elle avait dit à un sien oncle qu'elle voulait demeurer
chez lui pendant quelque temps ; et y demeura huit jours environ.
Et elle dit à son oncle qu'il fallait qu'elle allât
vers Vaucouleurs ; et ce dernier la conduisit alors. Item dit que,
quand elle alla vers son roi, elle portait habit d'homme. Dit aussi
que, avant qu'elle allât vers son roi, le duc de Lorraine
manda qu'on la conduisit vers lui ; elle y alla et lui dit qu'elle
voulait aller en France. Et le duc l'interrogea sur le retour de
sa santé ; mais elle lui dit qu'elle n'en savait rien, et
lui parla peu de son voyage. Item dit au duc de lui bailler son
fils et des gens pour la mener en France, et qu'elle prierait Dieu
pour sa santé. Et elle alla vers le duc par sauf-conduit
et de là revint à Vaucouleurs. Item dit que, au départ
de Vaucouleurs, elle prit habit d'homme, porta une épée
que lui bailla ledit Robert, sans autre armure, en compagnie d'un
chevalier, d'un écuyer et de quatre serviteurs ; elle alla
coucher à Saint-Urbain et coucha en l'abbaye. Dit aussi qu'en
ce voyage elle passa par Auxerre où elle entendit la messe
dans la grande église, et elle avait ses voix fréquemment
avec elle. En outre dit que ledit Robert fit jurer à ceux
qui la menaient qu'ils la mèneraient bien et sûrement
; et au départ Robert dit à Jeanne : "Va, va
et advienne que pourra !" Dit aussi qu'il lui fallait changer
son habit en habit d'homme croyant que son conseil en cela lui avait
dit bien. Dit aussi que sans empêchement elle vint vers son
roi auquel elle envoya lettres pour la première fois quand
elle était encore à Sainte-Catherine-de-Fierbois.
Le mardi 27 février, interrogée
si sa voix lui a prescrit de prendre l'habit d'homme, répondit
que l'habit c'est peu de chose, la moindre ; mais elle n'a pas pris
l'habit d'homme par conseil de qui que ce soit, et elle n'a pris
cet habit et n'a rien fait que par commandement de Notre Seigneur
et de ses anges, et jamais elle n'a pris cet habit par ordre de
Robert. Interrogée si elle fit bien de prendre cet habit,
répondit que tout ce qu'elle a fait par commandement de Dieu,
elle croit l'avoir bien fait, et en attend
bon garant et bon secours. Dit aussi qu'elle avait une épée
qu'elle prit à Vaucouleurs.
Le 12 mars, interrogée si ce fut à
la requête de Robert qu'elle prit habit d'homme, et si la
voix lui avait commandé au sujet de Robert, répondit
comme dessus. De la voix, elle répondit que tout ce qu'elle
avait fait de bien, elle l'avait fait par commandement de ses voix
; et quant à l'habit, qu'elle en répondra une autre
fois, car, de présent, elle n'en était pas avisée,
mais que demain elle en répondrait.
Samedi 17 mars, interrogée quel garant
et quel secours elle attend avoir de Notre Seigneur du fait qu'elle
porte habit d'homme, répondit que, tant de l'habit que des
autres choses qu'elle a faites, elle n'en a voulu avoir d'autre
loyer que le salut de son âme.]
Article 13. "Item, ladite Jeanne attribue à Dieu,
à ses anges et à ses saints des prescriptions qui
sont contraires à l'honnêteté du sexe féminin
et prohibées dans la loi divine, abominables à Dieu
et aux hommes, interdites par les sanctions ecclésiastiques
sous peine d'anathème, comme de revêtir des habits
d'homme, courts et dissolus, tant ceux du dessous et les chausses,
que les autres ; et, suivant leur précepte, elle s'est maintes
fois revêtue d'habits somptueux et pompeux, d'étoffes
précieuses et de drap d'or, et aussi de fourrures ; et non
seulement elle a usé de huques courtes mais encore de longs
tabards et de robes fendues de chaque côté. Et c'est
chose notoire que lorsqu'elle fut prise, elle portait une huque
d'or, ouverte de tout côté : et sur sa tête,
elle arborait chapeaux et bonnets, les cheveux coupés en
rond à la mode des hommes. Et, de façon générale,
ayant rejeté toute pudeur féminine, non seulement
au mépris de la décence de la femme mais aussi au
mépris de celle qui appartient aux hommes bien morigénés,
elle a usé de tous les affublements et vêtements que
les plus dissolus des hommes ont accoutumé de revêtir,
et bien plus, elle a porté des armes offensives. Cela, l'attribuer
au commandement de Dieu, aux saints anges et aux vierges saintes,
c'est blasphémer Notre Seigneur et ses saints, anéantir
la loi divine, violer le droit canon, scandaliser le sexe et l'honnêteté
de la femme, pervertir toute décence de la tenue extérieure,
approuver les exemples de toute dissolution dans le genre humain
et y induire ses semblables."
- A ce treizième article, Jeanne répond : "Je
n'ai blasphémé Dieu ni ses saints."
Respond : je n'ai blasphémé
Dieu ne ses saincts
Et quant il luy fut remonstré que les saincts
canons et les sainctes Escriptures mectent que les femmes qui prennent
habit d'homme et les hommes qui prennent habit de femme, c'est chose
abhominable a Dieu, on luy demanda si elle avoit prins lesdits habitz
du commandement de Dieu, respond
: vous en estes assez respondus ; et, se vous voulez que je vous
en responde plus avant, donnez moy dilacion, et je vous respondray.
Item, luy fut demandé si elle vouldroit prendre habit
de femme, affin que elle peust recepvoir son Saulveur a ceste Pasque,
respond : qu'elle ne laissera point encoires son habit, ne pour
recepvoir ne pour aultre chose. Et dit que elle ne faict point de
diference d'habit d'homme ou de femme, pour recepvoir son Saulveur
; et pour cest habit, que ont ne luy doibt point refuser.
