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Procès de réhabilitation
Déposition de Guillaume Manchon en 1450 |
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Venerable et discrete personne Messire GUILLAUME MANCHON,
prestre, aagé de L ans ou envyron, chanoine de l'eglise collegial
Nostre Dame de Andely, curé de l'eglise parrochial Sainct Nicholas
le Paincteur de Rouen, notaire en la cour archiepiscopal de Rouen,
juré et examiné, l'an de grace mil CCCC XLIX, le IIIIe jour de mars,
dit et depose
que il fut notaire au procés d'icelle Jehanne, depuis le commencement
jusques a la fin ; et avecque luy messire Guillaume Colles, dit
Boscguillaume.
Item, dit que, a son advis, tant de la partie de ceulx qui avoient la
charge de mener et conduyre le procés, c'est assavoir monsieur de
Beauvoys et les maistres qui furent envoyez querir a Paris pour
celle cause, que aussy des Angloys, a l'instance desquels [le] procés
se faisoit, on proceda plus par haine et contemp de la querelle du roy
de France, que ce elle n'eust point porté son party, pour les raisons qui
ensuivent :
Et premierement dit que ung nommé maistre Nicole Loyseleur, qui estoit familier monsieur de Beauvoys, et tenant le party
extremement des Angloys, (car aultres foys, le roy estant devant
Chartres, alla querir le roy d'Angleterre pour faire lever le siege),
faigny que il estoit du pays de ladicte Pucelle, et par ce moyen trouva
maniere d'avoir actes, parlement et familiarité avec elle, en luy disant
des nouvelles du pays a luy plaisantes ; et demanda estre son confesseur; et ce que elle luy disoit en secret, trouvoit maniere que venist a
l'ouye des notaires. Et de fait, au commencement du procés, ledit
notaire et ledit Boscguillaume, avec tesmoings, furent mis secretement
en une chambre prochaine, ou estoit ung trou, par lequel on povoit
escouter, affin que peussent raporter ce que elle diroit ou confesseroit
audit Loyseleur ; et luy semble que ce que ladicte Pucelle disoit ou raportoit familierement audit Loyseleur, il raportoit ausditz notaires ;
et de ce estoit fait memoire pour faire interrogations au procés, pour
trouver moyen de la prendre captieusement.
Item, dit que, le procés commencé, maistre Jehan Lohier,
solennel clerc normant, vinst en ceste ville de Rouen ; et luy fut communiqué
ce qui estoit ja escript par ledit evesque de Beauvoys ; lequel
Lohier demanda dilation de deux ou troys jours, de le veoir. Auquel
fut respondu que, en la relevee, il donnast son oppinion, et a ce fut
contraint. Et iceluy maistre Jehan Lohier, veu le procés, dist que ne
valoit riens, pour plusieurs causes. Premierement, que n'y avoit
point forme de procés [ordinaire]. Item, il estoit traicté en lieu clos
et fermé, ou les assistens n'estoient pas en plaine et pure liberté de dire
leur pure et plaine voulenté. Item, que l'en traictoit en icelle matere
l'honneur du roy de France, duquel el tenoit le party, sans le appeler
ne aucun qui fust de par luy. Item, que libelle n'avoit point esté baillé
ne articles ; et si n'avoit quelque conseil icelle fame, qui estoit une
simple fille, pour respondre a tant de maistres et docteurs, et en grandes matieres,
par especial qui touchent revelations, comme elle disoit. Et pour ce, luy sembloit que le procés n'estoit vaillable.