Interroguee se else avoit point par revelacion ou du commandement
de Dieu de porter cest habit, dist qu'elle en a respondu ; et que
elle s'en rapporte a ce qui en est escript. Et apprez dist que dedens
demain elle en fera responce.
Item dit qu'elle sçait bien qui luy a faict prendre
ledit habit ; mais ne sçait point comme elle le doibt reveler
(2).
[Or, le mardi 27 février,
interrogée s'il lui semble que le commandement à elle
fait de prendre habit d'homme soit licite, répondit que tout
ce qu'elle a fait ce fut par commandement de Dieu ; et que s'il
lui avait enjoint d'en prendre un autre, elle l'aurait pris, puisque
ç'aurait été par le commandement de Dieu. Interrogée
si, dans ce cas particulier, elle croit avoir bien fait, répondit
qu'elle ne le prit point sans le commandement de Dieu, et que rien
au monde de ce qu'elle a fait n'a été que du
commandement de Dieu.
Le samedi 3 mars, interrogée quand pour
la première fois elle vint devers son roi, s'il lui demanda
si c'était par révélation qu'elle avait changé
son habit, répondit : "Je vous en ai répondu
ailleurs" et "cependant ne me souviens si ce me fut demandé".
Et en outre dit que c'est écrit à Poitiers. Item,
ledit samedi 3 mars, interrogée si elle croit qu'elle eût
délinqué ou fait péché mortel en prenant
habit de femme, répondit qu'elle fait mieux d'obéir
et de servir son souverain Seigneur, c'est à savoir Dieu.]
Article 14. "Item ladite Jeanne assure qu'elle a bien
fait d'user de tels vêtements et d'habits d'hommes dissolus
; et elle veut persévérer en cela, disant qu'elle
ne doit pas les abandonner, à moins d'en avoir expresse licence
de Dieu par révélation, pour l'injure de Dieu, de
ses anges et de ses saints."
- A ce quatorzième article, Jeanne répond : "Je
ne fais point de mal de servir Dieu ; et demain vous en aurez réponse."
Et le même jour, interrogée par un des
assesseurs si elle avait révélation pu commandement
de porter cet habit [d'homme], répond qu'elle y a répondu
et s'y rapporte. Et puis dit que demain, sur ce elle enverra réponse.
Et dit en outre qu'elle sait bien qui lui fit prendre l'habit ;
mais ne sait point comment elle le doit révéler (2).
Je ne fais point mal de Dieu servir.
Et demain je vous en respondray.
[Or le samedi 24 février,
interrogée si elle voulait avoir habit de femme répondit
: "[Si vous voulez m'en donner congé], baillez m'en
un ; et je le prendrai et m'en irai ; autrement non ; et suis contente
de celui-ci, puisqu'il plait à Dieu que je le porte."
Le lundi, 12 mars, interrogée si, en prenant
habit d'homme, elle ne pensait mal faire, répondit que non
; et encore à présent, si elle était en l'autre
parti en cet habit d'homme, lui semble que ce serait un des grands
biens de France de faire comme elle faisait avant sa prise.
Item le samedi 17 mars, interrogée, puisqu'elle
dit qu'elle porte habit d'homme par le commandement de Dieu, pourquoi
elle demande chemise de femme à l'article de la mort, répondit
qu'il lui suffisait qu'elle soit longue.]
Article 15. "Item ladite Jeanne ayant requis plusieurs
fois qu'il lui fût permis d'entendre la messe, elle a été
admonestée de quitter l'habit d'homme et de reprendre celui
de femme ; ses juges lui donnèrent à espérer
qu'elle serait admise à entendre la messe et à communier
au cas où elle voudrait quitter définitivement l'habit
d'homme et prendre celui de femme, comme il convient à son
sexe ; elle ne voulut y acquiescer, et elle préféra
ne pas participer à la communion et aux offices divins, plutôt
que d'abandonner cet habit, feignant qu'en cela elle déplairait
à Dieu. En quoi apparaissent bien son obstination, son endurcissement
au mal, son manque de charité, sa désobéissance
envers l'Église, et le mépris qu'elle a des divins
sacrements."
- A ce quinzième article, ce dit mardi vingt-septième
jour de mars, ladite Jeanne répond qu'elle aime plus chèrement
mourir que de révoquer ce qu'elle a fait du commandement
de Notre Seigneur.
Ce dit jour, interrogée si elle veut laisser
l'habit d'homme pour ouïr la messe, répond que, quant
à l'habit qu'elle porte, elle ne le laissera point encore,
et qu'il ne dépend point d'elle le terme dans lequel elle
le laissera.
Item, ce même jour, dit que si les juges refusent
de lui faire ouïr la messe, il est bien en Notre Seigneur de
la lui faire ouïr quand il lui plaira, sans eux (3).
Item, quant au résidu de l'article de la séquelle,
répond qu'elle confesse bien avoir été admonestée
de prendre l'habit de femme ; quant à l'irrévérence
et autres conséquences, elle les nie.
Respond qu'elle ayme plus cher
mourir que revocquer celle qu'elle a faict par le commandement de
nostre Seigneur.
Interroguee se elle veult laisser l'habit d'homme pour
ouyr messe , respond que, quand a l'habit qu'elle porte, ne le laissera
point encoire. Et qu'il n'est point en elle de dire le terme dedens
lequelle elle le laissera.
Item dit : se les juges la refusent de luy faire ouyr
messe, il est bien en nostre Seigneur de la luy faire ouyr, quand
il luy plaira, sans eulx.
Item, dit au residu de l'article, de la sequelle, qu'elle
confesse bien d'avoir esté admonnestee de laisser l'habit
d'homme. Mais quand a l'inreverence et aultres choses, elle les
nye.
[Or, le 15 mars, interrogée
sur ce qu'elle aimerait mieux, prendre habit de femme et ouïr
la messe ou demeurer en habit d'homme et ne pas l'ouïr, répondit
: "Certifiez-moi que j'ouïrai messe si je suis en habit
de femme ; et sur ce je vous répondrai." Sur quoi l'interrogateur
lui dit qu'il lui en donnait la certitude. Alors ladite Jeanne répondit
: "Que dites-vous si j'ai juré et promis à notre
roi de ne pas abandonner cet habit ? Toutefois je vous réponds
: faites-moi faire une robe longue jusqu'à terre, sans queue,
et baillez-la-moi pour aller à la messe, et puis au retour,
je reprendrai l'habit que j'ai." Interrogée si elle
prendrait une foi pour toutes l'habit de femme pour aller ouïr
la messe, répondit : je me conseillerai sur ce, et puis vous
répondrai." Et en outre elle requit, en l'honneur de
Dieu et de Notre Dame, qu'elle puisse ouïr la messe en cette
bonne ville. Sur quoi il lui fut dit qu'elle prît l'habit
de femme purement et simplement. A quoi Jeanne répondit :
"Baillez- moi habit comme à une fille de bourgeois,
c'est à savoir houppelande longue et semblablement chaperon
de femme ; et je les prendrai pour aller ouïr la messe. "Et
en outre elle dit, le plus instamment qu'elle put, qu'elle requérait
qu'on lui permit d'ouïr la messe dans l'habit qu'elle portait,
sans le changer.
Item, le samedi 17 mars, interrogée sur
ce qu'elle a dit au sujet de l'habit de femme qu'on lui a offert
afin qu'elle puisse aller ouïr la messe, répondit que,
quant à l'habit de femme, elle ne le prendra pas encore,
tant qu'il plaira à Notre Seigneur ; et s'il est ainsi qu'il
la faille mener jusqu'en jugement et être dévêtue,
elle demande aux seigneurs de l'Église qu'ils lui accordent
la grâce d'avoir une chemise de femme et un couvre-chef en
tête ; car elle aime mieux mourir plutôt que de révoquer
ce que Notre Seigneur lui a fait faire. Et croit fermement que Dieu
ne laissera advenir qu'elle soit mise si bas et qu'elle n'ait bientôt
secours de Dieu, et par miracle. Interrogée, ce même
jour, pourquoi elle a dit qu'elle prendrait habit de femme, mais
qu'on la laissât s'en aller, si cela plaisait à Dieu,
répondit que, si on lui donnait congé en habit de
femme, elle se mettrait aussitôt en habit d'homme, et ferait
ce qui lui a été commandé par Notre Seigneur,
et qu'elle ne ferait point, pour rien au monde, serment de ne pas
s'armer ni mettre en habit d'homme, pour acccomplir le plaisir et
volonté de Notre Seigneur.]
Article 16. "Item ladite Jeanne déjà,
après sa prise, à Beaurevoir et à Arras, a
été plusieurs fois admonestée charitablement
de nobles et notables personnes de l'un et l'autre sexe, d'abandonner
l'habit d'homme et de reprendre des vêtements décents
et convenables à son sexe. Ce qu'elle refusa absolument de
faire ; et elle s'y refuse encore obstinément, ainsi qu'à
remplir les autres besognes convenables au sexe féminin ;
en tout elle se conduit comme un homme plutôt que comme une
femme."
- A ce seizième article, Jeanne répond qu'à
Arras et à Beaurevoir, elle a bien été admonestée
de prendre habit de femme, et qu'elle l'a refusé et refuse
encore. Et quant aux autres oeuvres de femme, dit qu'il y a assez
d'autres femmes pour les faire.
Respond que a Arras et Beaureveoir,
a bien esté admonnestee de prendre habit de femme ; ce qu'elle
a refusé et refuse encoire.
Et quant aux œuvres de femme, dit qu'il y a assez
d'aultres femmes pour ce faire.
[Or, le samedi 3 mars,
interrogée si elle se souvient que les maîtres qui
l'examinèrent dans l'autre parti, les uns par l'espace d'un
mois, les autres pendant trois semaines, ne l'interrogèrent
point sur le changement de son habit, répondit qu'il ne lui
en souvenait pas toutefois ils lui demandèrent où
elle avait pris cet habit d'homme, et qu'elle leur avait dit qu'elle
l'avait pris à Vaucouleurs. Interrogée s''ils lui
demandèrent si elle avait pris cet habit suivant ses voix,
répondit : "Ce n'est de votre procès." Interrogée
en outre si elle ne fut point requise à Beaurevoir, répondit
: "Oui vraiment" ; et qu'elle a répondu qu'elle
ne le changerait sans le congé de Notre seigneur. Item dit
que la demoiselle de Luxembourg requit au seigneur de Luxembourg
que ladite Jeanne ne fût point baillée aux Anglais
(4). Item dit que la demoiselle de Luxembourg
et la dame de Beaurevoir lui offrirent habit de femme ou drap pour
le faire, et lui requirent qu'elle le portât. Et elle répondit
qu'elle n'en n'avait pas congé de Notre Seigneur et qu'il
n'en était pas encore temps. Et elle a dit en outre que messire
Jean de Pressi, chevalier, et quelques autres lui offrirent un
habit de femme, à Arras, et plusieurs fois lui demandèrent
si elle voudrait changer d'habit. (5). En outre elle
a dit que, si elle eût dû changer son habit, elle l'eût
plutôt fait à la requête de ces deux dames que
des autres qui sont en France, sa reine exceptée. Interrogée
en outre, quand Dieu lui révéla qu'elle changeat son
habit, si ce fut par la voix de saint Michel ou des saintes Catherine
et Marguerite, répondit : "Vous n'en aurez maintenant
autre chose".]