Desquelles choses monsieur de Beauvoys fu indigné contre ledit
Lohier ; et, combien que ledit monsieur de Beauvoys luy dist que il demeurast pour veoir demener le procés, ledit Lohier respondi que ne
demourroit point. Et incontinent iceluy monsieur de Beauvoys, lors
logé en la maison ou demeure a present maistre Jehan Bidault,
pres Sainct Nicholas le Paincteur, se departist, vinst aux maistres,
c'est assavoir : maistre Jehan Beaupere, Jacques de Touraine, Nicole
Midi, Pierre Morice, Thomas de Courcelles et Loiseleur, ausquelz
il dit : « Vela Lohier qui nous veult bailler belles interlocutoyres en
nostre procés. Il veut tout calompnier ; et dit qu'il ne vault rien. Qui
le vouldroit croire, il nous fauldroit tout commencer ; et tout ce que
nous avons fait ne vauldroit riens. » En recitant les causes pourquoy
ledit Lohier le vouloit calompnier. Disant oultre ledit monsieur de
Beauvoys : « On veoit bien de quel pié il cloche ! Par sainct Jean, nous
n'en ferons riens. Nous continurons nostre procés comme il est commencé. »
Et estoit lors le samedi de relevee en karesme. Et lendemain matin,
cil qui parle, parla audit Lohier en Nostre-Dame, et demanda a iceluy
Lohier que luy sembloit dudit procés et de ladicte Jehenne. Lequel
luy respondi : « Vous voyés la maniere comme ilz procedent. Ilz la
prandront es parolles, s'ilz pevent es assertions, c'est assavoir, ou elle
dit : « Je sçay de certain ce qui touche les apparitions », se elle disoit : « Il me semble », pour icelles parolles : « Je soy de certain », il m'est
advis que il n'est homme qui la peust condempner ; et semble plus
que procedent par hayne que aultrement. Et pour ce je ne me tendray
plus cy ; ne je n'y vueil estre ». Et de fait a tous jours demouré depuys
en court de Romme, ou est mort doyen de la Roe (1).
Item, dit que, au commencement du procés, par cinq ou six journees,
pour ce que cil qui parle mectoit en escript les responses et excusations
de icelle Pucelle ensemble, et aucune foys les juges le vouloient
contraindre, en parlant en latin, qu'il mist en aultres termes, en muant
la sentence de ces parolles, et en aultre maniere que cil qui parle ne
l'entendoit. Furent mis deux hommes, du commandement de monsieur
de Beauvoys, en une fenestre, pres du lieu ou estoient les juges, une
sarge passant par devant, affin que ne feussent veues. Lesquels deux
hommes escrivoient et rapportoient ce qui [faisoit] en la charge d'icelle Jehanne, en taisant les excusations. Et luy semble que c'estoit
ledit Oyseleur et le clerc dudit Beaupere, qui n'estoient point
notaires ; et aprés la juridition tenue, la relevee en faisant collation
de ce qu'il avoit escript, les deux autres rapportoient en
aultre maniere, et ne mectoient point d'excusation. Dont ledit monsieur
de Beauvoys se courrouça grandement contre cil qui parle. Et es parties ou il est escript en procés (2)
: Nota, ce estoit ou il y avoit controversie,
et esconvenoit recommencer nouvelles interrogations sur cela.
Et trouva l'en que ce que estoit escript par cil qui parle estoit vray.
Item, dit que, en escrivant ledit procés, iceluy suppliant fut
plusieurs foys argué de monsieur de Beauvoys et desditz maistres que
il escript selon leur ymagination et contre l'entendement d'icelle
Pucelle. Et aucunes foys avoit des choses qui ne leur plaisoient pas,
ou disoient : « Ne les escripvez point. Il ne sert point au procés. »
Mais pourtant ne escript oncques ledit suppliant fors selon son entendement
et conscience.
Item, dit que maistre Jean de Fonte (3), depuis le commencement du
procés jusques a la sepmaine d'aprés Pasques mil CCCC XXXI, fut
lieutenant de monsieur de Beauvoys, a l'interroguer en l'absence dudit
evesque, lequel neantmoins estoit tousjours present avec ledit
evesque eu demené du procés ; et quand venist es termes que ladicte
Pucelle estoit fort sommee de soy submectre en l'Eglise par iceluy de
Fonte et freres Ysambart de la Pierre et Martin Lavenu, fut advertie
qu'elle debvoit croyre et tenir que c'estoient nostre sainct Pere le
pape et ceulx qui president en l'Eglise militant et que elle ne debvoit
point faire de doubte de se soubmectre en nostre Pere le pape et au
sainct consille, ou il y avait, tant de son party que d'ailleurs, plusieurs
notables clercs ; et que, ce ainsy ne le faisoit, elle ce mectoit en grant
dangier. Et lendemain qu'elle fut ainsy advertie, elle respondi qu'elle
se vouldroit bien submectre a nostre sainct Pere le pape et au consille,
etc. Et quant monsieur de Beauvoys ouyt celle responce, demanda
qui avoit esté parler a elle [le jour de devant, et manda la garde
angloise d'icelle Pucelle, auquel demanda qui avoit parlé a elle].
Lequel garde respondi que ce avoit esté ledit de Fonte, son lieutenant,
et les deux religieux. Et pour ce, en l'absence d'iceulx de Fonte et religieux,
se couroucha tres fort contre maistre Jehan Magistri, vicaire de
l'inquisiteur, en les menachant tres fort de leur faire desplaisir. Et
quant ledit de Fonte eut de ce congnoissance, et que il estoit menaché
pour icelle cause, ce parti de ceste cité de Rouen, et depuis ne retourna.