Article 17. "Item, lorsque ladite Jeanne vint en présence
du roi Charles, ainsi vêtue et armée, comme il est
dit, elle lui entre autres trois promesses : premièrement
qu'elle lèverait le siège d'Orléans ;
secondement qu'elle le ferait couronner à Reims ; troisièmement
qu'elle le vengerait de ses adversaires, que tous elle les tuerait
par son art, qu'elle les expulserait de ce royaume, tant Anglais
que Bourguignons. Et de ces promesses, plusieurs fois et en divers
lieux, ladite Jeanne se vanta publiquement ; et pour que plus grande
foi fut ajoutée à ses dits et faits, alors et depuis
elle usa fréquemment de divinations, découvrant les
moeurs, la vie, les faits secrets de plusieurs personnes venues
en sa présence, et qu'elle n'avait vues ni connues, se vantant
de les connaître par révélation."
- A ce dix-septième article, Jeanne répond qu'elle
porta les nouvelles de par Dieu à son roi, que Notre Sire
lui rendrait son royaume, le ferait couronner à Reims, et
bouterait hors ses adversaires. Et de cela elle fut messagère
de par Dieu ; [lui disant] qu'il la mit hardiment en oeuvre, et
qu'elle lèverait le siège d'Orléans.
Item dit qu'elle parlait de tout le royaume, et que si monseigneur
de Bourgogne et les autres sujets du royaume ne venaient à
obéissance, son roi les y ferait venir par force.
Item dit, quant à la fin de l'article de reconnaître
Robert (6) et son roi : "Je
m'en tiens à ce que autrefois j'en ai répondu."
Respond qu'elle confesse qu'elle
porta les nouvelles de par Dieu a son roy ; et que nostre Seigneur
luy rendroit son royaulme, et le feroit couronner a Rains, et le
metre hors de ses adversaires. Et de ce fut messagere de par Dieu,
en luy disant que il la mist hardyment en oeuvre et qu'elle leveroit
le siege d'Orleans.
Item, dit qu'elle disoit : tout le royaulme. Et que
se monseigneur de Bourgoingne et les aultres subgectz du royaulme
ne venoyent en obaissance, que le roy les y feroit venir par force.
Et a la fin dudit article, de congnoistre Robert et son roy,
respond : je me tiens a ce que une aultre foys j'en ay dit.
[Or le jeudi 22 février,
elle a confessé que, quand elle vint à Vaucouleurs
elle reconnut Robert de Baudricourt, encore qu'elle ne l'ait jamais
vu ; et ce fut par la voix qui lui dit que c'était lui. Item
dit qu'elle trouva son roi à Chinon, où elle arriva
vers midi environ, et se logea en une hôtellerie ; et, après
dîner, alla vers son roi au chateau, lequel elle reconnut
entre les autres et par le conseil de ses voix, lorsqu'elle entra
dans la chambre ; et au roi elle dit qu'elle voulait aller faire
la guerre contre les Anglais.
Le mardi 13 mars, interrogée au sujet
d'un certain prêtre concubinaire et d'une tasse [d'argent]
perdue, etc... répondit qu'elle ne savait rien de cela, et
onques n'en avait ouï parler.]
Article 18. "Item, ladite Jeanne, tant qu'elle demeura
avec ledit Charles, de toutes ses forces le dissuada, lui et les
siens, de faire aucun traité de paix ou appointement avec
ses adversaires, les incitant toujours au meurtre et à répandre
le sang humain, affirmant qu'il ne pouvait y avoir de paix qu'au
bout de la lance et de l'épée ; et que cela était
ainsi ordonné par Dieu, car les adversaires du roi n'abandonneraient
pas autrement ce qu'ils occupaient du royaume ; que leur faire ainsi
la guerre, c'était l'un des plus grands biens qui pût
advenir à toute la chrétienté, à ce
qu'elle disait."
- A ce dix-huitième article, Jeanne répond que, quant
au duc de Bourgogne, elle l'a requis, par lettre et par ses ambassadeurs
qu'il y eût paix entre son roi et ledit duc. Quant aux Anglais,
la paix qu'il y faut, c'est qu'ils s'en aillent en leur pays, en
Angleterre. Et du résidu de l'article, elle en a répondu
ailleurs, à quoi elle s'en rapporte.
Dit qu'elle a requis le duc de
Bourgoingne, par lectres et mesmes a ses ambassadeurs, qu'il mist
la paix. Quand aux Angloys, c'est qu'il fault que ilz s'en voysent
en leur pays, en Engleterre.
Et du resida dudit article, dit qu'elle en a respondu,
a quoy elle s'en rapporte.
[Or, le mardi 27 février,
interrogée pourquoi elle ne reçut point à traiter
le capitaine de Jargeau, répondit que les seigneurs de son
parti répondirent aux Anglais qu'ils n'auraient le terme
de quinze jours qu'ils demandaient, mais qu'ils s'en allassent,
eux et leurs chevaux, sur l'heure. Et, quant à elle, leur
dit qu'ils s'en iraient, en leurs petites cottes, la vie sauve,
s'ils le voulaient : autrement ils seraient pris à l'assaut.
Interrogée si elle eut délibération avec son
conseil, c'est-à-dire avec ses voix, pour savoir si on lui
donnerait ledit terme ou non, répondit qu'elle n'avait mémoire
de cela.]
Article 19. "Item, ladite Jeanne, en consultant les
démons et en usant de divination, envoya chercher certaine
épée cachée dans l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois,
et elle la cacha ou fit cacher malicieusement, frauduleusement,
dolosivement, en cette église, afin que, séduisant
princes, nobles, clergé et populaire, elle les induisit plus
facilement à croire qu'elle savait par révélation
que l'épée était là, et afin que par
là, et par autres moyens semblables, foi indubitable fût
ajoutée plus aisément à ses dires."
- A ce dix-neuvième article, ce dit mardi 27 mars, elle répond
qu'elle s'en rapporte à ce qu'elle a répondu plus
haut sur cela ; et le reste de l'article, elle le nie.
Se rapporte a ce qu'elle en a
dit.
Et au regard du surplus de l'article, elle le nye.
[Or ce mardi 27 février,
interrogée si elle fut à Sainte-Catherine-de-Fierbois
répondit que oui, et que là elle entendit trois messes
le même jour. et qu'ensuite elle alla à Chinon. Item,
ce même mardi
27 février, dit qu'elle eut une épée que de
Tours ou de Chinon elle envoya chercher à Sainte Catherine
de Fierbois ; laquelle était en terre derrière
l'autel de Sainte-Catherine ; et, aussitôt après, ladite
épée fut trouvée, toute rouillée. Interrogée
comment elle savait que cette épée était là,
répondit qu'elle était en terre, rouillée,
ayant cinq croix ; et le sut par ses voix, disant qu'elle n'avait
jamais vu l'homme qu'elle envoya quérir ladite épée.
Et écrivit aux gens d'église que ce fût leur
bon plaisir qu'elle eût cette épée ; et ils
la lui envoyèrent. Elle n'était pas beaucoup en terre,
derrière ledit autel comme il lui semble ; cependant ne sait
au juste si elle était devant ou derrière ; et croit
qu'elle écrivit qu'elle était derrière. Item
dit que aussitôt que l'épée fut découverte,
les gens d'Eglise du lieu la frottèrent et aussitôt
la rouille tomba sans effort ; et ce fut un marchand armurier de
Tours qui alla quérir ladite épée. Et les gens
d'Église de Sainte-Catherine lui donnèrent un fourreau,
et ceux de Tours aussi ; et firent faire deux fourreaux, un de velours
vermeil, un de drap d'or ; quant à elle, s'en fit faire un
autre de cuir bien fort. Dit aussi que, lorsqu'elle fut prise, elle
n'avait pas cette épée que continuellement elle porta
avec elle jusqu'à ce qu'elle partît de Saint-Denis.
Interrogée comment on la bénit, si elle fit ou fit
faire quelque bénédiction sur ladite épée,
répondit que jamais on n'en fit et n'aurait en su faire.
Item dit qu'elle aimait bien cette épée, car on l'avait
trouvée dans l'église de Sainte-Catherine qu'elle
aimait bien.
Interrogée, le samedi 17 mars, à
quoi servaient les cinq croix qui étaient sur l'épée
trouvée à Sainte-Catherine-de-Fierbois, répondit
qu'elle n'en savait rien.]
Article 20. "Item, ladite Jeanne a mis un sort dans
son anneau, dans son étendard, dans certaines pièces
de toile ou panonceaux, qu'elle avait accoutumé de porter
ou faisait porter par les siens, ainsi que dans l'épée
qu'elle dit avoir trouvée par révélation à
Saint,-Catherine-de-Fierbois, assurant que ces objets étaient
"bien fortunés". Et sur eux elle a fait force exécrations
et conjurations en plusieurs et divers lieux, affirmant publiquement
que par leur moyens elle ferait de grandes choses et obtiendrait
la victoire sur ses adversaires ; qu'à ses gens, ayant des
pannonceaux de cette sorte, il ne pourrait arriver de revers dans
leurs agressions et faits de guerre, et qu'ils ne sauraient souffrir
quelque infortune. Cela notamment elle l'a proclamé et publié
publiquement à Compiègne, la veille du jour où
elle fit une sortie avec sa troupe contre monseigneur Bourgogne,
au cours de laquelle elle fut capturée et prise et où
beaucoup des siens furent navrés, occis et pris. Et cela
encore qu'elle l'avait publié quand, à Saint-Denis,
elle excitait l'ost à donner l'assaut contre Paris."
- A ce vingtième article, le mardi 27 mars, Jeanne dit qu'elle
s'en rapporte à ce qu'elle a répondu ailleurs sur
cela. En outre elle ajoute que, de chose qu'elle ait faite, il n'y
avait ni sorcellerie ni autre mauvais art. Et du bonheur de son
étendard, dit qu'elle s'en rapporte au bonheur que Notre
Seigneur y a envoyé.
Se rapporte a ce qu'elle en a
dit devant.
Et dit oultre que, de chose qu'elle ait faict, n'y avoit
sorcerie ou maulvai art.
Et du bonheur de son estandard, dit qu'elle s'en rapporte
a l'heur que nostre Seigneur y a envoyé.
[Or, le mardi 27 février,
interrogée si elle posa parfois son épée sur
l'autel, répondit non, qu'elle sache, et qu'elle ne la posa
pas pour qu'elle fût plus fortunée. Interrogée
si elle avait son épée quand elle fut prise, répondit
que non, mais avait certaine épée prise sur un Bourguignon.
Item, le jeudi 1er mars, interrogée qui lui
donna l'anneau qu'ont les Bourguignons, répondit son père
et sa mère, et qu'il lui semble qu'il y avait écrit
dessus : JHESUS MARIA, mais ne sait qui fit écrire ces noms
; et il n'y avait pas de pierre à ce qu'il lui semble ; et
l'anneau lui fut donné à Domrémy. Item dit
que son frère lui donna un anneau autre que celui que nous,
évêque, avions, et dit qu'elle nous chargeait de le
donner à l'Église. Item dit que jamais elle ne soigna
ni guérit aucune personne par le moyen des dits anneaux.
Item, le samedi 3 mars, interrogée quand
le roi la mit premièrement en oeuvre et qu'elle fit faire
son étendard, si les gens d'armes et autres gens de guerre
ne firent pas faire pannonceaux à la manière du sien,
répondit : "Il est bon à savoir que les seigneurs
maintenaient leurs armes." Item répondit que certains
compagnons de guerre en firent faire à leur plaisir et les
autres non. Interrogée de quelle matière ils les firent
faire, de toile ou de drap, répondit que c'était de
blancs satins, et qu'il y avait sur certains les fleurs de lys ;
et qu'elle n'avait lys ; et qu'elle n'avait en sa compagnie que
deux ou trois lances ; mais les compagnons de guerre parfois faisaient
faire des pannonceaux à la ressemblance des siens ; et ne
faisaient cela que pour reconnaitre les siens des autres. Interrogée
si les pannonceaux n'étaient guère souvent renouvelés,
répondit qu'elle ne le savait ; que lorsque les lances étaient
renouvelées, on en faisait faire de nouveaux. Interrogée
si les pannonceaux qui étaient à la ressemblance des
siens portaient bonheur, répondit qu'elle disait bien aux
siens aucunes fois : "Entrez hardiment au milieu des Anglais"
ou "parmi les Anglais", et elle-même y entrait.