Et quant aux deux religieux, se n'eust esté ledit Magistri, qui les
excusa et supplia pour eulx, en disant que se on leur faisoit desplaisir,
jamais ne viendroit au procés, ilz eussent esté en peril de mort. Et
de lors fut deffendu de par monsieur de Warwick que nul ne entrast
vers icelle Pucelle, [sinon] monsieur de Beauvoys ou de par luy.
Et toutes foys que luy plaisoit, alloit devers elle. Mais ledit vicaire
ne y eust point eu entree sans luy.
Item, dit que, au parlement du preschement de Sainct Ouen, aprés
l'abjuration de ladicte Pucelle, pour ce que ledit Oyseleur disoit a
ladicte Pucelle : « Jehanne, vous avez fait une bonne journee,
se Dieu plaist, et avez sauvé vostre ame », elle demanda : « Or ça, entre
vous gens d'Eglise menez moy en voz prisons ; et que je soye plus en
la main de ses Angloys. » Et il fut dit de par monsieur de Beauvoys : « Menez la ou vous l'avez prinse. » Et elle fut menee au chastel, d'ou
elle estoit partie. Et le dymenche ensuivant, qui fut le jour de la
Trinité, furent mandez les maistres, notaires et aultres qui ce entremectoient
du procés. Et leur fut dit qu'elle avoit reprins son habit de
homme, et que elle estoit renchue. Et quant ilz vindrent au chastel,
en l'absence dudit monsieur de Beauvoys, arriverent sur eulx envyron
IIIIx x ou cent Angloys qui se adrecherent a eulx en la court dudit
chastel. Et leur dirent que entre eulx gens d'Eglise estoient tous faulx
traictres armigneaux et faulx conseilliers. Et a grant paine peurent
evader et yssir hors du chastel. Et ne firent riens pour icelle journee.
Et lendemain fut mandé cil qui parle. Et il respondi que il ne iroit
point, se il n'avoit seurté, pour la paour que il avoit eue. Et ne y
fust point retourné, ne eust esté ung des gens monsieur de Warwick
qui luy fut envoyé pour seurté. Ainsy retourna, et fut [a] la continuation
du procés jusques a la fin. Mais ne fut point a certain examen
de gens qui parlerent a elle a part, comme personnes privees. Neantmoins
monsieur de Beauvoys le voulu contraindre de ce signer. Laquelle
chose ne voulu faire.
Item, dit que veist amener ladicte Johanne a l'eschafault. Et y avoit
le nombre de sept ou huyt cens hommes de guerre entour d'elle, avec
glayves ; et n'y avoit homme qui fut si hardi de parler a elle pour
l'advertir, excepté frere Martin Lavenu et messire Jehan Massieu.
Et dit que pacientement elle ouyt le sermon tout au long ; et après
feist la regratiation, prieres et lamentations moult notablement et
tant devotement que tant les juges prelatz que tous aultres assistens,
ce ouans, furent provocqués a grans pleurs. Et dit le deposant que
oncques ne plora tant pour chose qui luy advint ; et que, par ung moys
aprés, ne s'en povoit bonnement apaiser ; et, de partie de l'argent que
il eust du procés, il acheta ung petit messel qu'il a encore, affin qu'il
eust cause de prier pour elle. Et au regard de finalle penitance,
il ne veist oncques plus grant signe a christien.
Item, dit que est recolant que, au preschement fait a Sainct Ouen
par maistre Guillaume Erard, entre aultres parolles fut dit par
ledit Erard ce langage en effet : « Ha ! noble maison de France, qui as esté tousjours protecteure de la foy, as tu esté ainsy abusee de te
adherer a une heretique et scismatique ! C'est grand pitié ! » A quoy
el donna response dont ne se recorde point, excepté que elle faisoit
grant louenge de son roy ; et que c'estoit le meilleur chrestien et le
plus saige qui fust au monde a son advis. Et donc fut commandé
audit Massieu par ledit Erard et par monsieur de Beauvoys : « Faites
la taire ! ».
Sources
:
- "Procès de Jeanne d'Arc" - Jules Quicherat
- tome II.
Notes :
1 La Rote, tribunal où se jugaient les appels portés
à Rome.
2 C'est à dire sur la minute de Guillaume Manchon.
3 Jean de La Fontaine.
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