Interrogée si elle leur dit qu'ils les portassent hardiment
et qu'ils auraient bonheur, répondit qu'elle leur dit bien
ce qui était advenu et adviendrait encore. Interrogée
si elle mettait ou ne faisait point mettre d'eau bénite sur
les pannonceaux, quand on les prenait de nouveau, répondit
qu'elle n'en savait rien et que s'il avait été fait
ainsi, ce ne fut pas de son commandement. Interrogée si elle
n'y a point vu jeter d'eau bénite, répondit : "Cela
n'est pas de votre procès." Et si elle en a vu jeter,
elle n'est pas maintenant avisée d'en répondre. Interrogée
si les compagnons de guerre ne faisaient pas mettre en leurs pannonceaux
: JHESUS MARIA, répondit que, par sa foi, elle n'en savait
rien. Interrogée si elle n'a pas tourné ou fait tourner
toiles autour d'autel ou église, en manière de procession,
pour faire pannonceaux, répondit que non et qu'elle n'en
a rien vu faire.
Item, le samedi 17 mars, interrogée de quelle
matière était son anneau où il y avait écrit
: JHESUS MARIA, répondit qu'elle ne le sait proprement ;
et s'il était d'or, ce n'était pas d'or fin ; et ne
sait si c'était d'or ou de laiton : et pense qu'il y avait
dessus trois croix et non autre signe qu'elle sache, excepté
: JHESUS MARIA. Interrogée pourquoi elle regardait volontiers
cet anneau, quand elle allait en fait de guerre, répondit
que c'était par plaisance et par honneur pour son père
et sa mère ; et elle, ayant son anneau en son doigt et en
sa main, a touché à sainte Catherine qui lui apparut
Interrogée en quelle partie elle la toucha, répondit
"Sur ce vous n'aurez autre chose" (7).]
Article 21. "Item, ladite Jeanne, induite à cela
par sa témérité et sa présomption, fit
faire des lettres aux noms de JHESUS MARIA, en y posant le signe
de la croix, et les adressa de sa part à notre sire le roi,
à monseigneur de Bedford, alors régent du royaume
de France, et aux seigneurs qui tenaient le siège devant
Orléans, lettres contenant beaucoup de choses mauvaises,
pernicieuses, et peu conformes à la foi catholique dont la
teneur s'ensuit."
- A ce vingt-unième article, ce mardi 27 mars, Jeanne répond
quant aux lettres, elle ne les a point faites par orgueil ou présomption,
mais par le commandement de Notre Seigneur, et confesse bien le
contenu de ces lettres, excepté trois mots.
Dit que, quand aux lectres, elle
ne les a point faictes par orgeuil ne par presumption, mais par
le commandement de nostre Seigneur ; et confesse bien le contenu
esdictes lectres, exceptez troys motz.
[Or, le jeudi 22 février,
elle a dit qu'elle avait envoyé lettres aux Anglais devant
Orléans afin qu'ils s'en allassent : ainsi qu'il est contenu
dans la copie des lettres qui lui avaient été lues,
sauf deux ou trois mots, par exemple là où il est
dit rendez à la Pucelle, il doit y avoir rendez
au roi, à ce qu'elle dit ; de même pour les mots
corps pour corps et chief de guerre. La teneur de
ces lettres commence ainsi : Roy d'Angleterre, etc..., et il y a
dans la souscription : † JHESUS MARIA †
Le samedi 3 mars, interrogée si ceux de
son parti croient fermement qu'elle est envoyée de par Dieu,
répondit qu'elle ne savait s'ils le croyaient et qu'elle
s'en attendait à leur courage ; que s'ils ne le croyaient,
cependant elle était envoyée de par Dieu. Interrogée
si elle ne pensait pas, en croyant qu'elle était envoyée
de par Dieu, qu'ils eussent bonne croyance, répondit: "Si
ils croient que je suis envoyée de par Dieu, ils n'en sont
point abusés !"]
Article 22.
† JHESUS MARIA †
"Roy d'Angleterre, et vous, duc
de Bedfort, qui vous dictes régent le royaume de France ;
vous Guillaume de la Poule, conte de Sulfork ; Jehan, sire de Talebot;
et vous, Thomas, sire d'Escales, qui vous dictes lieutenant dudit
duc de Bedfort, faictes raison au roy du ciel ; rendez à
la Pucelle qui est cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel,
les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées
en France. Elle est ci venue de par Dieu pour réclamer le
sanc royal. Elle est toute preste de faire paix , se vous lui voulez
faire raison, par ainsi que France vous mectrés jus, et paierez
ce que vous l'avez tenu. Et entre vous, archiers, compaignons de
guerre, gentilz et autres qui estes devant la ville d'Orléans,
alez vous ent en vostre païs, de par Dieu ; et ainsi ne le
faictes, attendez les nouvelles de la Pucelle qui ira vous voir
briefement à vos bien grand domaiges. Roy d'Angleterre, se
ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre, et en quelque lieu
que je actaindray vos gens en France, je les en ferai aler, veuillent
on non veuillent, et si ne vuellent obéir, je les ferai tous
occire. Je suis cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, corps
pour corps, pour vous bouter hors de toute France. Et si vuellent
obéir, je les prandray à mercy. Et n'aiez point en
vostre oppinion, quar vous ne tendrez point le royaume de France,
Dieu, le Roy du ciel, filz sainte Marie ; ainz le tendra le roy
Charles, vrai héritier ; car Dieu le Roy du ciel, le veult,
et lui est révélé par la Pucelle, lequel entrera
à Paris à bonne compagnie. Se ne voulez croire les
nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons,
nous ferrons dedens et y ferons ung si grant hahay, que encore a-il
mil ans, que en France ne fu si grant, se vous ne faictes raison.
Et croyez fermement que le Roy du ciel envoiera plus de force à
la Pucelle, que vous ne lui sariez mener de tous assaulx, à
elle et à ses bonnes gens d'armes; et aux horions verra-on
qui ara meilleur droit de Dieu du ciel. Vous, duc de Bedfort, la
Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faictes mie
détruire. Si vous lui faictes raison, encore pourrez venir
en sa compaignie, l'où que les Franchois feront le plus bel
fait que oneques fut fait pour la chrestienté. Et faictes
response se vous voulez faire paix en la cité d'Orléans;
et se ainsi ne le faictes, de vos bien grans dommages vous souviengne
briefment.
Escript ce mardi sepmaine saincte."
- A ce vingt-deuxième article que forme la teneur desdites
lettres, Jeanne répond que si les Anglais avaient eu foi
en ses lettres, ils eussent fait comme sages ; et, avant sept ans,
ils s'en apercevront bien sur ce qu'elle leur écrivait. Et
sur ce, s'en rapporte à qu'elle a faite ailleurs.
Se rapporte a ce qu'elle en
a respondu.
Item, dit que si les Angloys
eussent creu ses lectres, ilz eussent faict que saiges ; et que,
avant qu'il soit sept ans, ilz s'en apperceveront bien. Et de ce
que elle leur escrivoit, se rapporte a ce que aultresfoys elle en
a respondu.
Article 23. "De la teneur de ces lettres, il résulte
clairement que ladite Jeanne a été jouée par
de malins esprits, et qu'elle les a fréquemment consultés
sur ce qu'elle ferait ; ou bien, pour séduire les populations,
elle a pernicieusement et mensongèrement inventé de
telles fictions."
- A ce vingt-troisième article, en ce qui concerne la fin
de cet article faisant mention qu'elle a agi sur le conseil de malins
répond qu'elle le nie.
Se rapporte a ce qu'elle en a
respondu.
Elle le nye.
[Or, le 27 février,
elle a dit qu'elle aimerait mieux être écartelée avec des chevaux que d'être
venue en France sans le congé de Dieu.]
Article 24. "Item ladite Jeanne a abusé des noms
de JHESUS et de MARIE, du signe de la Croix mis entre eux, en avertissant
certains des siens que lorsqu'ils trouveraient ces mots et ce signe,
dans des lettres adressées de sa part, ils crussent et fissent
le contraire de ce qu'elle écrivait."
- A ce vingt-quatrième article, ce mardi 27 mars, Jeanne
répond qu'elle s'en rapporte à une autre réponse
faite par elle sur cela.
Se rapporte a ce qu'elle en a
respondu.
[Or le 17 mars, interrogée
à quoi servait le signe qu'elle posait dans ses lettres et
ces mots : JHESUS MARIA, répondit que les clercs écrivant
ses lettres les y apposaient et, certains disaient qu'il convenait
de mettre ces deux mots : JHESUS MARIA.]
Article 25. "Item ladite Jeanne, usurpant l'office des
anges, a dit et affirmé qu'elle était envoyée
de la part de Dieu, même en ce qui concerne absolument la
voie de fait et l'effusion du sang humain. Ce qui est entièrement
étranger à la sainteté, horrible et abominable
à toute pieuse pensée."
- A ce vingt-cinquième article, ce mardi 27 mars, Jeanne
répond que premièrement elle requérait qu'on
fit la paix, et au cas qu'on ne voulait faire la paix, elle était
toute prête à combattre.
Se rapporte a ce qu'elle en a
respondu.
[Or, le samedi 24 février,
elle a dit qu'elle venait de par Dieu et n'avait que faire ici,
en ce procès, demandant qu'on la renvoyât à
Dieu, d'où elle venait.
Item le samedi 17 mars, elle a dit que Dieu l'envoya
secourir le royaume de France.]
Article 26. " Item ladite Jeanne se trouvant à
Compiègne, l'an du Seigneur 1429 ; au mois d'août,
reçut une lettre du comte d'Armagnac dont la teneur suit."
- A ce vingt-sixième article, ce 27 mars, Jeanne répond
qu'elle s'en rapporte à la réponse qu'elle a faite
ailleurs sur cela.
Dit que premierement elle requeroit
que on feist paix. Et que, eu cas que on ne vouldroit faire paix,
qu'elle estoit preste de combastre.
[Or ce jeudi 1er mars,
interrogée si elle n'eut pas lettre du comte d'Armagnac pour
savoir auquel des trois prétendants au papalat il devait
obéir, répondit que ledit comte lui écrivit
certaine lettre sur ce cas ; auquel elle donna réponse ;
en autres choses que, quand elle serait à Paris ou ailleurs
en repos, elle lui donnerait réponse. Et elle allait monter
à cheval quand lui donna cette réponse. Après
lecture des lettres du comte et de la sienne, Jeanne fut interrogée
pour savoir si c'était si c'était là sa réponse.
Répondit qu'elle pensait avoir donné cette réponse,
à savoir en partie mais non en tout. Interrogée si
elle dit savoir par conseil du Roi des rois ce que le comte devait
croire en cette matière répondit qu'elle n'en savait
rien. Interrogée si elle faisait doute à qui le comte
devait obéir, répondit qu'elle ne savait quoi lui
mander sur cette obédience, car le comte demandait de lui
faire savoir à qui Dieu voulait qu'il obéit ; mais,
quant à elle, elle croit que nous devons obéir à
Notre Saint Père le Pape qui est à Rome. Dit aussi
qu'elle dit autre chose au messager [du comte] qui n'est pas contenu
dans la copie de la lettre ; et, s'il ne s'était pas éloigné
aussitôt, on l'aurait bien jeté à l'eau, mais
non du fait de ladite Jeanne. Item dit que sur ce que le comte demandait,
de savoir à qui Dieu voulait qu'il obéit, elle répondit
qu'elle ne le savait pas ; mais lui manda plusieurs choses qui ne
furent point couchées par écrit. Et quant à
elle, elle croit en Notre Saint Père le pape qui est à
Rome. Interrogée pourquoi elle avait écrit qu'elle
donnerait ailleurs réponse, puisqu'elle croyait au pape de
Rome, répondit que la réponse qu'elle donna concernait
une autre matière que celle des trois papes. Interrogée
si elle avait dit que sur le fait des trois papes elle aurait conseil,
répondit que jamais sur le fait des trois papes, elle n'écrivit
ni ne fit écrire. Et par son serment, elle affirma qu'elle
n'avait jamais écrit ni fait écrire.]
Article 27.
"Ma très-chière dame,
je me recommande humblement à vous, et vous supplie pour
Dieu que, actendu la division qui en présent est en sainte
Eglise universal sur le fait des papes (car il i a trois contendans
du papat, l'un demeure à Romme, qui se fait appeller Martin
Quint, auquel tous les rois chrestiens obéissent ; l'autre
demeure à Paniscole, au royaume de Valence lequel se fait
appeller pape Clément VII° ; le tiers en ne seet où
il demeure, se non-seulement le cardinal Saint-Estienne, et peu
de gens avec lui ; lequel se fait nommer pape Benoist XIIII°
le premier, qui se dit pape Martin, fut eslu à Constance
par le consentement de toutes les nacions des chrestiens ; celui
qui se appeller Climent fu eslu à Paniscole, après
la mort de pape Benoist XIII°, par trois de ses cardinaulx ;
le tiers qui se nomme Benoist XIIII° à Paniscole fu eslu
secrètement, mesmes par le cardinal de Saint Estienne) ;
veulliez supplier à Nostre-Seigneur Jhésucrit que,
par sa miséricorde infinite, nous veulle par vous déclarier
qui est des trois dessusdiz, vray Pape, et auquel plaira que on
obéisse de ci en avant, ou à cellui qui se dit Martin
ou à cellui qui se dit Climent, ou à cellui qui se
dit Benoist ; et auquel nous devons croire, si secrètement
ou par aucune dissimulation, ou publique ou manifeste car nous serons
tous prestz de faire le vouloir et plaisir de Nostre-Seigneur Jhésucrit.
Le tout vostre, conte D'ARMIGNAC. (8)"
Elle s'en rapporte a ce qu'elle
en a dit devant.
Article 28.
"Auquel comte ladite Jeanne fit réponse par une
lettre signée de sa main dont la teneur suit."
Elle s'en rapporte a ce qu'elle
en a dit devant.
Article 29.
† JHÉSUS MARIA †
"Conte d'Armignac, mon très
chier et bon ami, Jehanne la Pucelle vous fait savoir que vostre
message est venu par devers moy, lequel m'a dit que l'aviés
envoié par-deçà pour savoir de moy auquel des
trois papes, que mandés par mémoire, vous devriés
croire. De laquelle vous ne puis bonnement faire savoir au vray
pour le présent jusques à ce que je soye à
Paris ou ailleurs, à requoy (1),
car je suis pour le présent trop empeschiée au fait
de la guerre : mais quant vous sarey que je seraz à Paris,
envoiez ung message pardevers moy, et je vous feray savoir tout
au vray auquel vous devrez croire, et que en aray sceu par le conseil
de mon droiturier et souverain seigneur, le Roy de tout le monde,
et que en aurez à faire, à tout mon povoir. A Dieu
vous commans ; Dieu soit garde de vous.
Escript à Compiengne. le XXII° jour d'aoust."
Elle s'en rapporte a ce qu'elle
en a dit devant.
Article 30. "Et ainsi requise par le comte d'Armagnac,
comme on l'a rapporté, pour savoir qui des trois était
le vrai pape, et auquel il fallait croire, non seulement elle a
mis en doute qui il était, alors qu'il n'y avait qu'un pape
unique et indubitable, mais encore, présumant trop d'elle-même,
tenant de peu de poids l'autorité de l'Église universelle,
et voulant préférer son dire à l'autorité
de toute l'Église, elle affirma, sous certain terme préfix,
qu'elle répondrait à quel pape il fallait croire ;
et cela, qu'elle le découvrirait par le conseil de Dieu,
ainsi qu'on le constate plus pleinement, dans sa lettre."
- Sur les articles 27, 28, 29 et 30, qui lui ont été
exposés mot à mot, Jeanne s'en rapporte à la
réponse qu'elle a faite, et qui est mise sous l'article 26.
Elle s'en rapporte a ce qu'elle
en a dit devant.
suite du réquisitoire art.31 à 50
Source
: traduction de Pierre Champion (1921).
Notes :
1 Voir reconstitution de la tenue de Jeanne.
2 De Courcelles omet les questions et les réponses de l'article
13. Il reprend aussi une partie de la réponse du 13°
article dans le 14°.
On trouvera la réponse promise par Jeanne au début
de la séance du 28 mars
3 Une phrase de Jeanne peu remarquée par les auteurs et pourtant
tellement révélatrice (ndlr).
4 Rappelons que le
réquisitoire de d'Estiivet est basé sur la minute
française.
Courcelles et Cauchon se sont bien gardés de faire apparaitre
cette requête de la dame de Luxembourg dans l'interrogatoire
officiel du 3 mars. De Courcelles n'a pas modifié le réquisitoire
de d'Estivet qui a été transcrit tel quel dans le
procès officiel (témoignage de Manchon à la
réhabilitation).
5 Le texte de Champion fait un contresens dans cette phrase. C'est
celui de Tisset qui est reporté.
6 Robert de Baudricourt.
7 Cette dernière phrase figure dans la minute mais pas dans
la séance officielle du 17 mars.
8 Lettre sans doute écrite en juillet 1429.
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